LUTTE CONTRE LES RISQUES ENCOURUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences HDR, émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC

Pour mieux soutenir les habitants, il était important que l’on songe aux dérives causées par les influenceurs sur les réseaux sociaux. Pour ce faire, des débats ont été lancés grâce à la proposition de loi n° 790 visant à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, déposée à l’Assemblée nationale le 31 janvier 2023 par deux députés, Arthur Delaporte et Stéphane Vojetta.

Dans le but de bien tenir compte des difficultés rencontrées en la matière, une autre proposition de loi, à savoir la proposition n° 1194 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mai 2023. L’accent est mis sur la répression des fraudes ainsi que sur les risques liés à l’accès à l’Internet  et les parlementaires se sont rapidement accordés, la loi n° 2023-451 du 9 juin 2023 visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux ayant été publiée au JO le 10 juin 2023.

Mots-clefs : réseaux sociaux – influence commerciale – économie numérique – arnaques – escroqueries – dérives des influenceurs – manque de sécurité – victimes majeures et mineures – mise en place d’une protection des internautes.

Pour permettre à chacun d’utiliser les réseaux sociaux, malgré les risques parfois encourus, la proposition de loi déposée en janvier 2023 a fait l’objet d’une procédure accélérée engagée par le Gouvernement le 22 mars 2023. Le rapport n° 1006 de M. Arthur Delaporte, fait au nom de la commission des affaires économiques a aussi été déposé le 22 mars, de même que le texte de la commission. En complément, la proposition de loi n° 1194 du 10 mai 2023 s’est attachée à la nature de l’activité d’influence commerciale par voie électronique. La commission mixte paritaire (CMP) a été ensuite chargée de proposer un texte de compromis sur les éléments encore en discussion à ce moment-là et le 25 mai 2023 les députés et les sénateurs sont parvenus à un consensus.

Après quelques amendements et rectifications, la version définitive a été adoptée le 31 mai par l’Assemblée nationale et le 1er juin 2023 par le Sénat. En conséquence la loi n° 2023-451 a été promulguée dès le 9 juin 2023 et publiée le 10 juin. Afin de réduire les risques actuellement subis par de nombreuses personnes cette nouvelle réforme a pour ambition de définir un cadre réglementaire concernant les activités des influenceurs et des créateurs de contenus sur les réseaux sociaux afin d’éviter les dérives signalées actuellement (I) et de protéger les consommateurs en mettant en place des procédés de lutte contre des arnaques ou des escroqueries repérées sur l’Internet (II).

I – L’intérêt du dépôt de la proposition de loi luttant contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux

Le recours aux réseaux sociaux a changé le quotidien de la majorité des habitants. Il s’agit d’un excellent outil d’expression, de partage et de communication, néanmoins des excès sont à craindre. Il est effectivement aisé avec les réseaux sociaux de se cacher derrière un pseudonyme pour calomnier et injurier. Outre les insultes qui sont banalisées, ce qui a conduit au dépôt d’une proposition de loi visant à obliger les utilisateurs des réseaux sociaux à s’y inscrire sous leur identité réelle (Proposition n° 1776, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mars 2019), d’autres difficultés sont vécues par les internautes  lesquels font de multiples démarches via l’Internet .

Il a été relevé que de nombreux français ont été confrontés sur les réseaux sociaux aux dérives émanant de personnes considérées comme étant des influenceurs. Ils le vivent péniblement mais c’est encore plus effrayant lorsque ce sont des mineurs qui sont victimes de ces escroqueries.

Le fait de produire certains contenus sur l’Internet  ou de faire la promotion de biens ou de services en exprimant son opinion ou en faisant valoir sa notoriété pose un problème de bonne conduite, raison pour laquelle ces personnes peuvent être qualifiées d’influenceurs. Ces derniers tentent précisément d’orienter les avis et les envies de tous ceux qui les suivent et leur font confiance.

Les travaux menés lors de la préparation de la loi ont montré qu’il est souvent question de promotions trompeuses voire dangereuses de différents objets ou fournitures, ainsi que de services, le problème étant qu’aucune réglementation n’est prévue à ce jour en vue de pouvoir mettre fin à ces agissements frauduleux ou sanctionner les auteurs de ces arnaques.

Des risques sont notamment encourus par des pratiques commerciales trompeuses par voie électronique, notamment en cas d’absence d’indication de la véritable intention commerciale d’une communication. Beaucoup d’internautes se retrouvent en difficultés car des personnes ont tenté d’influer sur leurs habitudes de consommation. Il faut que la promotion de biens ou de services soit clairement explicite et surtout que le champ des interdictions et des obligations dans le secteur de l’influence commerciale soit renforcé.

En outre, il importe de mieux protéger la santé publique de tous, la jeunesse et plus globalement les consommateurs. Pour ces derniers, il est essentiel d’éviter que l’on porte atteinte au bon développement de l’économie. Tout l’intérêt de ces propositions de loi est bien d’identifier les difficultés actuelles des pouvoirs publics à réguler l’influence de certaines personnes dans le secteur commercial et plus précisément en matière d’économie numérique. Pour l’heure, les influenceurs bénéficient d’une forte exposition médiatique, toutefois les contours de leur activité sont flous, ce qui explique qu’ils soient bien mal appréhendés par les pouvoirs publics.

Il est dommage que les responsables des plateformes en ligne aient fait preuve de passivité à traiter les signalements des internautes, raison pour laquelle, la nouvelle réforme va changer bien des choses.

II – La mise en place des procédés de lutte contre les influenceurs sur les réseaux sociaux

L’article 1er de la proposition de loi n° 1194, devenu article 1er de la loi, explicite qui peuvent être les auteurs de cette insécurité sur les plateformes en ligne. Il vise en effet « les personnes physiques ou morales qui, à titre onéreux, communiquent au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique ». Cette définition utilisée dans différents codes dont le Code de la consommation, le Code du travail, le Code de l’environnement et de la santé publique permet que les influenceurs se voient appliquer le régime des pratiques commerciales trompeuses. Définir juridiquement l’activité d’influence commerciale permettra aussi d’améliorer le travail de contrôle des autorités publiques. En conséquence, que l’article 2 de la proposition de loi (devenu article 7 de la loi) ait défini l’activité d’agent influenceur est assurément pertinent : « l’activité d’agent influenceur consiste à représenter ou à mettre en relation, à titre onéreux, les personnes physiques ou morales exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique avec des personnes physiques ou morales, et le cas échéant leurs mandataires, dans le but de promouvoir, à titre onéreux, des biens, des services ou une cause quelconque ».

Afin de rétablir la confiance dans l’économie numérique dans le but de bien protéger les particuliers, tout en encadrant l’influence commerciale, il est prévu par les députés et sénateurs de réguler les contenus diffusés par les personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique.

Il importe aussi de bien informer et sensibiliser le public contre l’influence commerciale par voie électronique. C’est pour mieux sauvegarder l’intérêt des consommateurs que les parlementaires sont rapidement parvenus à un accord lors du vote de cette loi sur les influenceurs. Dans le cadre de la commission mixte paritaire, ils ont trouvé un accord à l’unanimité sur la proposition de loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, clarifiant les contours d’une action commerciale parfois contestable et prévoyant des sanctions tentant de décourager les acteurs de cette influence commerciale. Les sénateurs avaient décidé de renforcer les sanctions dans le cas où un influenceur fait de la publicité pour un produit sans clairement le dire. Ils avaient également souhaité que l’utilisation d’images soit plus explicite exigeant que soit mentionné « image retouchée » le cas échéant ou « image virtuelle » lorsqu’elle est générée par une intelligence artificielle, modifications qui finalement ne figurent pas dans la loi.

Pour ce faire, ils ont aussi rappelé les responsabilités et les obligations concernant ces personnes afin de tenter de mettre fin à ces formes de dérives qui débouchent sur des arnaques ou des escroqueries. L’idée est assurément de prévoir la mise en place de la responsabilité des influenceurs, sans oublier ceux d’origine étrangère. Par ailleurs, la responsabilité des plateformes peut être engagée si elles ne retirent pas les contenus illicites, sources de danger.

Face aux risques vécus par de nombreuses personnes, il est particulièrement rassurant que le législateur entende mettre en place une société numérique plus responsable. De plus, comme le dit Mme Amel Gacquerre, rapporteur de la commission des affaires économiques, « le Sénat s’est montré particulièrement ambitieux en matière de protection des internautes, des consommateurs et de la jeunesse. Les interdictions de promotion de l’abstention thérapeutique, des produits de nicotine, d’abonnements à des conseils ou des pronostics sportifs ou encore le renforcement des messages d’information aux consommateurs pour inciter les influenceurs à davantage de sincérité dans leur communication sont des avancées majeures de ce texte ». Dans l’objectif de lutter contre les risques encourus en la matière, il est prévu d’afficher systématiquement le caractère commercial des publications sur les réseaux sociaux. Il faut que les influenceurs fassent preuve de davantage de sincérité et que l’on évite que les publicités soient dissimulées. Des règles devront être respectées pour que les influenceurs se voient accorder le droit de faire de la publicité sur les réseaux sociaux, ces règles devant toutefois être cohérentes afin de ne pas nuire au bon développement de l’économie. Si certains encadrements ont été jugés trop stricts, d’autres interdictions sectorielles ont bien été votées par les parlementaires.

Encore faut-il noter selon les termes de Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques « au Sénat nous sommes fiers d’être, une nouvelle fois, à l’avant‑garde de la régulation d’une économie numérique qu’il faut promouvoir, accompagner, mais aussi encadrer ».

Les apports de cette loi visent la clarification des contours des activités commerciales sur les réseaux sociaux et de l’économie numérique. L’idée est d’inciter à davantage de sincérité, en rendant obligatoire l’affichage de la mention « Publicité », de prohiber la promotion de l’abstention thérapeutique et des sachets de nicotine, en plus de l’interdiction de promotion de la chirurgie esthétique, pour la santé publique, ainsi que toute promotion de traitements médicaux, médicamenteux ou chirurgicaux portant atteinte à la protection de la santé publique et de fixer des sanctions dissuasives.

Le secteur de l’influence commerciale est en plein développement grâce à l’utilisation massive des réseaux sociaux, toutefois il faut à présent clarifier les règles applicables aux influenceurs et surtout responsabiliser ce secteur en voie de structuration. L’essentiel sera de pouvoir sanctionner les personnes qui décideront de ne pas respecter le nouveau cadre légal mis en place.

Pour faire avancer les choses, les influenceurs récalcitrants sont visés par des sanctions dont l’objectif est de tenter de leur faire changer d’avis. Ainsi, il est prévu que la promotion de biens et services interdits, ainsi que l’absence d’indication de la véritable intention commerciale d’une publication soient punies de deux ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende (renvoi par l’article 4 de la loi à l’article L. 222-16-1, 5e alinéa et L. 222-16-2 avant dernier alinéa du Code de la consommation). Par ailleurs, « est interdite aux personnes exerçant l’activité d’influence commerciale par voie électronique toute promotion, directe ou indirecte, en faveur d’abonnements à des conseils ou à des pronostics sportifs, sous peine des sanctions prévues à l’article L. 132-2 du code de la consommation » (voir aussi le dernier alinéa de l’article L. 6323-8-1 du Code du travail et l’article L. 324-8-1 du Code de la sécurité intérieure). En outre, il a été estimé que la mise en place de la responsabilité des plateformes en ligne et des réseaux sociaux peut aussi permettre que la lutte contre les dérives des influenceurs soit efficace et que les représentants de ces services soient vigilants. De la sorte, ces derniers sont incités à mettre en place rapidement des instruments de signalement et de modération efficaces. Les avancées de la loi sont à saluer : « Les personnes exerçant l’activité définie au I du présent article prennent toutes les mesures nécessaires pour garantir la défense des intérêts des personnes qu’ils représentent, pour éviter les situations de conflit d’intérêts et pour garantir la conformité de leur activité à la présente loi » (article 7 de la loi).

Les parlementaires ont fait le nécessaire dans la lutte contre la propagation de pratiques commerciales trompeuses ou frauduleuses sur les réseaux sociaux et la mise en place de mesures de protection plus étoffées pour les consommateurs, sans oublier les mineurs. Légiférer sur l’influence commerciale a permis au Parlement français d’être précurseur en la matière et d’être à l’avant-garde de la régulation de l’économie numérique. Vivre de tels risques était inquiétant et les concitoyens espéraient que le législateur leur viendrait en aide car ce phénomène de société méritait assurément un encadrement législatif.

L’essentiel était non pas de contraindre l’activité commerciale sur les réseaux, voire d’interdire l’influence commerciale, mais d’encadrer et de clarifier les droits et les obligations des influenceurs afin de sécuriser davantage les consommateurs et les internautes. Il sera indispensable aussi que l’on réponde rapidement aux signalements des internautes pour soutenir les victimes et sanctionner les différents acteurs.

L’essentiel est fait pour assurer la sensibilisation contre la manipulation d’ordre commercial et les risques d’escroquerie en ligne, de même que la sensibilisation à l’usage des dispositifs de signalement des contenus illicites mis à disposition par les plateformes (article 16 de la loi). Cette réforme permet d’assurer le développement du secteur économique mais sans oublier de protéger les consommateurs qui, jusque-là, encouraient de nombreux risques. Il en ressort que le numérique est un espace de confiance et d’innovation pour les citoyens et les entreprises, non sa


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