Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMPTE-RENDU DU COLLOQUE « VICTIMOLOGIE, FAIRE FACE AUX ATTENTATS EN EUROPE, RETOUR D’EXPÉRIENCE, TÉMOIGNAGES ET RÉCITS : COMMENT S’Y PRÉPARER », I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit,

Membre du CERDACC, de SOS France Victimes 67 et de Europe Victimologie

Compte-rendu par du Colloque du 9 mars 2023 

Ce colloque organisé grâce à deux initiatives strasbourgeoises, à savoir SOS France Victimes 67 (SOS FV67) et Europe Victimologie s’est tenu le 9 mars 2023 dans le bâtiment de l’École Régionale des Avocats du Grand-Est (ERAGE) pour rappeler les drames vécus en Europe lors des attentats, sans oublier celui qui a fait trembler les Strasbourgeois en 2018 et réfléchir aux moyens de mieux soutenir les personnes victimes des actes terroristes. SOS aux habitants devenue SOS FV67 a été créée il y a 35 ans et en considération de son précieux soutien à toutes les victimes, elle a été désignée en tant que référent aux actes de terrorisme, raison pour laquelle elle s’intéresse particulièrement à ce thème.

De nombreux intervenants venus de France et de pays européens, voire encore de plus loin, ont témoigné en vue de mettre l’accent sur les souffrances endurées pendant les attentats, ainsi que pendant une longue durée de perturbations, et pour préciser comment les autorités locales ont fait face à ces ignominies. Parmi les intervenants, on a entendu de nombreux responsables des associations qui ont programmé le colloque dont Monsieur Claude Lienhard, membre de SOS FV67 et co-président de Europe Victimologie, Madame Faouzia Sahraoui, directrice de SOS FV67 et Monsieur André Laurent président de cette association. Lors du discours d’ouverture, Madame Josiane Chevalier, Préfète du Grand-Est, Madame Nadia Zourgui, adjointe à la maire de Strasbourg, Jeanne Barseghian, en charge de la coordination dans l’urgence de tous les dispositifs publics et associatifs en matière d’assistance et de défense des victimes et Monsieur Éric Lallement, procureur général près la cour d’appel de Colmar. Ces derniers ont mis l’accent sur les victimes locales et surtout ont félicité l’association SOS FV67 pour son action, de même que celle de nombreux autres participants au colloque. Il est précieux d’avoir de l’aide locale quand on traverse de telles difficultés et de savoir que des réflexions sont menées pour prévenir les actes terroristes et éviter que les victimes soient mal soutenues.

Discours d’ouverture

Monsieur André LAURENT, président de l’association SOS France Victimes 67 a souhaité la bienvenue aux différents intervenants et personnes présentes. Il a rappelé le thème de cette journée et a passé la parole aux personnalités qui ont ouvert la journée.

Madame Josiane Chevalier, préfète du Bas-Rhin a salué l’initiative des organisateurs, sachant qu’il sera intéressant d’analyser aussi comment nos voisins s’occupent de ces drames et de renforcer le défi de prévenir les actes terroristes mais surtout de se préparer à réagir et à gérer rapidement les dossiers. Elle rappelle que notre pays et notre ville n’ont pas été épargnés. S’attachant aux difficultés rencontrées par les personnes meurtries ou blessées, elle salue l’extraordinaire travail de SOS FV67 qui a fait preuve de soutien en écoutant les victimes, en les accompagnant vers l’acceptation de leur situation et leur reconstruction, tout en mettant en lumière l’étendue et la complexité du sujet. Il est essentiel de relever la réalité de l’attentat et le fait qu’il s’agit bien d’une menace réelle. Dans ce contexte la puissance publique a un devoir fondamental qui est d’assurer la sécurité des personnes, de lutter contre toutes formes de menaces, de prendre en charge les victimes, ce qui a évolué grâce à l’analyse psychique des agressions. Différentes formes de soutien ont été mises en place, dont la création du Fonds de garantie en 1986. C’est en effet la vague d’attentats qui a frappé la France dans les années 1980 qui a conduit le législateur à installer un dispositif spécifique pour réparer les préjudices subis par les victimes et à créer le Fonds de Garantie des Victimes des Actes de Terrorisme (FGVAT) en 1986, afin de tenir compte des préjudices physiques, moraux et économiques subis par les personnes agressées, en notant les spécificités liées aux attentats. Ensuite sa mission a été étendue à l’ensemble des victimes de droit commun. Le FGVAT est alors devenu le Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI). Pour renforcer les protections à leur accorder, un statut de victime d’attentat a aussi été mis en place de même qu’une coordination des différents ministères dans le but d’œuvrer pour une action rapide et coordonnée. Tout doit être fait pour bien combattre le terrorisme car il est impossible que de tels actes restent impunis dans la mesure où il s’agit d’un fléau international. Madame la préfète termine son intervention en faisant un parallèle avec les victimes de bombes, montrant combien on est plus fort quand on collabore, si bien qu’avancer collectivement et solidairement offre une meilleure aide aux victimes d’agissements terroristes.

Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Colmar, Éric Lallement, a également manifesté son plaisir de participer à un colloque lié aux attentats car la justice a toute sa place dans ce domaine. En effet en cas de crise d’ordre public ou de crise judiciaire, la place du procureur apparaît fondamentale. C’est ce qui ressort par exemple des drames causés plusieurs fois par des terroristes à Paris, à Nice en 1996 et en 2016 ou à Strasbourg en 2018, sachant que la liste est bien longue depuis le premier attentat qui est survenu en France il y a une quarantaine d’années. Le défi étant en la matière la prise en charge des victimes, il précise aussi que, face à de nouvelles formes de terrorisme, la place des victimes a bien évolué parce que des efforts ont été faits en quarante ans pour prévenir, protéger et punir, tout en élargissant le spectre disciplinaire, sociologique, médical et juridique et en adaptant la Justice à ce thème. Au fil du temps, une plus grande place a été accordée aux victimes afin qu’elles puissent être reconnues comme parties à part entière mais aussi pour que l’infraction et la peine puissent être modifiées. Dans ce contexte, le législateur a instauré un dispositif spécifique d’indemnisation des victimes du terrorisme en vue de prendre en compte la personne qui a subi des drames sur sa chair mais aussi les proches de la victime directe même quand celle-ci a survécu. Leur soutien perdure pendant la période de crise mais aussi dans les semaines qui suivent, y compris pendant le procès pénal. Les aides à accorder vont au-delà de la simple réparation car il faut accorder un beau temps d’expression aux victimes et bien les écouter afin de tenter de rénover le lien déchiré par l’attentat. Notre société est effectivement capable de réagir face aux faits attentatoires pour accompagner les victimes. La Cour de cassation a toutefois précisé le 27 octobre 2022 que les simples témoins de ces violences ne sont pas concernés (Cass. 2e civ., 27 oct. 2022, n° 21-13.134). En effet, pour les juges le fait pour une personne de se trouver à proximité du lieu d’un attentat ne lui confère pas un droit à indemnisation du préjudice psychologique subi. Sont des victimes, au sens de l’article L. 126-1 du Code des assurances, les personnes qui ont été directement exposées à un péril objectif de mort ou d’atteinte corporelle, le fait pour une personne de s’être trouvée à proximité du lieu d’un attentat et d’en avoir été le témoin ne suffisant pas en soi, à lui conférer la qualité de victime, sauf si elle est victime par ricochet lorsqu’un membre de sa famille a été blessé.

Madame Nadia Zourgui a pris la parole ensuite en tant que représentante de la ville de Strasbourg, gravement affectée par les actes de terrorisme. Elle nous a montré que des mesures de prévention de la radicalisation ont été mises en place, puis de soutien aux victimes d’attentat pour assurer la cohésion sociale en ce domaine. Au vu de l’engagement des autorités locales, le soutien aux victimes est bien assuré et le nécessaire a été fait pour leur offrir la prise en charge la mieux adaptée aux retombées de ce triste événement. En ce domaine, le rôle de l’État est essentiel mais aussi celui des autorités locales qui doivent participer à cet accompagnement. Il faut assurément sensibiliser et mobiliser les villes concernées par ces drames. Pour l’adjointe à la Maire, tout doit être fait pour penser à la mémoire des personnes visées lors de l’attentat de Strasbourg et elle a terminé son intervention en nous disant « travaillons sans relâche pour eux ».

Intervention introductive de Monsieur Claude Lienhard, animateur de la journée, avocat, professeur émérite en droit et rédacteur en chef du JAC.

En insistant sur les enjeux des débats annoncés, Monsieur Claude Lienhard fait état du grand plaisir qu’il a de participer à une journée scientifique de réflexions partagées qui met l’accent sur les prospectives à élaborer. Tout l’intérêt de ce colloque vient assurément du fait qu’il s’inscrit dans le sillage de la journée européenne du 11 mars d’hommage aux victimes du terrorisme, laquelle a été instaurée par le décret n° 2019-1148 du 7 novembre 2019 et qu’il permet de revenir sur le terrible attentat de Strasbourg du 11 décembre 2018 survenu durant le marché de Noël.

Il explique aussi que les suites de ce drame et les difficultés rencontrées par des tas de victimes ont conduit SOS FV67 à se doter d’un conseil scientifique dénommé Europe victimologie, dont il est le co-président. L’idée était de créer des ponts, des passerelles entre l’action, la pratique et l’ordonnancement scientifique des connaissances, afin de conjuguer le savoir-faire, le savoir et la transmission des savoirs, le tout en se dotant d’un cadre de réflexions alliant rigueur, méthode mais aussi audace. Il rappelle également qu’il avait publié un article abordant le suivi et l’indemnisation des victimes (Claude Lienhard, Droit des victimes et victimologie, une nécessaire nouvelle donne, AJ pénal, 2015, p. 10). En effet, fondateur de l’INAVEM devenu France-Victimes, il est toujours très engagé sur le thème de la victimologie, champ bien identifié mais qui doit encore être consolidé sous plusieurs aspects, objectif poursuivi par les organisateurs du colloque. Il importe effectivement de diffuser plus amplement la science de la bientraitance des victimes et l’effectivité du droit des victimes dans le but d’innerver les comportements de toutes les institutions et des acteurs au service et aux contacts des victimes. Pour ce faire, les intervenants au colloque vont aborder la victimologie des attentats en faisant un retour d’expérience et en témoignant, pour certains en tant que victimes, le but étant globalement d’apprendre toujours et encore à faire face, parce que les menaces sont toujours là et que les retombées des actes terroristes sont tragiques.

Entendre les intervenants permettra de comprendre le vécu des victimes et des témoins afin de pouvoir agir, voire prévenir au mieux. Il est important d’entendre les acteurs qui sont intervenus pour soutenir les victimes et de permettre également aux personnes impliquées dans de tels drames ainsi qu’aux représentants des communautés que forment la ville, la région et les lieux marqués par l’effroi de faire connaître leurs sentiments. Après un attentat, les souffrances mais aussi les solidarités sont imprimées dans la conscience et la mémoire collective. Cela permet d’allier solidarité, fermeté, réaction urgente et durable ainsi qu’humanité. Assurément, la participation au colloque de représentants de l’État, de l’autorité municipale et de l’autorité judiciaire témoigne de la pertinence du thème choisi pour cette journée ciblée sur les attentats.

Dans le cadre du soutien international aux victimes de terrorisme, Monsieur Carlo Charomonte, Coordinateur Anti-terroriste du Conseil de l’Europe est intervenu ensuite en commençant par remercier les organisateurs de lui donner la possibilité de faire le point sur les interventions du Conseil de l’Europe en ce domaine. Il relève que la place des victimes a bien évolué au fil du temps, les membres du Conseil ayant élaboré des textes juridiques contenant des recommandations pour faire évoluer leur prise en charge à la fois juridique et sociale, dans le but de mieux aider les victimes. Ils ont surtout travaillé avec les pays touchés par le terrorisme et ont organisé des événements afin de rassembler l’ensemble des acteurs. Ce partage d’expériences lié à la prise en charge au niveau international a permis une évolution efficace et positive en ce domaine permettant d’aider les pays dans l’accompagnement des victimes locales, mais sans oublier les ressortissants étrangers. Il a notamment rappelé que lors de l’attentat de Strasbourg de nombreux étrangers s’étaient rendus sur place pour les vacances et pour profiter du marché de Noël, sachant que les victimes ont été de cinq nationalités différentes. C’était encore pire à Barcelone car 34 pays avaient connu des retombées. Ces avancées ont permis aux autorités d’échanger des informations dans l’objectif que l’accompagnement des personnes visées soit plus simple et plus fluide. Pour faciliter les échanges, le Conseil de l’Europe a ouvert un réseau de point contact, les États désignant chacun les personnes à contacter, créant aussi une agence au niveau national et un site Internet afin de stocker les informations. La coopération a bien fonctionné lors de l’attentat de Vienne en 2020 et en Norvège en 2021, sachant que les victimes étaient originaires de plusieurs pays. Cela a permis de transmettre rapidement des informations aux familles des personnes affectées par les actes de terrorisme et de soutenir les victimes directes ou indirectes. Des réunions régulières sont organisées entre les points contacts dans le but d’instaurer des liens entre eux et des fiches à consulter ont été créées pour noter les numéros d’urgence, les aides à apporter, les droits accordés aux victimes et les procédures à engager.

Lors de ce colloque consacré aux victimes d’attentats, plusieurs tables rondes ont été organisées pour entendre différents témoignages et recueillir des retours d’expérience.

Table ronde n° 1 : Les dispositifs de prise en charge des victimes d’attentats

Le débat autour de cette première table ronde a été lancé par Monsieur Jean-Michel Meyer, Président de Viaduq France Victimes 67.

Pour aborder la victimologie de manière internationale, la parole a été donnée à Dorothea Faust, représentante de European Network on Victims’ Rights, Jean-Michel Brinaert, Directeur de la Maison de la Justice Belgique et Katerina Slesingerova, Deputy for Probation and Médiation, ministère de la Justice tchèque.

La prise en charge des victimes est essentielle car une telle infraction génère beaucoup de détresse, d’isolement et de vulnérabilité, ce qui est accru du fait qu’il s’agit d’un drame collectif qui s’ajoute au drame personnel. Sont concernés par ces traumatismes non seulement les victimes directes mais aussi les témoins et les aidants. Monsieur Meyer relève que cela fait plus de 30 ans que les choses ont bougé et qu’il faut avoir une approche à la fois collective et internationale, la dimension internationale étant abordée par les nombreux intervenants venant de pays étrangers.

On peut noter ainsi grâce à l’intervention du Directeur de la Maison de la justice belge qu’en Belgique trois services différents d’accueil des victimes sont mis en place, pour aider globalement les personnes visées, notamment sur le plan psychosocial mais surtout leur apporter une aide juridique, ainsi qu’un service d’assistance policière. Cela permet de soutenir les victimes mais aussi d’encadrer la multitude d’intervenants. Un service d’accueil a été mis en place afin de mieux informer les victimes pendant la procédure et l’État a créé les maisons de justice, une par arrondissement judiciaire, chacun pouvant contacter les services à proximité de son domicile. Le but est de les traiter de façon correcte et consciencieuse mais aussi d’éviter une victimisation secondaire en lien avec la procédure et de responsabiliser les différents acteurs judiciaires, dont les assistants de justice. Ces derniers servent d’interface entre les magistrats et les victimes qu’ils accompagnent lors des audiences.

La prise en charge des victimes par la justice française a été abordée ensuite par le procureur général Éric Lallement qui a travaillé sur des dossiers « offre exceptionnelle sans engagement relatif à des accidents collectifs puis à des attentats ». Il montre que les attentats peuvent se présenter de manière différente car il peut n’y avoir qu’un auteur unique ou plusieurs agresseurs et une seule victime ou des attentats de masse, ce qui rend beaucoup plus complexe la prise en charge. Il est difficile également de préciser le statut de victime du terrorisme et de gérer les retombées des crises. Dans ce contexte, il est très satisfaisant que les autorités puissent confier à des associations la mission de venir en aide aux victimes sur le long terme, à savoir pas seulement pendant la crise mais aussi dans le temps qui suit. Cela permet un suivi psychologique et une sécurisation des sites. Il est important en outre que tout soit fait pour bien informer le public et relayer les missions de coordination en temps réel et bien sûr recueillir l’identité de toutes les victimes, sans oublier celles qui ont quitté rapidement le lieu du carnage. Il importe aussi de contacter le Fonds de garantie des victimes pour assurer les financements.

Table Ronde n° 2 : La prise en charge des victimes lors de la phase d’urgence : quel enseignement et quelles recommandations pour améliorer les dispositifs de prise en charge médico-psychologique
C’est le professeur Pierre Vidailhet, Psychiatre, Chef du Service de Psychiatrie adultes-Hôpitaux universitaires de Strasbourg qui a été désigné comme modérateur de cette table-ronde, laquelle a réuni le Docteur Dominique Mastellli, Psychiatre Responsable de la Cellule d’urgence médico-psychologique de Strasbourg, Charlotte Mauchien, Psychologue au service des urgences psychiatriques des Cliniques Universitaires de Saint-Luc à Bruxelles et Lise Eilin Stene, Docteure en médecine et chercheuse au Centre Norvégien d’ Études sur la violence et le stress traumatique.

Il ressort de ces interventions que les acteurs doivent mieux articuler leur métier en tenant compte du terrain psychologique. En effet, toute victime est une personne impliquée qui va vivre en réagissant à ce drame et dont la mémoire sera marquée par ce douloureux événement même si aucun symptôme n’est visible. Selon les cas cela conduit à une cassure, voire à un point d’arrêt de sa vie, vie nécessairement entravée. Il est donc essentiel de bien l’épauler pour éviter qu’elle ne ressorte pas gravement malade, surtout si elle a été en contact avec la mort d’autres personnes et si elle était en train de faire la fête comme lors de l’attentat de Strasbourg, ville qui organisait son traditionnel marché de Noël.

Les victimes doivent être repérées le plus vite possible, puis bien soutenues sur le long terme. En effet, un attentat a un horrible impact immédiat qui diminue avec le temps mais ne disparaît pas en raison des retombées émotives. Les victimes risquent de rencontrer des problèmes liés à leur travail mais aussi sociétaux. Sont visés non seulement les victimes directes ou indirectes mais aussi les sauveteurs, chacun pouvant avoir très peur. C’est bien dans ce cadre qu’ont été créées les cellules d’urgence médico-psychologique (CUMP), dispositif d’urgence constitué dans les suites de l’attentat du 25 juillet 1995 de la station RER Saint-Michel en vue d’assurer la prise en charge rapide des victimes. Cela met ainsi en place un système de prévention pour aller au plus près de l’événement. Lors des attentats en France, certes des personnes sont agressées mais c’est la France qui est impliquée, aussi est-il particulier d’être victime d’actes terroristes sans être visé directement. Une telle attitude augmente les risques psycho-traumatiques. Le Samu intervient pour aider les victimes, mais l’intervention de la CUMP est importante également, des équipes mobiles pouvant être envoyées dans les quartiers.

La psychologue venue de Bruxelles a également mis l’accent sur la prise en charge des victimes lors de la phase d’urgence. Face aux attentats de masse, les victimes deviennent des patients conduits dans des hôpitaux et ils passent parfois la nuit sur place. Elle rappelle qu’il importe surtout de ne pas les oublier en assurant rapidement leur protection et un accompagnement psychologique en les déculpabilisant, tout en veillant au principe de confidentialité. Il importe aussi d’humaniser la prise en charge et de prévenir les familles et les amis. Des difficultés particulières sont liées aux attentats visant des personnes de nationalité différente. Trouver rapidement des traducteurs et connaître le parcours de soin dans leurs pays est loin d’être évident, de même que la prise en compte de la santé sociale des patients.

La spécialiste norvégienne des violences et du stress traumatique a également montré que la coordination est essentielle dans le contexte international mais aussi interdisciplinaire et dans le cadre de la pandémie. Elle félicite les organisateurs d’avoir choisi d’aborder la question des attentats dans la mesure où chaque pays a ses manières de répondre, aussi est-il intéressant de pouvoir échanger lors du colloque. Elle espère que des recherches seront planifiées car ces traumatismes créent un climat d’insécurité et de peur. Il faut aussi soutenir l’entourage des victimes parce qu’ainsi leurs proches seront mieux accompagnés, l’essentiel étant de repérer celles qui ont besoin d’un soin particulier. Venant de Norvège, elle explicite également combien les soins sont délicats à mener pour les personnes vivant dans les milieux ruraux, celles habitant dans les milieux urbains étant mieux aidées, car les démarches doivent viser le médecin traitant. Des dépistages sont aussi à faire, tout en prévoyant une surveillance continue pour évaluer puis réévaluer les risques.

Dans l’objectif que l’engagement associatif soit bien mis en avant, les organisateurs ont donné la parole à Mokhtar Naghchband, président de l’association « Strasbourg Des larmes au sourire ». Il a pu témoigner car son frère est décédé lors de l’attentat de Strasbourg de 2018 et il rappelle que son association a été créée alors car il a estimé que les attentes des victimes n’ont pas été suffisamment prises en compte. Il montre aussi que si cinq personnes ont été visées directement ce jour-là, il y a en réalité des milliers de victimes dans la ville de Strasbourg et ses environs qui pourtant sont loin d’être toutes reconnues. Il faudrait donc que l’État prenne ses responsabilités, malgré un certain désaccord avec le Fonds de garantie.

Table Ronde n° 3 : La prise en charge des victimes lors de la phase post-immédiate

La fonction de modérateur a été confiée à César Redondo-Fornies, Psychologue Expert et sont intervenus Faouzia Sahraoui, organisatrice du colloque et Directrice Générale-Psychologue de SOS France Victimes 67, Référent départemental pour la prise en charge des victimes d’actes de terrorisme et Membre du Conseil Scientifique d’Europe Victimologie, Cécile Dethier, Psychologue au service d’aide sociale au Justiciable de Neufchâteau, chargée de l’assistance des victimes au procès des attentats de Bruxelles, ainsi que les docteurs Amoury Mengin et Julie Rolling, Psychiatre et Pédopsychiatre du Centre Régional Psychotrauma Grand Est/ Alsace Nord des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg. De plus deux victimes de l’attentat de Strasbourg sont venues témoigner.

L’accent a été mis sur le précieux travail des associations d’aide aux victimes, SOS FV67 ayant été désignée comme référente pour les attentats par la cour d’appel de Colmar. Elles font partie des professionnels concernés par les attentats en France ou à l’étranger. Madame Sahraoui rappelle que SOS FV67 est effectivement une association chargée de l’animation d’un espace en cas d’attentat et qu’il est indispensable que les associations soient soutenues pour bien accomplir leur mission. Il leur incombe d’accueillir les victimes directes et indirectes, à savoir les personnes traumatisées et leurs proches. Après l’attentat de Strasbourg, il a fallu déclencher un plan d’urgence et les associations ont été sollicitées dès le soir du drame. Leurs membres ont pu ainsi constater l’ampleur de la crise. Les équipes locales du 67 mais aussi du 68 ont dû être mobilisées afin d’offrir suffisamment de lieux de bientraitance aux victimes et à leurs familles. Il fallait prévoir un soutien psychologique et un accueil juridique tout en mobilisant le fonds de garantie, informer les victimes sur la possibilité d’un dépôt de plainte, prendre en charge les personnes agressées et leurs familles en portant une attention particulière à celles qui avaient vu mourir leur proche, de même que s’il avait été gravement blessé et traumatisé. Pour les soutenir, l’accent est mis sur le fait de mettre en liaison la cellule de crise et les équipes de l’Aide aux victimes (AAV).  L’essentiel est de faire remonter les informations à la cellule de crise en pointant les dysfonctionnements, en sécurisant les victimes et en veillant à les protéger contre une exposition médiatique. Des efforts sont à faire pour mettre en place une bonne articulation entre les services de l’AAV, la Cellule interministérielle d’aide aux victimes (CIAV) et tous les autres services de l’État, de la ville et de l’Eurométropole visés par le Centre d’accueil des familles (CAF). Il convient de tenir compte de l’attitude des victimes, de leur agitation, de leur comportement, de leur sentiment d’impuissance ou d’insécurité, de leurs propos délirants et de leurs réactions émotionnelles. Il est rassurant qu’une nouvelle structure ait été créée en France, à savoir l’Espace d’information et d’accompagnement des victimes (EIA). Il s’agit d’une structure adaptable aux besoins des victimes d’attentat et de leurs proches, de manière à les prendre en charge de façon individualisée et pluridisciplinaire. Cela permet d’identifier leurs besoins, de les informer y compris en ce qui concerne les soins psychiatriques et psychologiques, de mobiliser leurs droits, ainsi que de les aider à entreprendre des démarches et à réaliser des courriers.

La psychologue belge a montré, quant à elle, que de nouveaux dispositifs ont été mis en place après les attentats de Bruxelles pour mettre fin aux traumatismes subis par les victimes et les aider à se reconstruire, les accompagner, accompagnement à court terme ou à long terme payé par l’État. Cette approche est individualisée et locale et elle a pour but de prendre en charge tous ceux qui sont, ou pas encore, dans un processus de dépôt de plainte. Cette participation aux procès peut leur apporter de l’apaisement parce que les victimes ont besoin d’être reconnues, toutefois entendre l’auteur lors de la procédure judiciaire peut redéclencher des troubles. Il faudrait toutefois intensifier l’aide existante pour sécuriser les victimes et avoir plus de disponibilité pour elles en mettant en place des groupes de parole.

Le médecin du centre régional du Grand-Est est aussi revenu sur l’attentat de Strasbourg en rappelant quelques témoignages de personnes qui ont couru dans la rue pour essayer de se cacher. Cet attentat est survenu alors que les personnes profitaient de la fête de Noël et d’un moment de détente, ce qui s’est terminé par du stress terrible à la fois pour les personnes blessées, pour les témoins, les proches et tous les habitants de la ville.

Les autres médecins insistent sur le fait que regarder la télévision peut faire réémerger des difficultés psychologiques quand les victimes sont confrontées à de nouvelles formes de violence, de même que les bruits de pétards. À l’inverse, le soutien social peut avoir de belles retombées quand un individu se rend compte qu’il est parvenu à aider des personnes en les protégeant. Il faut aussi bien veiller à l’accompagnement des enfants, raison pour laquelle les psychiatres et pédopsychiatres doivent travailler ensemble. Ils peuvent effectivement être traumatisés de voir leur père ou leur mère traumatisés.

Quelques témoignages de victimes d’attentat nous ont fait froid dans le dos car c’est affreusement pénible d’être confronté à de tels drames, mais il est surtout effroyable de noter que des victimes ne réalisent pas toujours ce qui leur arrive car elles sont trop choquées et que d’autres ne sont pas prêtes à faire face. Les témoins insistent aussi sur le fait que cela a des impacts financiers lourds à porter, d’autant que beaucoup n’arrivent pas à reprendre leur travail et que le fonds de garantie ne les soutient pas systématiquement. De plus, il faudrait rallonger le temps d’accompagnement et prévoir un séjour thérapeutique ou une cure et surtout bien reconnaître que ces personnes sont des victimes.

Table Ronde n° 4 : Le suivi des victimes jusqu’au procès éventuel : Aide aux victimes et indemnisation

Jérôme Moreau, Vice-Président de Victim Support Europe (VSE) et Vice-Président de France Victimes a réuni pour des échanges Oldenhove de Guertechin, Président de la Commission d’aide financière Division Terrorisme SPF Justice Belgique, Nathalie Faussat, Directrice Générale du Fonds de Garantie des Victimes des actes de Terrorisme et d’autres Infractions- France et Andria A. Kerney, Directrice de l’office de justice pour les victimes de terrorismes à l’étranger (USA).

C’est l’aide aux victimes sur le territoire européen mais aussi américain qui a été évoquée, les intervenants décrivant leur travail. Il ne faut pas oublier les victimes, bien rester mobilisé à leur côté en s’organisant sur le plan international et leur rendre leur liberté et leur dignité. Pour l’heure, des victimes se plaignent du dispositif français même si la France indemnise toutes les victimes du territoire français, ainsi que les personnes victimes à l’étranger. Il serait donc pertinent que le droit évolue, notamment pour les aider à percevoir leurs dommages et intérêts et mettre en place une réparation intégrale pour les victimes du terrorisme. Il est vrai qu’après les attentats que nous avons connus, la France s’est structurée et a progressé. Il faudrait débloquer des provisions pour les personnes exposées à un péril de mort et faire en sorte de réparer leurs atteintes en mettant l’accent sur ce que les victimes ont vécu et en les aidant à restaurer le lien social. Face à la multiplicité des intervenants, il serait précieux en outre de mettre l’accent sur les besoins de pédagogie.

Le droit belge a de son côté mis en place un acte intentionnel de violence mais la réparation du préjudice ne peut pas être assurée par un auteur inconnu ou insolvable. Les victimes peuvent alors avoir droit à une aide financière qui n’est pas un droit civil mais un droit de nature politique et qui se distingue de l’indemnisation du préjudice. Elle est subsidiaire et s’apprécie de manière équitable, un plafond légal étant toutefois mis en place. Pour couvrir les victimes, des assurances contre les dommages causés par les terroristes sont accessibles, sachant qu’il n’est pas possible d’exclure le risque attentat des contrats d’assurance. En ce cas, ce n’est pas l’État qui finance mais les compagnies d’assurance, un mécanisme technique de solidarité ayant été créé entre toutes ces sociétés et l’État. En outre, tous les frais médicaux concernant ces victimes doivent être pris en compte.

Table Ronde n° 5. Comment se préparer en amont de la gestion des crises

Pour terminer le débat à l’occasion de ce colloque, André LAURENT, modérateur de cette table ronde a recentré le débat sur le besoin de se préparer à l’éventualité d’un tel événement collectif, démarches faites à Strasbourg en fonction des attentats antérieurs. Cette élaboration est soutenue en France par l’État qui, pour chaque département, désigne un référent d’actes de terrorisme chargé de la préparation de l’aide aux victimes, face à un attentat terroriste, élargi aux accidents collectifs.

La parole a été donnée à Nadia Zourgui, adjointe à la maire de Strasbourg en charge de l’aide aux victimes, Jean Batiste Peyrat, directeur de cabinet de la préfecture du Bas-Rhin et à Françoise Passuello, directrice de France Victimes 31.

Après avoir participé à ce colloque et ouvert de nouvelles pistes, la question qui préoccupe le plus est de savoir comment les découvertes faites vont nous aider et comment les communes, dont la ville de Strasbourg, se préparent à réagir face à la survenance de nouveaux attentats. Il faut certes se préparer en amont et soutenir ensuite toutes les victimes, néanmoins il est essentiel de pouvoir vivre malgré ce risque d’attentat en formant et en accompagnant la population. Il est également important de maintenir le contact avec les associations qui ont parfaitement rempli leur mission et dont le rôle est fondamental. Le travail qui est à faire exige que toutes les victimes soient connues, que les dates des attentats restent bien dans la mémoire et que soient prises des mesures d’information, d’éducation et de transmission. Il est important de savoir quelles sont les missions confiées aux autorités ou aux associations, de préciser qui fait quoi, quelles sont les compétences de chacun et qui est à contacter le cas échéant.

Grâce aux retours d’expérience, il sera mieux possible d’anticiper. Dans ce contexte, il est précieux de faire connaître les nouvelles associations et de créer des contacts entre toutes les associations. Par ailleurs, pour prévenir les retombées de tels drames, il est recommandé d’éduquer les personnes dès leur plus jeune âge, à savoir en mettant en place des interventions sur ce thème dans les écoles, notamment pour lutter contre l’intolérance et éviter le basculement de certaines personnes face aux actes terroristes. En plus des interventions dans les communes, il est indispensable que la lutte contre les attentats fasse partie des préoccupations principales des services de l’État et que les préfets se centralisent sur ce travail en vue d’améliorer les outils de coordination. On relève effectivement qu’il y a des signaux qui auraient dû alerter les services mais que cela n’a pas bien fonctionné, point qu’il est urgent d’améliorer, en prévoyant des exercices spécifiques et en mettant en place des cellules dans toutes les régions impactées. Il convient en outre de préparer les crises en amont, d’insister sur la coordination entre les intervenants, mettre en place un réseau fluide et de s’assurer de la disponibilité des forces de l’ordre public pour évacuer les victimes, tout en veillant à ce que les personnes à contacter dans tous les organismes soient clairement connues.

Ce colloque a ouvert de nouvelles pistes pour soutenir les personnes, ce qui est essentiel car le terrorisme instille un sentiment de peur et de confusion au sein des populations, en particulier face aux attentats de masses qui instaurent un climat d’insécurité collective. Un état de choc peut être constaté au sein des populations. Des formes de traumatismes risquent d’apparaître, voire de s’installer et de devenir compliquées chez certaines personnes, en particulier celles qui ont été exposées directement à l’évènement traumatique. Les regards croisés des intervenants ont notamment permis de comprendre la situation des victimes et de leurs familles mais aussi de relever la qualité des dispositifs publics mis en place par les États, lesquels ont été renforcés au fil du temps pour être bien exécutés par les professionnels en charge de l’accompagnement des victimes.

Pour clôturer ce beau colloque et cette journée riche et dense, Claude Lienhard est revenu rapidement sur une question essentielle, à savoir « qu’avons-nous partagé ? ». Il estime que les participants au colloque ont bénéficié d’une profusion d’expériences et d’expertises à fois locales en lien avec la ville de Strasbourg, mais aussi européennes et américaines. Pour bien faire avancer le soutien aux victimes, il recommande à tous de sauvegarder ces expériences, de les bonifier et de les transmettre sans que nul ne se repose sur ses lauriers. En effet nos vigilances et réflexes doivent être entraînés et exercés en gardant présent à l’esprit que chaque fois que, face aux victimes, nous avons le choix entre plus de bientraitance, de protection, de prévention mais aussi de solutions plus mitigées qui pourraient être ressenties comme moins bientraitantes, moins protectrices et moins préventives, il est essentiel d’opter pour une bientraitance intégrale et effective dans le but de bien soutenir les victimes d’attentats.

Les enregistrements (en français et en anglais) seront disponibles au courant du mois d’avril 2023 sur les sites internet d’Europe Victimologie : www.europe-victimologie.org et de SOS France Victimes 67 : www.sosfrancevictimes67.org