LE CARACTÈRE MIXTE DU CONTRAT DE TRANSPORT DE DÉMÉNAGEMENT REJAILLIT SUR LA PROCÉDURE à OBSERVER EN CAS D’AVARIES, E. Desfougères

Éric DESFOUGÈRES

Maître de conférences (HDR) à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Commentaire de C. cass., ch. com. 20 novembre 2024, n° 23-15.153

 

Alors que la toujours délicate conciliation entre le droit de la consommation et le droit des transports vise habituellement plutôt l’acheminement de passagers, elle peut aussi occasionnellement toucher celui de marchandises (V. Delebecque (P.), « Droit des transports vs Droit de la consommation » : Revue de Droit des transports, mai 2010, Repère 5).

C’est, comme souvent, un désagrément bien ordinaire de la vie quotidienne qui, se retrouvant devant la plus haute juridiction judiciaire, lui offre l’opportunité de rappeler judicieusement l’articulation de règles éparses. Une personne ayant constaté que ses meubles avaient été abîmés après avoir conclu un contrat de transport de déménagement avait assigné le déménageur en justice. S’étant vu déboutée de ses demandes en réparation par jugement rendu, en premier et dernier ressort, en raison de la faiblesse du montant réclamé, par le tribunal judiciaire de Caen le 7 mars 2023, elle n’avait d’autre choix que de se pourvoir en cassation. Elle n’y obtient portant pas davantage raison, puisqu’au vu de la soumission du contrat en cause au Code de commerce et au Code de la consommation (I), le délai de dix jours pour adresser une protestation motivée ne fait qu’allonger celui de trois jours pour émettre des réserves et n’entraîne aucune présomption de responsabilité du professionnel (II).

 

I.- Les pérégrinations à l’origine de la double classification du contrat de transport de déménagement

L’appellation même de la convention concernée suffit à démontrer qu’après les qualifications exclusives des juges (A), les pouvoirs publics aient fini par entériner le fait qu’elle soit régie concomitamment par des règles relevant de plusieurs branches du droit (B).

 

A.- Les hésitations au fil de la jurisprudence

L’accord visant à faire suivre ses biens meubles en cas de changement définitif d’adresse a de tout temps défrayé la chronique jurisprudentielle, suscitant tout autant de commentaires quant à sa réelle appartenance (Bon-Garcin (I.), « Le contrat de transport de déménagement : un contrat mal aimé ou malmené ? » : in Mélanges en l’honneur de Philippe Delebecque, Dalloz, 2025, p. 221).

Longtemps, le déplacement étant – lorsqu’il constitue l’objet principal d’un contrat – un des critères permettant de l’assimilation au contrat de transport, la qualification s’appliquait, sans conteste, à la convention qui lie à un déménageur, lorsque ce dernier s’en tient là (Cass. com. 25 févr. 1963 : Bull. civ. IV n° 26, D. 1963 p. 422 ; Cass. com. 10 mars 2024, n° 02-14.671 : Contrats-Concurrence-Consommation juin 2004, com. 93, note Leveneur (L.)). Si en revanche, la prestation incluait également l’emballage, la manutention, le démontage, le remontage, voire le rangement du mobilier ou le garde-meuble, on était alors en présence d’un contrat d’entreprise (Cass. com. 20 janv. 1998, n° 95-22.190 ; Cass. com. 26 juin 2001, JurisData n° 2001-010527 : Contrats-Concurrence-Consommation nov. 2001, comm. 153, note Leveneur (L.) ; Cass. com. 9 juill. 2002, Juris-Data n° 2002-015385 : Contrats-Concurrence-Consommation janv. 2003, comm. 1, obs. Leveneur (L.) ; Cass. com. 1er avr. 2003, n° 01-03.109 : D. 2004 p. 1019).

Afin de tenter de mettre un terme à d’incessants contentieux avec des querelles byzantines visant à déterminer l’importance de l’obligation principale par rapport à celles qui ne sont qu’accessoires, le législateur a fini par intervenir, à de multiples reprises en 2009, pour inscrire dans les textes l’hybridité de cette convention (Gency-Tandonnet (D.), « Le régime mixte du contrat de transport de déménagement » : JCP E 2010 comm. 1655 ; Brunaux (G.), « La nature juridique du contrat de déménagement » : Contrats-Concurrence- Consommation avr. 2010, étude 5).

 

B.- L’officialisation par le législateur

L’article 23 de la loi du 12 mai 2009 (JO 13 mai 2009, texte n° 1) de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures a d’abord supprimé toute référence au contrat de transport dans la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) du 30 décembre 1982 (JO 31 déc. 1982 p. 3993). Curieusement, l’article 34 de la loi du 22 juillet 2009 (JO 24 juill. 2009, texte n° 1 ; Petit (F.), « Les errements législatifs du déménagement » : JCP E 2009, com. 1949) de développement et de modernisation a ensuite rajouté un e à l’article 5 de la LOTI suivant lequel sont considérés comme des transports de marchandises les opérations de transport effectuées dans le cadre d’un déménagement. Avant que la loi n° 2009-1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports (JO 9 déc. 2009, texte n° 1) ne vienne préciser que selon l’article L. 133-9 du Code de commerce, les dispositions relatives au voiturier  (comprendre le transporteur) s’appliquent aux entreprises de transport de déménagement dès lors que la prestation objet du contrat comprend pour partie une prestation de transport.

Toujours dans l’optique de mieux protéger les clients, l’article 40 de cette même loi du 8 décembre 2009 a parallèlement inséré les articles L. 224-63 et L. 224-64 constituant une sous-section du Code de la consommation, spécifiquement consacrée aux contrats de transport de déménagement conclus entre un professionnel et un consommateur.

Néanmoins, l’arrêt commenté va bien démontrer que la mise en œuvre de ces dispositions aboutit, assez paradoxalement, in fine, à une exigence renforcée des conditions pour établir les désordres constatés (Berheim-Desvaux (S.), « Mise en œuvre de la responsabilité du transporteur en l’absence de réserves émises lors de la livraison » : Contrats – Concurrence – Consommation janv. 2025 comm. 12).

 

II.- La double procédure de constatation des dommages à l’occasion du contrat de transport de déménagement

Le fait de bénéficier de plus de temps pour envoyer une lettre recommandée au transporteur-déménageur (A) ne doit pas faire oublier au destinataire-consommateur la nécessité de prouver que le dommage s’est produit lors du déplacement (B).

 

A.- La prolongation du délai pour émettre une protestation motivée

Par dérogation, l’article L. 224-63 du Code de la consommation a précisément prolongé à dix jours calendaires révolus à compter de la réception, le délai pour adresser une protestation motivée au transporteur déménageur, alors que l’article L. 133-3 du Code de commerce impose déjà au destinataire de notifier au transporteur par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée une protestation motivée en cas d’avarie ou de perte partielle dans le délai de trois jours francs.

On mesure tout le chemin accompli depuis un autre arrêt, sur des faits assez similaires, de la chambre commerciale en date du 3 avril 2001 (n° 98-21.233 ; JCP G 2002, I, 10048 et JCP E 2002, comm. 642, note Delebecque (P.) ; JCP E 2002, com. 1466, obs. Mainguy (D.) ; BTL 8 oct. 2001, p. 669, obs. Tilche (M.)). Cette décision avait alors clairement écarté les règles spéciales du droit des transport au motif que le contrat de déménagement était un contrat d’entreprise, son objet n’étant pas limité au déplacement. Bien que rendu après les changements législatifs évoqués, mais pour des faits antérieurs, on retrouve la même solution dans l’arrêt de la chambre commerciale du 6 juillet 2010 (n° 09-14.661 : Contrats-Concurrence-Consommation nov. 2010, comm. 241, note Leveneur (L.)).

La Cour de cassation insiste, cette fois, sur le fait que l’article L. 224-63 du Code de la consommation n’a pas pour objet ni pour effet de présumer de la responsabilité du transporteur du fait des pertes et avaries. Sur ce dernier pèse en effet une obligation de sécurité depuis la prise en charge jusqu’à la livraison de la marchandise, ce qui s’avère très favorable à la victime qui n’a pas à démontrer de faute.

Il est d’ailleurs assez intéressant de relever qu’en l’occurrence les hauts magistrats en se positionnant ainsi, s’inscrivent à rebours de leur attitude classique tendant à privilégier le non-professionnel (Péglion-Zika (C.-M.), « Déménagement, preuve des avaries et droit de la consommation » : L’Essentiel droit des contrats janv. 2025 p. 4).

 

B.- L’obligation maintenue d’émettre des réserves précises et motivées

On se retrouve, en réalité, devant ce qui a pu être qualifié de système à double détente (Berheim-Desvaux (S.), loc. cit.). La protestation motivée ne doit, en effet, pas être confondue avec les réserves émises au moment de la livraison sur le document de transport (« Réserves émises après la livraison : absence de présomption de responsabilité du transporteur » : JCP E 2024 act. 923), étant entendu que, comme admis dès l’origine du Code de commerce et par la jurisprudence et comme l’a bien rappelé l’article L. 224-63 du Code de la consommation : « Les réserves émises par le destinataire à la livraison et non contestée par le transporteur dispense de la protestation motivée » Selon le Professeur Gaël Piette (« Transport routier (déménagement) : la protestation ne dispense pas d’émettre des réserves » : RCA janv. 2025, comm. 7), les deux formalités ne poursuivent le même objectif : la protestation permet au destinataire d’agir contre le transporteur, alors que les réserves prouvent l’antériorité du dommage par rapport au déplacement. La meilleure preuve réside d’ailleurs dans le fait que l’alinéa 2 de l’article L. 224-63 du Code de la consommation porte à trois mois le délai de protestation dans l’hypothèse où la procédure pour émettre des réserves n’a pas été communiquée au consommateur.

En l’espèce, les réserves n’avaient pas fait l’objet d’une procédure contradictoire. La lettre de voiture portait la mention « avec réserves détaillées ci-dessous » sans aucune énumération des avaries constatées en présence du chef d’équipe du déménageur. Le requérant, conformément au Code de la consommation, avait envoyé une lettre recommandée huit jours après la réception et prétendait, en outre, mais en vain, que les photographies produites, postérieures à la livraison intervenue le 8 octobre 2020, même horodatées, permettaient de dater précisément le préjudice.

Rappelons que ces réserves doivent être précises et également motivée. Ainsi les mentions type du style « sous réserve de déballage » ne sauraient suffire. De l’absence de réserves, résulte une présomption de livraison conforme des marchandises telles qu’elles sont décrites dans la lettre de voiture. Ceci a bien pour conséquence une forclusion du droit d’agir en responsabilité contre le transporteur, sauf pour le destinataire à prouver que les dommages ont eu lieu au cours du déménagement (Piedelièvre (S.), « Contrat de déménagement et délai de protestation » : Gaz. Pal. 25 févr. 2025 p. 6).

Une fois de plus, la démonstration semble faite avec cette décision qu’une multiplication des règles n’a pas forcément pour résultante une protection consumériste accrue, mais plutôt un renforcement des procédures, souvent dissuasives, d’établissement des preuves (Siguoirt (L.), « Contrat de déménagement : entre protection du client consommateur et application du système de responsabilité du contrat de transport » : JCP E 2025 comm. 1063).

 

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