Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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L’APPARENCE DE LA PERSONNE PHYSIQUE, POUR LA RECONNAISSANCE D’UNE LIBERTE, J. Mattiussi

Julie Mattiussi,
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Présentation

Cet article résume les positions de la thèse soutenue par Madame Julie Mattiussi le 27 juin 2016 à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne sous la direction de Monsieur le Professeur Grégoire Loiseau et récemment publiée aux éditions hospitalières (tome 27 voir le Lu pour vous de ce numéro).

L’apparence de la personne physique est un signe : à la fois un mode d’expression pour la personne qui paraît et une source d’informations pour celle qui la perçoit. En ce sens, elle est un élément incontournable de la relation à soi, mais aussi de la relation à l’autre. Alors que la vocation première du droit est d’appréhender les relations entre les Hommes, on aurait pu s’attendre à ce qu’il se saisisse de la question de l’apparence de la personne physique. Pourtant, l’apparence physique n’a intégré le droit positif qu’avec la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations, qui en a fait un critère de discrimination prohibée. Depuis cette date, la jurisprudence (Cass. soc. 11 janv. 2012, n° 10-28213 : Bull. V, n° 12 ; RDT 2012. 59, note N. Moizard ; RTD civ. 2012. 288, obs. J. Hauser ; Dr. soc. 2012.346, note J.-P. Lerhnoud ; JCP G 2012. 281, note M. Mercat-Bruns ; JCP S. 2012.1164, note B. Bossu ; Liaisons soc. 2012, n° 16025 ; JSL 2012. 316, obs. M. Hautefort ; Cah. soc. 2012, n° 239, p. 80, obs. F.‑J. Pansier ; Gaz. pal. 2012, n° 61, p. 10, avis B. Aldigé et note D. Piau) et plusieurs délibérations du Défenseur des droits (Décision du Défenseur des droits MLD 2014-147 du 3 novembre 2014, recommandations dans le cadre de l’article 25 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ; Décision cadre du Défenseur des droits MLD-2016-058 relative à la prise en compte de l’apparence physique dans l’emploi du 12 février 2016, n° 15, p. 3) ont indiqué qu’il fallait concevoir ce critère largement, comme comprenant à la fois l’apparence physique subie, c’est-à-dire ce que l’on ne peut pas changer de son apparence, et l’apparence physique choisie, qui recouvre des éléments soumis à l’emprise de la volonté comme les vêtements, la coiffure ou le tatouage. Sont ainsi sanctionnés les préjugés nés de l’appréhension de l’apparence physique d’autrui, qu’elle soit subie ou choisie, afin que l’identité personnelle reflétée par l’apparence ne soit jamais à l’origine d’une discrimination.

L’apparence physique semble donc être reconnue comme un élément à part entière de l’identité des personnes et semble pouvoir être définie comme ce qui, du physique de la personne, peut être perçu de façon instantanée par le regard. Mais cette conception de l’apparence physique comme élément de l’identité personnelle se traduit-elle ailleurs dans le droit ?

À cet égard, il nous est rapidement apparu que si l’occurrence « apparence physique » se trouve rarement dans les textes et décisions de justice, les dispositions relatives à l’apparence de la personne sont en réalité nombreuses et transcendent une pluralité de matières juridiques. De l’étude de ces règles éparses est né un constat : l’apparence physique est aujourd’hui un enjeu de pouvoir. Elle est au confluent d’injonctions paradoxales relatives à l’intérêt individuel, d’une part, et à l’intérêt des autres, d’autre part. Elle se trouve au cœur de nombreuses tensions, qui soulèvent autant de questionnements juridiques. L’apparence de la personne physique se situe ainsi à la charnière de la vie privée et de la vie publique. Elle relève de l’expression de la personnalité de celui qui paraît, mais s’impose en même temps au regard d’autrui. À cela s’ajoutent les dialectiques du visible et du caché, du vrai et du faux, qui colorent en fond la question de l’apparence de la personne physique.

L’interrogation qui se fait jour est alors celle de savoir qui doit, par principe, contrôler l’apparence des personnes physiques. La personne qui paraît doit-elle pouvoir choisir son aspect extérieur par principe ou est-ce au droit de régir les apparences ? Le principe posé devrait-il connaître des exceptions et, le cas échéant, lesquelles ? Nous proposons, pour répondre à ces questions, la reconnaissance d’une liberté sur l’apparence physique. Une telle évolution permettrait de faire reculer les frontières de l’emprise étatique sur l’apparence en prenant acte de la conception de l’apparence physique comme élément de l’expression de l’identité personnelle. De nombreuses règles s’en trouveraient bouleversées, notamment en droit de la santé et plus particulièrement en droit de la médecine esthétique et de l’évaluation médicale du préjudice esthétique.

            La première partie de la thèse montre les avantages qu’il y aurait à consacrer une telle liberté. Une telle consécration permettrait, d’une part, d’unifier les pouvoirs juridiques qui sont d’ores et déjà dans le sens d’une conception identitaire de l’apparence physique sous la bannière d’une seule prérogative et, d’autre part, de revisiter les limites actuelles aux pouvoirs juridiques de la personne sur son apparence.

            Il s’agirait donc, en premier lieu, d’unifier les pouvoirs juridiques de la personne sur son apparence sous l’égide d’une liberté. Une telle évolution ne serait pas sans conséquences pratiques allant dans le sens d’une plus grande protection des personnes.

            Si les pouvoirs de la personne sur son apparence physique sont nombreux, révélant ainsi l’importance accordée par le droit positif aux enjeux identitaires de l’action de la personne sur son apparence, ils sont également disparates et pensés sans cohérence d’ensemble. Le résultat doit être déploré : la protection des choix individuels relatifs à l’apparence physique contre les atteintes des tiers est à géométrie variable, différente selon qu’un élément ou un autre de l’aspect extérieur est en cause. Ainsi la personne qui agit seule sur son corps (en se coiffant, se maquillant par exemple), sans l’intermédiaire d’une tierce personne, n’exerce qu’une simple faculté susceptible d’être empêchée par les tiers. Cette faculté semble, certes, encouragée par la loi ou le règlement dans les cas de l’autorisation explicite du recours aux produits cosmétiques, à la chirurgie plastique (C. sant. publ., art. L6322-1 et s.) ou encore aux tatouages et perçages (C. sant. publ., art. R1311-1 et s.). Néanmoins, rien ne permet d’opposer les choix de la personne aux tiers, comme c’est le cas dans le domaine de l’image fixée sur support ou du vêtement, qui sont eux protégés par les prérogatives juridiques. La tenue vestimentaire fait en effet l’objet d’une liberté vestimentaire, qualification protectrice qui interdit aux tiers d’y porter atteinte. Il en va de même pour ce qui concerne l’image, liberté individuelle qui ne doit son nom de « droit à » qu’à son rattachement formel au droit de chacun au respect de sa vie privée. Pourtant, la frontière entre image et corps, d’une part, et entre corps et vêtement, d’autre part, est poreuse. Ainsi, comment qualifier la coupe de cheveux ou le port de lunettes de vue ? Relèvent-ils de la liberté vestimentaire ou sont-ils des actes sur le corps ? Surtout, rien ne semble justifier que le choix de la personne soit moins protégé lorsqu’elle agit sur son corps que lorsque son action porte sur sa tenue vestimentaire ou sur son image : dans tous les cas, elle opère un choix consistant à exprimer son identité personnelle. L’unification de l’ensemble de ces pouvoirs sous la bannière d’une liberté sur l’apparence physique serait donc opportune en ce qu’elle mettrait en avant l’objectif commun de ces différents pouvoirs, à savoir permettre à la personne d’exprimer librement son identité par son apparence.

            Une telle unification imposerait alors de mettre en cohérence les règles relatives à ces différents pouvoirs. La comparaison des divers régimes permet de pointer du doigt l’existence de règles plus ou moins protectrices de la personne sans que cela n’apparaisse justifié. Par exemple, un délai de réflexion de quinze jours doit être respecté par le patient désireux de recourir à la chirurgie esthétique, sans qu’un tel délai soit imposé pour les actes médicaux esthétiques non chirurgicaux (injections de produits de comblement de rides ou de botox), ni pour les tatouages et perçages. Or, au regard des risques et du caractère irréversible de ces actes, il pourrait être pertinent de niveler par le haut la sécurité des actes que la personne réalise sur l’apparence de son corps. Il ne s’agit pas bien sûr de gommer l’ensemble des différences de régimes relatives aux actes que la personne peut exercer sur son apparence : les risques d’un acte sur l’apparence du corps ne sont évidemment pas les mêmes que les risques associés à un choix vestimentaire. L’intérêt de la liberté sur l’apparence physique ici serait simplement de rendre visible certaines difficultés et d’y remédier. La consécration de la liberté sur l’apparence physique entraînerait, par ailleurs, un renforcement de la prohibition des discriminations. Si le droit positif interdit d’ores et déjà les différences de traitement sur la base de l’aspect extérieur, le critère d’apparence physique demeure à ce jour peu exploité par les plaideurs, qui préfèrent invoquer d’autres critères de discrimination prohibée tels que la religion, la race ou le sexe. Or la reconnaissance d’une liberté sur l’apparence physique serait de nature à enrichir le critère d’apparence physique : de même que la discrimination sur la base des convictions religieuses protège la liberté de religion, la discrimination sur l’apparence physique protègerait la liberté sur l’apparence physique. Le potentiel protecteur du critère d’apparence ainsi révélé, les plaideurs pourraient être amenés à s’en saisir davantage. Cela aurait une utilité particulière dans les cas de discriminations intersectionnelles, c’est-à-dire les situations où la victime de discrimination relève de plusieurs catégories à la fois sans qu’il soit possible de distinguer le critère sur la base duquel elle a été discriminée. Prenons l’exemple d’une femme noire cherchant à faire sanctionner une discrimination dont elle aurait été l’objet. Comment prouver qu’elle a été discriminée à raison du sexe, de la race ou de l’origine supposée ? Dans une telle situation, il est vraisemblable qu’elle ait été discriminée à raison de son apparence physique. Or le critère d’apparence physique permet à la demanderesse de ne pas avoir à prouver davantage : peu importe que l’élément apparent soit la race ou le sexe, dès lors qu’il est interdit de se baser sur l’apparence d’une personne pour la discriminer. La valorisation du critère d’apparence par la liberté sur l’apparence physique serait donc de nature à démocratiser l’usage par les plaideurs de ce critère et ainsi à assurer une plus grande protection des individus.

            La consécration d’une liberté sur l’apparence physique imposerait, en second lieu, de revisiter les règles de droit positif restreignant les pouvoirs de la personne sur son apparence à l’aune des exigences de finalité et de nécessité.

            La liberté, de façon générale, ne peut être limitée que dans l’intérêt d’autrui et sous réserve que l’exception qui lui est apportée soit strictement nécessaire. Pourraient ainsi demeurer les règles permettant l’identification civile des personnes telles que l’encadrement de la photographie d’identité, l’obligation de montrer son visage à l’occasion d’un contrôle d’identité, le port de tenues protectrices sur le lieu de travail lorsque cela est nécessaire à la préservation de la santé publique, l’interdiction de s’exhiber (C. pén., art. 222-32), ou encore la conciliation avec la liberté d’expression ou la liberté d’entreprendre d’autrui. Devraient en revanche être rejetées les limitations actuelles qui n’ont vocation qu’à imposer le respect de normes sociales régissant les apparences physiques sans que l’intérêt de tierces personnes ne soit menacé.

         La consécration de la liberté sur l’apparence physique conduirait ainsi à identifier comme liberticides les règles n’ayant d’autre objet que de promouvoir la normalité des apparences physiques, et partant à préconiser leur abandon. Le devoir de refus des chirurgiens et médecins plasticiens en constitue un exemple intéressant. Ce devoir impose à tous médecins de refuser de pratiquer une intervention dès lors que le risque pour la santé du patient apparaît injustifié au regard des avantages escomptés (C. sant. publ., art. R4127-40.). Mais quelles peuvent alors être les justifications possibles du risque lorsque l’acte ne poursuit qu’une finalité esthétique sans avoir vocation à améliorer la santé du patient ? Il pourrait s’agir du « bien-être » de l’individu, mais la proposition ne résiste pas à l’analyse. En effet, l’Organisation mondiale de la santé définit la santé comme comprenant le bien–être « physique, mental et social » de l’individu. Par conséquent, considérer que le « bien-être » est la justification du risque pris reviendrait à faire de la médecine esthétique une sorte de médecine thérapeutique. Or cette conception n’est pas celle du droit français. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer avec les procédures auxquelles sont soumises les personnes transsexuées pour transformer l’apparence de leur corps. Ces chirurgies étant considérées comme thérapeutiques, les patients sont soumis à une condition de diagnostic qui ne sera posée qu’au terme d’un long parcours médical visant à déterminer si le bien-être psychologique de l’individu se trouvera ou non amélioré par l’intervention (M.-L. Rassat, « Sexe, Médecine et Droit », in Mélanges offerts à Pierre RAYNAUD, Dalloz-Sirey, 1985, p. 651, spéc. p. 657 ; A. Debet, « Le sexe et la personne », LPA 2004, n° 131, p. 21 ; A. Marais, « L’apparence de la personne », in Ruptures, mouvements et continuité du droit – Autour de Michelle Gobert, Économica, Paris, 2004, p. 285, spéc. n° 14, p. 290 ; H. Zeggar et M. Dahan, Évaluation des conditions de prise en charge médicale et sociale des personnes trans et du transsexualisme, IGAS, décembre 2011, n° 7 ; M.‑X. Catto, Le principe d’indisponibilité du corps humain – limite de l’usage économique du corps, préf. V. Champeil-Desplats, bibl. de droit public tome 299, LGDJ, Paris, 2018, n° 458, p. 361). Rien de tel pour la chirurgie esthétique : c’est bien qu’elle n’est pas conçue comme un soin, mais plutôt comme la réponse à un souhait personnel. La question revient alors : qu’est-ce qui justifie que l’on prenne un risque pour la santé lorsque l’acte médical est purement esthétique ? La jurisprudence fait parfois référence à un critère d’utilité de l’acte pour la personne. Dans un arrêt rendu par sa Première chambre civile le 20 octobre 1982, la Cour de cassation a ainsi pu juger « pratiquement inutile et médicalement injustifiable » l’intervention sur le visage d’une jeune fille de dix-huit ans. Cela renvoie à l’idée selon laquelle une intervention esthétique peut être considérée comme étant utile ou inutile à mener une vie sociale épanouie, à construire une vie familiale, ou encore à mener une carrière professionnelle. Le médecin plasticien devrait ainsi refuser l’opération si les risques qu’elle entraîne pour la santé sont supérieurs à l’utilité de l’opération pour l’individu, ce qui revient à exiger de lui qu’il se prononce sur le caractère socialement utile ou non de l’acte : c’est là que se niche le risque de normalisation des apparences. Ainsi, les demandes masculines sont généralement reçues avec davantage de circonspection que les demandes féminines (Y. Le Hénaff, « Catégorisations professionnelles des demandes masculines de chirurgie esthétique et transformations politiques de la médecine », Sciences sociales et santé 2013/3, vol. 31, p. 39), parce que la recherche d’esthétique est perçue comme étant moins utile socialement, moins normale en somme, pour les hommes que pour les femmes. Dans le même sens, il nous semble qu’une demande atypique, par laquelle une personne voudrait rendre son apparence physique originale, a aujourd’hui moins de chance d’être entendue qu’une demande plus conformiste. La reconnaissance d’une liberté juridique devrait donc conduire à supprimer ce devoir de refus. Si une telle suppression ne serait pas garante d’une liberté réelle des personnes, qui restent soumises à un certain déterminisme social, elle n’en serait pas moins une porte ouverte aux volontés individuelles d’émancipation.

         En dépit des avantages qu’elle présente, la seule consécration jurisprudentielle de la liberté sur l’apparence physique risquerait de ne pas suffire à en assurer la viabilité et l’effectivité. C’est la raison pour laquelle nous avons poursuivi la recherche par une réflexion plus technique quant aux moyens d’ancrer la liberté sur l’apparence physique dans le droit positif actuel. La seconde partie de la thèse est donc consacrée à la consolidation de la liberté sur l’apparence physique.

                        La seconde partie de la thèse est donc consacrée à la consolidation de la liberté sur l’apparence physique. En raison de l’a priori négatif de futilité dont souffre la question de l’apparence physique (J.-F. Amadieu, Le poids des apparences – Beauté, amour et gloire, Odile Jacob, Paris, 2002, p. 9-10. ), la liberté sur l’apparence risquerait de n’être que peu mobilisée par les juristes et de voir son intérêt pratique relativement minoré comme c’est le cas pour l’actuelle liberté vestimentaire. Depuis la fameuse affaire du « Bermuda » du 28 mai 2003, où la Chambre sociale de la Cour de cassation a admis qu’un employeur pouvait exiger du salarié le port d’un pantalon plutôt que d’un bermuda sous sa blouse de travail dès lors que sa fonction l’amenait à entrer en contact avec le public, la liberté vestimentaire est régulièrement qualifiée de non fondamentale par la jurisprudence, comme pour rappeler son caractère secondaire. Il s’agit alors d’une stratégie argumentative permettant de justifier des atteintes à cette liberté en faisant pencher la balance du côté d’intérêts contraires. La reconnaissance de la liberté sur l’apparence physique doit donc passer par une réflexion sur son intégration dans le droit positif de sorte à lui assurer une assise solide et une mise en œuvre efficace. Dans cette perspective, c’est un double rattachement au droit au respect de la vie privée et au droit au respect du corps humain que nous préconisons.

            La liberté sur l’apparence physique devrait, d’une part, être rattachée au droit au respect de la vie privée de l’article 9 du Code civil. Droit matriciel recouvrant l’ensemble des droits de la personnalité, ce droit apparaît propice à accueillir en son sein la liberté sur l’apparence physique. L’apparence physique entretient en effet des liens étroits avec le droit au respect de la vie privée dans ses deux démembrements, à savoir la liberté de la vie privée d’une part, qui permet de reconnaître à la personne une sphère d’autonomie dans laquelle elle peut effectuer des choix personnels, et le secret de la vie privée d’autre part, qui reconnaît la personne comme étant seule à même de divulguer des informations relevant de son intimité. Ainsi les pouvoirs de la personne sur son image fixée sur support sont-ils d’ores et déjà rattachés à la liberté de la vie privée, donc au droit au respect de la vie privée. D’autres aspects de l’apparence physique, notamment la tenue vestimentaire, sont également rapprochés de la liberté de la vie privée tant par la doctrine que par la jurisprudence européenne. L’apparence physique est, par ailleurs, un moyen de protéger le secret de la vie privée. Il en est ainsi lorsque, en matière d’assistance médicale à la procréation, le droit organise la sélection du donneur de sorte à éviter les dissemblances entre l’enfant à naître et le couple receveur : l’absence de lien biologique entre l’enfant et l’un de ses parents est ainsi protégée par leur ressemblance physique au titre du secret de la vie privée. L’apparence physique peut encore être l’objet même du secret de la vie privée : le fait d’avoir eu recours à la chirurgie esthétique ou d’avoir subi une opération de changement de sexe sont en effet des informations qui relèvent de l’intime. La récente loi de modernisation de la justice du XIXe siècle du 18 novembre 2016 en prend d’ailleurs acte puisque dès lors que la personne est socialement perçue comme étant de sexe masculin ou féminin, notamment du fait de son apparence physique, elle peut obtenir son changement de sexe à l’état civil de sorte à ce que celui-ci corresponde à son sexe apparent, quand bien même elle n’aurait pas subi l’opération chirurgicale de conversion sexuelle. C’est bien que le législateur ne souhaite pas que la discordance entre ce qui se voit et ce qui peut être lu sur les papiers puisse trahir le parcours identitaire de la personne. L’existence d’un choix d’apparence physique non conforme au sexe attribué à la naissance est ainsi considérée comme une information privée protégée par le droit au secret. Par conséquent, si une liberté nouvelle devait avoir pour objet l’apparence physique, il serait parfaitement pertinent d’en préconiser le rattachement au droit au respect de la vie privée.

            La liberté sur l’apparence physique s’en trouverait considérablement renforcée : rattachée au droit de chacun au respect de la vie privée, elle bénéficierait de la double caractéristique de ce droit : sa fondamentalité d’une part et son régime de droit subjectif d’autre part. En premier lieu, rattacher la liberté sur l’apparence physique à un droit fondamental aurait pour vertu d’en affirmer l’importance symbolique et de permettre à la victime d’atteinte de recourir aux mécanismes juridiques propres aux droits et libertés fondamentales. Elle pourrait ainsi demander la nullité du licenciement en cas d’atteinte à la liberté sur l’apparence physique par l’employeur dans le cadre de la relation de travail ou encore agir en justice par la voie du référé-liberté. En second lieu, rattacher la liberté sur l’apparence physique à un droit subjectif permettrait à la personne dont la liberté sur l’apparence physique est atteinte de mettre en œuvre les actions spécifiques associées au droit au respect de la vie privée. La victime d’atteinte pourrait donc bénéficier des présomptions de faute et de préjudice propres au droit au respect de la vie privée, ce qui allégerait la charge de la preuve qui pèse sur elle.

            La liberté sur l’apparence physique devrait, d’autre part, être rattachée au droit au respect du corps humain de l’article 16-1, alinéa 1, du Code civil. Les atteintes à la liberté sur l’apparence physique qui sont en même temps un dommage corporel, c’est-à-dire les dommages corporels occasionnant un préjudice esthétique, ne pourraient pas être rattachées à l’article 9 du Code civil. Un tel rattachement supposerait en effet de faire le départ entre les dommages corporels impliquant l’apparence physique, qui relèveraient du droit au respect de la vie privée, et les dommages corporels n’impliquant pas l’apparence physique, qui demeureraient sanctionnés sur le terrain du droit commun de la responsabilité civile. Une telle distinction entre les dommages corporels, artificielle et délicate à mettre en œuvre, semble devoir être exclue. Il n’apparaît pas tolérable non plus de distinguer les victimes d’atteintes non corporelles à la liberté sur l’apparence physique, atteintes dans leur liberté d’action sur leur image ou sur leur vêtement, qui bénéficieraient de tous les avantages du rattachement au droit au respect de la vie privée, des victimes d’atteintes corporelles à la liberté sur l’apparence physique, atteintes dans leur chair, qui seraient quant à elles soumises au droit commun de la responsabilité civile, et donc, dans certains cas, à la nécessité de prouver une faute et d’un préjudice. Alors, pour faciliter l’indemnisation des atteintes corporelles à la liberté sur l’apparence physique sans pour autant les rattacher à l’article 9 du Code civil, nous préconisons de les enraciner dans le droit de chacun au respect de son corps de l’article 16-1, alinéa 1, du même Code.

            Le rattachement de la liberté sur l’apparence physique au droit de chacun au respect de son corps suppose toutefois d’en repenser le régime. Le droit positif réduit en effet le droit au respect du corps à une fonction d’annonce : il n’emporte aucunement les mêmes avantages que le droit de chacun au respect de la vie privée. Afin que le droit de chacun au respect du corps humain facilite l’action en justice des personnes atteintes dans leur liberté sur l’apparence physique, il faut donc l’« activer » (selon l’expression de M. Pichard, Le droit à – Étude de législation française, préf. M. Gobert, Économica, Paris, 2006, n° 399, p. 495) en lui faisant produire des effets similaires au droit de chacun au respect de la vie privée. Une telle proposition n’implique pas de remettre en cause certaines règles de droit positif qui permettent d’ores et déjà de faciliter l’action de la victime de dommage corporel. Ainsi, les régimes de responsabilité sans faute subsisteraient. L’activation du droit de chacun au respect de son corps présenterait cependant un intérêt tout particulier pour les victimes de dommage corporel atteintes dans leur apparence physique, pour lesquelles les modalités de la réparation du préjudice esthétique, la difficulté de prouver la faute des praticiens de l’esthétique et l’exclusion de la chirurgie esthétique du champ de l’indemnisation en cas de réalisation d’un aléa thérapeutique (C. sant. publ, art. L1142-3-1) constituent de véritables obstacles sur la voie de l’indemnisation. Prenons l’exemple des modalités de la réparation du préjudice esthétique : à l’heure actuelle, il faut faire la preuve du préjudice. Cela laisse au juge la responsabilité de définir ce qu’il considère comme un préjudice esthétique et la jurisprudence révèle que celui-ci est encore conçu comme une atteinte à la beauté. Pour la caractériser, il faut donc prouver que la « beauté » antérieure de la personne a été lésée, et donc porter un jugement de valeur sur son apparence physique avant et après l’accident. Une telle opération est délicate et ouvre la porte à la mise en œuvre de stéréotypes sur ce qui fait ou non la beauté d’un homme ou d’une femme. Avec l’activation du droit au respect du corps humain, le préjudice serait présumé dès lors que l’apparence physique serait atteinte et sans qu’il y ait de jugement de valeur à porter sur la beauté de la personne : le préjudice esthétique serait ainsi perçu comme une atteinte à l’identité plutôt qu’à la beauté.

           La proposition d’activation du droit au respect du corps humain dépasse la seule question de l’apparence physique et réinterroge le traitement du dommage corporel dans son ensemble. En ce sens, à l’heure où le droit de la responsabilité civile s’apprête à être réformé et où les discussions en droit de la santé font rage à l’occasion de la révision des lois de bioéthique, notre étude s’inscrit dans le cadre de vastes débats actuels. Cela nous autorise à espérer qu’elle constituera un éclairage utile pour les réflexions que d’autres pourraient mener à l’avenir.