Philippe SCHULTZ
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace – HDR
Membre du CERDACC
Mots clés : Expert judiciaire – inscription initiale – condition d’âge – date d’appréciation – refus d’inscription – Décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004.
Pour se repérer
Une personne sollicite son inscription initiale sur la liste des experts judiciaires établie par la Cour d’appel de Fort-de-France. Sa demande est rejetée le 28 novembre 2018 au motif que, au jour où l’assemblée générale de la Cour d’appel a statué, celui-ci était atteint par la limite d’âge de 70 ans.
Le requérant forme alors un recours en faisant valoir qu’il n’aurait pas encore atteint l’âge de 70 ans au premier janvier 2019.
Se fondant sur l’article 2, 7°, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 la Cour de cassation dans un arrêt du 6 juin 2019 (n° 19-60008) va recevoir ce recours et annuler la décision de la Cour d’appel de Fort-de-France. En effet, en application de ce texte, une personne physique ne peut être inscrite ou réinscrite sur une liste d’experts judiciaires dressée par une cour d’appel si elle est âgée de plus de 70 ans. Et la Cour de cassation d’affirmer que cette condition s’apprécie bien au 1er janvier de l’année suivant celle de présentation de la demande.
Pour aller à l’essentiel
En application de l’article 2, 7°, du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004, une personne physique ne peut être inscrite ou réinscrite sur une liste d’experts judiciaires dressée par une cour d’appel si elle est âgée de plus de 70 ans.
Ce texte ne précise pas à quel moment doit s’apprécier l’âge du demandeur. Dans le présent arrêt, la Cour de cassation affirme que cet âge doit s’apprécier au 1er janvier de l’année qui suit la demande.
Pour aller plus loin
La loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires oblige les Cours d’appel à dresser des listes d’experts destinées à l’information des juges. Chaque année, l’assemblée générale des Cours d’appel doit décider de l’inscription ou de la réinscription de ceux qui ont formulé une demande en ce sens. La procédure débute par une demande devant être formulée avant le 1er mars au Procureur de la République du TGI du ressort dans lequel le candidat exerce son activité professionnelle ou a sa résidence (Décr. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 6). Elle se termine par une décision de l’assemblée générale de la Cour d’appel qui doit être prise au plus tard durant la première quinzaine du mois de novembre qui suit (Décr. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 8). En cas de refus, l’expert peut exercer un recours devant la Cour de cassation (Décr. n° 2004-1463, 23 déc. 2004, art. 20).
Dans l’arrêt rendu par la 2e chambre civile de la Cour de cassation le 6 juin 2019 (n° 19-60008), le recours était exercé par une personne qui sollicitait son inscription pour la première fois sur une liste d’experts pour une période probatoire de trois ans. Qu’il s’agit d’une demande initiale ou d’une demande de réinscription, le candidat doit remplir diverses conditions énoncées à l’article 2 du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004. Le fait de ne pas remplir l’une des conditions énoncées constitue évidemment un motif de refus d’inscription initiale. On rappellera que, depuis la modification du VI de l’article 2 de la loi du 29 juin 1971 par la loi n° 2012-409 du 27 mars 2012, le refus d’inscription initiale doit être motivé tout comme devait l’être déjà antérieurement le refus de réinscription.
En l’espèce, la condition litigieuse portait sur l’âge de l’expert. L’article 2 du décret dispose que « Une personne physique ne peut être inscrite ou réinscrite sur une liste d’experts que si elle réunit les conditions suivantes : 7° Sous réserve des dispositions de l’article 18, être âgé de moins de soixante-dix ans ». La législation fixe ainsi une limite d’âge à 70 ans. Toutefois, le bureau de la Cour de cassation peut, à titre exceptionnel, inscrire sur la liste nationale un candidat qui ne remplit pas la condition. Cette dérogation présente véritablement un caractère exceptionnel. D’une part, il faut que le candidat âgé de plus de 70 ans demande expressément à bénéficier de cette dérogation au moment de sa requête en inscription (Cass. 2e civ., 27 sept. 2018, n° 18-60102, jugeant qu’il ne peut formuler sa demande de dérogation à l’appui d’un recours contre la décision rejetant sa requête). D’autre part, elle ne peut être demandée que par un candidat à l’inscription sur la liste nationale. Les candidats demandant leur inscription ou leur inscription sur les listes dressées par les Cour d’appel ne peuvent bénéficier d’une telle dérogation quelles que soient leurs qualités (Cass. 2e civ., 11 juill. 2013, n° 13-60063 ; Cass. 2e civ., 7 avr. 2016, n° 15-60277 ; Cass. 2e civ., 2 juin 2016, n° 15-60340 et Cass. 2e civ., 11 avr. 2019, n° 19-60030).
Si la loi détermine une limite d’âge, en revanche, le texte ne précise pas clairement à quel moment il faut se placer pour apprécier cette condition. La question est d’importance dans la mesure où la procédure s’échelonne sur plusieurs mois, comme on vient de le constater.
Par le passé, la Cour de cassation avait déjà eu à connaître de cette difficulté. Ce sont deux arrêts du 23 septembre 2010 (Cass. 2e civ., 23 sept. 2010, n° 10-60094 : Bull. civ., II, n° 159 ; Cass. 2e civ., 23 sept. 2010, n° 10-60091) qui avaient fixé la jurisprudence. Dans les deux affaires, les Cours d’appel de Versailles et d’Orléans avaient respectivement procédé au retrait d’un expert qui avait été réinscrit pour cinq ans au motif qu’il avait été atteint par la limite d’âge. Le recours exercé par l’expert contre ce retrait avait conduit la Cour de cassation à préciser que la condition d’âge s’apprécie au jour de la décision d’inscription ou de réinscription (V. également : Cass. 2e civ., 16 mai 2012, n° 11-61206). Si le litige portait sur un retrait de la liste, le principe posé par la Cour de cassation permettait de comprendre que si la condition d’âge est remplie au moment de la réinscription, l’expert conservait son inscription jusqu’au jour où il doit reformuler une demande de réinscription. À ce moment, son âge deviendra un obstacle à sa réinscription (V. également : le cas d’un expert qui n’avait pas exercé de recours contre le retrait abusif de la liste fondé sur son âge et qui avait plus tard demandé sa réinscription : Cass. 2e civ., 28 juin 2012, n° 12-60138). De manière incidente, les arrêts permettaient aussi de préciser la date à laquelle il fallait apprécier cette condition lorsqu’il s’agissait de statuer sur une inscription ou une réinscription.
À cet égard, la décision rendue par le 2e chambre civile le 28 juin 2012 est particulièrement éclairante (Cass. 2e civ., 28 juin 2012, n° 12-60042). Un candidat, à une inscription initiale, né le 15 août 1941 dépose une demande le 28 juillet 2010. Sa candidature étant tardive pour 2010, elle est analysée au titre des candidatures déposées avant le 1er mars 2011. Si au moment du dépôt de sa candidature, il n’avait pas atteint l’âge de 70, en revanche, il fêtait cet anniversaire le 15 août 2011. Or la Cour d’appel de Lyon auprès de laquelle il avait formulé sa demande n’avait statué que le 14 novembre 2011. À cette date, il avait dépassé la limite d’âge si bien que sa demande fut rejetée. Le recours exercé devant la Cour de cassation fut lui-même rejeté parce qu’il était atteint par la limite d’âge au moment où l’assemblée générale de la Cour d’appel de Lyon avait statué.
En revanche, si l’expert n’atteint la limite d’âge que durant l’année suivant la date à laquelle l’assemblée générale statue, c’est-à-dire concrètement lorsque la liste réactualisée sera opérationnelle, cela ne constitue pas un obstacle à son inscription. Un refus d’inscription pour ce motif encourt l’annulation (Cass. 2e civ., 27 sept. 2012, n° 12-60190 et n° 12-60180).
Le principe adopté par la Cour de cassation en 2010 comportait assurément une iniquité. Elle créait une rupture d’égalité entre les candidats puisque la date d’appréciation de l’âge n’était pas la même suivant le lieu de la demande. Elle variait en fonction de la date à laquelle l’assemblée générale de la Cour d’appel auprès de laquelle la demande a été faite rendait sa décision d’inscription. Or celle-ci varie entre le 1er et le 15 novembre, pour les juridictions les plus vertueuses. Mais l’analyse des décisions rendues par la Cour de cassation montre que certaines décisions locales sont prises plus tardivement. C’était le cas dans l’arrêt commenté où l’assemblée générale de la Cour d’appel de Fort-de-France avait rendu sa décision le 28 novembre 2018. Or, par hypothèse, plus une Cour d’appel tarde à prendre sa décision, plus le candidat est susceptible d’être atteint par la limite d’âge. L’arrêt commenté ne mentionne pas la date de naissance du candidat. Imaginons que le candidat soit né le 20 novembre 1948. Si la Cour d’appel avait statué dans le délai imposé réglementairement – soit entre le 1er et le 15 novembre – le candidat remplissait la condition d’âge au moment de l’inscription. En statuant le 28 novembre, il ne la remplissait plus et sa demande devait être déclarée irrecevable.
L’arrêt du 6 juin 2019 revient sur cette date d’appréciation. La condition d’âge s’apprécie au 1er janvier de l’année suivant celle de présentation de la demande. Ce revirement de jurisprudence donne satisfaction dans la mesure où la date d’appréciation de l’âge du candidat est la même pour toutes les juridictions, indépendamment de la date à laquelle l’assemblée générale dresse la liste des experts. Les candidats « du signe de la balance » ne sont donc pas pénalisés suivant le lieu où ils doivent déposer leur demande.
Le choix de cette date peut se justifier dans la mesure où les listes dressées durant une année civile ont vocation à être utilisées par les juridictions à compter du 1er janvier suivant. Ainsi que le candidat devienne septuagénaire en janvier ou en décembre de l’année durant laquelle sa demande est analysée, sa demande sera déclarée irrecevable puisqu’il aura forcément plus de 70 ans le 1er janvier de l’année suivante.
Si le principe doit être salué, la décision demeure tout de même mystérieuse dans la mesure où on ne connait pas la date de naissance du candidat. En effet, en application du nouveau principe d’appréciation, que le candidat fête ses 70 ans en 2018 avant ou après la date de la décision de l’assemblée générale, par hypothèse, le 1er janvier 2019, il était atteint par la limite d’âge. La Cour de cassation aurait pu rejeter son recours. En rendant une décision d’annulation, on doit supposer que le candidat n’atteignait ses 70 ans qu’après le 1er janvier 2019. Sur le fond, l’assemblée générale n’avait donc fait qu’anticiper le dépassement de l’âge fatidique l’année suivante. Sur ce point, on savait déjà que cette circonstance ne pouvait légitimement motiver un refus (Cass. 2e civ., 27 sept. 2012, préc.).