Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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APPLICATION DU PRINCIPE DE PRECAUTION EN MATIERE DE SANTE ET REFUS D’INJECTIONS D’HORMONES DE CROISSANCE, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

CERDACC

Commentaire de Cass. 1ère civ., 15 mars 2017, n° 16-24.055

Un père obtient du juge que la mère de leur enfant ne puisse pas programmer un traitement à base d’hormones de croissance, alors que les appréciations médicales sur les retombées de ces injections sont mitigées. Les risques étant mal cernés à ce jour, au nom du principe de précaution, la mère d’un jeune enfant doit renoncer à son projet.

Mots-clef : santé – principe de précaution – traitement à base d’injections d’hormones de croissance – enfant mineur – exercice conjoint de l’autorité parentale – décision non usuelle – accord des parents indispensable – recours au juge aux affaires familiales en cas de désaccord – prise en compte de l’avis du mineur – refus du traitement.

Pour se repérer

Les parents d’Abel, tous les deux titulaires de l’autorité parentale sont en désaccord quant à un traitement à administrer à leur enfant mineur. Selon la mère, Abel étant de petite taille et faisant l’objet de moqueries de la part de ses camarades de classe, doit se faire injecter régulièrement des hormones de croissance prescrites par un médecin. Pour organiser ce protocole, il convient de mettre fin à la résidence alternée en place depuis le divorce du couple et qui convient pour le reste à Abel et à ses parents. Il faudrait que la résidence habituelle soit fixée chez la mère afin de lui permettre d’assurer le suivi du traitement médical. Le père est d’un avis contraire en raison des risques non encore suffisamment évalués de ces injections et faute d’une étude approfondie des antécédents familiaux. Il s’oppose avec force au projet de son ex-épouse. Devant le refus du père de programmer les injections, la mère a saisi le juge aux affaires familiales dont le rôle est de trancher tout conflit parental relatif notamment aux décisions parentales médicales. Elle souhaite convaincre le juge de la nécessité d’autoriser des soins adaptés au déficit de croissance de son fils.

Pour aller à l’essentiel

Pour les juges, au nom du principe de précaution qui s’impose quant aux risques encore insuffisamment évalués du traitement à base d’injection d’hormones de croissance, il y a lieu de rejeter la demande de la mère qui n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant en matière de santé. Ils relèvent également que sa mise en œuvre aurait nécessité une étude des antécédents familiaux qui n’a pas encore été réalisée, alors que l’on sait que certaines prédispositions familiales doivent exclure ce genre d’injections pour les retombées qu’elles peuvent avoir, pouvant aggraver certaines maladies. Enfin le point de vue de l’enfant, principal intéressé, a également retenu toute l’attention des juges. En matière médicale, le consentement du patient étant essentiel, il est important de tenir compte des inquiétudes dont l’enfant a fait état lors de son audition, d’autant plus qu’il montre avoir surmonté sa petite taille dans sa vie scolaire et sociale, ce qui ressort de l’analyse faite par un psychologue.

Pour aller plus loin

Parmi les décisions médicales visant un mineur, certaines peuvent être prises par l’un ou l’autre des titulaires de l’autorité parentale. En effet, chacun des parents fait seul les actes usuels concernant son enfant, pour éviter la lourdeur de démarches qui obligeraient systématiquement les tiers à requérir systématiquement le consentement du père et de la mère. (C. civ., art. 373-2). Néanmoins, cette souplesse cadre mal avec des actes graves qui engagent l’avenir de l’enfant et obligent les deux parents à trouver un consensus, chacun surveillant ainsi l’attitude de l’autre, au nom de l’intérêt du mineur.

Démarrer un traitement dont on mesure mal les retombées et qui peut laisser des séquelles irréversibles, entre nécessairement dans la catégorie des actes pour lesquels un parent ne peut pas se passer de l’autre.

En conséquence, même s’il résulte des documents émanant de divers médecins dont des endocrinologues, qu’Abel présente effectivement un déficit en matière de croissance, préconiser un traitement à base d’hormones de croissance, sur la base d’injections quotidiennes pendant six ans, mérite réflexion, sachant que le gain de taille est estimé seulement à 10 cm.

Cette décision doit être d’autant plus réservée qu’il ressort du dossier, selon différents documents médicaux, que les effets secondaires sont importants, de type hypertension, nausées, douleurs et tumeurs. Un tel traitement dont les suites sont mal connues, d’autant que les hormones de croissance pourraient favoriser la multiplication des cellules cancéreuses et qu’un risque de surmortalité a été décelé sur un panel de personnes soignées, doit être banni.

Les juges du fond ont à juste titre écarté la demande de la mère, d’autant plus qu’Abel y était lui-même opposé. Ayant atteint l’âge du discernement nécessaire et rendu plus mature que les autres enfants en raison de sa maladie, il importe de recueillir aussi son assentiment pour programmer ce traitement (même pour les enfants mineurs, le consentement est essentiel : CSP, art. L. 1111-4, al. 7).

Le refus exprimé par l’enfant tenait aussi au fait que ce choix viendrait modifier grandement ses relations avec son père. Il aurait fallu que le juge fixe sa résidence chez sa mère, si bien qu’il n’aurait plus vu son père que durant les week-ends et les vacances. Cet argument a également pesé dans l’appréciation de l’intérêt de l’enfant par les juges qui les a conduit à interdire à la mère de démarrer le traitement de lutte contre le déficit de croissance.

* * *

 Cass. 1ère civ., 15 mars 2017, n° 16-24055

Sur le moyen unique, ci-après annexé :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Poitiers, 11 mai 2016), qu’Abel X…est né le 8 janvier 2004 de l’union de Mme Y… et de M. X… ; qu’après le divorce des parents, en 2009, la résidence de l’enfant a été fixée en alternance au domicile de chacun d’eux, l’autorité parentale étant exercée en commun ; que, le 17 mars 2015, Mme Y… a assigné M. X… afin d’être autorisée à faire bénéficier leur fils d’un traitement médical à base d’hormones de croissance ;

Attendu qu’elle fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande ;

Attendu qu’après avoir exactement énoncé que le conflit d’autorité parentale devait être tranché en considération du seul intérêt de l’enfant, l’arrêt relève, d’une part, qu’un principe de précaution s’impose quant aux risques, encore insuffisamment évalués, d’un tel traitement et que sa mise en œuvre nécessite une étude des antécédents familiaux, qui n’a pas été réalisée, d’autre part, qu’Abel démontre, par son attitude, qu’il paraît avoir surmonté, en partie, le fait d’avoir une taille inférieure à la moyenne puisqu’il participe à des spectacles devant un public nombreux, a des amis et fait preuve de confiance en lui, enfin, que lors de son audition, il a exprimé ses inquiétudes quant aux effets du traitement et s’est montré sensible aux appréhensions paternelles à ce sujet ; que la cour d’appel, qui en a souverainement déduit que l’intérêt supérieur de l’enfant commandait de rejeter la demande, a, par ces seuls motifs, sans excéder ses pouvoirs, légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme Y… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande.