Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL ET LE PREJUDICE ECOLOGIQUE : DE MINIMIS NON CURAT PRAETOR, B. Rolland

Blandine ROLLAND,

Professeur de Droit privé à l’Université de Haute-Alsace,
Directrice du CERDACC (UR 3992)

 

Le Conseil constitutionnel vient de rendre une décision relative à une Question prioritaire de constitutionnalité portant sur la notion de préjudice écologique telle que consacrée dans le Code civil (C. constit, Décision n° 2020-881, QPC, 5 février 2021. Décision ici  : JCP G 2021, 217, note G. J. Martin). La Loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages a en effet introduit le préjudice écologique aux articles 1246 et suivants du Code civil. L’article 1246 dispose que « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer ».

Mais à l’occasion d’une instance devant la Cour de cassation, des associations ont posé une QPC à propos de l’article 1247 du Code civil. Cet article 1247 prévoit : « Est réparable, dans les conditions prévues au présent titre, le préjudice écologique consistant en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement ». La Cour de cassation, chambre criminelle, a décidé de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel (C. cass., ch. crim., 10 novembre 2020, n° 20-82.245, FS-D. Décision ici ). En effet, selon elle, « La limitation du droit à réparation au seul préjudice consistant en une atteinte non négligeable à l’environnement présente, compte tenu de la place croissante qu’occupent les questions relatives aux atteintes portées à l’environnement dans le débat public, un caractère nouveau au sens que le Conseil constitutionnel donne à ce critère alternatif de saisine ».

La QPC soulève la constitutionnalité des termes « atteinte non négligeable » en soutenant que cette restriction méconnaîtrait les article 3 et 4 de la Charte de l’environnement, le principe de responsabilité de l’article 4 de la DDHC de 1789, le principe de clarté de la loi et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

Le Conseil constitutionnel répond lapidairement : « En écartant de l’obligation de réparation les atteintes à ces bénéfices, éléments ou fonctions, uniquement lorsqu’elles présentent un caractère négligeable, le législateur n’a pas méconnu le principe selon lequel toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 4 de la Charte de l’environnement doit être écarté ». Par conséquent cette disposition est déclarée conforme à la Constitution.

Dans l’application, c’est donc aux juges qu’il revient de déterminer où commence l’atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement et où se termine l’atteinte négligeable. Ce rôle appartient principalement aux juges judiciaires. Mais depuis le jugement du Tribunal administratif de Paris rendu dans l’ « Affaire du siècle » (TA Paris, 3 février 2021, n° 1904967, 1904968 et 1904976/4-1 : Comm. M. Boutonnet in https://blog.leclubdesjuristes.com/affaire-du-siecle-le-juge-administratif-condamne-letat-pour-son-manquement-en-matiere-de-lutte-contre-le-rechauffement-climatique/. – Ce jugement sera commenté dans le prochain numéro du JAC ICI), les juges administratifs montrent leur volonté de s’emparer aussi de cet instrument juridique au service de la protection de l’environnement.

Sans le dire, cette solution va dans le sens du fameux adage « De minimis non curat praetor » (Des affaires insignifiantes le préteur n’a cure). Cet adage aurait une origine lointaine dans le Digeste, 4,1,4. Il traduit synthétiquement l’idée selon laquelle « notre droit n’ouvre pas le contentieux pour les situations de trop minime importance : la majesté de la justice en serait offensée et le gaspillage du temps consommé » (H. Roland et L. Boyer, Adages du Droit Français : Litec, 4ème éd., 1999, spéc. p. 150).

Mais encore a-t-il fallu distraire le Conseil constitutionnel de ses hautes occupations pour obtenir cette réponse pleine de bon sens …