COMPTE-RENDU DU COLLOQUE « DECOUVERTE DU DROIT AERIEN », E. Desfougères

Éric DESFOUGÈRES

Maître de conférences (HDR) à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Le 17 novembre 2025, se tenait en Grand’chambre de la Cour de cassation un colloque intitulé « Découverte du droit aérien » (https://www.jac.cerdacc.uha.fr/event/cours-de-cassation-colloque-decouverte-du-droit-aerien-17-novembre-2025/).

Il est possible de voir ou revoir les interventions en différé (https://www.courdecassation.fr/agenda-evenementiel/decouverte-du-droit-aerien).

Allocution d’ouverture

Rémy Heitz (procureur général près la Cour de cassation) fait naturellement l’honneur des lieux, particulièrement prestigieux, où se tiennent habituellement les réunions les plus solennelles de la plus haute juridiction française. Il le justifie par l’importance du droit aérien avec la conciliation d’intérêts parfois contradictoires et l’impératif de plus en plus présent de sécurité.

 

Propos introductifs

Ghislain de Monteynard (avocat général à la chambre commerciale de la Cour de cassation) et Xavier Delpech (professeur associé à l’Université Jean Moulin Lyon 3, président de la Société française de droit aérien et spatial (SFDAS)) co-organisateurs retracent brièvement la genèse du programme de la journée. Ils n’omettent pas, pour l’anecdote, de remémorer le célèbre arrêt Clément Bayard rendu, à quelques mètres, par la chambre des requêtes le 3 août 1915 ayant consacré la théorie de l’abus de droit à propos d’un propriétaire ayant planté des carcasses en bois surmonté de piquets de fer sur un terrain pour empêcher un dirigeable d’y atterrir.

 

Première table ronde : introduction au droit aérien

Ana Atallah (avocate au barreau de Paris) met en exergue le caractère extrêmement complet des sources du droit aérien et la nécessaire adaptation de principes parfois très anciens.

Philippe Delebecque (professeur émérite de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne) balise les débats en insistant sur l’importance de la terminologie en droit aérien, matière très technique et professionnalisée, prolongement du droit maritime. Il démontre à la fois un rapport de dépendance et d’enrichissement par rapport à d’autres disciplines juridiques.

Jacques Dubourg (directeur de cabinet à la Direction générale de l’aviation civile (DGAC)) en évoquant les normes édictées par l’aviation civile rappelle les enjeux majeurs des multiples actions de l’Organisation pour l’Aviation Civile Internationale (OACI), de l’agence européenne pour la sécurité aérienne (AESA) et de la DGAC.

Gilles Juventin (général de brigade aérienne, commandant de la brigade aérienne de la posture permanente de sûreté aérienne du CDAOA) recense les missions de la défense à travers entre autres la « Posture Permanente de Sûreté Aérienne » et les missions interventionnelles avec la Gendarmerie de l’Air.

 

Deuxième table ronde : transports de passagers et de marchandises

Olivier Cachard (professeur à l’Université de Lorraine) relève la profonde unité du transport aérien, seul mode doté d’une même convention internationale pour les passagers et les marchandises.

Bernard Chevalier (conseiller à la première chambre civile de la Cour de cassation) propose quelques morceaux choisis de la jurisprudence en matière de droit des passagers aériens tirés de l’interprétation par renvoi préjudiciel de la CJUE du règlement (CE) n° 261/2004 du 11 février 2004 en cas de refus d’embarquement non justifié, d’annulation d’un vol, de vol retardé au départ et de retard de plus de 3 heures.

Xavier Delpech (professeur associé à l’Université Jean Moulin Lyon 3, président de la Société française de droit aérien et spatial (SFDAS)) se projette sur la réforme en cours du règlement de 2004 pour mettre un terme à certaines dérives, telle celle des circonstances extraordinaires exonératoires. Il met aussi le focus sur le récent décret du 5 août 2025, devant entrer en vigueur le 7 février 2026, qui privilégie les règlements extrajudiciaires amiables, mais pourrait marquer une régression des droits procéduraux avec, en cas d’échec, l’exigence d’une assignation.

Hélène Guillou (conseillère à la chambre commerciale de la Cour de cassation) insiste sur l’importance de la qualification par la jurisprudence des différents acteurs (commissionnaire de transports, plateforme d’intermédiation…).

Myriam Bethmont-Marty (avocate au barreau de Paris) résume les travaux menés dans le cadre de sa thèse portant sur un intermédiaire souvent méconnu : l’agent habilité (ex expéditeur connu) et les responsabilités pesant sur lui.

 

Troisième table ronde : les accidents aériens

Marie-France Steinlé-Feuerbach (professeur émérite de l’université de Haute-Alsace, directeur honoraire du CERDACC) accomplit l’effort salutaire d’élaborer une présentation synthétique de l’accident aérien qui manquait jusqu’alors.

Olivier Ferrante (secrétaire général du Bureau d’Enquête et Analyse (BEA)) citant le règlement (UE) n° 996/2010 du 20 octobre 2010, texte de référence, développe les différentes enquêtes de sécurité et enquête technique du BEA.

Delphine Christophe (colonelle, cheffe de la section de recherche des transports aériens de la Gendarmerie nationale) détaille les missions du service qu’elle commande, à travers l’exemple de divers accidents aériens survenus le week-end du 15 août 2025.

Fabrice Pradon (avocat au barreau de Paris) apporte son regard sur les procès d’accident aérien, en particulier celui du crash du Mont-Sainte-Odile, et plaide, au vu de la longueur des procédures, pour que le juge pénal ne traite que de l’action publique avec renvoi automatique au juge civil pour les intérêts civils.

Jeremy Heymann (professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3, directeur du CREDIP (EDIEC)) fait une brillante démonstration pour ramener les trois dimensions (nationale, européenne et internationale) que semble revêtir la détermination des juridictions compétentes en cas d’accidents aériens au seul article 33 de la Convention de Montréal avec l’adjonction d’une cinquième juridiction correspondant au lieu de la résidence principale et permanente de la victime.

 

Quatrième table ronde : le statut de l’aéronef et des aéroports

Loïc Grard (professeur de droit public à l’Université de Bordeaux, avocat au barreau de Paris) salue la gageure de synthétiser en 10 minutes des développements représentant tout un chapitre de manuel et relève le paradoxe apparent de travailler sur le statut d’un objet mobile.

Ghislain de Monteynard (avocat général à la chambre commerciale de la Cour de cassation) s’attache magistralement à faire partager la manière dont est élaborée la jurisprudence en matière d’aéronef, d’abord envisagé comme un bien meuble, avant que les normes internationales ne mettent en œuvre un statut commun le rapprochant des immeubles avec notamment la convention de Genève du 19 juin 1948 imposant l’inscription sur un registre public de l’État consignant les droits.

Pierre Früling (avocat au barreau de Bruxelles) s’efforce de dresser un panorama exhaustif des innombrables formules de locations ou d’affrétement d’aéronefs (location opérationnelle, location d’aéronef entre compagnies aériennes, sous-location, contrat de management …).

Yves Hénaff d’Estrées (avocat aux barreaux de Paris et de New York) démontre la judiciarisation progressive de la question de la saisie des aéronefs qui relevait auparavant du juge administratif et désormais de la compétence des juges de l’exécution (JEX) et distingue les saisies revendication des saisies conservatoires non prévues par le code des transports.

Isabelle Lelieur (avocate au barreau de Paris) passe en revue la multitude de régimes juridiques possibles concernant les aéroports français avec les conséquences contentieuses en matière de service public qui en résultent.

 

Cinquième table ronde : le transport aérien et le droit social

Jean-Claude Javillier (professeur émérite de droit, Président d’honneur de l’AAIE-IHEDIN et de l’AFOIT) met l’accent sur les divergences d’environnement social entre les États se répercutant sur les transporteurs aériens.

Geoffroy Bouvet (président de l’APNA, ancien président du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL)) partant du crash, le 11 septembre 1998, aux large d’Halifax d’un avion de Swissair en feu, témoigne de son expérience professionnelle en faisant état de certaines pratiques (faux indépendants, fausses bases, faux détachés…) permettant de contourner certaines règles.

Stéphane Carré (maître de conférences, Nantes Université, UMR CNRS 6297) tente, avec succès, de résoudre les difficultés d’intégration dans le temps de service des personnels navigants, outre les heures de vol, des tâches effectuées au sol.

 

Sixième table ronde : le droit aérien à l’épreuve des nouvelles technologies

Philippe Achilléas (professeur à l’Université Paris-Saclay, directeur de l’Institut du droit de l’espace et des télécommunications (IDEST)) souligne que le droit aérien a toujours reposé sur des technologies en pleine évolution.

Pascal Dupont (professeur associé à l’Université de Lille, secrétaire général de la Société française de droit aérien et spatial (SFDAS), co-organisateur du colloque) se fondant notamment sur la loi du 24 octobre 2016 précise le régime juridique des drones et des télépilotes et aborde les questions soulevées en matière de respect de la vie privée et de sécurité du territoire

Laurent Archambault (avocat au barreau de Paris) dénonce la réglementation trop stricte et la lenteur des certifications des taxis volants (de type eVTOL) favorisant par là même la concurrence internationale, surtout chinoise.

Caroline Derache (avocate au barreau de Paris) après des chiffres alarmants, illustre par trois exemples concrets les cyberattaques visant le transport aérien et évoque les différents sanctions et responsabilités envisageables.

 

Propos conclusifs : rapport de synthèse

Nicolas Balat (professeur à Aix-Marseille Université, directeur de l’IFURTA (Pôle Transports)) conclut brillamment cette journée, particulièrement dense, devant une assistance exceptionnellement soutenue, avec miraculeusement quelques minutes d’avance. Se référant à la plupart des interventions, il repositionne le droit aérien comme à la croisée des différentes branches du droit, mais également aux défis de l’avenir (enjeux et transition écologique, maillage aéroportuaire ou réforme du règlement européen sur les droits des passagers…).

 

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