Isabelle Corpart
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace, CERDACC
Après le décès de son compagnon suite à des faits de terrorisme, le demandeur obtient du président de la République le droit de s’unir avec lui devant la loi dans le cadre d’un mariage post mortem célébré à Paris.
Mots-clefs : attentat – autorisation délivrée par le président de la République – célébration post mortem – consentement non équivoque au mariage – décès – hommage – mariage à titre posthume – motifs graves – victim
Ce n’est pas la première fois qu’un projet matrimonial est mis à néant par les agissements d’un terroriste, ni que le droit des personnes et de la famille est sollicité pour résoudre les difficultés rencontrées par les victimes et leurs familles lors des attentats (I. Corpart, Le droit des personnes et des catastrophes à la croisée des chemins, RISEO 2012-3, 38 ; Victimes de terrorisme : mention sur les actes de décès, Commentaire de la circulaire du 23 juillet 2014, JAC n° 147, octobre 2014 ; Gratuité des soins pour les victimes du terrorisme, commentaire du décret n° 2016-1 du 2 janvier 2016, JAC n° 160, janvier 2016 ; L’accès au statut de pupilles de la nation pour les enfants des victimes d’attentat, RJPF 2016-1/22 ; Exonération des droits de mutation à titre gratuit pour les victimes du terrorisme, JAC n° 160, février 2016 ; Renforcement du dispositif fiscal de soutien offert aux familles des victimes d’attentat, JAC n° 164, mai 2016).
Déjà en mars 2012, Mohamed Merah avait semé désolation et stupeur à Montauban en blessant mortellement des personnes qui stationnaient devant une école juive, prenant également des militaires pour cible. Parmi celles-ci un jeune parachutiste, caporal-chef, Abel Chennouf avait été tué alors qu’il devait très prochainement se marier. Après des démarches longues mais fructueuses, sa fiancée enceinte avait pu obtenir le droit d’organiser des noces post mortem, à l’instar des compagnes de soldats morts au combat par le passé
Le même scénario s’est malheureusement reproduit lors de l’attaque sur les Champs-Elysées le 20 avril dernier. En effet Xavier Jugelé, policier en faction a perdu la vie sous les coups meurtriers d’un terroriste venant semer la terreur sur cette belle avenue propice au tourisme et au farniente.
Son compagnon Etienne Cadiles a alors souhaité rendre officielle sa vie de couple avec lui et a voulu profiter de l’opportunité du mariage à titre posthume ouvert aux couples depuis la loi n° 59-1583 du 31 décembre 1959.
Cette loi de circonstance avait permis à une jeune femme d’épouser le mort dont elle attendait un enfant et qui, sans cela, serait né sans père et partant aurait à l’époque été illégitime, après le décès de ce dernier emporté par les flots lors de la rupture du barrage de Malpasset à proximité de Fréjus.
Sur le fondement de cette loi, il aurait fallu que le prétendant au mariage justifie à la fois de l’accomplissement des formalités préalables à la cérémonie, en particulier de la publication des bans, et de motifs graves. Un mariage avait ainsi été autorisé en 2004 pour unir un policier mort lors d’un accident de moto à sa fiancée enceinte, le mariage étant programmé quelques jours après le drame (I. Corpart, Le mariage posthume d’une personne décédée des suites d’un accident de la circulation, JAC n° 42, mars 2004).
Entre temps, le dispositif s’est toutefois trouvé allégé par la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011. En effet, le législateur ne renvoie plus aux formalités officielles, le consentement au mariage non équivoque du défunt pouvant être établi par d’autres moyens.
Désormais l’article 171 du Code civil dispose que « le président de la République peut, pour des motifs graves, autoriser la célébration du mariage en cas de décès de l’un des futurs époux, dès lors qu’une réunion suffisante de faits établit sans équivoque son consentement ». La principale exigence tient toujours à la décision présidentielle, un dossier argumenté devant être présenté au Président de la République qui seul a compétence pour accorder un droit au mariage, ce qu’il fait environ une fois sur deux pour la centaine de demandes qui remontent jusqu’à lui chaque année
Si le mariage ainsi projeté n’était pas des plus banaux en raison de la place vide laissée au mort lors de la cérémonie, il l’était encore parce qu’il s’agissait en l’espèce d’unir deux hommes à titre posthume pour la première fois et qui plus est après un décès très médiatisé, sur fond d’attentat et une volonté affichée de rendre particulièrement hommage à cette victime du terrorisme.
Ce mariage est dès lors remarquable à plus d’un titre puisqu’il permet d’unir deux hommes dont l’un est décédé mais dont la mort est liée à l’un des nombreux attentats qui ont endeuillé la France récemment. Cette célébration pouvait dès lors présenter un aspect symbolique, témoignage vibrant de la Nation aux morts pour la France.
La possible célébration d’un mariage entre deux hommes
Le droit du mariage a connu une mutation considérable avec la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe.
Par une modification de l’article 143 du Code civil (« le mariage est contracté par personnes de sexe différent ou de même sexe »), la différence de sexe n’est plus une exigence légale du mariage qui a été ouvert ainsi aux couples de personnes de même sexe comme déjà le Pacs depuis 1999. Les revendications des personnes homosexuelles ont fini par être entendues dans la mesure où un mariage donne sans conteste des avantages que n’offre pas le Pacs notamment en matière de protection des deux membres du couple durant la vie commune, mais encore davantage lors du veuvage
Aucune règle spécifique ne figure dans l’arsenal juridique pour empêcher désormais que l’union projetée aboutisse sur le fondement du défaut de sexe, les maires qui se refuseraient à célébrer cette union devant nécessairement confier le dossier à l’un de leurs collaborateurs et organiser l’union dans leur commune.
Se marier est ainsi devenu un droit pour tous (sous réserve que les autres conditions soient respectées car la bigamie, l’inceste ou l’altération totale des facultés personnelles, entre autres mettent toujours obstacle au projet matrimonial).
En toute logique, il fallait aussi que le mariage post mortem soit également reconnu comme un droit pour tous
La possible célébration d’un mariage à titre posthume entre deux hommes
Lorsque la mort de l’un des prétendants au mariage vient de manière brutale empêcher une célébration classique, le survivant peut utiliser la procédure exceptionnelle de l’article 171 du Code civil sur la base d’un droit régalien toujours encore accordé au président de la République (I. Corpart. Mariage à titre posthume : une prérogative présidentielle dépassée ?, JCP N 2004. 1131).
Ce dernier peut dans des conditions exceptionnelles et très encadrées donner son accord pour que le mariage avec un mort soit rendu possible, alors que normalement les deux époux doivent être présents physiquement lors de la cérémonie.
S’il fallait, avant 2011, faire état de l’accomplissement des formalités préalables pour attester d’un projet matrimonial sérieux et bien avancé, il faut désormais simplement que le désir du défunt de se marier ait été clairement exprimé. En effet le texte dit simplement que le consentement doit être non équivoque. Depuis l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe, il peut s’agir dorénavant tant de la volonté d’épouser un homme qu’une femme. Aucune particularité n’est à noter sur ce point pour les mariages posthumes entre deux femmes ou comme en l’espèce entre deux hommes. Le mariage à titre posthume est ouvert à tous !
Il faut cependant également pouvoir justifier que le projet repose sur des motifs légitimes et une différence sensible peut alors être notée entre les mariages selon qu’ils reposent ou non sur une différence de sexe. En effet, la grossesse de la fiancée a souvent été évoquée pour justifier que soit célébré un mariage postérieurement à un décès, notamment autrefois pour conférer la légitimité à l’enfant (I. Corpart, Les enfants du mort au regard du droit de la filiation, in B. Py (sous la dir. de), La mort et le droit, Presses universitaires de Nancy 2010, p. 73). En l’occurrence la grossesse ne sera jamais évoquée pour des mariages de couples de personne de même sexe, même pour les femmes car seule la femme qui accouche est mère de l’enfant, son épouse ne pouvant pas faire valoir un lien de filiation autre qu’une adoption. Certes l’adoption à titre posthume est quant à elle envisageable sous de strictes conditions mais elle ne pourrait pas être déjà programmée pour l’enfant à naître de la survivante. Dès lors aucune raison liée à la naissance de l’enfant ne pourrait être évoquée pour conforter le dossier transmis au président de la République.
D’autres motifs légitimes doivent être trouvés comme, s’agissant de ce mariage récemment célébré, faire valoir que ce décès a été causé par un attentat fort médiatisé et traduire le désir de rendre un vibrant hommage à la victime.
La célébration d’un mariage à titre posthume entre deux hommes sur fond d’attentat
Il apparaît dans la décision prise par le président de la République que la mémoire du policier mort des suites d’un acte de terrorisme mérite que soit entendue la demande de son compagnon. En effet, au terme de la cérémonie, il entre dans la famille du défunt, peut porter son nom au titre du nom d’usage (C. civ., art. 225-1), a le statut de veuf et peut bénéficier de certains avantages patrimoniaux. Certes, pour l’essentiel, le mariage avec un mort n’entraîne ni liquidation de régime matrimonial, ni vocation successorale ab intestat, pour autant, il ouvre droit à une pension de réversion (qui ne présentera pas grand intérêt, le défunt ayant 44 ans), à une assurance veuvage et au régime de faveur accordé aux donations entre époux si des libéralités avaient été consenties. Dès lors cette union rend symboliquement officielle les relations de ce couple. La charge symbolique du mariage à titre posthume est, comme on peut le constater, très forte, raison pour laquelle il continue de séduire, mais en l’espèce, ce mariage qui unit la victime d’un terroriste à son compagnon participe aussi à l’hommage rendu par la Nation à un policier mort pour la France
La particularité de ce dossier explique sans nul doute qu’une décision ait été prise par le président de la République. Toutefois si l’on est sensible au contexte particulier de cette mort liée à l’intervention d’un terroriste et qu’il peut être légitime d’autoriser à ce titre un mariage à titre posthume, ce qui en soit est déjà discutable au regard du « motif légitime » exigé par l’article 171 du Code civil, on peut se demander si la question du consentement du défunt a été suffisamment analysée et vérifiée.
La démarche du compagnon du défunt est louable mais on sait que le couple s’était engagé depuis quelque temps dans un Pacs. Le mariage était ouvert depuis 2013 aux couples de personnes de même sexe et les partenaires avaient déjà eu maintes fois l’occasion de programmer une telle union, ce qu’ils n’avaient pas choisi à ce jour de faire. Est-on si sûr d’une volonté matrimoniale. En tout état de cause ce point mériterait d’être creusé.
Il semble néanmoins que de nombreux amis ont entouré le marié lors de la cérémonie et qu’ils pouvaient témoigner de la force de leurs sentiments et, comme on peut l’espérer, d’un projet matrimonial sérieux.
Cette affaire nous permet de montrer les maillages entre le droit des personnes et de la famille et du risque, la mort et le mariage étant appréhendés avec une considération plus grande sur fond d’attentat, comme s’il fallait assouplir les règles de droit pour atténuer l’injustice de l’événement.
Reste à savoir si on autoriserait une union posthume si les deux fiancés périssaient sous les coups de terroristes, hypothèse vraisemblable mais qui n’est pas spécifiquement visée par l’article 171 du Code civil lequel envisage le seul cas du décès de l’un des futurs époux.
Si le mariage à titre posthume devait être devenir un moyen récurrent de rendre hommage des victimes de terroriste (et non plus comme autrefois de légitimer des enfants), il faudrait envisager une nouvelle modification du texte.
En ce cas, il faudrait aussi veiller à accorder tous les membres de la famille qui pleurent leur mort. Pour l’heure, une fois l’autorisation présidentielle obtenue, le fiancé survivant programme la date du mariage avec la mairie de sa commune, sans tenir compte des parents du défunt.
Pour le mariage posthume d’Abel Chennouf, il se trouve que la date choisie n’a pas permis à la famille du militaire d’être présente or l’hommage rendu les visait aussi. En effet, dans le droit actuel, le choix de la date de la cérémonie revient uniquement au survivant, le maire de la commune n’ayant pas d’autre possibilité que d’unir le couple à partir du moment où une autorisation de l’Elysée lui est parvenue.