Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

COVID-19 ET DROIT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTE, B. Rolland

Blandine ROLLAND

Professeur de droit privé à l’Université de Haute-Alsace
Directrice du CERDACC

A jour le 30 mars 2020

La crise sanitaire actuelle due au Covid-19 commence à entraîner une crise économique sans précédent. Il est nécessaire de venir en aide aux entreprises confrontées à des difficultés de trésorerie. En dernier recours, c’est le propre du droit des entreprises en difficulté dit aussi droit des procédures collectives. Les règles existent et ne demandent qu’à être utilisées ! Mais les entreprises vont, de fait, se heurter à la fermeture des tribunaux. Dès lors, comment s’organiser ? En application de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 tend à apporter des réponses en matière de procédures collectives.

À l’instar des gestes « barrière » développés pour freiner la propagation du virus dans la population, des consignes sont données aux chefs d’entreprise pour se conduire pendant la crise financière : se confiner en demandant de l’aide ; en cas d’aggravation des symptômes, se placer sous la protection de la justice ; enfin « porter un masque ».

Se confiner en demandant de l’aide : éviter le recours aux procédures collectives par l’aide apportée aux entreprises

Le droit français connaît un droit très développé pour faire face aux difficultés des entreprises. Il figure dans le Livre VI du code de commerce. Plusieurs procédures sont proposées aux débiteurs en difficulté : procédures de mandat ad hoc, de conciliation, de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaire. Cependant, l’arsenal législatif actuel n’est sans doute pas la bonne réponse ! En effet, il est hautement souhaitable que les entreprises françaises ne disparaissent pas.

C’est pourquoi le Gouvernement annonce un vaste plan d’aide et de soutien aux entreprises. L’objectif est d’éviter la cessation des paiements en injectant des liquidités dans les petites entreprises et celles qui n’ont pas une surface financière leur permettant de faire face à la crise. Afin d’éviter les licenciements, les entreprises seront aidées pour le versement des salaires ; une aide sera versée aux petites entreprises (fonds de solidarité notamment pour les professionnels indépendants) ; les prêts bancaires pourront être garantis par l’État …

Pour une présentation de ces mesures, voir : ICI

Par ailleurs, les créanciers fiscaux et sociaux sont incités par le Gouvernement à accorder un moratoire aux entreprises. Les établissements bancaires annoncent également de la bienveillance pour leurs clients, une retenue dans leurs poursuites et surtout une aide de trésorerie pour les entreprises.

La finalité générale de toutes ces mesures est d’éviter qu’une entreprise ne se retrouve en cessation des paiements, critère d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Par conséquent, les entreprises devraient pouvoir passer le cap sans nécessairement être obligées de se confier à la justice.

En cas d’aggravation des symptômes : se mettre « sous la protection de la justice »

Si cela devient nécessaire, des procédures existent pour permettre aux entreprises de se mettre « sous la protection de la justice », comme les y incite vivement la Conférence générale des tribunaux de commerce dans un communiqué du 11 mars 2020 (A LIRE ICI). Ces dispositifs permettent d’aider les entreprises à anticiper pour faire face à leurs difficultés, sans être encore en cessation des paiements. La Conférence préconise le recours aux procédures préventives et amiables que sont le mandat ad hoc et la procédure de conciliation (A LIRE ICI ). Ces procédures sont confidentielles et souples et se limitent en général à certains créanciers du débiteur. Les autres peuvent toujours continuer leurs poursuites.

Dans le cadre de la prévention des difficultés, la procédure de sauvegarde peut aussi être proposée aux entreprises. Cette procédure est plus encadrée et se déroule judiciairement, elle est publiée. Elle est plus contraignante pour les créanciers puisqu’elle entraîne l’interruption des poursuites de tous les créanciers. À ce titre, elle peut être intéressante pour certains débiteurs.

Pour une présentation de ces diverses procédures, voir par ex. : ICI

La loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, annonce l’adoption d’une ordonnance « adaptant les dispositions du livre VI du code de commerce et celles du chapitre Ier du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime afin de prendre en compte les conséquences de la crise sanitaire pour les entreprises et les exploitations ». C’est l’objet de l’ordonnance n° 2020-341 du 27 mars 2020 portant adaptation des règles relatives aux difficultés des entreprises et des exploitations agricoles à l’urgence sanitaire et modifiant certaines dispositions de procédure pénale (A LIRE ICI). Elle doit être lue à la lumière du rapport au Président de la République relatif à cette ordonnance (A LIRE ICI ).

Ainsi, l’ordonnance prévoit une « cristallisation » de la situation des débiteurs à la date du 12 mars 2020 pour apprécier leur état permettant de bénéficier de procédures préventives. En d’autres termes, le débiteur qui n’était pas en cessation des paiements le 12 mars 2020, même s’il l’est devenu ultérieurement du fait de la crise sanitaire, peut demander à bénéficier d’une procédure de conciliation ou de sauvegarde. En revanche, en cas d’aggravation de sa situation le conduisant à la cessation des paiements après le 12 mars 2020, le débiteur, et lui seul, peut demander, à la place, l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, de liquidation judiciaire ou de rétablissement professionnel. Il peut le faire notamment afin de bénéficier de la garantie des salaires par l’AGS.

Les durées et délais prévus dans les procédures collectives sont prorogés également jusqu’à l’issue de trois mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire. Cela jouera notamment pour la durée de la procédure de conciliation, la durée de la période d’observation et la durée d’exécution des plans de sauvegarde ou de redressement.

« Porter un masque » : communiquer avec les tribunaux par tout moyen à distance

Une difficulté majeure existe à l’heure actuelle concernant l’accès à ces procédures et aux tribunaux. En effet, les tribunaux de commerce et les tribunaux judiciaires sont tous fermés en application des mesures de confinement. Aucune audience (non urgente) ne se tient pour l’instant. C’est pourquoi, il est progressivement mis en place un système de saisine en ligne des juridictions consulaires, dont il convient de saluer la réactivité (Voir par ex. : ICI  ).

Cette modalité de saisine en ligne de la justice en matière de droit des entreprises en difficulté est sécurisée par l’ordonnance précitée n° 2020-341 du 27 mars 2020. En effet, elle prévoit que le tribunal peut être saisi par le débiteur « par tout moyen ». Ainsi, la déclaration de cession des paiements (DCP) ou la demande d’ouverture d’une procédure de conciliation ou de sauvegarde, n’ont plus à être déposées physiquement au greffe comme auparavant.

Ensuite, le président peut recueillir les observations du demandeur par tout moyen également. La dispense de l’oralité qui existe devant les tribunaux de commerce en vertu de l’article 446-1 du CPC, est aussi étendue aux procédures collectives. Les règles procédurales de droit local alsacien-mosellan sont mises en veille au profit de l’application du droit général. Enfin, la communication entre les différents acteurs des procédures collectives se fera également par tout moyen, en pratique avec le recours aux modes électroniques de transmission des informations.

Pour aller plus loin

https://www.lexisactu.fr/coronavirus-les-professionnels-des-entreprises-en-difficulte-mobilises

https://www.lesechos.fr/pme-regions/actualite-pme/coronavirus-les-tribunaux-de-commerce-au-secours-des-entreprises-en-difficulte-1185831