LE RENFORCEMENT DES GARANTIES DES VICTIMES D’ACCIDENTS DE LA CIRCULATION DANS LA PHASE NON CONTENTIEUSE DE LA PROCEDURE D’OFFRE OBLIGATOIRE, S. Moutou

Serge MOUTOU

Docteur en Droit, enseignant-chercheur en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Mots-clés : Accident de la circulation – consultations juridiques – liberté d’entreprendre – mandataire d’assuré – phase non contentieuse – procédure d’offre obligatoire – victimes

 

Commentaire de C. cass. ch. civ. 2ème, 7 mai 2025, n° 23-21.455

 

La phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire est visiblement une période à risques pour les victimes d’accidents de la circulation. C’est l’enseignement qu’on peut tirer de l’arrêt rendu par la Cour de cassation en date du 7 mai 2025. En effet, interprétant l’article 54 de loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, la Haute juridiction juge que, exceptés les professionnels du droit et assimilés, les mandataires d’assuré n’ont pas vocation à se livrer à l’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé pour le compte notamment des victimes d’accidents de la circulation, fût-ce au cours de la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire.  (A LIRE ICI ) .

 

Pour se repérer

Dans l’espèce rapportée, un « mandataire d’assuré » se livre dans le cadre de son activité à des consultations juridiques des victimes d’accident de la circulation dans le processus conduisant à leur indemnisation, notamment lors de la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire. Le Conseil national des barreaux (CNB) et un ordre des avocats assignent le mandataire en référé afin que celui-ci soit interdit de donner des consultations juridiques et de rédiger les actes.

Le 30 janvier 2023, le juge des référés du tribunal judiciaire d’Avignon ne fait pas droit à cette demande, estimant que l’activité à laquelle se livrait le mandataire n’était pas illicite. Les requérants interjettent alors appel.

Statuant en référé le 7 juillet 2023, la cour d’appel de Nîmes infirme la décision du tribunal judiciaire. Elle prononce l’interdiction requise sous un délai de 10 jours à compter de la signification de l’arrêt. Selon les motifs de la cour d’appel de Nîmes, le fait de se livrer ainsi à une activité de consultations juridiques constituait ni plus ni moins une violation des dispositions des articles 4, 54 et suivants de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (CA, Nîmes, 2ème ch. Section B, 7 juillet 2023, RG n° 23/00910).

Mécontent, le « mandataire d’assuré » se pourvoit en cassation. Selon les prétentions de celui-ci, le fait, entre autres, de négocier avec des sociétés d’assurance les meilleures offres transactionnelles pour les victimes d’accident de la circulation moyennant un honoraire de résultat n’est pas qualifiable de « consultation juridique ». Le demandeur au pourvoi considère en substance que la cour d’appel a violé les dispositions de l’article 54 de la loi précitée.

 

Pour aller à l’essentiel

Dans un arrêt du 7 mai 2025 publié au Bulletin, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette le pourvoi. La Cour de cassation considère en effet que la cour d’appel a « exactement déduit qu’une telle activité d’assistance exercée, fût-ce durant la phase non contentieuse de la procédure d’offre, à titre principal, habituel et rémunéré, comportait des prestations de conseil en matière juridique, au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ».

En conséquence, la Haute juridiction juge que « la cour d’appel a souverainement apprécié la mesure propre à faire cesser le trouble manifestement illicite qu’elle constatait » (C. cass. ch. civ. 2ème, 7 mai 2025, n° 23-21.455, F-B : A LIRE ICI ).

 

Pour aller plus loin

La phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire est une phase à l’initiative de l’assureur conformément aux dispositions de l’article L. 211-9 du Code des assurances. Il résulte de cet article que « Quelle que soit la nature du dommage, dans le cas où la responsabilité n’est pas contestée et où le dommage a été entièrement quantifié, l’assureur qui garantit la responsabilité civile du fait d’un véhicule terrestre à moteur est tenu de présenter à la victime une offre d’indemnité motivée dans le délai de trois mois à compter de la demande d’indemnisation qui lui est présentée […] ». Comme son nom l’indique, la phase non contentieuse d’offre obligatoire est la période au cours de laquelle le litige est traité à l’amiable. Elle est comprise entre l’accident et un éventuel procès. Au cours de cette période délicate, la loi permet à toute victime d’accident de la circulation de désigner un avocat de son choix en vue d’assurer la défense de ses intérêts (voir Code des assurances, art. L. 211-10).

Mais la théorie des lois se heurte parfois à la pratique. Les victimes d’accidents de la circulation ont tendance à recourir à des mandataires d’assuré. Pour rappel, un mandataire, au sens général du terme, est « Celui qui, dans le mandat, reçoit du mandant pouvoir et mission d’agir au nom de ce dernier » (G. Cornu, Vocabulaire juridique : Association Henri Capitant, 13ème édition, Quadrige Puf, 2020, voir « mandataire » p. 636). Le mandataire d’assuré est ainsi un intermédiaire d’assurance dont la fonction est d’assister les victimes d’accidents dans le cadre du processus amiable conduisant à l’obtention, auprès de l’assureur, de l’indemnisation consécutive aux préjudices subis. Cet intermédiaire, en tant que tiers prestataire, est soumis à des obligations légales et réglementaires en lien avec son statut. Conformément aux dispositions de l’article R. 511-2, 4° du Code des assurances, l’activité des mandataires d’assuré « est limitée à la présentation, la proposition ou l’aide à la conclusion d’une opération d’assurance au sens de l’article R. 511-1, et éventuellement à l’encaissement matériel des primes ou cotisations, et, en outre, en ce qui concerne l’assurance sur la vie et la capitalisation, à la remise matérielle des sommes dues aux assurés ou bénéficiaires ».

Il en découle que les fonctions du mandataire d’assuré ne l’autorisent pas à pratiquer des consultations juridiques, encore moins, à rédiger des actes sous seing privé. La première chambre civile de la Cour de cassation a rappelé plus d’une fois qu’aucune disposition légale ou réglementaire n’autorise des tiers prestataires, autres que des professionnels du droit ou relevant d’une profession assimilée, à exercer, à titre habituel et rémunéré, une activité d’assistance à la victime pendant la phase non contentieuse de la procédure d’offre obligatoire, si elle comporte des prestations de conseil en matière juridique, au sens de l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 (C. cass., ch. civ. 1ère, 9 décembre 2015, n° 14-24. 268, publié au Bulletin ; C. cass., ch. civ. 1ère, 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-26.353, Bull. 2017, I, n° 19 ; C. cass., ch. civ. 1ère, 25 septembre 2019, n° 19-13.413, publié au Bulletin). A cet égard, la situation est inchangée.

Or, dans l’espèce en cause, c’est précisément l’exercice de cette activité de consultation juridique qui est reproché au mandataire d’assuré.

Il est vrai qu’en matière de création d’entreprise, et par principe, la loi donne à chacun le droit d’entreprendre librement. Cette liberté d’entreprendre est essentielle ; qui plus est, un principe à valeur constitutionnelle (C. const. 16 janv. 1982, DC, n°81-132 ; C. Const. 17 octobre 2024, QPC n°2014-422). Toutefois, et conformément aux lois et règlements en vigueur, la liberté d’entreprendre implique certaines limites (C. Deharo, « La limitation de la liberté d’entreprendre des professionnels non avocats : pas de renvoi de la QPC » : Dalloz Actualité, 17 octobre 2019).

L’activité de consultation juridique et de rédaction d’actes sous seing privé participe de la profession réglementée. L’idée pour le législateur ici est surtout de protéger l’intérêt commun. Il est compréhensible que la prise en charge de la défense des victimes d’accident de la circulation, fût-ce durant la phase d’offre obligatoire, soit réservée à des personnes attitrées et soumises à une certaine déontologie professionnelle (T. de Ravel d’Esclapon, « Indemnisation d’un accident de la circulation : monopole des professionnels du droit » : Dalloz Actualité, 8 février 2017, note sous C. cass, ch. civ. 1ère, 25 janvier 2017, n° 15-26.353).

Dans l’arrêt commenté, le mandataire, demandeur au pourvoi, faisait grief à l’arrêt de la cour d’appel de qualifier son activité de prestations de conseils juridiques, alors que, selon ses moyens, son activité se limitait simplement à apprécier « en fonction de la situation personnelle de chacun de ses clients et de facteurs multiples (taux d’incapacité, âge, situation professionnelle et personnelle, recours des tiers payeurs…) l’indemnisation des divers postes de préjudice qui lui apparaît la plus juste en fonction des indemnisations habituellement accordées ».

En réponse, le CNB et l’ordre des avocats demandaient l’interdiction de poursuivre cette activité. Selon leurs prétentions, le mandataire ne remplissait pas les conditions posées à l’article 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, modifié par l’ordonnance n° 2019- 964 du 18 septembre 2019 et entré en vigueur depuis le 1er janvier 2020. Pour rappel, l’article 54 de la loi précitée fait interdiction à chacun de pratiquer des consultations juridiques ou de rédiger des actes sous-seing privé, pour autrui, de façon directe ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, notamment « s’il n’est titulaire d’une licence en droit, ou s’il ne justifie, à défaut d’une compétence juridique appropriée à la consultation ou à la rédaction d’actes en matière juridique qu’il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 et 66 » (Voir, art. 54 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques).

La loi liste les personnes disposant du droit de donner des consultations juridiques ou même de rédiger des actes sous seing privé pour autrui (voir, loi du 31 décembre 1971, articles 56 et suivants, préc.). Par exemple, l’article 56 mentionne les avocats du Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, les avocats inscrit à un barreau français, les notaires, les huissiers de justice, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires-liquidateurs. L’article 57 cite, entre autres, les enseignants des disciplines juridiques des établissements privés d’enseignement supérieur reconnus par l’Etat délivrant des diplômes visés par le ministre chargé de l’enseignement supérieur. Quant à l’article 58, il mentionne les juristes d’entreprise exerçant leurs fonctions en exécution d’un contrat de travail au sein d’une entreprise ou d’un groupe d’entreprises. Ces juristes « peuvent, dans l’exercice de ces fonctions et au profit exclusif de l’entreprise qui les emploie ou de toute entreprise du groupe auquel elle appartient, donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé relevant de l’activité desdites entreprises » (Art. 58, Loi du 31 décembre 1971, préc.). Les articles suivants mentionnent d’autres personnes pouvant assurer les missions de conseils juridique et la rédaction des actes sous seing privé. Mais, de toutes ces personnes, les mandataires d’assurés n’en font pas partie.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le mandataire d’assuré confortant ainsi le CNB et l’ordre des avocats dans leur argument selon lequel en se livrant ainsi à l’activité de consultations juridiques, le mandataire exerçait lesdites fonctions de façon illicite. La Haute juridiction ne pouvait qu’approuver la cour d’appel de Nîmes ayant décidé, au regard des prérogatives que lui offre l’article 835 du Code de procédure civile, de faire cesser le trouble manifestement illicite résultant de l’activité du mandataire d’assuré en cause.

La question que pose l’arrêt commenté n’est visiblement pas nouvelle (C. Caseau-Roche, « Consultation juridique et activité d’intermédiation : une frontière réaffirmée » : Dalloz Actualité, 5 juin 2025, note sous Civ. 2e, 7 mai 2025, F-B, n° 23-21.455) ; et la solution qui s’en dégage ne l’est pas non plus (C. Cass. 1re civ., 25 janvier 2017, pourvoi n° 15-26.353, précit.). Toutefois, la remarque fondamentale à ce stade de la réflexion est que la cause des victimes d’accidents de la circulation fait l’objet d’une attention croissante de la part des juges.

Derrière la condamnation de faits liés à l’exercice illicite de l’activité de consultation juridique, la Haute juridiction apporte aux victimes d’accidents de la circulation des garanties substantielles. Il n’échappe à personne que durant la phase d’offre obligatoire, les victimes d’accidents de la circulation sont souvent dans une situation d’extrême fragilité. A cet égard, les victimes sont susceptibles de traiter avec des « professionnels » dépourvus de compétences juridiques. Le risque est tel qu’un regard non attentif de la part du juge est susceptible d’exposer les victimes à des risques majeurs, hormis les dommages déjà subis lors de l’accident.

Parlant de ces risques liés à l’exercice illicite de l’activité de consultation juridique par les mandataires d’assuré, une autrice a rappelé avec raison que ces professionnels « ne sont pas soumis à des conditions de formation, ne sont pas soumis à une déontologie dont le respect est surveillé par les pairs, n’ont pas d’obligation d’assurance et ne disposent pas de compte et/ou séquestre pour recevoir les fonds revenant aux victimes » (S. Grayot-Dirx, « Victimes d’accidents de la circulation : seuls les professionnels du droit et assimilés peuvent les conseiller durant la phase d’offre obligatoire » : note sous C. cass. ch. civ. 2e, 7 mai 2025, F-B, n° 23-21.455, B : JurisData, n° 2025-006041, JCP G 1er sept. 2025, 35, pp 1375-1377).

Ainsi, par cet arrêt, la Cour de cassation tend à protéger les victimes d’accidents de la circulation, notamment celles se trouvant dans la phase non contentieuse de la procédure obligatoire en renforçant leurs garanties.

 

 

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