Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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BNP PARIBAS ASSIGNÉE EN JUSTICE POUR NON-RESPECT DE SON DEVOIR DE VIGILANCE : QUE RISQUE LA BANQUE ?, J. Leclercq

Justine Leclercq,

Doctorante en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC

Le 23 février 2023, la banque BNP Paribas a été assignée en justice par trois Organisations Non Gouvernementales (O.N.G.). Oxfam, Les Amis de la Terre, et Notre affaire à Tous reprochent à la banque de financer le développement des énergies fossiles, ce qui serait en contradiction avec l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C d’ici la fin du siècle. La banque est accusée par les O.N.G. de ne pas respecter son devoir de vigilance (L. n°2017-399, 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre : JO 28 mars 2017). Bien que la BNP Paribas ait annoncé de nouveaux engagements climatiques, les O.N.G. semblent déterminées à continuer leur action. Des scientifiques, appuyés par les trois associations environnementales, n’ont pas hésité à interpeller les actionnaires de la banque lors de l’assemblée générale qui s’est tenue le 16 mai 2023 (Exposé des faits selon les O.N.G., disponible sur https://affaire-bnp.fr/laffaire/).

Mais que risque réellement BNP Paribas ? Le législateur a pris soin d’établir une procédure à suivre lorsqu’une société ne respecte pas la réglementation (I). Cependant, au regard de la jurisprudence récente, une sanction de la banque n’est pas certaine (II).

I. Un risque établi par le législateur

Le devoir de vigilance concerne les sociétés par actions qui emploient, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en France, en leur sein et dans leurs filiales directes ou indirectes. Le seuil est fixé à 10 000 salariés lorsque la société embauche des salariés dans d’autres États. Ce devoir de vigilance doit permettre aux sociétés concernées « d’identifier les risques » et « prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement ». Elles ont l’obligation de mettre en place un « plan de vigilance relatif à l’activité de la société et de l’ensemble des filiales ou sociétés qu’elle contrôle ». Ce devoir de vigilance concerne toute la chaîne de valeur de la société. Ainsi, les activités sous-traitées et les relations commerciales établies avec des fournisseurs rentrent dans le champ d’application du devoir de vigilance de la société, d’où l’utilisation du terme « entreprise donneuse d’ordre ». Ce plan de vigilance doit comporter plusieurs rubriques telles qu’une cartographie des risques, ou encore une liste des actions menées par la société pour atténuer les risques identifiés (C. com., art. L. 225-102-4 I). Avant de mettre en demeure la BNP Paribas, les trois O.N.G. ont consulté son plan de vigilance. Cette action n’est en rien compliquée, puisque la société a l’obligation de le rendre public et de l’intégrer dans son rapport de gestion (BNP Paribas, document d’enregistrement universel 2022, p. 692 et s.). Si la banque a bien publié un plan de vigilance, les mesures qui y sont intégrées n’ont pas été jugées satisfaisantes et suffisantes par les associations environnementales. Ainsi, c’est bien le contenu du plan de vigilance qui est mis en cause dans le cadre de cette affaire, ce qui est un point important sur lequel nous aurons l’occasion de revenir.

Le législateur a encadré la procédure à suivre lorsqu’une société ne respecte pas son devoir de vigilance. Dans un premier temps, il est nécessaire de mettre en demeure la société de se conformer à son devoir de vigilance. Cette étape préventive doit permettre à la société mise en cause de modifier son plan de vigilance afin de répondre aux exigences légales. A défaut d’une mise en conformité dans les trois mois suivant la mise en demeure, la société risque d’être assignée en justice par toute personne justifiant d’un intérêt à agir (C. com., art. L. 225-102-4 II). Elle risque alors de voir sa responsabilité civile engagée (C. com., art. L. 225-102-5). Dans ce cas, et sous réserve de l’appréciation souveraine des faits par les juges, la société devra réparer le(s) préjudice(s) que l’exécution de ses obligations aurait permis d’éviter. En l’espèce, le 26 octobre 2022, la banque BNP Paribas a été mise en demeure par les trois O.N.G. La Banque avait 30 jours pour répondre. Le 24 janvier 2023, à deux jours de l’échéance de la mise en demeure, elle a rendu public de nouveaux engagements sur son site internet (BNP Paribas, leader affirmé du financement de la transition énergétique, engage une nouvelle étape de forte accélération, Communiqué de presse, 24 janv. 2023). Dans le même temps, elle a répondu formellement aux associations par courrier (BNP Paribas, Réponse à la mise en demeure, 24 janv. 2023). Rapidement, les O.N.G. ont fait savoir qu’elles ne semblaient pas satisfaites de la réponse qui leur avait été apportée (V. not. : L’Affaire BNP : Menacée d’une action en justice, BNP Paribas communique mais ne répond pas aux demandes des ONG, Les Amis de la Terre, Communiqué de presse, 25 janv. 2023). C’est pourquoi, sans grande surprise, elles ont assigné la Banque en justice, le 23 février 2023. Sur la forme, la procédure semble avoir été convenablement respectée par les trois acteurs environnementaux.

Pour anticiper l’étendue du risque encouru par la banque, il faut également s’intéresser au fond. Ainsi, quelles situations de fait permettent de qualifier un manquement au devoir de vigilance ? Et par conséquent, la banque BNP Paribas est-elle dans une de ces situations ? Il ne fait aucun doute que l’absence d’établissement d’un plan de vigilance, par une société qui en aurait l’obligation, entrainerait une mise en cause de sa responsabilité. Mais comme nous l’avons déjà précisé, BNP Paribas a bien établi son plan de vigilance, c’est son contenu qui est contesté. Si le législateur a pris la peine d’établir les éléments devant apparaitre au sein d’un plan de vigilance, il n’en a jamais précisé le contour. Bien que des décrets d’applications étaient envisagés, en réalité ils n’ont jamais été adoptés. Ce manque de précision, d’ailleurs souvent pointé du doigt (A. Duthilleul et M. de Jouvenel, Évaluation de la mise en œuvre de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre), vient poser une première limite à la certitude du risque encouru par la banque BNP Paribas. Et la jurisprudence semble venir conforter cette limite…

II. Un risque incertain au regard de la jurisprudence

Le dispositif étant entré en vigueur en 2017, peu d’affaires concernant le devoir de vigilance sont à répertorier à ce jour. La première affaire est récente, et elle présente des faits assez similaires. Tout d’abord, l’action a été menée par des O.N.G., dont Les Amis de la Terre, à l’origine de la procédure contre BNP Paribas. Il existe également des similitudes dans ce qui est reproché à la société défenderesse, TOTAL Énergie SE. En cause, le méga projet pétrolier « Eacop/Tilenga » en Ouganda et en Tanzanie porté par le groupe, c’est-à-dire un projet de développement dans les énergies fossiles. C’est donc également l’impact de la société sur l’environnement, qui est au cœur de l’affaire. Après une longue procédure de plus de 3 ans, faisant suite notamment à une problématique de tribunal compétent, le 28 février 2023, le Tribunal Judiciaire (T.J.) de Paris a déclaré irrecevables les deux actions portées par les O.N.G. (T.J. Paris, 28 févr. 2023, n° RG 22/53942 – n° RG 22/53943). Cette décision était attendue par les spécialistes, pourtant il ne semble pas qu’elle ait permis d’apporter plus de clarté sur la mise en œuvre du devoir de vigilance. Si le T.J. de Paris n’a pas manqué de souligner le manque de précision de la législation française, c’est pour ensuite y apporter une justification très intéressante. En effet, si le législateur n’a pas précisé les mesures générales du plan de vigilance, c’est parce qu’il a « vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société » (C. com., art. L. 225-102-4 I préc.). Ainsi, le juge vient rappeler l’objectif poursuivi par le législateur, à savoir une collaboration et un dialogue entre la société et ses parties prenantes, lors de l’élaboration du plan de vigilance. De plus, statuant en référé, le tribunal s’est déclaré incompétent pour apprécier le caractère raisonnable des mesures prévues au sein du plan de vigilance. Cette position vient directement refléter la difficulté d’appréhension de ce dispositif, aussi bien pour les praticiens que pour les juges.  A ce jour, nous n’avons aucune réponse juridique précise concernant le fond du plan de vigilance. Tant que le législateur n’aura pas apporté de précision sur sa législation, et en l’absence d’une décision jurisprudentielle statuant sur le fond, il est difficile d’appréhender le risque encouru par BNP Paribas.

Cette incertitude pourrait être contrebalancée par l’adoption d’une nouvelle réglementation. En effet, la mise en place d’un devoir de vigilance européen est plus que jamais à l’ordre du jour. Un projet de directive a été adopté en séance plénière par le Parlement Européen le 1er juin 2023 (Amendements du Parlement européen, adoptés le 1er juin 2023, à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937). Au-delà d’une harmonisation pour tous les États membres, cette directive va obliger le législateur français à réétudier sa législation nationale, aujourd’hui largement incomplète. Nous pouvons également espérer que la directive apportera des précisions sur le contenu du dispositif.

Dans l’attente, le risque encouru par la BNP Paribas est incertain. Une seule certitude, 10 ans après le drame du Rana Plaza, et 6 ans après l’adoption d’une loi sur le devoir de vigilance, celui-ci demeure encore aujourd’hui au cœur de l’actualité juridique. Affaire(s) à suivre – restons vigilants !