Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ABSENCE DE RESPONSABILITÉ SYSTÉMATIQUE DU PERSONNEL MÉDICAL EN CAS DE CHUTE D’UN PATIENT, I. Corpart

Commentaire de Cass. 1re civ., 5 oct. 2022, n° 21-19.009

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace, Membre du CERDACC

Mots-clés : Clinique – patiente – chute – fracture – devoir du personnel médical – obligation de sécurité – obligation de surveillance – bonne organisation des soins – bonne sécurisation – absence de faute – absence de responsabilité

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 5 octobre 2022, la responsabilité du personnel de la clinique où était hospitalisée une patiente très âgée n’est pas retenue malgré la chute d’un patient. Pour les juges, dans la mesure où la surveillance mise en œuvre dans la clinique était bien adaptée à l’état de la patiente, le pourvoi est donc rejeté puisqu’aucune faute n’est à retenir contre l’équipe médicale.

Pour se repérer

En février 2016, une patiente de plus de 80 ans a été hospitalisée pour que soient menés des examens cardiologiques. Après quelques jours passés dans le service de cardiologie d’une clinique, elle a été victime d’un accident au cours de la nuit. Elle est en effet tombée dans sa chambre, alors qu’elle s’était levée seule, sans solliciter d’aide, bien qu’elle soit pourtant entravée par des fils de perfusion, sortant de son lit pour se rendre aux toilettes sans prévenir le personnel.

Elle a été victime d’une grave chute qui lui a occasionné une fracture du genou et du poignet, ce qui a nécessité ensuite une opération chirurgicale.

Le 13 mars 2017, elle a intenté une action en responsabilité contre la clinique pour être indemnisée des préjudices qu’elle avait subis. Sa demande reposait sur le manquement du personnel médical aux obligations de surveillance et de sécurité.

Elle est décédée en mars 2018 et ses ayant-droit ont repris l’instance, faisant valoir que la clinique n’aurait pas satisfait à son obligation de sécurité lors de la pause d’un appareillage médical qui entravait sa liberté de mouvement.

Les juges du fond ont rejeté leur demande car, en l’espèce, l’état de la patiente ne justifiait pas une surveillance particulière ou une mesure spécifique, de plus rien ne permettait de relever qu’elle aurait été victime de mauvais traitements.

Estimant qu’il appartient à tout établissement de santé de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des patients en fonction des soins prescrits et des contraintes qu’ils imposent, en l’occurrence, la pose de fils de perfusion, les membres de la famille se sont pourvus en cassation.

Pour aller à l’essentiel

Dans la mesure où lors de son hospitalisation, la patiente âgée de 83 ans au moment de son hospitalisation était valide et en pleine capacité de ses facultés mentales, son état ne nécessitait ni une surveillance particulière ni des mesures spécifiques. Les rapports établis lors de l’enquête ont mis en évidence une surveillance adaptée à l’état de la patiente ayant juste des problèmes cardiaques. Par conséquent aucune faute de surveillance ne peut être reprochée à l’équipe médicale, rien ne prouvant non plus que cette dame aurait été dissuadée par les personnels de la clinique de leur demander de l’aide même en pleine nuit comme l’affirmaient les requérants et surtout rien ne permettant de considérer qu’elle avait subi de mauvais traitements.

En l’espèce, le dossier fait bien état d’une surveillance appropriée et la responsabilité du personnel de la clinique ne peut pas être engagée parce que rien ne permet de prouver qu’une faute a été commise pour une patiente qui n’avait pas besoin d’une assistance particulière. Pour les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 5 oct. 2022, n° 21-19.009), la cour d’appel de Reims a valablement considéré dans son arrêt du 9 mars 2021 que la clinique n’avait pas commis de faute. Ils rejettent dès lors le pourvoi, estimant que la clinique ne peut donc pas être tenue pour responsable de la chute de cette patiente et des nombreuses fractures dont elle a souffert.

Pour aller plus loin

S’il est vrai que des aménagements spécifiques sont nécessaires pour accueillir des personnes souffrant d’un handicap physique, mental ou sensoriel, il n’en va pas de même pour tous les patients âgés car faire référence au grand âge de la dame victime d’une chute ne saurait suffire. Le personnel médical doit seulement veiller à ce que l’accès aux soins soit bien en lien avec l’état du patient.

La responsabilité civile n’est pas retenue parce que la victime « en pleine capacité de ses facultés mentales et physiques » malgré son âge et ses difficultés cardiaques, n’avait pas besoin d’une assistance particulière. Dès lors aucune faute ne peut être retenue en l’espèce pour engager la responsabilité de l’établissement médical.

Pour obtenir gain de cause, il aurait fallu que les membres de la famille démontrent que l’installation de la patiente octogénaire dans sa chambre ne présentait pas une sécurité adaptée à sa situation. En effet, le personnel médical est tenu vis-à-vis des patients à une obligation de moyen et non de résultat s’agissant de la surveillance ce qui justifie qu’il faille établir une faute. En l’occurrence en l’absence de faute, la responsabilité de la clinique ne peut donc pas être retenue car la patiente ne présentait aucune particularité et n’était pas sous l’influence de produits qui auraient pu affaiblir ses capacités physiques ou de discernement. Par ailleurs rien ne permet d’évoquer dans cette affaire une quelconque défaillance dans l’organisation des soins mis en place.

Si les membres de la famille relèvent que les soignants auraient tenu à la patiente des propos assimilés à des maltraitances, estimant qu’une telle attitude était une forme de maltraitance et malveillance car ces propos l’auraient décidée à se lever seule la nuit sans déranger l’équipe médicale dans la mesure où elle n’osait plus sonner pour demander de l’aide quand elle avait un problème puisqu’on lui avait dit qu’elle pouvait se lever et qu’il faudrait qu’elle se débrouille toute seule à la maison, ils ne rapportent pas la preuve que la défunte aurait effectivement été dissuadée de solliciter l’aide du personnel. Leurs arguments ne peuvent être retenus car c’est à eux que la charge de la preuve incombait.

Il est vrai que tout établissement de santé doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des patients en fonction des soins prescrits et des contraintes imposées dans ce cadre. Toutefois, la Cour de cassation rejette le pourvoi car la clinique a bien satisfait à son obligation de sécurité, prenant les mesures de précaution nécessaires même si un appareillage médical avait dû être mis en place car il n’entravait pas systématiquement la liberté de mouvement de la patiente. De plus rien ne permet d’établir que la patiente qui s’est gravement blessée aurait été victime de mauvais traitements.

En conséquence, dans la mesure où la clinique n’a commis aucune faute sur le fondement de l’ancien article 1147 du Code civil, devenu l’article 1231-1 avec l’ordonnance n° 2016-141 du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, l’accident dont a été victime sa patiente ne peut pas lui être reproché, l’organisation des soins et l’attitude du personnel n’étant pas à l’origine de la chute. De même, conformément à l’article L. 1142-1, I, al. 1er, du Code de la santé publique, les professionnels de santé « ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute ».

Un établissement de santé doit assurer aux patients des conditions d’hospitalisation et de soins satisfaisantes (F. Chabas, La responsabilité des cliniques pour défaut d’organisation, Gaz. Pal. 2001, 1, doctr. p. 38), mais il faut rapporter la preuve d’une faute en tentant compte du type des soins prodigués, et des caractéristiques propres du patient. Il faut en déduire que se blesser à l’hôpital ou dans une clinique ne donne pas systématiquement droit à une indemnisation (chute d’un lit et faute de surveillance du personnel car les mesures prises n’étaient pas adaptées à l’état du patient, agité et confus : CA Nîmes, 31-03-2022, n° 20/03362 ; V. aussi manquement de l’hôpital à son obligation de surveillance en lien avec la chute d’un patient dans un escalator : CA Colmar, 3 mai 2019, n° 13/05568), l’établissement de santé n’étant responsable en cas de chute des patients que si une faute peut lui être reprochée et il ne suffit que la victime ou ses proches invoquent un mauvais traitement. Il en va autrement en cas d’erreurs de soin ou de prévention, d’accidents de diagnostic, d’affection due à un médicament ou à un traitement prescrit ou encore lors d’une infection nosocomiale.