COMPTE-RENDU DU COLLOQUE « LE RISQUE ET L’UNIVERSITÉ », B. Darifi, Y. Gafsi, V. Pora, F. Solohub, O. Walter

Basma DARIFI, Yasmine GAFSI, Valentine PORA, Fanny SOLOHUB, Océane WALTER

Étudiantes en 2ème et 3ème années du BUT carrières juridiques, IUT de Colmar

 

L’IUT de Colmar a accueilli le 19 mars 2025 un colloque portant sur le Risque et l’Université, organisé par Sophie Hildenbrand et Dariusz Piatek, maîtres de conférences à l’Université de Haute-Alsace et membres du CERDACC (UR 3992). A partir du constat selon lequel le droit de l’Université n’a pas encore fait l’objet d’une étude doctrinale approfondie et de l’existence de très nombreuses idées reçues, les organisateurs ont souhaité amorcer une méta-réflexion invitant les enseignants-chercheurs à s’interroger sur leurs pratiques et à prendre consciences des risques auxquels ils sont confrontés.

La journée a débuté par quelques mots de bienvenue et de remerciements de Sophie Hildenbrand ainsi qu’un exposé de l’intérêt que peut avoir l’étude de ce risque particulier auquel sont confrontés non seulement les enseignants-chercheurs, toutes disciplines confondues, mais également les étudiants et plus généralement toute personne qui peut avoir un lien avec l’université. Elle rappelle par ailleurs que le colloque s’inscrit pleinement dans l’actualité, comme le démontre de très récents arrêts rendus par la Cour de cassation.

Sophie Hildenbrand cède ensuite la parole au Professeur Didier Dentel, chargé de mission recherche à l’IUT de Colmar, avant d’inviter le Professeur Blandine Rolland, directrice du CERDACC, à intervenir. Dans ses propos introductifs, le Professeur Rolland souligne l’importance des actions de l’Université et sa responsabilité sociale (RSU). Elle rappelle que la journée a reçu le patronage de l’ADERSE (Association pour le Développement de l’Enseignement et de la recherche sur la Responsabilité Sociale de l’Entreprise) dont l’un des axes est justement la RSU.

Le premier panel prend place à 9h20 et est présidé par Sophie Hildenbrand.

Jalons historiques du principe d’indépendance des professeurs d’université à l’époque contemporaine

Dominique Messineo (Maître de conférences à l’Université d’Orléans, CRJ Pothier, UR 1212) présente dans cette intervention les aspects historiques d’un principe fondamental du monde universitaire : celui de l’indépendance des professeurs d’université. Il souligne que les enseignants-chercheurs ont un statut bien particulier dont la dignité et la vocation forgent la profession. Ces enseignants sont fonctionnaires mais sont surtout dotés de libertés spécifiques en enseignement et recherche, le tout lié à une vocation intellectuelle. Retraçant l’historique des universités, Dominique Messineo nous explique que les universités bénéficiaient dans le passé de franchises corporatives protégées par le pape, sous la forme d’un devoir moral proche du divin puisqu’elles devaient poursuivre la vie au-delà de la mort par le savoir. Dominique Messineo nous fait un rappel du temps en insistant sur le fait que ce modèle a été entravé mais que de grands moments de l’histoire l’ont ré-élevé à ce qu’il devait être. A partir des années 60, la condition de l’universitaire sera reconnue comme vocationnelle notamment par des lois Faure ou encore Savary.

La condition humaine du chercheur et le conditionnement institutionnel de la recherche

Lors de cette intervention, Moncef El Younsi (doctorant à l’Université d’Orléans, CRJ Pothier, UR 1212) expose que la condition humaine du chercheur est marquée par une tension entre indépendance théorique et dépendance institutionnelle réelle. Il rappelle que le Conseil constitutionnel a reconnu en 1984 l’indépendance des enseignants-chercheurs comme un principe fondamental, confirmé par des décisions ultérieures. Toutefois, cette indépendance est ambiguë, notamment quant à son champ d’application et à sa nature. L’accès à la profession, via la thèse, est soumis à deux risques de dépendance : structurelle (exigence de rendement, flou juridique) et financière (choix du sujet influencé par les bailleurs de fonds publics ou privés). Moncel El Younsi souligne également que la standardisation des sujets et la composition des jurys renforcent cette contrainte. Dans l’exercice du métier, les enseignants-chercheurs font face à des pressions internes (manque de temps, lourdeurs administratives) et externes (financements conditionnés, contrôle politique). Cela tend à transformer leur rôle en celui d’un gestionnaire voire d’un « start-uppeur », mettant en péril leur vocation première : la quête désintéressée de la vérité.

Après une courte pause, les travaux se poursuivent par un deuxième panel, présidé par Dariusz Piatek.

Recrutement des enseignants-chercheurs : lorsque la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’en mêle

Lors de cette intervention, Magalie Nord-Wagner (Maître de conférences HDR à l’Université de Strasbourg, CDPF, UR 1351) nous présente un arrêt très intéressant dans le cadre de l’étude des risques à l’Université, rendu par la Cour de cassation le 5 juin 2024. Il marque un tournant majeur dans le contentieux du recrutement universitaire, en introduisant la possibilité de poursuites pénales pour fraude aux concours en l’élargissant aux enseignants-chercheurs et non plus seulement aux candidats. Cet arrêt repose sur une relecture des articles 1er et 2ème de la loi du 23 décembre 1901 réprimant les fraudes dans les examens et concours publics. La jurisprudence récente, notamment du Conseil d’État (6 février 2024), renforce cette vision selon laquelle la fraude peut être élargie aux organisateurs, en mettant la fraude universitaire sur le même plan que des délits tel que le favoritisme. Une double sanction (administrative et judiciaire) devient donc envisageable contre les enseignants-chercheurs et la responsabilité pénale peut aussi s’étendre aux complices. Magalie Nord-Wagner souligne le fait que cet arrêt traduit un glissement vers un contrôle plus rigoureux et une transparence accrue dans la fonction publique. Les enseignants-chercheurs sont ainsi exposés à des peines pouvant aller jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 9 000 € d’amende. Malgré tout, prouver la fraude reste complexe, du fait de son caractère discret et des silences institutionnels qui l’entourent. Cette décision du 5 juin 2024 symbolise une « révolution silencieuse » dans le traitement des irrégularités universitaires, passant d’un cadre administratif à une logique pénale répressive face à « une délinquance qui s’ouvre et s’ignore ».

Recherche universitaire et responsabilité indemnitaire

Anthony Tardif (Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace, CERDACC, UR 3992) profite de son intervention pour souligner un paradoxe. On cherche à engager la responsabilité de l’université, alors même que cette question est peu étudiée en droit. Il n’existe pas de véritable enseignement du droit de l’enseignement supérieur et les formes de responsabilité évoluent (sociale, pénale). Cette reconnaissance a permis de censurer certaines dispositions législatives, comme l’obligation d’usage du français dans l’enseignement supérieur. Anthony Tardif insiste sur le fait que la jurisprudence constitutionnelle a influencé les juges judiciaires et administratifs. Dans les contentieux liés aux propos des universitaires, les juges doivent évaluer si ces propos relèvent de la liberté d’expression académique ou constituent une faute engageant la responsabilité de l’auteur. Pour la matière administrative, cette liberté complique la distinction entre faute personnelle et faute de service alors qu’en matière judiciaire, si l’on considère des propos comme étant litigieux, ils constituent une faute détachable du service et imputable. Cependant, certaines positions européennes (CEDH) sont plus protectrices. La responsabilité civile ne devrait être engagée qu’en cas de faute lourde et si les propos n’ont pas d’intérêt général. Enfin, Anthony Tardif rappelle que certains auteurs suggèrent que les propos ayant un lien avec la fonction universitaire devraient bénéficier d’une protection renforcée, afin de ne pas dissuader la liberté critique et intellectuelle des chercheurs.

L’après-midi commence par un nouveau panel présidé par Sophie Hildenbrand.

Les risques de la communication : hors les murs du tout petit monde

En plein développement des moyens de communication, le Professeur Marie France Steinlé-Feuerbach (Professeur émérite de l’Université de Haute-Alsace, CERDACC, UR 3992) nous montre qu’il est essentiel de réfléchir aux risques qui y sont associés, en particulier dans le cadre universitaire. Dans une présentation en deux temps, l’intervenante met en évidence les différents canaux de communication (classiques et contemporains) puis les risques auxquels les enseignants-chercheurs sont confrontés dans leurs communications, notamment en dehors des murs de l’Université. À l’intérieur de l’Université, les enseignants-chercheurs bénéficient généralement d’une protection, mais cette sécurité est moins présente à l’extérieur, notamment sur les réseaux sociaux ou lors de prises de position publiques. Parmi les risques, on retrouve le plagiat, les tensions liées aux opinions politiques, ainsi que la porosité de la frontière vie professionnelle et vie privée. Ces éléments peuvent fragiliser le statut des enseignants-chercheurs, surtout lorsqu’ils prennent des positions politiques. Enfin, cette situation soulève des questions sur l’équilibre entre liberté académique et les dangers associés à la communication.

L’auto-plagiat universitaire : la montagne accouche d’une souris ?

L’auto-plagiat, ou recyclage de ses propres créations, est un sujet complexe dans le milieu universitaire. Dariusz Piatek (Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace, CERDACC, UR 3992) s’interroge ici sur la réalité de l’auto-plagiat.

Selon lui, l’auto-plagiat se divise en trois types : la publication redondante (reprise identique sur plusieurs supports), la publication augmentée (version courte puis longue d’un article) et la publication en morceaux (diviser un même travail en plusieurs parties). En droit, les fonctionnaires cèdent automatiquement leurs droits d’auteur pour les créations liées à leur fonction, sauf les enseignants-chercheurs qui les conservent pour préserver la liberté académique.

Dariusz Piatek insiste sur le fait que l’auto-plagiat pur est nécessairement légal car les idées « sont de libre parcours ». S’il est légal de reprendre les idées des autres, reprendre nos propres idées l’est également. En revanche, l’auto-plagiat aggravé, autrement dit lorsque l’on reprend ses propres idées et leur forme, faisant l’objet d’une cession des droits patrimoniaux de l’auteur, entraîne un risque de contrefaçon puisqu’il implique le fait de recopier une chose que l’on ne détient plus.

En réalité, l’auto-plagiat peut être utilisé comme une stratégie face à la pression de publication constante, accentuée par la bibliométrie. Cela reflète les défis du système universitaire et de l’édition académique.

La portée normative des cadrages ministériels à la lumière de la mise en place des enseignements relatifs à la transition écologique

La journée se poursuit avec une présentation par Blandine Rolland (Professeur à l’UHA et directrice du CERDACC, UR 3992) et Marie Stadge (Professeure associée à l’ESSCA) sur la portée des cadrages ministériels. Le ministère impose l’intégration de la transition écologique et sociale dans les programmes de licence, mais cela rencontre des freins en raison de l’autonomie des établissements et de la liberté académique des enseignants-chercheurs. Elles présentent les résultats partiels d’une enquête de terrain qu’elles sont en train de mener.

Le risque d’entrave pour les enseignants-chercheurs face au RGPD et aux comités d’éthique : le mieux est-il l’ennemi du bien ?

La dernière table ronde, présidée par Dariusz Piatek, débute par une intervention de Pierrick Bruyas (Chercheur postdoctoral à l’Université de Strasbourg, CEIE, UR 7307 et à l’Université d’Aarhus, Danemark, Juridisk Institut) portant sur le RGPD et les comités d’éthique. Selon lui, le RGPD impose un paradoxe pour la recherche financée, en exigeant à la fois la diffusion ouverte des résultats (science ouverte) et la protection des données personnelles. Bien que conçu pour le numérique, les implications du RGPD sont en réalité bien plus vastes car les entreprises et les universités sont également concernées. Selon l’intervenant, il manque un recul sur l’application de l’article 89 du RGPD, qui prévoit une exception pour la liberté académique. Cet article n’a pas encore été interprété de manière définitive, mais la CJUE pourrait le considérer de manière protectrice pour la liberté de recherche.

Responsabilité administrative de l’université

Hervé Arbousset (Professeur à l’Université de Haute-Alsace, CERDACC, UR 3992) évoque l’accident tragique du 24 mars 2006 à l’École de Chimie de Mulhouse, où une explosion a causé la mort d’un professeur d’université et d’une stagiaire, soulignant la possibilité de saisir à la fois la juridiction pénale et administrative pour engager la responsabilité de l’université. Cet événement a mis en lumière l’importance de la prévention des risques dans les établissements universitaires.

Il analyse ensuite la responsabilité administrative des universités, distinguant deux catégories. Tout d’abord, celle liée aux événements accidentels, c’est-à-dire les fautes prouvée, présumée et sans faute. Sur ce dernier point, il insiste sur les cas des collaborateurs occasionnels et des professeurs émérites. Il s’intéresse ensuite à la responsabilité du fait d’événements non accidentels (responsabilité des agents, des usagers, et des tiers). Concernant les agents, il précise que la responsabilité des sanctions relève de l’État, et non de l’université. Cette intervention souligne la diversité des situations dans lesquelles la responsabilité des universités peut être engagée, tant pour des événements accidentels que pour des problèmes de gestion interne.

Mots de conclusion

Dariusz Piatek achève la journée par quelques mots de conclusion et remercie les intervenants, mais aussi le public pour leur participation. L’ensemble des réflexions menées met en évidence les risques et défis auxquels les enseignants-chercheurs sont confrontés dans leur communication, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’université. Entre la gestion de la liberté académique et les contraintes imposées par des exigences institutionnelles ou légales (comme le RGPD ou les directives ministérielles), les enseignants-chercheurs naviguent dans un environnement de plus en plus complexe. Les tensions liées à la frontière entre vie professionnelle et personnelle, les enjeux de la publication académique, ainsi que la responsabilité des établissements, notamment en cas d’incidents, sont autant de questions soulevées.

 

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