Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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PROTHÈSES MAMMAIRES PIP : LES LIMITES DE LA RESPONSABILITÉ DES SOCIÉTES CERTIFICATRICES, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace
Directeur honoraire du CERDACC

 

Observations sous :

Cour d’appel Paris, 20 mai 2021, Pôle 4 – Ch. 10

 

L’affaire des prothèses mammaires continue son complexe parcours processuel devant les juridictions françaises. Ainsi, statuant sur renvoi après cassation, la cour d’appel de Paris a réaffirmé la responsabilité des sociétés certificatrices prononcée il y a plus de sept années par le tribunal de commerce de Toulon, mais en limitant autant que cela lui était possible le champ de celle-ci.

 

Mots-clés :

Causalité – Directive 2003/12/CEE – Organismes notifiés – Prothèses mammaires PIP – Préjudice d’anxiété – Responsabilité extra-contractuelle – TÜV

 

L’affaire des prothèses mammaires produites par la SA Poly Implant Prothèse (PIP), pré remplies d’un gel non conforme se joue sur plusieurs scènes judiciaires françaises ou étrangères (L. Bloch, « Prothèses PIP : le long chemin de croix des victimes » : RCA n° 9, sept. 2015, alerte 24). En France, outre les juridictions administratives (L. Bloch, « Prothèses PIP – Prothèses PIP : pas de responsabilité de l’État » : RCA n° 1, janv. 2021, alerte 1 ; V. Bouquet, Poly Implant Prothèse : en l’absence de responsabilité de l’État, quelle indemnisation possible ? : Médecine & Droit), plusieurs  juridictions judiciaires ont été saisies. Le volet assurantiel a ainsi fait l’objet de deux décisions de première instance, l’une rendue le 14 juin 2012 par le tribunal de commerce de Toulon, l’autre le 18 juin 2012 par le tribunal de grande instance de Lyon ; les deux juridictions ont retenu la validité des contrats d’assurance souscrits par PIP, rejetant l’argument de la fausse déclaration intentionnelle avancé par l’assureur (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Assurance de responsabilité civile des entreprises : portée du questionnaire » : D. 2012, 2022). Le 22 janvier 2015, la cour d’appel d’Aix-Marseille a confirmé le rejet des demandes de nullité du contrat (« Prothèses mammaires PIP : la validité du contrat d’assurance confirmée en appel (Aix-en-Provence, 22 janv. 1015, n° 2015/21) », M.-F. Steinlé-Feuerbach : JAC n° 152, mars 2015).

 Largement médiatisée, la condamnation pénale du fondateur de la société PIP et de quatre anciens cadres ou dirigeants pour escroquerie et tromperie aggravée, le 10 décembre 2013, par le tribunal correctionnel de Marseille, a depuis été confirmée en appel (Aix-en-Provence, 2 mai 2016, M.-F. Steinlé-Feuerbach,  « Tromperie aggravée et escroquerie : la suite du volet pénal de l’affaire des prothèses mammaires PIP : JAC n° 164, mai 2016) et par la Cour de cassation (Crim. 11 sept. 2018, n° 16-84.059) [Il convient de souligner que l’enquête diligentée à la demande du juge d’instruction de Marseille a révélé des éléments sur lesquels s’appuiera ultérieurement la cour d’appel de Paris pour retenir la responsabilité civile des sociétés certificatrices]. Toujours au pénal, à la suite du décès fin 2011 à Marseille d’une porteuse d’implants PIP, une information a été ouverte au Pôle santé publique du TGI de Marseille des chefs d’homicide et blessures involontaires ; le statut de témoin assisté a depuis été accordé aux dirigeants de PIP et à certains cadres, ainsi qu’aux sociétés TÜV, l’information est toujours en cours le 20 mai 2021.

 Alors que certaines victimes avaient choisi de porter leur demande en indemnisation devant le juge pénal, d’autres autrement conseillées, avaient préféré joindre leur action à celles des distributeurs de prothèses PIP à l’étranger qui avaient attrait devant le tribunal de commerce de Toulon, les sociétés certificatrices TÜV Rheinland Product Safety GmbH (TÜV Rheinland), société allemande, et  TUV Rheinland France (TUV France), société française. La stratégie des avocats était très certainement motivée par la liquidation de la société PIP ainsi que par le plafond de garantie opposé par l’assureur (M.-F. Steinlé-Feuerbach,  « Prothèses mammaires : l’assureur en responsabilité civile du fabricant doit sa garantie » : Riseo 2012-3, p. 6 http://www.riseo.cerdacc.uha.fr/2012-3/) alors que par ailleurs la solvabilité du groupe TÜV Rheinland, fournisseur mondial de techniques de sécurité et de certification présent dans 69 pays sur 500 sites, ne peut guère être mise en doute. Le tribunal de commerce de Toulon avait justifié sa compétence par la localisation en France du « fait générateur et causal des conséquences dommageables alléguées », plus précisément sur le site de conception et de fabrication des implants PIP à La Seyne-sur-Mer (la cour de Paris considère, avec raison, que « la décision déférée sera confirmée en ce qu’elle retient la compétence de la juridiction française et l’application de la loi française à l’action en responsabilité extra-contractuelle engagée »). Cette localisation permet de soumettre à la loi française non seulement TUV France mais également la société allemande TÜV Rheinland ce qui constitue un avantage pour les porteuses d’implants, le droit français ayant une conception  plus large que le droit allemand des préjudices moraux indemnisables.

 Le 14 novembre 2013, le tribunal de commerce de Toulon avait retenu la responsabilité des sociétés certificatrices,  celle de TÜV Rheinland pour avoir manqué à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance et celle de TUV France pour son ingérence dans la procédure de contrôle ; les deux sociétés ont été condamnées  à indemniser solidairement les préjudices causés tant aux distributeurs étrangers qu’aux porteuses d’implants, allouant à ces dernières une provision de 3000 euros, certaines pour avoir « subi des conséquences psychologiques et morales, notamment en raison de l’excessive médiatisation de l’affaire » et d’autres au titre de leur préjudice d’anxiété (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Prothèses mammaires PIP : la responsabilité des sociétés certificatrices reconnue», JAC n° 139, déc. 2013).

Ce jugement avait été infirmé le 2 juillet 2015 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence mais, le10 octobre 2018, l’arrêt d’appel est cassé par la première chambre civile et l’affaire renvoyée devant la cour d’appel de Paris (Civ. 1ère, 10 oct. 2018, n° 15-26.093, « L’affaire des implants mammaires devant la Cour de cassation : obligations des organismes notifiés » :  Gaz. Pal. actu 10 oct. 2018 ; M. Bacache, « Prothèses PIP : responsabilité pour faute des organismes de certification » : JCP G n° 48, 26 nov. 2018, 1235). Soumis à la plus large publicité, cet arrêt a fait l’objet d’un communiqué  ;  https://www.courdecassation.fr/IMG///Communiqué Prothèses mammaires 2018.pdf).

L’arrêt rendu par la cour de Paris saisie sur renvoi (D. Bauer : « La France : épicentre de la justice pour les victimes des prothèses PIP » : Actu.juridique.fr, 29 juin 2021) est long de 288 pages. Face aux deux appelantes, TÜV Rheinland, et la SAS TUV France, la liste des intimées défenderesses à la saisine est déroulée sur une centaines de pages.

Dans le cadre de la procédure d’appel, 1591 personnes physiques sont intervenues à l’instance, portant à 3350 le nombre de personnes physiques intimées ou intervenantes. Pour la cour d’appel de Paris « Les patientes sont recevables à agir à l’encontre des sociétés TÜV pour autant qu’elles démontrent avoir été́ implantées avec l’un des modèles d’implants en gel de silicone IMGHC fabriqués par la société PIP durant la période couverte par les certificats délivrés par TRLP, soit entre le 22 octobre 1997 et le 6 avril 2010, date de retrait de l’ensemble des certificats et autorisations. »

Confrontés à un contentieux qui ne leur est certainement pas habituel, les magistrats de la chambre commerciale de la cour d’appel de Paris rendent une décision très longue et extrêmement détaillée qui prend parfois des allures de jeu de piste dont il n’est pas toujours aisé de suivre le fil. Nous tenterons de le démêler en nous concentrant sur les apports principaux de l’arrêt.

La cour a consacré d’importants et pédagogiques développements au cadre juridique fixant le rôle des sociétés certificatrices (I) ce qui lui permet de caractériser les manquements fautifs des deux sociétés dans la tenue de ce rôle (II) tout en opérant une restriction de la causalité entre les failles du contrôle et les préjudices subis (III).

I. Le rôle des organismes certificateurs des produits mis sur le marché européen

Le rôle et les obligations des organismes certificateurs sont intimement liés aux exigences pesant sur le fabricant. Les prothèses mammaires entrent dans la catégorie des dispositifs médicaux implantables et par conséquent, s’agissant du marché européen, leur commercialisation est soumise au droit de l’Union européenne, en particulier à la directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 qui impose un contrôle par un organisme « notifié » pour les dispositifs des classes IIb et III ainsi qu’un marquage CE pour pouvoir circuler librement dans la Communauté.

Ultérieurement, la directive 2003/12/CEE du 3 février 2003 (directive 93) a reclassé ces prothèses en classe III dans le cadre de la directive 93 et précisé que celles mises sur le marché avant le 1er septembre 2003 devaient faire l’objet d’une procédure de réévaluation de la conformité avant le 1er mars 2004, elle a détaillé les procédures auxquelles le fabricant peut recourir pour obtenir le marquage CE. Il convient de noter que, suite à la Directive 2003/12/CE, les implants à base de gel de silicone (IMGHC), étaient devenus des dispositifs médicaux classe III.

Il en résulte que le fabricant doit faire appel à un organisme notifié pour faire certifier son système qualité au regard de la directive 93 et, à partir de 2004, son système de qualité ainsi que le dossier de conception des implants. La procédure d’évaluation comprend une inspection dans les locaux du fabricant et, dans des cas dûment motivés, également dans les locaux des fournisseurs et sous-traitants. Tout projet de modification important de la gamme des produits doit être évalué par l’organisme notifié. Il est important de relever que, outre les inspections périodiques, l’organisme notifié a la possibilité d’effectuer des visites inopinées s’il l’estime nécessaire.

La Commission européenne a élaboré un guide relatif à l’application des directives lequel définit le rôle des différents opérateurs économiques (fabricant, importateur, installateur…) et, rappelant le régime de la responsabilité des produits défectueux, concentre d’abord celle-ci sur le fabricant.

Saisie par la Cour fédérale de justice d’Allemagne au sujet de la responsabilité́ de TÜV Rheinland dans le cadre d’un litige concernant un implant mammaire fabriqué par la société́ PIP, la Cour de justice de l’Union européenne a, par un arrêt du 16 février 2017 (CJUE, 16 fév. 2017, affaire C 219/15), notamment énoncé que « l’organisme notifié n’est pas tenu, de manière générale, de faire des inspections inopinées, de contrôler les dispositifs et/ou d’examiner les documents commerciaux du fabricant. Cependant, en présence d’indices suggérant qu’un dispositif médical est susceptible d’être non conforme aux exigences découlant de la directive 93/42, cet organisme doit prendre toutes les mesures nécessaires afin de s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 16, paragraphe 6, de cette directive et des points 3.2, 3.3, 4.1 à 4.3 et 5.1 de l’annexe II de ladite directive. »

La directive 93 a été transposée en droit français par la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 relative à la santé publique et à la protection sociale. Actuellement, les règles applicables aux dispositifs médicaux figurent dans le code de la santé publique (art. L. 665-1 et s., L. 5211-1 et s., R. 5211-1 et s.).

PIP a exporté ses produits non seulement en Europe mais aussi hors Europe, notamment en Amérique latine et en Asie. En 1997, conformément à la directive 93, la société PIP a opté pour la procédure de déclaration CE de conformité. Pour l’évaluation des implants mammaires qu’elle commercialisait elle a choisi TÜV Rheinland, accréditée au sens de la directive 93 en tant qu’organisme notifié par les autorités sanitaires allemandes et enregistrée auprès de la Commission européenne pour certifier les dispositifs médicaux. Par un contrat conclu en octobre 1997, TÜV Rheinland a été mandatée par PIP pour  intervenir dans le cadre de la procédure de déclaration CE de conformité des implants.  En 2003, PIP a également soumis à cet organisme le dossier de conception de ses produits, puis le 25 février 2004, le 20 juin 2007 ainsi que le 9 mars 2009, elle l’a sollicité pour l’évaluation CE de leur conformité. Une autre société du groupe TÜV, TUV France, n’est pas notifiée pour les dispositifs médicaux, son agrément étant dans un autre domaine, il s’avère cependant que pendant de longues années ce sont les salariés de TUV France qui ont participé à tous les audits, à l’exclusion d’un audit extraordinaire le 6 février 2001, garantissant la conformité des prothèses PIP.

II. La confirmation de manquements fautifs des sociétés certificatrices

La responsabilité extra-contractuelle des sociétés TÜV Rheinland et TUV France doit être recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil (à l’époque des faits) ce qui suppose d’établir les fautes commises par ces organismes dans leur mission de contrôle. Celles-ci sont donc intimement liées au comportement de PIP sur lequel il importe d’abord de revenir. Bien qu’étant devenu le 4ème producteur mondial d’implants mammaires, PIP a rencontré un certain nombre de difficultés dans la commercialisation de ses produits sachant qu’en France, la mise sur le marché d’implants en gel de silicone a été interdite entre 1995 et 2000.

Le 22 juin 2000, l’autorité américaine Food and Drug Administration, après avoir visité les locaux de la société PIP, a adressé à celle-ci une « Warning letter » relative aux implants pré-remplis de sérum physiologique fabriqués par l’entreprise, leur vente n’a plus été autorisée aux États-Unis. Cette lettre a été publiée sur le site Internet de l’autorité de santé nord-américain. En décembre de la même année, un « Medical Device Alert » est publié par l’agence britannique de santé.

Du côté français, il faudra attendre le 22 décembre 2000 pour que l’Afssaps suspende la commercialisation des prothèses PIP pré-remplies de gel de silicone pour l’autoriser à nouveau le 18 avril 2001. Plusieurs alertes, venant des autorités tant françaises qu’étrangères ont été effectuées au cours des années suivantes.

La découverte de la fraude effectuée par PIP pourrait constituer le scénario d’un film à suspense. Dès avril 2001, la société PIP met sur le marché des implants mammaires pré-remplis d’un gel de silicone « maison », différent du gel Nusil certifié par TÜV et sept fois moins onéreux que ce dernier. Jusqu’à fin 2005 toutes les prothèses sont remplies du gel non conforme, celui-ci est remplacé par le gel Nusil à partir de janvier 2006 mais pour seulement une faible part de la production. À partir de 2006, les signalements de matériovigilance à l’Afssaps n’ont eu de cesse de progresser. En novembre 2009, l’Afssaps est même destinataire de photos – envoyées anonymement – indiquant la présence, dans les locaux du fabricant, de matières premières autres que le gel Nusil, seul autorisé pour les implants en gel de silicone. Le 18 décembre 2009, l’Afssaps convoque PIP et lui demande de produire des documents relatifs aux prothèses pré-remplies de gel de silicone. Puis, le 17 mars 2010, une inspection diligentée par l’Afssaps au siège de PIP révèle la présence effective d’une matière ne figurant pas dans le dossier de conception pour le remplissage des prothèses. Le 29 mars 2010, l’Afssaps prend enfin la décision de retirer les implants PIP du marché, de suspendre leur mise sur le marché, leur distribution, leur exportation et leur utilisation. Le retrait de l’ensemble des certificats et autorisations a lieu le 6 avril 2010, alors qu’entre temps, le 30 mars 2010, la société PIP est mise en liquidation judiciaire.

Or, de juillet 1997 à fin janvier 2010 – treize audits, de certification ou de surveillance, ont été réalisés par les sociétés TÜV et des certificats délivrés sans que la fraude de PIP ne soit découverte par son certificateur. Le film pourrait comprendre quelques scènes tragi-comiques montrant les salariés de PIP en train de déménager les futs de produits non conformes après l’annonce par TÜV Rheinland de sa prochaine inspection, sachant que celle-ci sera en réalité opérée par des salariés de TUV France avec lesquels, au fil des ans, ceux de PIP avaient noué d’amicales relations.

S’agissant de la responsabilité de TÜV Rheinland, la cour précise que « Le seul fait que des dispositifs médicaux non conformes aient été mis sur le marché ne suffit pas à̀ engager la responsabilité de l’organisme notifié, lequel n’est pas tenu à une obligation de sécurité de résultat, mais à un devoir de vigilance. » Elle valide l’argument de TÜV selon lequel seules les autorités nationales ont le monopole de la surveillance du marché et disposent de prérogatives de puissance publiques. S’il ne saurait dès lors être fait grief à TÜV de ne pas avoir découvert la fraude, en revanche il peut lui être reproché de ne pas avoir permis qu’elle le soit. En ne mobilisant pas toutes les ressources dont elle disposait pour s’assurer que la certification pouvait être maintenue TÜV n’a pas tenu son rôle de vigile de la sécurité des produits.

Pour établir les fautes des deux sociétés la cour analyse l’intervention de TUV France ainsi que les manquements de TÜV Rheinland

La cour démontre que les auditeurs de TUV France ont exercé leur mission dans un cadre juridique incertain. Dans leur décision du 14 novembre 2013, les magistrats toulonnais avaient estimé que la première faute est l’intervention de TUV France dans le processus de contrôle et la formation du personnel du fabricant. Cet organisme ne disposant pas de l’agrément nécessaire pour le contrôle de dispositifs médicaux, le tribunal avait considéré que son intervention « a été réalisée en fraude des textes communautaires et du Code de la santé publique », ce qui met en cause tant la société française que la société allemande. Devant la cour de Paris, les deux sociétés soutiennent qu’il existe une relation directe entre TÜV Rheinland, organisme notifié, et son client PIP ainsi que des relations contractualisées et parfaitement claires entre TÜV Allemagne et TUV France, non notifié. TUV France n’aurait été qu’un point de contact national avec le client français et aurait hébergé les auditeurs missionnés par TÜV Rheinland.

Cette affirmation est contredite par l’enquête pénale qui avait mis à jour des relations commerciales entre PIP et TUV France initiées plus d’un an avant la convention d’octobre 1997 entre PIP et TÜV Rheinland, TUV France y était alors désignée comme organisme certificateur. De surplus, la délivrance par TÜV Rheinland d’un certificat de conformité relatif au système qualité a eu lieu dès le lendemain de la finalisation de cette convention.

La cour de Paris s’est appliquée scrupuleusement à percer la nébuleuse des relations entre les deux sociétés appelantes pour démontrer que de septembre 1996 à avril 1999, celles-ci n’étaient pas contractuellement liées contrairement aux exigences de la directive 93. De plus, de mai 1999 à juin 2001, les auditeurs de TUV France n’avaient pas de relation de travail avec TÜV Rheinland. En 2011, les prérogatives de chacune des entités TÜV et les limites de leur intervention respective n’étaient toujours pas définies. Il aura en effet fallu attendre la découverte de la fraude de PIP pour qu’en janvier 2011 TUV France interpelle l’organisme notifié sur l’étendue de sa mission quant à la vérification de la cohérence entre le dossier conception qui a été évalué et le procédé de fabrication réel. Il n’est donc pas évident, selon nous, que les différentes certifications délivrées aient bien été inscrites dans le cadre juridique contraignant de la directive 93.

Au-delà de ce cadre juridique incertain, l’intervention des seuls salariés de TUV France a permis une trop grande proximité entre les auditeurs et les employés de PIP mettant en cause l’impartialité des auditeurs, laquelle est aussi une des exigences de la directive. La cour de Paris relève que les effets de la proximité qui s’est instituée entre TUV France et sa cliente PIP se sont manifestés au moins à trois reprises. Ainsi, la formation d’un des principaux auditeurs a été indirectement financée par PIP. Ensuite, afin de maintenir les bonnes relations, le premier audit de surveillance programmé en novembre 2008 a été repoussé de plusieurs mois dans le contexte d’une modification du dossier de conception. Il en a été de même du report du second audit de surveillance, après recertification, en janvier 2010. La cour met en évidence que TÜV Rheinland, seul organisme notifié qui est intervenu auprès de PIP pendant quinze ans a manqué de vigilance notamment en n’effectuant pas de visite inopinée dans les locaux de PIP se contentant d’un contrôle a minima en prévenant à l’avance de son inspection annuelle. Il est pourtant évident qu’une visite inopinée aurait permis de déceler la présence de stocks du gel « maison » de PIP à la place du gel Nusil. De même, un examen attentif de la comptabilité aurait révélé la supercherie. Un certain nombre de non-conformité et de remarques significatives ont d’ailleurs été relevées pendant les audits sans que TÜV estime nécessaire d’effectuer une visite non programmée.

La cour, sans vraiment justifier son choix, fait plus particulièrement référence à l’audit de mars 2006 qui avait relevé un écart concernant la matériovigilance et les réclamations, suivi d’une alerte émise par un expert de Cologne au mois d’août 2006 au sujet d’un problème majeur concernant la stérilisation. Selon la cour, dès 1er septembre 2006, une visite inopinée au sein de l’entreprise PIP par TÜV Rheinland s’imposait et était proportionnée aux indices dont elle disposait afin de s’acquitter de ses obligations au titre de la directive. Une telle visite aurait permis la découverte des fûts et des commandes de gel industriel puisque les employés de PIP n’auraient pas eu le temps de s’organiser pour substituer le gel Nusil au gel « maison », de cacher des fûts et des cuves de 1000 litres, etc.

Si la cour d’appel démontre que cette inertie fautive a perduré, elle ne précise pas en quoi les audits précédents, ou encore divers événements antérieurs médiatisés pris en compte par les juges consulaires, comme l’interdiction dès 2000 de la vente des prothèses PIP sur le territoire des États-Unis suite à une inspection inopinée par la Food and Drug Administration  des locaux de la Seyne-sur-Mer ou encore les plaintes déposées en Grande-Bretagne à partir de 2005, n’auraient pas dû déjà alerter l’organisme certificateur au point de décider une visite inopinée. Il est permis de le regretter à la lecture de la suite de l’arrêt, la date du 1er septembre 2006 y prenant une place prépondérante.

La cour de Paris, confirmant sur ce point la décision du tribunal de Toulon, juge que  « La société́ TÜV Rheinland a manqué à son obligation de s’assurer que le fabricant remplit correctement les obligations qui découlent du système de qualité approuvé et à son devoir de diligence et de vigilance par l’absence de visite inopinée, mesure nécessaire ainsi qu’il a été démontré.

De tels manquements sont clairement fautifs au regard de la règlementation européenne et de la législation applicable en droit national, notamment des articles R. 5211-40, R R5211-21 et R 5211-17 du code de la santé publique (…)La trop grande implication laissée à TUV France par l’organisme notifié a également contribué au délaissement par ce dernier de ses missions et prérogatives et, par suite, aux manquements fautifs dont la preuve est rapportée.»

Elle caractérise également les manquements fautifs de TUV France dont les salariés ont recommandé l’approbation du système qualité et le maintien de la qualification  sans remettre en cause le système qualité de PIP malgré les écarts constatés. Leurs diligences ont été insuffisantes lors des audits en ce qui concerne les indices suggérant des non-conformités.

Mais, contrairement aux premiers juges, c’est au 1er septembre 2006 que la cour d’appel de Paris place le curseur des fautes commises par TÜV Rheinland qu’elle estime caractérisées.

À cette surprenante restriction temporelle du comportement fautif de TÜV Rheinland, la cour ajoute, de manière toute aussi surprenante, que « Les manquements fautifs de l’organisme notifié, bien que décisionnaire pour déclencher une visite inopinée, sont étroitement liés à ceux de son souscontractant TÜV France. La défaillance de cette dernière ne peut être retenue que dans les limites fixées par la cour à l’encontre de TÜV Rheinland, au titre du fait générateur de responsabilité, c’est-à-dire entre le 1er septembre 2006 et le 6 avril 2010. »

Ce raisonnement, contraire à la logique mathématique, n’est pas à l’abri de critiques sur le plan juridique car TUV France, personne morale, est  responsable de ses propres négligences, qu’importe le comportement du décisionnaire. Il est aussi en flagrante contradiction avec les termes même de l’arrêt employés précédemment à propos de la responsabilité du certificateur français : « Il convient également de noter que si la responsabilité de provoquer des mesures additionnelles et/ou une visite inopinée relève de la responsabilité exclusive de l’organisme notifié, les auditeurs de TUV France ont manqué de vigilance face aux multiples dysfonctionnements de l’entreprise PIP qui constituaient pour certains des écarts majeurs (…) Ils ont également, en leur qualité d’auditeur principal, de seul auditeur ou second auditeur, été signataires des rapports finaux (à l’exception de celui de l’audit des 16 au 18 juillet 2002…) émis un avis favorable à l’établissement des certificats par TÜV Allemagne, leur réémission ou à̀ leur maintien. Or, est de nature à̀ engager la responsabilité de TUV France, tant l’émission de ses recommandations dès lorsqu’elle repose sur une appréciation erronée de l’incidence, en termes d’indices de non-conformité des écarts constatés sur la capacité de la société PIP à se conformer à son système qualité et aux exigences essentielles de la directive 93/42/CEE, qu’un manque de (…)et des vérifications insuffisantes. »

III. Les restrictions de la causalité et des préjudices indemnisables

 Le tribunal de Toulon avait retenu que l’intervention d’auditeurs non notifiés de TUV France avait été réalisée en fraude avec les dispositions de la directive 93 et du code de la santé publique et que les manquements de TÜV Rheinland à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance ainsi que l’ingérence de TUV France dans la procédure « convergent à mettre en évidence leur responsabilité professionnelle ». Il avait dès lors condamné les deux sociétés à indemniser solidairement les préjudices causés tant aux distributeurs étrangers qu’aux porteuses d’implants, ordonné des expertises.

Il faudra attendre la page 250 de sa décision pour apprendre que ce n’est pas le raisonnement tenu par la cour d’appel de Paris. En limitant la période du fait générateur de responsabilité de TÜV Rheinland et en subordonnant celle de TUV France à celle de la société allemande, elle restreint de manière significative le temps de la causalité et limite les possibilités de réparation des préjudices.

Certes, et il ne pouvait guère en être autrement pour la cour de renvoi, elle retient que la responsabilité de PIP n’est pas exclusive de celle de l’organisme notifié et de son sous-traitant et, rappelant les règles de la responsabilité extra-contractuelle, énonce qu’au-delà de la preuve des fautes des sociétés appelantes et de celle des préjudices dont elles excipent, les parties intimées et appelantes doivent établir la relation de cause à effet entre ces faits et le dommage.

Mais, tout en reconnaissant que le cadre contractuel de l’intervention des deux sociétés est à juste titre critiqué, la cour considère que le lien de causalité entre celui-ci et les préjudices allégués n’est pas démontré. Elle estime également qu’il n’est pas démontré qu’un autre organisme notifié n’aurait pas dû délivrer les certificats d’octobre 1997 et 2002 permettant à PIP d’obtenir le marquage CE. Elle admet en revanche que TUV France a bien failli dans la mission qui lui était confiée par l’organisme notifié, ce dernier ayant failli dans l’exécution de ses obligations définies par la directive 93. De cette manière, la cour de Paris écarte tout lien de causalité entre les fautes des deux sociétés et le mise sur la marché des implants, ce qui constitue une première restriction à la causalité. Elle retient tout de même le lien de causalité entre ces fautes et le maintien sur le marché de produits ne répondant pas aux exigences essentielles de la directive 93. Balayant les arguments des deux sociétés la cour juge qu’elles « sont responsables du retard apporté dans la révélation des non-conformités des prothèses PIP et donc de la révélation de la fraude de cette dernière. » Mais la cour arrête là la causalité en considérant que les sociétés certificatrices « n’ont pas concouru à la commission de la fraude contrairement à l’analyse retenue par les juges consulaires. »

Par conséquent la cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 20 mai 2021, infirme le jugement du tribunal de commerce de Toulon en date du 14 novembre 2013 en ce qu’il a constaté que l’intervention de TUV France dans le dossier de certification a été réalisée en fraude des dispositions de la directive 93 et le confirme en ce qu’il a constaté que TÜV Rheinland, en sa qualité d’organisme notifié a manqué à ses obligations de contrôle, de prudence et de vigilance dans l’exercice de sa mission.

La cour déclare donc les deux sociétés responsables in solidum des conséquences de leurs manquements et les condamne à réparer les préjudices consécutifs au maintien des prothèses PIP sur le marché, mais uniquement à partir de la date du 1er septembre 2006 qu’elle a choisi, et jusqu’au 6 avril 2010.

Cette double restriction du champ causal entraîne bien évidemment une limitation des préjudices indemnisables des porteuses d’implants puisque « Dans le prolongement des développements qui précèdent, les sociétés TÜV n’ont pas à répondre des préjudices en lien de causalité direct et exclusif avec la fraude du fabricant, soit en premier lieu, ceux subis par les patientes implantées en dehors de la période retenue par la cour. »

Il en est de même des demandes de réparation émanant des distributeurs contractuellement liés avec PIP. S’agissant de la perte du profit attendu, la cour estime que celle-ci a pour seul fait générateur l’arrêt de la commercialisation des prothèses lequel n’est pas en relation causale avec les manquements des sociétés certificatrices. Pour ce qui est des autres chefs de préjudice, comme la perte d’image, qui trouvent leur cause dans la fraude de PIP, cette causalité est déclarée exclusive dès lors que les relations commerciales étaient antérieures au 1er septembre 2006. Il leur est néanmoins possible d’établir que le retard dans la découverte de la fraude, en relation causale partielle avec les abstentions de TÜV, leur a été préjudiciable. Les dommages subis par les distributeurs ayant conclu un contrat avec le fabricant après le 1er septembre sont, eux, susceptibles d’être réparés.

 En ce qui concerne plus précisément les porteuses d’implants, le tribunal avait admis qu’elles ont « subi des conséquences psychologiques et morales, notamment en raison de l’excessive médiatisation de l’affaire » et accordé à chacune d’entre elles une provision de 3000 euros. Devant la cour, les parties intimées réclament la confirmation de la mesure d’expertise médicale ordonnée par les premiers juges ou son extension à leur profit pour celles qui sont intervenues dans la procédure à hauteur d’appel. Elles sollicitent la confirmation ou l’allocation de provisions à valoir sur l’indemnisation des préjudices divers.

La cour reprend sa date « magique » pour exiger que soit rapportée la preuve que la pose des implants ait bien été réalisée entre le 1er septembre 2006 et le 6 avril 2010 car pour elle les préjudices subis par les patientes sont en lien causal exclusif avec les fautes de PIP. En conséquence, de nombreuses patientes sont déboutées de leurs demandes, la décision du tribunal de Toulon les concernant étant infirmée tant sur la mesure d’expertise que sur la provision.

Pour les patientes entrant dans le bon intervalle temporel, la cour reconnaît l’existence d’un préjudice d’anxiété généré par l’incertitude sur leur devenir clinique laquelle repose sur des éléments tangibles et pertinents d’un risque réel puisqu’elles sont exposées à des complications non négligeables qui peuvent relever d’une intervention chirurgicale. La cour reconnaît également l’existence d’un préjudice moral, distinct du préjudice d’anxiété, dans la mesure où elles ont appris qu’elles étaient porteuses de prothèses remplies d’un gel industriel habituellement destiné à la cosmétique et à …l’électronique ! Pour chacun de ces préjudices est allouée une provision dont le montant est fixé à 3000 euros.

Par ailleurs, s’agissant des expertises médicales, la cour les juge inutiles pour les patientes ne justifiant d’aucune complication ou explantation car « il n’y a aucune nécessité de maintenir ou d’étendre à leur profit une expertise médicale destinée à caractériser ou à évaluer un préjudice corporel qui demeure, les concernant, hypothétique ». Pour les autres, la perte de chance de ne pas avoir à subir une intervention chirurgicale prématurée ou des complications est indemnisable, ce qui suppose la désignation d’un expert avec une mission étendue.

Pour finir, la cour ne manque pas de se préoccuper de la restitution des sommes versées aux patientes qui sont intervenues devant le tribunal de commerce de Toulon et qui ont échoué devant elle à démontrer la recevabilité ou le bien fondé de leurs prétentions, son arrêt constituant le titre exécutoire qui va permettre aux sociétés certificatrices d’obtenir cette restitution.

 Par le biais d’une causalité rétrécie entre les fautes indéniables des organismes certificateurs, garants de la sécurité des produits mis sur le marché européen, et les préjudices subis par les patientes, la cour d’appel de Paris est parvenue à limiter l’enveloppe des indemnités à verser.

En limitant le temps causal à moins de quatre années, les magistrats de la chambre commerciale de la cour d’appel de Paris ont-ils souhaité que la dette de réparation, au-delà du plafond de garantie de l’assureur de l’auteur de la fraude, ne soit pas entièrement à la charge des organismes certificateurs ?