Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMPTE-RENDU DU COLLOQUE : « LES INCERTITUDES DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE : QUELS RISQUES ? QUELLES OPPORTUNITÉS ? », S. Benmahammed

Sara Benmahammed

Ater IUT Mulhouse

LE PROGRAMME ICI

Le 2 février 2023 s’est tenu à Mulhouse, sur le campus de la Fonderie, le sixième colloque annuel des Jeunes Universitaires Spécialisés en Propriété Intellectuelle (JUSPI). Avec pour thème : « Les incertitudes de la propriété intellectuelle. Quels risques ? Quelles opportunités ? ».

Ce colloque avait pour objet de permettre aux chercheurs et aux professionnels de partager leurs expériences et les résultats de leurs recherches sur les risques et les opportunités liées à la propriété intellectuelle. Cette manifestation a également permis d’échanger des bonnes pratiques dans une approche aussi bien disciplinaire que transversale.

Après le mot de bienvenue de l’organisateur du colloque, Monsieur Dariusz PIATEK, et la présentation de principaux axes de la manifestation. La parole est donnée à la professeure Karine FAVRO qui souligne l’importance de ce colloque et des enjeux pratiques de la thématique choisie.

Table ronde du matin : « Approches disciplinaires »

Cette séance est présidée par la professeure Karine FAVRO, Université de Haute Alsace.

Les intervenants présentent leurs travaux :

Alexis BOISSON (Maître de conférences, Université de Montpellier) évoque les incertitudes liées aux contrats du droit d’auteur. Dans son introduction, il définit l’incertitude et son lien, très étroit, avec la notion de « risque ».

Ensuite, il cite les différents points pouvant constituer des incertitudes dans le régime des contrats du droit d’auteur, le risque lié à la qualification de contrat d’édition, le contrôle de qualité, la titularité des droits d’auteur et la façon dont ces risques sont appréhendés par le droit d’auteur.

Enfin, l’articulation des textes entre eux et leur obscurité peuvent également amener à une réelle incertitude. Entre droit commun et droit spécial, l’auteur peut-il choisir ?

Pawel KAMOCKI (Expert juridique au Leibniz-Institut für Deutsche Sprache, Mannheim) présente le thème de « Quand la taille importe : les courts extraits de textes et le droit d’auteur ». Il s’intéresse aux courts extraits et au droit de reproduction partielle, aussi bien au regard de la directive 2001/29/EC que des lois nationales.

Il évoque aussi les limites à ce droit. Les mots individuels ne sont pas protégeables par le droit d’auteur. Qu’en est-il des combinaisons de mots ? A partir de quel seuil quantitatif il est possible de les qualifier d’œuvres de l’esprit ? Rien n’est sûr et l’intervenant souligne à cet égard l’importance de la condition d’originalité. Celle-ci est examinée sous le regard du droit interne et du droit comparé (allemand et anglo-saxon).

La « reconstructibilité » et la « reconnaissabilité » s’ajoutent comme conditions aux limites au droit de reproduction.     

Tanja PETELIN (Maître de conférences, Université de Poitiers) évoque les incertitudes de la propriété intellectuelle sous l’angle de la création plurale, plus spécifiquement, le cas de l’action en justice relative à une œuvre de collaboration.

Le choix porté sur le droit d’auteur est lié à la notion de « propriété » qui découle directement de l’acte de création. Les régimes de l’œuvre de collaboration ont alors des conséquences sur le champ d’application des droits exclusifs, sur les sanctions des actes irréguliers et sur les conditions d’exercice de l’action en justice.

Ici, deux incertitudes peuvent être évoquées, une première incertitude persistante liée à la distinction entre œuvre de collaboration et œuvre collective. Une seconde relative aux conditions d’exercice de l’action en justice en matière d’œuvre de collaboration.

La jurisprudence a posé un principe « intermédiaire », celui de la recevabilité de l’action sous condition de mise en cause des coauteurs. Un principe d’apparence simple, mais dont l’application est plus complexe.

Emilie TERRIER (Maître de conférences, Université de Grenoble-Alpes) présente la photographie et le droit d’auteur sous deux aspects : l’incertaine activité créative et les obstacles liés à l’appréciation de l’originalité.

Elle met l’accent sur la consécration du critère des choix libres et créatifs du photographe et de l’influence de la technique de tirage sur le droit d’auteur. Pour les obstacles, deux éléments sont retenus, le contexte de prise de vue et les difficultés liées à la preuve de l’originalité. Il serait peut-être judicieux de se pencher sur l’opportunité de consacrer une présomption d’originalité en ma matière ?

Dariusz PIATEK (Maître de conférences, Université de Haute Alsace) s’interroge sur le Copyfraud et de son danger pour le domaine public. Il s’agit d’un terme apparu en 2006. Il se nourrit d’une lacune du droit d’auteur qui, tout en élargissant son champ d’application, ne consacre pas l’inviolabilité du domaine public. Ainsi, quelques facettes du Copyfraud sont données en exemple, telle que la revendication pure et simple de la titularité sur une création du domaine public.

Le sujet choisi par l’intervenant a suscité une vive discussion. Yann BASIRE et d’autres intervenants ont longuement débattu sur la question.

L’intervention de Yann BASIRE (Maître de conférences, Université de Strasbourg, Directeur général du CEIPI) vient clôturer la première matinée du colloque. Les incertitudes en droit des marques sont le sujet présenté.

La marque est un signe distinctif se décomposant en deux éléments : signifiant et signifié. Le droit des marques est un droit d’occupation où la notion de créativité est absente.

Les incertitudes relevées sont théoriques et jurisprudentielles à l’instar de la portée de la protection depuis 2000. Sont également soulignées les difficultés d’interprétation liées à la coexistence des systèmes de l’Union européenne et des systèmes nationaux.

Table ronde de l’après-midi : « Approches transversales »

Cette seconde table est présidée par monsieur Dariusz PIATEK, organisateur du colloque. Elle porte sur les incertitudes transversales de la propriété intellectuelle.

Anaïs DEPINOY (Enseignant-chercheur, Université de Strasbourg)identifie les incertitudes de la propriété intellectuelle dans l’univers virtuel. Face à cette réalité numérique nouvelle, l’application des principes conducteurs de la matière engendre de nombreux risques. En exemple, les incertitudes entourant la protection légale d’une situation donnée et provoquées par l’absence de sanction d’un comportement préjudiciable.

Parallèlement, ces incertitudes peuvent produire des opportunités. En effet, l’absence de critères crée, in fine, une situation avantageuse par le développement de la législation en matière de « meta-propriété intellectuelle ».

Caroline Le GOFFIC (Professeure, Université de Lille) s’interroge sur la clause de réparation. Cette question est examinée sous deux aspects, l’un formel et l’autre substantiel.

Les incertitudes formelles entourant la clause de réparation tiennent à sa genèse, mais également à sa place au sein du système normatif. Un premier point est évoqué, celui de la dernière réforme de l’article L-122-5, 12° du CPI. Une rédaction qui suscite bien des interrogations, notamment par la présence de deux « douzièmement » au sein d’une même unité rédactionnelle.

Sur le fond, pour le droit d’auteur, l’article L-122-5, 12° adopte une approche sectorielle (renvoi au code de la route). Les conditions de l’exception sont ainsi la divulgation et la destination, mais cette exception ne s’applique pas aux importations. De ce fait, la disposition s’avère non conforme à la directive 2001/29 et doit tenir compte de la révision à venir du « paquet DM ».

Pour les dessins et modèles, les renvois de l’article L513-1 à l’article L516-6,4 du CPI, laissent un doute sur l’interprétation à donner aux pièces hors vitrage fabriquées par des équipements indépendants.

Alexandre PORTRON (Maître de conférences, Université de Poitiers)est intervenu sur le thème de « L’existence des droits de propriété intellectuelle : une épée de Damoclès juridique ? ». Les incertitudes sont les aléas de la décision de justice. Elles portent ainsi sur l’existence du droit exclusif, sur sa titularité et même sur son contenu.

L’existence du droit est tributaire de l’existence de son objet qui est toujours incorporel. Une affirmation qui oppose deux thèses, celle qui n’admet que la réalité matérielle et les partisans de la forme.

Iony RANDRIANIRINA (Maître de conférences, Université de Grenoble-Alpes) s’est interrogée sur les sanctions prévues par le droit de la propriété intellectuelle et relatives à l’appropriation culturelle.

Les appropriations culturelles illicites sont multiples. Face à cela, les sanctions légales (conventions internationales- droit de la propriété intellectuelle) sont inefficaces. En exemple, le l’accord sur les ADPIC.

Pour le droit de la propriété intellectuelle, le droit d’auteur demeure inefficace pour la protection des expressions culturelles traditionnelles. Aussi, le droit des brevets d’invention est très peu efficient en matière de protection des savoirs traditionnels.

La solution proposée est la consécration d’une antériorité couvrant les expressions culturelles et les savoirs traditionnels.

La contribution de Karine FAVRO (Professeure, Université de Haute-Alsace)s’inscrit dans la continuité des travaux menés pour le compte du CSPLA sur les assistants vocaux et autres agents conversationnels. L’assistant vocal est un intermédiaire qui intègre un système spécifique pouvant présenter des enjeux d’auto-préférence. C’est aussi une interface vocale avec réponse unique.

L’assistant vocal présente des enjeux d’accès au marché (lutte contre l’auto-préférence), des enjeux de diversité des contenus et des enjeux de la PLA.

La recherche d’information dans des bases de données pose la problématique d’application de l’exception de text and data mining.

La protection de la voix soulève aussi quelques interrogations parmi lesquelles la notion d’artiste de complément, de droit de la personnalité, ou l’idée de co-création.

En revanche, si la voix est une œuvre sonore, l’application du droit de la reproduction et du droit de communication au public, semble plus adaptée.

Falilou DIOP (Maître de conférences, Université Lyon 3) traite le sujet de l’incertaine territorialité des droits de propriété intellectuelle. La territorialité est une notion de droit international privé devenue un des principes fondamentaux du droit de la propriété intellectuelle. Cependant, elle demeure « intrinsèquement floue » en dépit de sa large application aux différentes disciplines du droit (droit pénal-droit fiscal).

Le principe de territorialité dans la propriété intellectuelle soulève quelques incertitudes, aussi bien par l’absence de définition légale ou jurisprudentielle qu’au regard de la rareté des études qui lui sont consacrées

Ces incertitudes présentent assurément un danger pour les droits de la propriété intellectuelle.

Conclusions :

Yann BASIRE présente les propos conclusifs de cette journée. Il rappelle les risques liés au droit de la propriété intellectuelle et identifie les différentes incertitudes soutenues par les intervenants, des incertitudes relatives aux nouveautés législatives et pratiques, à la jurisprudence et au développement technologique.

Il souligne également l’adaptabilité de la matière, une caractéristique qui lui permet, au final, de trouver des solutions face à ces incertitudes multiples.

Enfin, il remercie les intervenants pour les thématiques choisies et souligne l’importance du débat pour l’avancée de la science juridique.