Soukaina COHEN
Doctorante en droit privé (cotutelle USMBA de Fès et UHA de Mulhouse)
Membre du CERDACC (UR 3992)
L’essor du vapotage a soulevé de nombreuses interrogations juridiques, notamment en matière de publicité et dans une moindre mesure, de protection des consommateurs. L’arrêt relatif à l’affaire CNCT c. Akiva commenté, est antérieur à la loi du 9 juin 2023, visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux (A. DELAPORTE et S. VOJETTA, Assemblée nationale, Proposition de Loi visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, n° 790, 31 janvier 2023, p. 2), dite « loi des influenceurs ». Cette loi constitue une avancée majeure dans la régulation des pratiques publicitaires numériques. Même antérieur à cette loi, cet arrêt met en lumière les enjeux liés à la réglementation en vigueur et les stratégies employées par certaines entreprises pour contourner les interdictions légales.
L’affaire Akiva est particulièrement significative en raison de la rigueur avec laquelle la législation française interdit toute forme de publicité pour les produits de vapotage. En s’appuyant sur cet arrêt, il est possible de mieux comprendre les implications de cette interdiction et d’analyser ses effets sur les stratégies de communication des entreprises concernées. Cet arrêt ne concerne pas directement les influenceurs, mais il demeure pertinent pour analyser les implications de la loi du 9 juin 2023, modifiée par l’ordonnance du 6 novembre 2024 (Ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 modifiant la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux).
Deux axes méritent d’être examinés : d’une part, le cadre juridique qui fonde l’interdiction de la publicité des produits de vapotage, illustré par l’affaire CNCT c. Akiva, qui met en lumière les stratégies de contournement des interdictions publicitaires (I) ; d’autre part, les outils de lutte contre lesdites stratégies de contournement (II).
I- Le cadre juridique de l’interdiction de la publicité des produits de vapotage : l’affaire CNCT c. Akiva, une illustration des stratégies de contournement
L’affaire CNCT c. Akiva, (Cour d’appel de Paris, 17 mai 2023, RG n° 22/17882, https://www.courdecassation.fr/decision/6465c441860ce5d0f83a0841), illustre de manière significative les stratégies de contournement des interdits publicitaires par le recours à des arguments écologiques. Le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT), association reconnue d’utilité publique, a intenté une action contre la société Akiva, fabricant français de produits de vapotage, pour violation des dispositions du Code de la santé publique (Selon l’article L. 3513-4 du code de la santé publique, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage est interdite, disposition spécifique qui est venue compléter le dispositif légal déjà existant pour les produits de tabac, de sorte qu’il ne saurait être retenu que le vapotage au sens légal ne concernerait que les produits contenant du tabac). En l’espèce, Akiva, avait mis en avant sur son site internet des mentions telles que « l’unique e-cigarette recyclable bien remplie » ou « des e-liquides de haute qualité avec un engagement pour l’environnement ». Si ces allégations pouvaient sembler anodines, la cour a jugé qu’elles constituaient une publicité prohibée au sens de l’article L. 3513-4 du Code de la santé publique, qui interdit toute publicité en faveur des produits de vapotage.
En outre, il est important de noter que la société Akiva menait des campagnes publicitaires sur Instagram, impliquant des influenceurs, notamment lors d’événements tels que la fête d’Halloween, afin de renforcer la promotion de ses produits. Bien que ces influenceurs n’aient pas été directement impliqués dans l’affaire Akiva, le mécanisme de contournement des interdictions publicitaires identifié par la cour est désormais prohibé par la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 (Ordonnance n° 2024-978 du 6 novembre 2024 modifiant la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux), qui interdit la publicité et la promotion de certains produits et services en raison de leur nature. Dans une optique de renforcement de la protection de la santé publique, il est désormais strictement interdit aux influenceurs de promouvoir, de manière directe ou indirecte, des produits contenant de la nicotine, qu’ils soient entièrement ou partiellement composés de cette substance (E. Jardin-Lillo, « Marketing d’influence : quels changements ? Décryptage de la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 sur l’influence commerciale » : Revue Lamy, Droit de l’immatériel, n° 205, Juillet 2023, p. 50).
Face à ces stratégies de contournement des interdictions publicitaires mises en évidence par l’affaire CNCT c. Akiva, il est essentiel d’examiner les outils juridiques et de soft law permettant d’y remédier.
II- Les outils juridiques et de soft law pour lutter contre les stratégies de contournement des interdictions publicitaires
Parmi les mécanismes de soft law développés par les autorités françaises pour faire face aux dérives des influenceurs, « Le Guide de bonne conduite : Influenceurs et créateurs de contenu » (Ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Guide de bonne conduite : Influence commerciale, décembre 2023, https://www.economie.gouv.fr/influenceur-createur-contenu-mesuresencadrement# ) occupe une place centrale. Ce Guide vise à responsabiliser les influenceurs en les encourageant à respecter les règles et à s’engager sur des sujets prioritaires, dont l’écologie, qui revêt une importance capitale à l’heure des préoccupations environnementales croissantes. En leur fournissant des recommandations concrètes et adaptées, ce Guide constitue un outil pédagogique clé pour améliorer la transparence et l’éthique des pratiques commerciales sur les réseaux sociaux.
Par ailleurs, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) a mis en place le Certificat de l’Influence Responsable, une initiative innovante et essentielle pour moraliser l’exercice de l’activité des influenceurs. Ce certificat, accessible via une plateforme d’e-learning, offre une formation approfondie de 3 h 30, illustrée par des exemples pratiques et concrets. Il aborde des thématiques variées telles que la transparence des partenariats, la réglementation applicable aux secteurs sensibles (santé, environnement, jeux d’argent), ainsi que les principes éthiques fondamentaux (loyauté, protection des enfants, dignité et transparence). Les influenceurs doivent réussir un test final, validé avec un taux minimum de 75 %, pour obtenir ce certificat, qui leur permet de se différencier auprès des marques et de renforcer la confiance des consommateurs (Site officiel de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) https://www.arpp.org/influenceresponsable/ ).
Ces initiatives s’avèrent particulièrement stratégiques dans un secteur où les dérives sont nombreuses et où les consommateurs exigent davantage de responsabilité et de transparence. Elles démontrent la capacité des autorités françaises à mettre en place des mécanismes flexibles, complémentaires aux cadres législatifs existants. Le Guide de bonne conduite et le Certificat de l’Influence Responsable ne se limitent pas à informer ou à former les influenceurs : ils participent à leur professionnalisation, tout en sensibilisant les marques à l’importance de collaborer avec des créateurs respectant les normes éthiques. Cependant, il convient de souligner une limite importante. La loi relative à l’influence commerciale, bien qu’encadrant strictement les pratiques dans des domaines comme la santé, les jeux d’argent ou les produits financiers, n’offre pas encore une régulation adaptée aux enjeux écologiques. Par exemple, les influenceurs qui promeuvent des produits prétendument respectueux de l’environnement échappent souvent à une régulation stricte, faute de dispositions spécifiques ou de sanctions claires pour les allégations environnementales infondées. Cela laisse un vide juridique qui pourrait être comblé en intégrant des obligations plus précises dans la loi et en renforçant les sanctions en cas de non-respect des règles.
En somme, les initiatives des autorités françaises, jouent un rôle crucial pour lutter contre les dérives des influenceurs. En s’appuyant sur des outils tels que le Certificat de l’Influence Responsable, elles permettent de combler certaines lacunes du cadre légal et de répondre aux attentes croissantes des consommateurs en matière d’éthique et de transparence. Leur efficacité dépendra néanmoins de leur adoption massive par les influenceurs et les marques, ainsi que de leur complémentarité avec un cadre législatif renforcé pour répondre aux défis spécifiques, notamment dans le domaine écologique.
L’affaire CNCT c. Akiva illustre les stratégies de contournement des interdictions publicitaires en matière de vapotage. L’évolution législative, notamment avec la loi du 9 juin 2023 et l’ordonnance du 6 novembre 2024, renforce la transparence et encadre désormais les influenceurs. En complément, les outils de soft law, comme le Guide de bonne conduite et le Certificat de l’Influence Responsable, participent à une meilleure régulation des pratiques commerciales. Cette affaire souligne ainsi la nécessité d’un équilibre entre interdictions strictes et mesures incitatives pour assurer une publicité plus responsable.
Article préparé avec le soutien financier de la bourse du gouvernement français, attribuée en partenariat entre l’Ambassade de France au Maroc et le Centre National pour la Recherche Scientifique et Technique (CNRST) dans le cadre de la bourse des doctorants moniteurs « PhD-ASsociate ScholarshipPASS ».