Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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QUAND VIOLATION DU CONFINEMENT NE RIME PAS AVEC EMPRISONNEMENT, S. Zekkara

Sara ZEKKARA

Avocate au barreau de Mulhouse
Chargée d’enseignement à l’Université de Haute-Alsace

 

Commentaire des saisines de la Cour de cassation des 10, 16 et 23 avril 2020

 

Dans la lutte contre la pandémie du COVID-19, la mesure de confinement décidée à l’échelle nationale et même mondiale constitue une situation sans précédent.

Pour asseoir cette mesure exceptionnelle, la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence et de lutte contre l’épidémie du COVID-19 (JO du 24 mars 2020), instaure dans le Code de la Santé publique un article L. 3136-1 sanctionnant en son 4e alinéa la violation de cette mesure par une peine d’amende, voire en cas de renouvellement d’infraction, une peine d’emprisonnement.

Entre le 10 et le 23 avril 2020, la Cour de Cassation a été saisie de quatre Questions Prioritaires de Constitutionalité (QPC) portant sur la conformité des dispositions de cet article L. 3136-1 du Code de la Santé publique (CSP).

Répondre à la violation de l’enfermement par l’enfermement, tel a été le choix du législateur. En pratique un tel positionnement ne manque toutefois pas de soulever de nombreuses questions.

 

Mots clef : crise sanitaire – restriction de liberté – sanctions – violation réitérée du confinement – emprisonnement dû au confinement – QPC – examen de conformité – légalité – question probatoire – invalidité du fichier ADOC

Depuis le 17 mars 2020, après une phase de sensibilisation du public, les forces de l’ordre ont procédé à plus de 15 millions de contrôles donnant lieu à l’établissement de 915.000 contraventions[1].

Le confinement, qualifié par certains « d’assignation à résidence surveillée », porte gravement atteinte aux libertés.

Limités à cinq motifs de sortie tels qu’énumérés à l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, mais aussi par diverses mesures locales imposant notamment des couvre-feux, des restrictions d’accès en termes de lieux et de nombre d’individus, les citoyens français acceptent tant bien que mal cette privation de liberté pour motif sanitaire.

L’objectif gouvernemental affiché tendant à réfréner la propagation de l’épidémie apparaît légitime justifiant par là-même une telle restriction de liberté. Néanmoins, le législateur semble s’être visiblement précipité dans la détermination de la sanction en cas de violation renouvelée du confinement tant les contours de cette nouvelle infraction visée à l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique sont imprécis.

Si la violation simple de la mesure engendre une peine de contravention, la violation renouvelée à quatre reprises au moins dans un délai de 30 jours est sanctionnée notamment par une peine d’amende et d’emprisonnement.

Derrière une apparente clarté cette nouvelle infraction pose de nombreuses difficultés, tant sur son bienfondé et ses conditions d’application, que sur les conséquences qu’elle engendre.

Cette situation d’incertitude a conduit à une récente quadruple saisine de la Cour de Cassation par QPC[2] (I) et parallèlement à des situations particulièrement hétérogènes en termes de sanction entre les différentes juridictions (II).

I – Une quadruple saisine de la Cour de Cassation

A mesure que la durée du confinement se prolonge, le risque de violation réitérée de cette mesure sanitaire se multiplie. Cette situation conduit en pratique à l’accroissement des déferrements des auteurs présumés en audiences de comparutions immédiates pour violation réitérée de la mesure de confinement.

Pour mettre fin au caractère hétérogène des poursuites et sanctions, certains conseils ont fait le choix de soumettre à la juridiction de jugement une QPC dont l’acceptation engendre un sursis à statuer automatique et la remise en liberté du prévenu.

C’est ainsi que la Cour de Cassation été saisie les 10, 16 et 23 avril 2020 par les chambres correctionnelles des tribunaux judiciaires de Bobigny, Poitiers, Paris et St-Etienne. La juridiction Toulousaine serait également initiatrice d’un tel recours ordonné le 9 avril 2020.

De manière générale, ces quatre QPC interrogent la Cour de cassation quant à l’atteinte causée par les dispositions de l’article L. 3136-1, alinéa 4 du Code de la santé publique, créé par la loi n°2020-290 du 23 mars 2020, aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment :

– au principe de légalité des délits,

– à l’exigence pour le législateur d’épuiser sa propre compétence,

– au principe de la présomption d’innocence,

– au droit à un recours effectif,

– aux droits de la défense,

– au principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

En effet, aux termes de l’article L. 3136-1, alinéa 4 du Code de la Santé publique « si les violations prévues au troisième alinéa du présent article sont verbalisées à plus de trois reprises dans un délai de trente jours, les faits sont punis de six mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende ainsi que de la peine complémentaire de travail d’intérêt général, selon les modalités prévues à l’article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code, et de la peine complémentaire de suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de conduire lorsque l’infraction a été commise à l’aide d’un véhicule ».

Il est tout d’abord à noter que le choix de la création d’un délit pénal puni d’une peine de six mois d’emprisonnement surprend d’autant plus que se multiplient, parallèlement, les appels à la réduction de la population carcérale soutenu par le ministre de la Justice en début de confinement.

Comme le soulignait la députée Danièle Obono lors des débats parlementaires relatifs à la loi d’urgence sanitaire « les prisons ne sont pas seulement pleines : elles sont surpeuplées ».

Les QPC transmises par les différents tribunaux à la Cour de Cassation reposent sur des fondements aussi nombreux que sérieux. Il convient d’en analyser la teneur.

A. L’atteinte au droit au recours effectif

Le dispositif prévu par le quatrième alinéa de l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique méconnaît le droit au recours effectif en ce qu’il empêche le justiciable de bénéficier du délai dont il dispose et prive d’intérêt toute contestation des verbalisations.

En effet, il est exigé, pour que le délit soit constitué, qu’un individu ait été verbalisé plus de trois fois en violation des obligations prévues aux articles L. 3131-1 et L. 3131-15 à L. 3131- 17 du Code de la santé publique en trente jours, et ce alors même qu’une voie de recours contre une ou plusieurs de ces verbalisations lui est ouverte dans un délai largement supérieur (45 jours portés à 90 jours par l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020) , et que le succès d’un tel recours permettrait de faire obstacle aux poursuites pénales.

Or, il est constant qu’en pratique, l’éventuelle saisine du tribunal de police sera systématiquement postérieure au jugement du tribunal correctionnel, puisque celui-ci aura la possibilité d’agir selon la procédure des comparutions immédiates, formule privilégiée.

Le déferrement en comparution immédiate, rare audience maintenue en période d’urgence sanitaire par les plans de continuation, constitue de fait la voie privilégiée aux termes de l’article 395, alinéa du Code de procédure pénale, ce que n’a pas manqué de souligner la Garde des Sceaux en séance publique du 21 mars 2020.

B. L’atteinte aux droits de la défense

Le terme « verbaliser », visé à l’article L. 3136-1, alinéa 4 du Code de la santé publique ne nécessite pas que la peine d’amende infligée soit définitive, mais simplement qu’elle ait été adressée au contrevenant.

Ainsi le terme de la récidive, tout comme les poursuites délictuelles, reposent sur des bases tout-à-fait incertaines.

En outre, le délit pénal créé par les dispositions litigieuses se trouve constitué avant même que le juge pénal soit amené à apprécier la matérialité des faits d’où il résulte une condamnation quasi automatique.

En effet, la contravention ne repose juridiquement que sur un élément purement matériel à la différence du délit qui repose à la fois sur un élément matériel et moral.

L’exigence de l’élément intentionnel visée à l’article 121-3 du Code pénal en matière délictuelle a disparu plus rapidement que le virus…

Aussi, une fois, le nombre de condamnations établi, aucun élément moral ni matériel ne peut être discuté devant le juge compétent puisque seul le nombre de verbalisations prévaut.

C. L’atteinte au principe de légalité des délits et des peines

Le législateur méconnaît le principe de légalité des délits et des peines en refusant de définir les infractions en des termes suffisamment clairs et précis.

Ainsi l’article L. 3131-15, alinéa 2 du Code de la santé publique autorise le Premier ministre, par décret règlementaire, à « interdire aux personnes de sortir de leur domicile, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé ».

Il est très clair que cette formulation extrêmement vague et imprécise est susceptible de permettre l’arbitraire ce qui contrevient ferment au principe de légalité des délits et des peines.

Par ailleurs législateur n’a pas fixé lui-même le champ d’application de la loi pénale, et s’en est remis au pouvoir réglementaire pour déterminer la portée et le contenu du délit qu’il a créé, en méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, ce qui pose question.

Ceci étant, c’est dans ce cadre que l’article 3 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 restreint toute sortie à cinq possibilités (motif professionnel, familial, alimentaire, de santé ou activité physique).

Or, les journaux relatent quotidiennement des différences d’application de ce décret, cette situation étant directement imputable à l’insuffisance du champ d’application de la loi.

Pourtant c’est bien l’inobservation, à plus de trois reprises, de ces obligations qui suffit à caractériser l’existence d’un délit pénal en vertu des dispositions attaquées et justifie la peine d’emprisonnement qui en résulte ! La subjectivité des agents verbalisateurs est de mise, alors que pour être juste, la norme doit être objective.

D. Sur le principe de nécessité et de proportionnalité des peines assorti à la présomption d’innocence

L’incrimination créée par le quatrième alinéa de l’article L. 3136-1 du Code de la santé publique permet d’ériger en délit des faits purement matériels constatés par voie de contravention.

Cette situation conduit à caractériser automatiquement le délit pénal créé par les dispositions litigieuses de sorte que la peine se trouve quasi- automatique.

Cette automaticité pose naturellement question du point de vue de la présomption d’innocence qui s’en trouve fortement entamée.

Par ailleurs, punir d’une peine d’emprisonnement ferme des sorties injustifiées selon la seule appréciation des agents verbalisateurs est extrêmement grave du fait, notamment, de la portée de la sanction, d’abord financière, puis privative de liberté.

Tout un chacun peut être concerné sans se comporter comme un délinquant notoire…

Quid par ailleurs du cumul des amendes contraventionnelles prononcées pour les premières verbalisations avec l’amende délictuelle que prononcera le tribunal ? La prise en compte par le juge des peines déjà prononcées devrait être de mise du fait du principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

Enfin, cet article L. 3136-1, alinéa 4 vise également des peines complémentaires de travail d’intérêt général, suspension de permis de conduire, dont on ignore si elles ont obligatoires ou facultatives et qui viennent alourdir encore le dispositif initialement destiné à la protection de la population.

La Cour de cassation dispose ainsi de nombreux éléments d’appréciation en vue d’un contrôle de constitutionalité. Réponse le 12 mai 2020, date que vient d’annoncer la Cour de cassation dans un récent communiqué. La réunion de la chambre criminelle est prévue à cette date, celle-ci s’engageant ensuite à statuer « dans un délai rapproché ».

II – Des poursuites et sanctions hétérogènes : de l’emprisonnement à la relaxe

Pour être complet, il faut indiquer que de nombreuses peines fermes, assorties ou non d’un mandat de dépôt, ont d’ores et déjà été prononcées à ce jour par les tribunaux judiciaires en condamnation du délit de violation réitérée du confinement.

Ainsi, la chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Melun a condamné, les 8 et 9 avril 2020, deux protagonistes à des peines de 2 et 4 mois fermes.

Si les juges indiquent tenter faire preuve de pédagogie pour la gestion de ce contentieux, le principe d’unicité de la justice et d’individualisation des peines pose difficulté eu égard à la marge d’appréciation quasi nulle laissée par les dispositions de l’article L. 3136-1, alinéa 4 du Code de la santé publique (cf. supra).

Ainsi, alors même qu’à Melun les prévenus subissaient une peine ferme, en audience de comparution immédiate, le tribunal judiciaire de Rennes prononçait le jour même la relaxe pour nullité des poursuites selon jugement du 9 avril 2020. Le parquet a interjeté appel.

Le tribunal judiciaire de Mulhouse suivra selon jugement prononcé en audience de comparution immédiate le 20 avril 2020 constatant également la nullité des poursuites.

Pour cause, la nullité du procès-verbal de saisine en ce qu’il fait référence à une consultation illicite du fichier « ADOC ».

En effet, pour justifier de la violation renouvelée à quatre reprises au moins, le Ministère public opte en pratique pour une capture d’écran du fichier ADOC.

Ce fichier, peu connu du public et des professionnels, est un système de traitements informatiques de données personnelles par lequel sont traitées – entre autres – les contraventions routières constatées et verbalisées électroniquement.

Ce fichier a été créé par un arrêté du 13 octobre 2004 déclaré à la CNIL conformément à la loi informatique et liberté. Toutefois, un tel fichier ne peut être utilisé en dehors des fonctions qui lui sont confiées et déclarées à la CNIL et l’établissement d’une violation répétée des obligations actuelles de confinement ne figure pas au nombre des finalités assignées au fichier ADOC.

En réalité, l’enregistrement et la conservation de données recueillies par les agents verbalisateurs, dans le fichier ADOC ne peut l’être qu’à l’occasion de la constatation des contraventions et délits relatifs à la circulation routière.

Son utilisation dans le cadre de la preuve d’une violation réitérée de la mesure de confinement est manifestement illégale et représente un détournement des fins du fichier litigieux qui entraîne de facto la nullité de l’intégralité des poursuites.

 

[1] https://www.ladepeche.fr/2020/04/26/confinement-deux-avocats-lancent-une-plateforme-de-conseils-juridiques-pour-contester-les-amendes-abusives,8863458.php

[2] Saisine de la Cour de cassation le 10 avr. 2020, n° 20-90.003 par le tribunal judiciaire de Bobigny, 17ème chambre correctionnelle ; le 10 avr. 2020, n° 20-90.004 par le tribunal judiciaire de Poitiers, chambre correctionnelle ; le 16 avr. 2020, n° W 20-90.006 par le tribunal judiciaire de Paris, 23ème chambre correctionnelle ; le 23 avr. 2020, n° X 20-90.007 par le tribunal judiciaire de Saint-Etienne, jugement correctionnel – chambre des comparutions immédiates.