Claude LIENHARD
Avocat spécialisé en droit du dommage corporel,
Professeur émérite de l’Université Haute-Alsace,
Directeur honoraire du CERDACC (UR 3992)
et
Catherine SZWARC
Avocate spécialisée en droit du dommage corporel
I – Droit du dommage corporel
1. IA et radiologie
En matière de dommages corporels, qu’il s’agisse des juristes ou des médecins, il importe de suivre autant que faire se peut les évolutions technologiques. L’intelligence artificielle est désormais présente partout. Il existe maintenant une radiologie augmentée par l’IA. Tout n’est pas encore au point, mais les avancées sont proches. A suivre donc …
2. La bataille du fauteuil roulant
Chacun sait l’importance pour les personnes handicapées de bénéficier du matériel techniquement adéquat. C’est bien dans cette catégorie qu’entrent les fauteuils roulants. La mise à disposition du matériel adapté et renouvelé est essentielle pour l’autonomie et la dignité de ces personnes.
Le financement et renouvellement en matière de réparation du dommage corporel relève de l’assureur de responsabilité et l’objectif est la réparation intégrale si un responsable est identifié. Il se peut aussi que, dans un premier temps avant les expertises médico-légales, la prise en charge se fasse par la sécurité sociale au moins à titre provisoire. C’est ici qu’il est particulièrement intéressant d’être attentif à ce qu’on a pu appeler, d’ores et déjà, la bataille sur la prise en charge des fauteuils roulants afin qu’un remboursement complet puisse être mis en place. Une proposition de loi avait été proposée, présentée avant la censure. Il sera intéressant de suivre ce qu’il en sera.
3. Préjudice d’affection et retentissement pathologique
Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 07/11/2024, 475952 A LIRE ICI
– CE, 5ème – 6ème ch. réunies, 7 novembre 2024, n°475952 – Décès – Préjudices par ricochet – Peuvent inclure retentissement pathologique en plus du préjudice d’affection
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 14 novembre 2013, Mme C… B… a brutalement perdu son fils, M. A… B…, alors âgé de vingt-cinq ans, à la suite d’un malaise et qu’elle a développé, dans les suites immédiates de ce décès, un état anxio-dépressif d’intensité sévère. Par un jugement du 13 novembre 2020, le tribunal administratif de Paris a retenu que des manquements fautifs, imputables aux conditions d’intervention du service d’aide médicale d’urgence (SAMU) de Paris ainsi que des sapeurs-pompiers, avaient été commis dans la prise en charge de M. B…. Il a, par suite, condamné l’AP-HP, la Ville de Paris et l’Etat à verser à Mme B… des sommes se montant au total à 20 000 euros en tant qu’ayant-droit de son fils et à 38 083,50 euros en ce qui concerne ses préjudices propres. Mme B… a fait appel de ce jugement en tant seulement qu’il concernait l’indemnisation de ses préjudices propres. Par un arrêt du 16 mai 2023, la cour administrative d’appel de Paris, statuant sur cet appel et les appels incidents de l’AP-HP et de l’Etat, a confirmé l’existence de fautes du SAMU et des sapeurs-pompiers et a jugé que celles-ci avaient fait perdre une chance, évaluée à 30 %, d’éviter ce décès. La cour a ainsi condamné l’AP-HP, dont relève le SAMU de Paris, à verser à Mme B… la somme de 51 266,80 euros et la Ville de Paris et l’Etat, au titre de l’intervention de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris, à lui verser la somme de 6 408,35 euros chacun au titre de ses préjudices propres. Mme B… se pourvoit en cassation contre cet arrêt, en tant qu’il a refusé d’indemniser l’intégralité de ses préjudices.
2. Il ressort des énonciations de l’arrêt attaqué que, pour statuer sur l’indemnisation due à Mme B…, la cour administrative d’appel a jugé que les préjudices résultant, pour elle, du décès de son fils devaient être indemnisés uniquement au titre de son préjudice d’affection, par le versement d’une somme forfaitaire majorée pour inclure, outre la douleur morale liée au décès de son fils, le retentissement pathologique avéré, notamment dépressif, qu’elle a subi, eu égard aux circonstances particulièrement traumatisantes du décès de son fils en sa présence et à son domicile, mais qu’en revanche, les préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux découlant de sa pathologie dépressive étaient insusceptibles de donner lieu à indemnisation, en l’absence de lien direct avec les fautes commises.
3. En excluant ainsi par principe que les préjudices résultant de l’atteinte à l’intégrité psychique consécutive au décès d’un proche puissent être en lien direct avec les faits à l’origine de ce décès, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit. Mme B… est, dès lors, fondée à demander l’annulation de l’arrêt qu’elle attaque, en tant qu’il a rejeté le surplus de ses conclusions indemnitaires. Compte tenu du lien fait par la cour entre le refus d’indemnisation de certains postes de préjudice et l’allocation d’une somme majorée au titre du préjudice d’affection, cette annulation doit emporter, par voie de conséquence, également l’annulation de l’arrêt en tant qu’il a statué sur ce dernier poste de préjudice. Enfin, eu égard au lien qu’établissent les dispositions de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale entre la détermination des droits de la victime et celle des droits de la caisse d’assurance maladie à laquelle elle est affiliée, l’arrêt attaqué doit également être annulé en tant qu’il statue sur les droits de la caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes et des sages-femmes.
4. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’AP-HP, de la Ville de Paris et de l’Etat la somme de 1 000 euros, chacun, à verser à Mme B… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu’une somme soit mise à ce titre à la charge de Mme B… qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance.
II – Droit des victimes
1. Encore un procès hors norme
Les procès hors normes se succèdent. Le procès de l’ex-chirurgien, va s’ouvrir devant la Cour criminelle départementale du Morbihan le 24 février 2025. Le procès est qualifié de XXL en raison de l’investissement plus de 3 millions d’euros de travaux et de matériel, du nombre de victimes, et d’avocats. La justice n’a jamais à être luxueuse, mais dans ces procès particuliers, il faut qu’elle soit techniquement bien organisée et qu’elle présente un certain degré de confort qui permet le long cours des audiences.
2. Rôle des avocats de partie civile
Le procès de l’effondrement des immeubles de la rue d’Aubagne est un procès important. C’est encore un procès hors normes, organisé à Marseille par le pôle spécialisé en matière d’accident collectif. Les débats ont été techniques, mais ils ont également englobé des phases d’émotion.
Il est intéressant de porter un regard sociologique sur les plaidoiries des avocats des parties civiles. Le compte rendu du Monde retrace fort bien ces audiences et le balancement entre l’émotionnel, les aspects techniques, mais aussi la participation active des conseils de parties civiles à l’élaboration de la qualification des fautes. Il y a une complémentarité évidente de regard entre la vision des parties civiles et l’accusation soutenue par le ministère public qui a la charge de la preuve. Les procès de catastrophe sont l’illustration que la justice est une œuvre collective, à laquelle collaborent aussi les avocats de la défense et, en ce qui les concerne dans leur registre, dans un rôle de déconstruction des fautes. Comme toujours, c’est le tribunal correctionnel qui placera, après les réquisitions du ministère public, le curseur au bon endroit.
III. Victimologie
1. Les spécificités des conséquences des catastrophes naturelles
Les catastrophes naturelles se développent vraisemblablement en lien avec le réchauffement climatique. La santé est la première cible du dérèglement climatique. Les témoignages des populations frappées par de tels événements sont poignants. Ici, une habitante d’une maison de Saint-Martin-Vésubie, finalement détruite suite à la tempête Alex, rappelle qu’elle perd les sacrifices d’une vie. Nous avons encore la vision des images de Valence. On oublie souvent, par ailleurs, que dans ces catastrophes, les animaux sont également frappés et en détresse. Une habitante de Nice se mobilise pour les aider. Une initiative à saluer.
2. Bhopal
Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, une usine de pesticides d’Union Carbide dans l’Etat de Madia Pradesh en Inde, a libéré un gaz hautement toxique. Cet accident industriel est l’une des plus grandes catastrophes de l’histoire. Le bilan est estimé à plus de 25 000 morts. Comme le souligne le journal l’Humanité, Bhopal, c’est un crime resté impuni. La Croix, quant à elle, rappelle que les plaies sont toujours béantes. Aujourd’hui encore, des générations de victimes sont dans l’incompréhension, la souffrance et le désespoir. Même constat fait par Libération.
3. Mobilisation
Il n’est pas sans intérêt de relever dans cette rubrique de victimologie qu’un certain nombre de scientifiques optent aujourd’hui pour la désobéissance. Ce choix se reflète dans le mouvement de rébellion dont l’objectif est d’alerter les pouvoirs publics par la désobéissance civile. La Croix rend compte de cette approche qui interpelle.
Tout comme un petit libellé intitulé avec beaucoup d’intérêt.