Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ORGANISATION DES FUNERAILLES EN L’ABSENCE DE CONSENSUS FAMILIAL AU SEIN D’UNE FAMILLE RECOMPOSEE, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

Commentaire de CA Angers, 26 avril 2019, n° 19/00815

Brassens le chantait déjà : « Mais où sont les funérailles d’antan ? ». Il est possible aujourd’hui d’être incinéré mais quand et comment le programmer lorsque le défunt n’a laissé aucune consigne et que les membres de sa famille s’opposent sur la question ? Le problème est particulièrement délicat dans les familles recomposées où deux clans sont clairement en conflit.

Mots-clefs : Décès – funérailles – personne chargée d’organiser les funérailles – inhumation ou crémation – recherche des dernières volontés du défunt – conflit entre l’épouse et les enfants du premier lit.

Pour se repérer

Grégorio G. est décédé le 19 avril 2019. Lors de l’organisation de ses funérailles, un vif conflit s’est élevé entre Marie K. son épouse et Dominique, Bernard et Joseph G, ses trois fils nés d’une précédente union. Ces derniers envisageant une incinération malgré l’opposition de l’épouse, faisant quant à elle valoir que le défunt souhaitait être enterré, cette dernière a saisi la justice pour que l’incinération ne puisse pas avoir lieu. Le 25 avril 2019, le tribunal d’instance de Cholet l’a déboutée de sa demande de suspension de la crémation et elle a interjeté appel.

Devant les juges, elle a plus précisément relevé que son époux voulait être enterré en Italie, son pays d’origine et qu’il avait insisté pour que son corps y soit acheminé à sa mort.

Pour aller à l’essentiel

Faute d’écrit laissé par le défunt et en raison de l’impossibilité de déduire sa volonté d’un faisceau d’indices extrinsèques concordants, il fallait donner à l’un de ses proches la possibilité d’organiser les funérailles. Il s’agissait alors de savoir si sa volonté était mieux exprimée par sa seconde épouse (il s’était marié avec elle à l’âge de 78 ans) ou par les enfants issus de son union avec sa première épouse décédée qui prétendaient avoir entendu leur père revendiquer une incinération.

Pour les juges, il convient de suivre la volonté des fils du défunt car ce dernier ne vivait pas avec son épouse au moment de sa mort. Il est effectivement décédé au domicile d’un de ses fils, ce qui laisse présumer une séparation de fait des époux.

L’épouse s’en explique en invoquant un abus de faiblesse de la part des fils mais sans apporter aucune preuve.

Cet argument est balayé par les juges (de même que le fait que les fils auraient précipité le décès de leur père et voudraient éviter une autopsie, raison pour laquelle, ils sont si favorables à la crémation), d’autant qu’un témoin extérieur à la famille atteste de ce que le défunt ne souhaitait pas retourner vivre au domicile conjugal.

Dans cette famille recomposée, la volonté des fils l’emporte et les juges autorisent l’incinération revendiquée par ces derniers, porte-parole de leur père décédé.

Pour aller plus loin

La mort ne met pas fin à tous les conflits et si de nombreuses familles se déchirent lors du décès d’un proche concernant la dévolution successorale et le patrimoine du défunt, l’organisation des obsèques peut aussi brouiller les parents.

En l’absence de manifestation explicite de volonté, exprimée de son vivant, il appartient au juge de rechercher, par tous moyens, quelles étaient les intentions de l’intéressé conformément à la loi du 15 novembre 1887 (Voir I. Corpart, Les funérailles, J. Cl. fasc. 10, à paraître). À défaut de certitude, et en cas de divergence entre ses proches, le juge doit déterminer lequel de ceux-ci doit être considéré comme l’interprète le plus qualifié de sa volonté probable.

Lorsque, comme en l’espèce, le défunt n’a laissé aucune consigne, il faut rechercher par d’autres moyens quel sort il entrevoyait pour sa dépouille mortelle.

En l’espèce, il fallait choisir entre une inhumation en Italie et une crémation en France. Si l’épouse peut être préférée aux enfants du défunt, il en va autrement en cas de brouille conjugale. Le père s’était rapproché de ses enfants au moment de sa mort et les juges en ont déduit que le couple n’était plus uni. Sans doute le fait que le mariage soit intervenu tardivement, alors que le mari avait déjà 78 ans, n’est-il pas anodin.

Face à cette opposition exacerbée par le fait qu’il s’agissait d’une famille recomposée, il fallait trancher et le juge a pris le parti d’autoriser les trois enfants du défunt à faire procéder à l’incinération de la dépouille mortelle et cette décision doit être approuvée en raison du contexte.

* * *

 

CA Angers 26 avril 2019, n° 19/00815

  1. Gregorio G., né le 17 août 1928, est décédé le 19 avril 2019 à Chemillé en Anjou (49).

Un conflit s’est élevé entre Mme Marie K. K., son épouse depuis 2006, et MM. Dominique G., Bernard G. et Joseph G., ses enfants issus d’une première union, quant à l’organisation de ses funérailles.

Mme K. K. s’est opposée à l’incinération envisagée par les consorts G., faisant valoir que la volonté du défunt était d’être enterré.

Par jugement rendu le 25 avril 2019 à 17 heures et notifié le même jour, le tribunal d’instance de Cholet a débouté Mme K. K. de sa demande de suspension de l’incinération prévue le 24 avril 2019 et constaté que les dernières volontés du défunt étaient bien d’être incinéré.

Selon déclaration reçue à la cour d’appel le 26 avril 2019 à 9 h 45, Mme K. K. a interjeté appel de cette décision.

Les représentants des parties ont été immédiatement convoqués à l’audience fixée le même jour à 16 heures par télécopies adressées à 11 H 06 pour le conseil de M. Dominique G. et 11 H 11 pour le conseil de l’appelante. Ils ont pu présenter leurs observations orales après avoir échangé des pièces dans le respect du contradictoire malgré l’urgence de la procédure.

Représentée par son avocat, Mme K. K. demande à la cour d’infirmer le jugement et dire que le défunt sera enterré en Italie. Elle fait valoir que la volonté de son mari, dont elle conteste avoir été séparée de fait et qu’elle déclare avoir été éloigné d’elle contre sa volonté, à la suite d’un abus de faiblesse commis par ses enfants, en août 2018, était d’être enterré en Italie, son pays d’origine, et qu’il avait insisté auprès d’elle pour que son corps, et non ses cendres, soit acheminé en ce lieu.

Représenté par son avocat, M. Dominique G. sollicite la confirmation du jugement dont appel et l’allocation d’une somme de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

  1. Bernard G. et Joseph G., n’ont pas comparu et ne se sont pas fait représenter.

Selon avis écrit du 26 avril 2019, le procureur général s’en rapporte à justice.

Sur quoi

L’appel de Mme K. K., formé dans le délai de vingt-quatre heures prévu par l’article 1061-1 du code de procédure civile, est recevable.

En droit, il résulte de l’article 3 de la loi du 15 novembre 1887 :

– que toute personne a le libre choix de l’organisation de ses funérailles et de sa sépulture ;

– qu’en l’absence de manifestation explicite de volonté, exprimée de son vivant, il appartient au juge de rechercher, par tous moyens, quelles étaient les intentions de l’intéressé ;

– qu’à défaut de certitude, et en cas de divergence entre ses proches, le juge doit déterminer lequel de ceux-ci doit être considéré comme l’interprète le plus qualifié de sa volonté probable.

Au cas d’espèce, le défunt n’a pas laissé d’écrit. A défaut, sa volonté ne peut pas davantage être déduite, avec certitude, d’un faisceau d’indices extrinsèques concordants.

La question est donc de savoir si sa volonté probable doit être considérée comme mieux exprimée par sa seconde épouse, avec laquelle il avait contracté mariage le 14 janvier 2006, à l’âge de 78 ans, ou par les enfants issus de son union avec sa première épouse prédécédée, qui attestent avoir entendu leur père manifester le souhait d’être incinéré, ce que confirme une de ses belles-filles.

Il est de fait que M. Gregorio G. est décédé au domicile de l’un de ses fils, dans le Maine-et-Loire, et non à Villiers-sur-Marne (94), où, après la vente de sa maison de Pommeuse, il vivait chez son épouse, laquelle s’y déclare toujours domiciliée.

Cette circonstance objective fait présumer la séparation de fait des époux dans les derniers temps de la vie de M. G..

L’affirmation par l’appelante d’un ‘enlèvement’ de son mari par ses fils, lesquels auraient abusé de sa faiblesse, reste à l’état de simple allégation. Il ne résulte d’aucune des pièces produites que sa plainte en ce sens ait donné matière à l’engagement de poursuites pénales.

Son allégation, suivant laquelle les fils du défunt auraient précipité son décès et voudraient éviter une autopsie, est inopérante dès lors qu’il n’est pas établi, ni même soutenu, qu’un obstacle médico-légal, faisant obstacle aux obsèques, sous quelque forme que ce soit, ait été relevé par le médecin ayant établi le certificat de décès.

Il est en revanche établi, par une source extérieure à la famille (expertise en vue de l’éventuelle instauration d’une mesure de protection), que le défunt ne souhaitait pas retourner vivre en région parisienne, ce qui corrobore la cessation de la vie commune des époux.

Dès lors, c’est à juste titre que le premier juge a considéré que la volonté de M. Gregorio G. était exactement exprimée par ses fils et non par son épouse.

Le jugement dont appel sera donc confirmé.

Le premier juge a justement mis les dépens à la charge de Mme K. K..

Compte tenu de l’issue du litige, il en ira de même des dépens d’appel.

L’équité commande de la condamner à payer à M. Dominique G. la somme de 1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par ces motifs

Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire mis à disposition au Greffe, en application de l’article 1061-1 du code de procédure civile ;

DECLARE l’appel recevable ;

CONFIRME le jugement du juge d’instance de Cholet du 25 avril 2019 en toutes ses dispositions