Commentaire de Cass. 3e civ., 21 mars 2024, n° 22-18.694
Isabelle Corpart
Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC
Mots-clés : Destruction d’un immeuble – Incendie – Insert –Responsabilité civile décennale – Responsabilité contractuelle.
Il s’agit de commenter un arrêt de la Cour de cassation rendu en matière de responsabilité de l’installateur d’un « insert » dans une cheminée (Cass. civ. 3ème 21 mars 2024, n° 22-18.694 : ; Gaz. Pal. 2 avril 2024 p. 23, note C. Berlaud ; Resp. civ. et Ass. 2024 Étude 3, Avis P. Brun et note S. Bertolaso ; RGDA avril 2024 p. 36, note P. Dessuet ; Contrats – Concurrence – Consommation mai 2024 comm. 72 ; JCP G 2024 comm. 588, note J.-P. Karila.
Pour se repérer
Deux époux ont demandé à une société d’installer un insert dans la cheminée de leur maison en 2012, foyer fermé qui permet d’améliorer dans de grandes proportions le rendement calorifique d’un feu de bois. Malheureusement pour eux, le 13 février 2013 leur maison a été détruite par un incendie qui s’est déclaré dans cette cheminée et qui leur a fait perdre tous leurs meubles et objets qui s’y trouvaient. Victimes de ce dommage matériel, les propriétaires ont alors assigné cette société, ainsi que son assureur, car selon eux c’est l’installation de l’insert dans la cheminée qui a provoqué ce grave incendie. Ils ont été entendus par les juges du fond, la cour d’appel de Montpellier ayant décidé le 20 avril 2022 (n° 19/04078) de les indemniser sur le fondement de la responsabilité civile décennale, même s’ils avaient déjà été soutenus par leur propre assureur en raison de la perte de leurs biens. En effet, les maîtres de l’ouvrage sont couverts en cas d’incendie par le contrat d’assurance souscrit pour toute la maison. Toutefois, ils n’avaient été que partiellement indemnisés. Pour les juges, il fallait soutenir les propriétaires car « le désordre affectant l’insert de cheminée a causé un incendie ayant intégralement détruit l’habitation ».
Pour les aider à reconstruire leur bâtiment, la cour d’appel a condamné la société et son assureur à payer in solidum 79 308,06 euros aux propriétaires, mais elle les a également condamnés à verser 142 610 euros à l’assureur des propriétaires, raison pour laquelle ils se sont pourvus en cassation. Selon la société et son assureur, , il ne pouvait pas être question dans cette affaire de garantie décennale. Dans leur pourvoi, ils ont noté que « seuls relèvent de la garantie décennale les désordres causés par les travaux constitutifs d’un ouvrage », sachant qu’installer un insert dans un conduit de cheminée ne constitue pas un ouvrage. Dès lors, ils estimaient que, puisque les éléments d’équipement installés sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, liées à l’assurance obligatoire des constructeurs.
Pour aller à l’essentiel
Conformément à l’article 1792 du Code civil, les propriétaires d’une maison peuvent engager la responsabilité de plein droit du constructeur d’un ouvrage en cas de dommages subis notamment en raison d’un incendie. Certes, les dommages qui affectent la solidité des éléments d’équipement du bâtiment doivent être réparés mais tel n’est pas le cas lorsque le constructeur prouve qu’ils proviennent d’une cause étrangère. Dès lors les juges de la Cour de cassation ont rendu un arrêt de cassation, estimant que la cour d’appel de Montpellier du 20 avril 2022 a violé l’article 1792 du Code civil. En effet, les juges du fond ont estimé que les travaux de pose d’un élément d’équipement tel un insert relevaient de la garantie décennale des constructeurs, dès lors qu’ils rendaient impropre à sa destination l’ouvrage dans son ensemble. Toutefois, puisque, les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, la Cour de cassation a considéré qu’ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, raison pour laquelle c’est un arrêt de cassation qui a été rendu. Ils relèvent toutefois de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs.
Pour aller plus loin
Certes, la responsabilité des constructeurs est visée par les articles 1792 et suivants du Code civil et elle est différente de la responsabilité civile de droit commun car elle doit être couverte par un contrat d’assurance (C. assur., art. L. 243-8). Il ressort toutefois de cet arrêt que, puisque les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement. Mais la responsabilité contractuelle de droit commun peut être envisagée, notamment en cas de drame lié à un incendie.
Il est vrai que si, autrefois, l’impropriété de destination de l’ouvrage, provoquée par les dysfonctionnements d’un élément d’équipement adjoint à la construction existante, ne relevait pas de la garantie décennale des constructeurs, des changements étaient survenus en 2017. En effet, cette année-là, pour assurer une meilleure protection des propriétaires, la Cour de cassation avait noté que « les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur l’existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination », ce qui permettait d’entrer dans le champ de l’assurance obligatoire de responsabilité civile décennale (Cass ., 3e Civ ., 15 juin 2017, n° 16-19.640, Bull. 2017, III, n° 71, pour une pompe à chaleur ; Cass. 3e civ., 14 sept. 2017, n° 16-17.323, Bull. civ. III, n° 100, pour un insert de cheminée ; et Cass. 3e civ., 26 oct. 2017, n° 16-18.120, Bull. civ. III, n° 119, pour l’installation d’une cheminée à foyer fermé). Il était alors admis que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur l’existant, relevaient de la responsabilité décennale si l’ouvrage devenait impropre à sa destination. En outre, il était question de quasi-ouvrages (C. Charbonneau, L’avènement des quasi-ouvrages : RDI 2017, p. 409).
Toutefois ce nouvel arrêt de la Cour de cassation rendu le 21 mars 2024 aborde la question différemment (V. Zalewski-Sicard, Construction – La fin des quasi-ouvrages : JCP N n° 17, 26 avril 2024, p. 1086). En effet, il faut noter un revirement de jurisprudence car « si les éléments d’équipement installés en remplacement ou par adjonction sur un ouvrage existant ne constituent pas en eux-mêmes un ouvrage, ils ne relèvent ni de la garantie décennale ni de la garantie biennale de bon fonctionnement, quel que soit le degré de gravité des désordres, mais de la responsabilité contractuelle de droit commun, non soumise à l’assurance obligatoire des constructeurs ». C’est la raison pour laquelle les juges ont rendu un arrêt de cassation. Ils reprochent aux conseillers de la Cour d’appel d’avoir sanctionné la société qui avait équipé la maison et son assureur sur la base d’une responsabilité décennale.
Cet arrêt de cassation permet de dire à tous les installateurs d’équipements, tels que des inserts de cheminée, des pompes à chaleur, des climatiseurs ou autres qu’ils n’auraient sans doute plus besoin de souscrire une assurance de responsabilité civile décennale.
L’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Nîmes qui pourra engager la responsabilité contractuelle car, lors de l’installation d’un insert dans la cheminée d’une maison, de strictes précautions de sécurité sont à prendre. En effet, si le terrain de la responsabilité décennale est fermé, les propriétaires de la maison ne seront pas forcément démunis car la piste de la responsabilité contractuelle de droit commun peut être suivie. Il faut bien venir à leur secours car ils réalisent souvent des travaux de rénovation ou d’amélioration de leur habitat, raison pour laquelle la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence. Il est lié aux conditions de responsabilité de l’installateur, non pas d’un ouvrage mais d’un nouvel équipement, ce qui a conduit à l’abandon de la notion de quasi-ouvrage et ne permet que d’invoquer la responsabilité contractuelle à l’encontre de l’installateur.