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PRETIUM DOLORIS ET PREJUDICE DE VIE ABREGEE : CUMUL !
Caroline LACROIX
Crim. 23 octobre 2012, n°11-83.770, FS-P+B, n° 5478
Mots-clefs : accident, indemnisation, préjudices
D’aucuns verront dans cette décision de la chambre criminelle, une nouvelle illustration du phénomène d’extension du dommage réparable par la jurisprudence. Elle apparaît plus simplement comme la volonté de différencier et d’identifier avec précision les préjudices nés d’un accident.
Pour se repérer
Appelée à statuer sur les conséquences dommageables d’un accident mortel de la circulation, la cour d’appel de NOUMÉA a notamment alloué aux parties civiles, au titre de leur action successorale, une indemnité à raison des souffrances physiques et morales que le de cujus a subies du fait de ses blessures entre le moment de l’accident et son décès d’une part, et une indemnité réparant la souffrance psychique résultant d’un état de conscience suffisant pour envisager sa propre fin d’autre part.
Dans son pourvoi, l’auteur de l’accident invoquait deux arguments. Il soutenait d’abord qu’en indemnisant les souffrances physiques et morales de la victime de l’accident de la circulation, une première fois au titre du pretium doloris, et une seconde fois au titre du préjudice de vie abrégée, les juges auraient procédé à une double indemnisation du même préjudice. Il contestait ensuite l’existence d’un préjudice personnel du défunt de vie abrégée et sa transmission à ses héritiers.
Pour aller à l’essentiel
La chambre criminelle rejette le pourvoi admettant « qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a justifié sa décision, dès lors que, sans procéder à une double indemnisation, elle a évalué séparément les préjudices distincts constitués par les souffrances endurées du fait des blessures et par l’angoisse d’une mort imminente ».
Pour aller plus loin
La notion de préjudice de vie abrégée n’est pas une nouveauté. L’arrêt commenté ici permet d’en rappeler sa teneur et son caractère transmissible.
Quant à teneur, ce préjudice, distinct du pretium doloris, ne se confond pas avec une quelconque perte d’une espérance de vie. Le demandeur au pourvoi soutenait en effet qu’en l’absence de droit acquis à vivre jusqu’à un âge statistiquement déterminé, sa perte ne peut donner lieu à aucune réparation. Or, ce qui est indemnisé en l’espèce, c’est « la souffrance morale liée à la conscience qu’aurait eue la victime de la perte de son espérance de vie » mieux qualifié par la Cour de cassation comme « l’angoisse d’une mort imminente ». Autrement dit, ce qui est indemnisé est, non une perte de chance de survie permettant de réparer le fait de ne pas avoir eu la possibilité de ne pas mourir, mais l’anxiété face à une mort prochaine, la peur face à la mort. La notion de préjudice d’anxiété n’est pas nouvelle (A. Schneider, « Chronique d’une naissance : le préjudice d’anxiété », JAC n° 24.) Ce préjudice d’angoisse a pu être identifié dans un jugement rendu par le Tribunal correctionnel de la Seine (Trib. corr. Seine, 5 mai 1955, JCP G 1965. II. 14332) qui avait admis que « le retentissement psychologique » éprouvé par la victime est une composante du pretium doloris et indemnisé ce qu’a pu ressentir la victime d’une agression « à la pensée qu’elle risquait fort de devenir aveugle ». De même, la Cour administrative d’appel de Paris a reconnu que la croyance d’être séropositif pendant six mois constitue un préjudice d’anxiété (CAA paris, 24 mars 1998, Assistance publique – Hôpitaux de Paris, n° 96PA02373, Dr. adm. Août – Septembre 1998 comm. p. 29 note C. Esper). Dernièrement encore, dans le cadre d’une catastrophe aérienne, la cour d’appel de Fort-de-France a admis la réparation des souffrances subies par la victime avant son décès durant la chute de l’appareil retenant que « les passagers ont nécessairement vécu ce moment, quel que soit le temps écoulé entre la perte d’altitude de l’appareil et son écrasement, dans l’angoisse d’une mort prochaine » (CA Fort-de-France, ch. civ., 25 févr. 2011, n° 09/00246, Catastrophe aérienne et préjudices réparables, JCP G n° 42, 17 Octobre 2011, 1118, L. de Graëve).
S’agissant de la transmissibilité des préjudices, il est admis que le droit à réparation des souffrances physiques et/ou morales endurées par la victime entre l’accident et son décès, qui est né dans son patrimoine, se transmet à ses héritiers (Ch. Mixte 30 avril 1976, bull. civ. N°2 & 3 ; pour une même solution en droit administratif, CE 29 mars 2000, Assistance publique- Hôpitaux de Paris, D. 2000, juris.p. 563, note A. Bourel). Cette solution dégagée dans le cadre de l’indemnisation du pretium doloris est transposée concernant le préjudice de vie abrégée. On ne peut qu’approuver une telle solution. En effet, contrairement à ce que soutenait le demandeur au pourvoi, le préjudice d’angoisse d’une mort imminente ne se réalise pas au moment de la mort de la victime mais au contraire avant celle-ci, de sorte qu’un droit à indemnité entre dans son patrimoine de son vivant. La victime était ainsi bel et bien devenue détentrice d’une créance de réparation transmissible aux héritiers.