CHRONIQUE DU DOMMAGE CORPOREL, DU DROIT DES VICTIMES ET VICTIMOLOGIE, C. Lienhard et C. Szwarc

Claude LIENHARD

Avocat spécialisé en droit du dommage corporel,

Professeur émérite de l’Université Haute-Alsace,

Directeur honoraire du CERDACC (UR 3992)

et

Catherine SZWARC

Avocate spécialisée en droit du dommage corporel

 

I.- Droit du dommage corporel

A.-Le programme Comète

Après l’accident, la question de l’avenir professionnel est essentielle. Le programme Comète mérite d’être connu.

Le programme Comète (Comète France) est une démarche précoce d’insertion socioprofessionnelle mise en place dans des services de rééducation pour aider les personnes dont la santé ou le handicap remet en cause leur emploi à construire un projet professionnel adapté, dès l’hospitalisation.

Objet et public

Comète s’adresse aux patients hospitalisés en soins de suite et de réadaptation (lésions cérébrales, médullaires, neurologiques, ostéo-articulaires, AVC, brûlures, etc.) dont l’état de santé risque d’impacter l’activité professionnelle ou les études.
L’objectif est de maintenir ou retrouver une insertion en milieu ordinaire (maintien au poste, reclassement, reconversion, formation, reprise d’études) en articulant soins, rééducation, reconstruction de soi et projet de vie.

Fonctionnement de la démarche précoce

La « Démarche Précoce d’Insertion socioprofessionnelle » (DPI) démarre pendant l’hospitalisation et se poursuit après la sortie, avec un suivi pouvant aller jusqu’à deux ans sur le devenir professionnel (emploi, formation, études).
Le temps de rééducation est utilisé comme période de reconstruction professionnelle : analyse de la situation de travail, bilans de capacités, mises en situation professionnelles, recherche de compensations humaines ou techniques et contacts avec l’employeur ou les organismes de formation.

Équipes et réseau

Les équipes Comète sont pluridisciplinaires : médecins MPR, ergonomes, ergothérapeutes, psychologues du travail, assistants de service social, neuropsychologues, etc., travaillant en lien avec employeurs, services de santé au travail, MDPH, CARSAT, écoles et universités.
Comète France est une association loi 1901 qui fédère plus de cinquante établissements de soins de suite et de réadaptation sur tout le territoire (métropole et outre‑mer), avec environ 450 professionnels impliqués.

Étapes clés pour le patient-victime

Le parcours comprend généralement : accueil et analyse de la demande, évaluation sociale et professionnelle, élaboration du projet et étude de faisabilité, puis mise en œuvre du plan d’action (aménagement de poste, formation, réorientation) et suivi à 1 et 2 ans.
Chaque patient dispose d’un référent (ergonome pour un maintien/reclassement, psychologue du travail pour une réorientation) qui coordonne les démarches avec la médecine du travail, l’employeur et les partenaires de l’insertion.

Exemple du Centre HélioMarin de Vallauris

Au Centre Hélio‑Marin de Vallauris (UGECAM), le dispositif Comète fête 20 ans d’existence et suit chaque année environ 160 patients, dont 90 nouveaux, en transformant le temps de rééducation en période de reconstruction professionnelle.
Ce centre illustre le modèle Comète : une unité intégrée au parcours de soins qui aide les personnes victimes d’«accidents de vie» (accidents de la route, AVC, traumatismes, etc.) à redevenir actrices de leur avenir professionnel malgré les séquelles et le handicap.

B.-Réflexions sur la douleur

L’approche et la connaissance de la douleur reste des territoires à découvrir.

Le livre « Mal de fer » de Silvia Ricci Lempen est un récit autobiographique puissant où l’autrice raconte une vie marquée par la douleur chronique, les erreurs médicales et l’errance diagnostique, en refusant l’illusion d’une « littérature réparatrice ».

Parcours de vie et maladie

Silvia Ricci Lempen y retrace l’enchaînement des symptômes, des hospitalisations et des traitements, depuis une enfance déjà hantée par le malaise du corps jusqu’aux diagnostics tardifs et insuffisants. La douleur physique se mêle étroitement à la souffrance psychique, aux difficultés familiales et au sentiment de ne jamais être vraiment entendue par le monde médical.

Écriture, réussite et culpabilité

Le texte explore aussi son ambition littéraire, le désir de réussite et la culpabilité de se consacrer à l’écriture alors que le corps vacille. L’autrice refuse de faire du récit de maladie un simple outil de résilience ou de « guérison », et montre au contraire comment la douleur envahit le rapport à soi, au travail et aux autres.

La littérature comme « drogue »

Claire Jaquier souligne que Silvia Ricci Lempen récuse l’idée d’une littérature qui réparerait magiquement les blessures, tout en reconnaissant la puissance quasi « narcotique » de l’écriture pour supporter l’insupportable. Le livre interroge ainsi les limites et les ambiguïtés d’une littérature de la douleur, entre lucidité, mise à nu de soi et risque de s’y perdre.

C.- Enfant né avec un handicap non décelé : les préjudices patrimoniaux des parents peuvent donner lieu à réparation

Cass.1re civ., 15 oct.2025, n°24-16323 

L’arrêt précise que, en cas de faute de diagnostic prénatal ayant empêché les parents de demander une interruption de grossesse, le préjudice indemnisable des parents ne se limite pas à leur seul préjudice moral, mais comprend aussi un véritable préjudice patrimonial (pertes de revenus, aménagement de carrière, charges particulières), pour autant qu’il soit personnel et en lien avec la faute.

Deux époux donnent naissance à un enfant atteint de trisomie 21, handicap non décelé pendant la grossesse en raison d’une faute caractérisée lors de la première échographie. La responsabilité du médecin est retenue, les juges du fond constatant une perte de chance très élevée (80%) pour les parents de recourir à une interruption de grossesse et indemnisant principalement leurs préjudices moraux.

Les parents réclament également l’indemnisation de préjudices économiques liés à l’adaptation de leur vie professionnelle au handicap de l’enfant (notamment réduction d’activité, pertes de revenus et charges supplémentaires). La cour d’appel refuse de faire droit à ces demandes, en se fondant sur une lecture restrictive de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles, considérant que la loi du 4 mars 2002 aurait circonscrit le préjudice indemnisable des parents au seul dommage moral.

La question posée à la Cour de cassation est de savoir si, en application de l’article L. 114-5 CASF, les parents d’un enfant né avec un handicap non décelé du fait d’une faute de diagnostic prénatal peuvent obtenir la réparation d’un préjudice patrimonial (notamment pertes de revenus), ou si leur droit à réparation est limité au seul préjudice moral.

La première chambre civile répond que le législateur, par la loi du 4 mars 2002 et l’article L. 114-5 CASF, n’a pas entendu limiter l’indemnisation des parents au seul préjudice moral. La Cour juge que les parents peuvent obtenir réparation de l’ensemble de leurs préjudices personnels, patrimoniaux comme extrapatrimoniaux, dès lors qu’ils résultent directement de la faute commise dans le diagnostic prénatal

En conséquence, la Cour de cassation censure l’interprétation restrictive de la cour d’appel et affirme qu’entrent dans le champ du préjudice indemnisable des parents les pertes de revenus et charges économiques induites par l’adaptation de leur carrière professionnelle et de leur organisation de vie au handicap non décelé de leur enfant.

L’arrêt, rendu en formation de section et publié au Bulletin, marque une importante inflexion en consacrant expressément le caractère indemnisable du préjudice patrimonial des parents d’un enfant né handicapé à la suite d’une faute de diagnostic prénatal. Il s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence post-Perruche, mais dans un sens nettement plus favorable aux victimes, en clarifiant que la loi du 4 mars 2002 n’a ni exclu ni plafonné les postes patrimoniaux des parents, sous réserve du caractère strictement personnel et direct du préjudice.

 

II.- Droit des victimes.

A.- Avocat pour les enfants

L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité une proposition de loi pour garantir un avocat à chaque enfant placé ou suivi par les services sociaux dans le cadre d’une mesure d’assistance éducative.

Le texte, porté par la députée socialiste Ayda Hadizadeh, prévoit qu’aucun enfant ne traverse seul la procédure judiciaire : l’avocat joue le rôle de « sentinelle », vérifiant et rendant audible la parole du mineur. Environ 380 000 jeunes sont concernés (enfants placés en famille d’accueil, en foyer ou suivis dans leur famille), alors qu’aujourd’hui beaucoup ne sont pas assistés, même lorsqu’ils sont jugés capables de discernement.

Le juge pourra aussi désigner un avocat lorsque l’intérêt de l’enfant l’exige. La proposition a été débattue dans un contexte d’émotion après la diffusion d’une vidéo montrant à Paris un enfant placé tondu dans un foyer, ce qui a relancé la question de la protection juridique effective de ces mineurs.

 

B.- Victimes d’attentats : La Cour de cassation précise les critères à appliquer pour reconnaitre à une personne la qualité de victime d’un acte de terrorisme

Assemblée plénière – pourvois n°24105712410572 et 2412555      A LIRE ICI le communiqué

La Cour de cassation juge que la qualité de partie civile reconnue par le juge pénal à une personne se déclarant victime d’un acte de terrorisme ne s’impose pas au juge civil.

En effet, la loi a fait de la procédure civile d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme un mécanisme autonome pour garantir une réparation rapide et uniforme de leurs dommages corporels.

Pour autant, la Cour de cassation tend à uniformiser les critères appliqués par le juge civil et le juge pénal pour reconnaitre à une personne la qualité de victime d’un acte de terrorisme. Elle tient ainsi compte de la particularité de l’acte terroriste dont l’auteur cherche à semer l’effroi sans viser nécessairement une ou des personnes déterminées.

Nous reviendrons plus tard sur les conséquences et implications de ces arrêts sur la situation de bon nombre de victimes qui peuvent être concernées par ces précisions et avancées relatives.

 

III.- Victimologie 

A.- Médecine de catastrophes : une nouvelle formation ad hoc

Face aux attentats, au Covid et au retour de la guerre en Europe, une nouvelle formation universitaire en « médecine des catastrophes hospitalières » vient d’être créée à Strasbourg, une première en France, afin de préparer les hôpitaux aux crises majeures.

Le 27 novembre 2025 s’est tenue à Strasbourg la première session d’un diplôme universitaire unique en France, destiné aux professionnels de santé (médecins, cadres, etc.) pour les former à la prise en charge hospitalière des victimes de catastrophes.
Ce diplôme repose sur un partenariat international (France, Allemagne, États‑Unis, Israël) et sur l’expérience acquise lors du Covid et des attentats, afin d’améliorer l’anticipation, la coordination et la gestion des flux de blessés.

Les hôpitaux doivent être capables d’absorber un afflux massif de blessés tout en maintenant l’activité courante, ce qui suppose des plans spécifiques, des chaînes de commandement claires et des entraînements réguliers.
Les exercices de simulation, comme ceux menés avec le service de santé des armées, permettent de tester la logistique, la circulation des patients, la disponibilité des lits, mais aussi la capacité à faire face aux pénuries de personnel et de matériel.

Les médecins militaires français, qui intervenaient autrefois rapidement sur le champ de bataille, voient leurs pratiques évoluer avec la guerre en Ukraine, notamment en raison de l’usage des drones qui rend les évacuations plus complexes.
Leur savoir‑faire en matière de triage, de stabilisation rapide des blessés et d’organisation des évacuations est intégré à la formation pour renforcer la préparation des équipes hospitalières civiles.

Il est impossible de prévoir précisément la prochaine catastrophe, mais que la formation et les exercices rendent les équipes plus confiantes et plus réactives.
L’objectif est autant technique (protocoles, organisation) que psychologique, en aidant les soignants à affronter la gravité des situations extrêmes tout en limitant le chaos au sein des établissements.

 

B.- Formation des magistrats

Une convention « inédite » a été signée entre l’État et l’École nationale de la magistrature (ENM) afin de renforcer la formation initiale et continue de l’ensemble des magistrats sur l’égalité femmes‑hommes et les violences sexistes et sexuelles.

  • La convention vise à actualiser en continu la formation des magistrats pour intégrer les évolutions législatives et les apports de la recherche (sociologie, notion de « contrainte coercitive », etc.)
  • Elle doit systématiser des modules consacrés aux violences conjugales, sexuelles, intrafamiliales, au principe du contrôle coercitif et à l’analyse des signaux faibles dans les procédures.

Formation tout au long de la carrière

  • L’ENM organise déjà une formation continue obligatoire de cinq jours par an pour tous les magistrats, que la convention doit orienter davantage vers la lutte contre les violences faites aux femmes et la prévention des discriminations.

La ministre insiste sur la nécessité de « former en continu tous les magistrats », afin d’éviter les dysfonctionnements dans le traitement des plaintes, de mieux motiver les décisions de classement sans suite et d’expliquer clairement les voies de recours aux victimes.

 

IV.- Violences routières toujours et encore le protoxyde

Plusieurs accidents très récents, mortels ou graves, sont explicitement reliés à la consommation de protoxyde d’azote, surtout en contexte routier, auxquels s’ajoutent quelques décès en milieu domestique.

Accidents mortels de la route récents

  • Alès (Gard, nuit du 3 au 4 décembre 2025) : trois jeunes de 14, 16 et 19 ans meurent noyés après que leur voiture, ayant raté un virage sous la pluie, finit dans la piscine d’un pavillon ; des bonbonnes de protoxyde sont retrouvées dans l’habitacle et les analyses montrent un taux important de proto chez le conducteur de 19 ans, également positif à l’alcool et au cannabis.
  • Lille / Saint-Omer (Nord, début novembre 2025) : un homme de 31 ans est mis en examen pour homicide routier après avoir percuté mortellement un jeune de 19 ans ; l’enquête établit une consommation de protoxyde d’azote contemporaine de la conduite, ce qui relance le débat sur ce gaz.

Autres faits graves et climat de risque

  • Roubaix (Nord, novembre 2025) : une jeune femme de 17–18 ans est retrouvée morte à son domicile, plusieurs bonbonnes de protoxyde d’azote étant découvertes sur place ; une enquête en recherche des causes de la mort est ouverte, le surdosage de proto étant fortement suspecté.
  • Les services de police et de santé évoquent une hausse marquée des interventions et complications graves liées au protoxyde d’azote, avec davantage de refus d’obtempérer et d’accidents après consommation, notamment en Île‑de‑France et dans les Hauts‑de‑
  • Dans ces affaires, les parquets s’orientent vers des qualifications d’homicide ou blessures routières aggravés par la consommation de substances psychoactives, en articulation avec la loi du 9 juillet 2025 sur l’homicide routier.
  • La récurrence des accidents mortels impliquant le protoxyde d’azote nourrit les travaux parlementaires en cours et les demandes de classement du gaz parmi les stupéfiants ou d’interdiction plus large de sa vente aux particuliers.

 

 

 

 

 

 

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