Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE « LE DROIT PUBLIC INTERNE FACE AUX SPÉCIFICITÉS DU NUCLÉAIRE CIVIL » M. Rambour

Le droit public interne face aux spécificités du nucléaire civil sous la direction de Nicolas Pauthe, Éditions du CMH, 2022, 219 p.

Muriel Rambour,

Maître de conférences en droit public à l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC (UR 3992)

 

Mots-clés : nucléaire civil – droit constitutionnel – droit administratif

 

L’ouvrage, placé sous la direction de Nicolas Pauthe et paru fin novembre 2022 aux Éditions du Centre Michel de l’Hospital, est le fruit d’une réflexion collective sur le thème annoncé comme le plus clivant du débat public actuel, à savoir le nucléaire civil. À partir des contributions de spécialistes du droit public, l’étude se propose de mieux appréhender le droit applicable au nucléaire d’usage civil en France au travers de deux focales inédites : le droit constitutionnel (I) et le droit administratif (II).

 I – Les spécificités du nucléaire civil confrontées au droit constitutionnel

 La manière dont le droit constitutionnel prend en considération les particularités de l’exploitation électronucléaire civile a été au cœur des travaux d’une première journée qui s’est tenue en février 2021 à l’Université de Bordeaux sous l’égide du Centre d’Études et de Recherches Comparatives sur les Constitutions, les Libertés et l’État (CERCCLE). L’objectif était d’analyser les relations étroites entre pouvoir politique et nucléaire civil à l’aune de la Constitution de la Cinquième République (A) et d’apprécier l’état du contrôle exercé par divers organes (Parlement, Conseil constitutionnel, Cour des comptes) sur les décisions prises en ce domaine (B).

 A – Nucléaire civil et exercice du pouvoir politique

Dans une première contribution, Hubert Delzangles, professeur de droit public à Sciences-Po Bordeaux, s’interroge sur le point de savoir si l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), instaurée en 2006, est ou non placée sous l’autorité du Gouvernement au sens de l’article 20 de la Constitution. L’État peut en effet apparaître en situation de conflit d’intérêts puisqu’il est simultanément interventionniste sur le marché nucléaire et organe de surveillance de la sûreté dans ce même secteur. L’analyse de l’émancipation organique de l’ASN vis-à-vis du Gouvernement par le biais de son statut – aligné sur celui des autorités administratives et des autorités publiques indépendantes – et de son émancipation fonctionnelle – caractérisée par l’accroissement des pouvoirs réglementaire, de décision individuelle et de sanction – est l’occasion d’un état des lieux du fonctionnement de cette autorité quinze ans après sa création.

Sensible par essence, le nucléaire civil a été façonné par les titulaires successifs du pouvoir exécutif suprême sous la Cinquième République. C’est ce que démontre Yaodia Sénou-Dumartin, doctorante contractuelle en droit public à l’Université de Bordeaux, dans son étude du nucléaire civil en tant qu’attribution (quasi) présidentielle. L’exploitation nucléaire à des fins civiles a ainsi donné au Président de la République un moyen supplémentaire d’exercer son ascendant sur le Premier ministre, soulignant de ce fait la présidentialisation du régime. Alors même qu’une lecture exhaustive de la Constitution confère au chef du Gouvernement la compétence d’action en matière nucléaire, il s’avère que celle-ci échoit en pratique au Président qui l’exerce de deux manières : directement par la prise de décisions stratégiques et indirectement par la désignation de « décideurs » à travers lesquels il restera influent.

Dans un contexte de défiance à l’égard du pouvoir représentatif et d’une appétence pour une intervention citoyenne plus effective, il est possible de se demander, comme le fait Nicolas Pauthe, docteur en droit public et enseignant-chercheur contractuel à la Faculté de droit de Bayonne, également coordinateur de l’ouvrage, si un référendum sur le nucléaire civil est ou non envisageable. Alors que la technicité du propos est fréquemment posée comme un horizon indépassable, l’étude comparative de dispositifs étrangers révèle que les citoyens sont tout à fait en mesure de se prononcer par la voie référendaire sur des questions aussi sensibles et complexes que celles relatives au nucléaire civil. Qu’il s’agisse de s’emparer de la problématique de la construction de nouvelles centrales ou de l’enfouissement des déchets de haute activité, le cadre constitutionnel français se prêterait à une telle consultation à condition d’apporter un soin particulier à l’énoncé de la question posée.

B – Nucléaire civil et mécanismes de contrôle

Plusieurs types de contrôle s’exercent sur les décisions prises en matière d’exploitation nucléaire civile. Il y a tout d’abord celui mis en œuvre par le Parlement, ainsi que le met en évidence Jean-Philippe Ferreira, professeur à l’Université de Bordeaux. Par l’intermédiaire de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, les parlementaires ont la capacité de se saisir des questions concernant la politique énergétique de la France et en particulier la contribution du nucléaire civil. Mais si le contrôle parlementaire peut s’avérer prometteur à l’aune des instruments formellement ouverts, sa pratique reste empreinte de multiples réserves compte tenu de la prégnance de l’exécutif, des enjeux stratégiques et du secret à l’œuvre dans ce domaine si spécifique.

De la même manière, le juge constitutionnel ne semble pas avoir accompagné l’évolution du nucléaire civil, comme le démontre Hector Gonzalez, doctorant en droit public à l’Université de Bordeaux. Contrairement à certaines lois fondamentales étrangères qui comportent des références explicites à ce type d’énergie, la Constitution française n’en fait pas état. L’étude revient sur les raisons multiples du peu de décisions rendues par le Conseil constitutionnel dans ce domaine, ce qui contraste avec l’importance de la question nucléaire dans le débat politique, social et environnemental. La Charte de l’environnement pourrait offrir au juge constitutionnel l’opportunité de développer la protection des droits et libertés en lien avec le domaine de l’énergie nucléaire par le biais du mécanisme de la question prioritaire de constitutionnalité.

Si la thématique du financement de l’activité nucléaire civile a longtemps été peu détaillée car le format du rapport public annuel n’y était pas adapté, la Cour des comptes a amorcé un tournant grâce à la production de rapports thématiques. Dès la fin des années 2000, la Cour s’est emparée des grands enjeux du secteur, en particulier de la filière EPR étudiée par Louis Ha-Thi, doctorant en droit public à l’Université de Bordeaux. La Cour des comptes s’efforce ainsi de développer un contrôle efficient au service du débat démocratique.

II – Le droit administratif face aux spécificités du nucléaire civil

La seconde journée d’étude, accueillie par l’École de droit de l’Université Clermont Auvergne (UCA) en mars 2021 et le Centre Michel de l’Hospital (CMH), s’est attachée à mettre en lumière les diverses manières par lesquelles le droit administratif se confronte aux spécificités du nucléaire civil (A) aussi bien qu’à ses principaux enjeux d’avenir (B).

 A – L’adaptation du droit administratif aux spécificités du nucléaire civil

Les principaux points de confrontation entre la sphère du droit administratif et le nucléaire sont la démocratie locale, la protection de l’environnement, les principes fondateurs du service public ou encore les problématiques de responsabilité posées par le recours à la sous-traitance.

La contribution de Christophe Testard, professeur à l’UCA, rappelle l’étroite imbrication de la démocratie et du nucléaire. Or, les deux notions apparaissent souvent antagonistes tant l’implication du public se heurte à la technicité du sujet ainsi qu’à une part de suspicion nourrie par le secret nimbant un domaine longtemps dominé par ses usages militaires. L’auteur s’interroge sur la participation citoyenne dans la réflexion sur l’énergie nucléaire, laquelle a besoin de rencontrer la confiance du public pour se développer, et plus spécialement sur la place de la démocratie locale dans cette démarche.

Fréquemment présentée comme en grande partie décarbonée, l’énergie nucléaire n’est cependant pas exempte d’impacts sur l’espace environnant. Après avoir rappelé le fait que les enjeux environnementaux du nucléaire civil sont pris en charge par une police administrative spéciale, Marianne Moliner-Dubost, maître de conférences à l’Université Jean-Moulin, met en évidence qu’en dépit de la densité du corpus juridique, les contraintes techniques et financières que rencontre actuellement l’exploitation nucléaire civile rendent son application, sinon délicate, du moins plus flexible qu’il n’y paraît.

Dans sa réflexion sur les lois du service public face au nucléaire civil, Hélène Pauliat, professeur de droit public à l’Université de Limoges, rappelle d’abord que la production nucléaire relève d’une activité de service public à caractère régalien. L’énergie d’origine nucléaire acquérant un statut de bien essentiel, le principe de continuité, classiquement associé à la notion de service public, voit en la matière son application étendue dans la mesure où il est lié à une exigence de sécurité de l’approvisionnement en électricité et de sécurisation des investissements dans les infrastructures qui le garantissent. Les notions de participation des usagers ainsi que l’exigence de transparence, communes aux périmètres des services publics et de l’exploitation nucléaire, sont également des points d’attention spécifiques sur lesquels se porte l’analyse.

Marc Léger, professeur émérite de l’Institut national des sciences et techniques nucléaires, expose les enjeux juridiques du recours à des prestataires et à la sous-traitance dans les installations nucléaires. Si le principe de sûreté nucléaire relève de la responsabilité totale et exclusive de l’exploitant, la difficulté apparaît dans la mesure où, en pratique, une entreprise fait nécessairement appel à des prestataires extérieurs, lesquels ne se voient pas attribuer le statut administratif de l’exploitant de l’installation, ni sa responsabilité subséquente, alors que leur intervention interfère indéniablement avec l’activité principale conduite. Le recours à des prestataires et à la sous-traitance dans les installations nucléaires est certes encadré par un dispositif juridique particulièrement complexe que n’expérimente aucun autre domaine d’activité comportant un niveau élevé de risque industriel ou sanitaire. Cette contribution met bien en évidence les difficultés d’application de ce corpus et son articulation avec d’autres dispositifs et logiques de prévention, en matière de santé et de sécurité au travail notamment.

B – Les enjeux futurs du droit administratif face au nucléaire civil

Sébastien Hourson, professeur à l’UCA, souligne les difficultés juridiques du démantèlement des centrales nucléaires. Plusieurs éléments structurent le processus de démantèlement des installations avec pour ambition d’assurer la transparence par les modalités d’information sur les procédures, permettre la prévention des risques par l’exercice d’un contrôle administratif indépendant, organiser l’économie future du site ayant hébergé l’installation. La contribution met en lumière à quel point il s’avère in fine délicat d’encadrer le démantèlement des sites nucléaires, car une part d’incertitude demeure dans sa réalisation en dépit des connaissances techniques acquises.

Si le cadre juridique dévoile son utilité tout autant que ses imperfections au cours du processus de démantèlement des sites, le financement public du nucléaire civil n’est pas, pour sa part, sans poser quelques questions. Pierre Levallois, maître de conférences en droit public à l’Université de Lorraine, étudie le financement public du nucléaire civil. Cette analyse insiste sur la nécessité d’identifier les coûts sur l’ensemble de la chaîne de production dans un contexte structurel que l’auteur juge décourageant. Le financement du nucléaire civil se caractérise en effet par une part importante de risques économiques, sociaux, environnementaux et culturels. Devant un impossible financement par le marché, réticent à partager le fardeau du risque inhérent à ce type d’activité, il apparaît que c’est encore sur le contribuable que reposera, à l’avenir, le soutien matériel à l’énergie d’origine nucléaire et aux reconfigurations de ce secteur industriel.

Étudiant le droit de la sécurité, Muriel Rambour, maître de conférences en droit public à l’Université de Haute-Alsace et membre du CERDACC, rappelle que dans le secteur de l’exploitation nucléaire civile existe une distinction entre la sûreté, placée sous la supervision de l’ASN, et la sécurité visant les actions de secours et les activités de prévention face aux potentielles négligence et actes de malveillance. Les structures d’approvisionnement en énergie que sont les installations nucléaires civiles font partie des secteurs d’activité d’importance vitale et sont à ce titre soumises à des obligations particulières. Dans le domaine nucléaire comme dans d’autres activités, les menaces peuvent être nombreuses, physiques aussi bien qu’à distance. Les référentiels de sûreté doivent être désormais complétés par une réflexion sur la sécurité des installations, ce qui suppose une action conjointe de l’État et des opérateurs.

Autour des deux axes constitués par le droit constitutionnel et le droit administratif, l’ouvrage constitue une analyse inédite de l’apport du droit public interne à la compréhension du nucléaire civil dans ses diverses implications et spécificités. Il sera d’une lecture enrichissante et utile à tous ceux qui, académiques ou praticiens, s’intéressent aux conditions d’exploitation d’une source d’énergie au cœur des préoccupations contemporaines.

Pour plus d’information : Les actes de colloques publiés – Centre Michel de l’Hospital (uca.fr)