Dans le cadre des « rendez-vous du risque », les étudiants du Master 2 Droit de l’Entreprise de l’Université de Haute-Alsace, ont eu l’opportunité d’assister à un colloque (en visioconférence) dédié à la problématique du « risque en droit fiscal ». Les étudiants ont rédigé un compte rendu synthétisant les éléments essentiels du colloque qui s’est tenu le vendredi 26 mars 2021.
Les risques et sanctions pour les contribuables dans le cadre d’un abus de droit ou un acte anormal de gestion par Monsieur Régis VABRES, Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3
Le Professeur R. Vabres a débuté son intervention en rappelant les définitions des notions d’abus de droit et d’acte anormal de gestion en insistant sur le fait que les deux notions ont des fondements distincts, car l’acte anormal de gestion a une source essentiellement jurisprudentielle tandis que l’abus de droit à une assise majoritairement textuelle.
L’acte anormal de gestion peut être défini comme l’acte qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui prive cette dernière d’une recette sans que cet acte ne soit justifié par les intérêts de l’exploitation commerciale. À travers cette définition il apparait que le critère essentiel qui caractérise l’acte anormal de gestion réside dans le fait que l’acte est contraire à l’intérêt de l’entreprise. Son champ d’application est limité à l’imposition du bénéfice des entreprises.
La théorie de l’abus de droit est visée à l’article L 64 du Livre des procédures fiscales (LPF). On distingue classiquement d’une part l’abus de droit par fictivité et d’autre part l’abus de droit par fraude à la loi. La fictivité est la dissimulation de la réalité par l’interposition d’une personne dans le cadre d’une opération ou d’un montage ou encore par la conclusion d’un acte fictif. La fraude à la loi implique, en principe, la coexistence de deux éléments, le contribuable respecte les termes de la norme, mais transgresse l’esprit de celle-ci en déviant de sa finalité et poursuivant un but essentiellement fiscal. Sous l’influence du droit de l’UE, le législateur est venu intégrer, au sein du Livre des Procédures fiscales, l’article L 64 A ce qui est communément qualifié de « mini abus de droit » dont le but est de sanctionner les opérations qui ont un « objectif principalement fiscal », notion que l’on retrouve également à l’article 205 A du Code général des impôts (CGI).
L’abus de droit dispose d’un champ d’application plus large que l’acte anormal de gestion, il peut être réalisé par un particulier dans le cadre de la gestion de son patrimoine, mais la théorie de l’abus de droit s’étend également aux entreprises ainsi qu’aux groupes de sociétés. Par ailleurs, elle vise les opérations internes et les opérations internationales.
L’intervention consistait donc à déterminer dans quelle mesure l’acte anormal de gestion et l’abus de droit constituent un accroissement du risque de redressement pour le contribuable.
Selon le Professeur R. Vabres, la multiplication des fondements contribue à accroitre les risques pour le contribuable. L’abus de droit apparait comme un acte d’une extrême gravité entrainant des sanctions importantes pour le contribuable tandis que l’acte anormal de gestion n’a pas forcément vocation à sanctionner aussi sévèrement. L’évolution de ces deux dispositifs témoigne néanmoins d’un durcissement des règles et de ce fait à une exposition pour le contribuable d’un risque aussi bien décuplé que disséminé.
Les différents mécanismes correctifs mis en œuvre par l’administration fiscale entrainent un risque conséquent pour le contribuable. Effectivement, au-delà des sanctions administratives fiscales, des sanctions pénales ont vocation à s’appliquer. Pour les cas les plus graves, l’acte anormal de gestion pourra déboucher sur une procédure d’abus de biens sociaux. L’abus de droit pourra, quant à lui, apparaître comme une fraude fiscale par les juridictions pénales.
De plus, le « risque est disséminé autour du contribuable » à la fois à des fins curatives, mais également à des fins préventives. Sur le plan curatif, lorsqu’un acte anormal de gestion ou un abus de droit est caractérisé, les conséquences s’étendent à la fois au contribuable, mais également aux personnes ayant bénéficié de cet acte.
Sur le plan de l’abus de droit, un dispositif de paiement solidaire pèse sur toutes les parties à l’acte constitutif de l‘abus.
En conclusion, le risque se trouve décuplé pour le contribuable en cas d’abus de droit et d’acte anormal de gestion par les différents outils dont dispose l’administration fiscale, mais il est également disséminé du fait que les risques de qualification d’acte anormal de gestion et d’abus de droit ne pèsent pas seulement sur le contribuable, ils pèsent également sur les personnes qui ont bénéficié de ces actes.
(Nadia MOUSTAOUI, M2 Droit de l’Entreprise, Université de Haute Alsace)
L’évolution du risque pénal fiscal à la suite de la loi du 23 octobre 2018 par Maître Paul MISPELON, Avocat, Doctorant.
Maître P. MISEPLON a démarré son intervention en rappelant que la loi du 23 octobre 2018 n’a pas pour objet les sanctions administratives que l’on rencontre habituellement en matière fiscale, mais elle traite plus particulièrement des sanctions pénales et surtout du délit de fraude fiscale (art. 1741 CGI).
Deux évolutions majeures sont à relever : la modification de la possibilité de conclure des conventions judiciaires d’intérêt public en matière fiscale (CJIP) ainsi que l’augmentation du risque pénal fiscal. Cette loi modifie les peines contenues à l’article 1741 du CGI, mais surtout la procédure permettant de conduire à la condamnation pour fraude fiscale.
Par le passé, le dispositif du « Verrou de Bercy » encadrait le déclenchement des poursuites pénales. L’engagement des poursuites était subordonné au dépôt d’une plainte préalable par l’administration fiscale et à un avis favorable de la Commission des infractions fiscales. Le risque pour le contribuable était quasi inexistant et il ne se voyait inquiété que pour des fraudes particulièrement caractérisées.
Le nouveau texte prévoit un dispositif de dénonciation au parquet pour les affaires dans lesquelles les faits conduisent à des rappels d’impôts supérieurs à 100 000 € accompagnés de majorations fiscales importantes (LPF, art. 228, I). Dans ce cas de figure, c’est le parquet, et non plus l’administration, qui est juge de l’opportunité des poursuites pour fraude fiscale. Ce seuil est réduit à 50 000 € pour les dossiers relatifs aux personnes soumises à une déclaration auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), comme les ministres. Dans toutes les autres hypothèses, l’administration fiscale garde l’initiative des poursuites par le biais du dépôt d’une plainte (LPF, art. L. 228, II).
Malgré l’adoption de la loi du 23 octobre 2018, un manque d’objectivité subsiste en cas de transmission du dossier au procureur de la République, puisqu’en pratique l’administration conserve une certaine latitude pour cette transmission. Ce manque d’objectivité est d’abord sémantique, puisque le verbe « dénoncer », que l’on retrouve dans la rédaction de la loi, peut avoir plusieurs significations. D’abord, il peut avoir pour définition « notifier par voie officielle ou judiciaire ». Il peut également suggérer le fait de « signaler comme particulièrement coupable à la justice ». Ce terme laisse sous-entendre que lorsque l’administration transmet le dossier, le « contribuable est déjà en partie coupable ».
Ensuite, malgré les précautions prises par la circulaire du 7 mars 2019 qui impose qu’en cas de dénonciation obligatoire, l’administration fournisse le dossier, la proposition de rectification et la réponse du contribuable, les échanges entre le contribuable et l’administration ne sont pas transmis au procureur de la République. Seule l’interprétation de l’administration est transmise au parquet sans contradictoire, une présomption de culpabilité pèse donc d’office sur le contribuable.
Malgré la volonté du législateur, l’administration demeure titulaire d’un réel pouvoir de transmission au parquet.
À côté de cela, le parquet a désormais le pouvoir de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). La CJIP a été étendue aux cas de fraude fiscale par la loi n° 2018-898 relative à la lutte contre la fraude fiscale du 23 octobre 2018. Le principe est le suivant : le procureur a la possibilité de trouver un accord avec la personne morale mise en cause afin de mettre fin aux poursuites.
Avant l’entrée en vigueur de cette loi les amendes pouvaient atteindre 15 millions d’euros, aujourd’hui elles peuvent dépasser les 500 millions d’euros, comme cela a été le cas avec Google. Dans cette affaire, cette société considérait qu’elle ne disposait pas d’établissement stable en France et qu’ainsi, elle n’avait pas à être imposée en France. Les juridictions administratives ont suivi ce raisonnement. Le parquet national financier n’était pas du même avis et estimait que la société devait être davantage imposée et qu’il fallait mener l’affaire devant le Conseil d’État. Par prudence, le géant du numérique a préféré trouver un accord. Une CJIP a alors été signée, en septembre 2020, avec les sociétés Google France SARL et Google Ireland Ltd prévoyant une amende d’intérêt public d’un montant total de 500 millions d’euros.
Le contribuable peut refuser la conclusion de la CJIP et choisir d’aller devant les juridictions, mais il s’expose à une atteinte à son image du fait d’une possible condamnation pour fraude fiscale.
Un rapport d’information établi par Emilie Cariou (députée) précise que la loi a complètement modifié le « rapport de force » qui existait. La plupart du temps les dossiers relatifs aux grandes entreprises aboutissaient à un redressement. Aujourd’hui, la loi semble atteindre son objectif dissuasif dans la mesure où le risque pénal fiscal reste très grand.
(Khadija BELFAKIR et Ali UNLUCAN, M2 Droit de l’Entreprise, Université de Haute Alsace)
Le risque inhérent à la participation à un circuit frauduleux en matière de TVA par Monsieur Damien FALCO, Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace et avocat.
Monsieur D. Falco a rappelé, à titre introductif, qu’en matière de droit fiscal, on assiste souvent à des situations qui conduisent des opérateurs de bonne foi à courir un risque fiscal alors qu’ils ne sont pas à l’origine du détournement ni de la fraude fiscale. L’intervention est axée sur ces personnes morales de bonne foi (et non sur les fraudeurs eux-mêmes).
En première partie de son intervention, M. Falco rappelle quelques généralités sur la fraude à la TVA. La TVA a été créée le 10 avril 1954 et a toujours été considérée comme un impôt difficile à frauder. La raison principale est qu’elle incite à rapprocher la facture du vendeur et celle de l’acquéreur puisque le montant de la TVA exigible du vendeur doit correspondre au montant de la TVA déductible de l’acquéreur.
Paradoxalement, la TVA est l’impôt le plus fraudé au sein de l’Union européenne. Le « trou de la TVA » qui traduit l’écart entre les recettes attendues et celles réellement perçues par les États a été estimé à environ 140 milliards d’euros dans l’Union européenne. La suppression des frontières physiques en 1993 a eu pour conséquence le développement de la fraude Carrousel. À côté de ce comportement illicite, il en existe beaucoup d’autres formes de fraude, on peut citer, à titre d’exemple, la fausse facturation, la fausse livraison intracommunautaire, les logiciels permissifs…
Concernant la fraude Carrousel, il s’agit d’un opérateur situé en France qui réalise une acquisition intracommunautaire (que l’on va appeler le taxi). Pour l’opérateur qui réalise la vente, c’est une livraison intracommunautaire exonérée de TVA. Pour l’opérateur en France c’est une acquisition intracommunautaire qui donne lieu à auto-liquidation de la TVA. C’est une opération neutre pour l’entreprise puisqu’elle déclare et elle déduit en même temps la TVA. L’acquéreur va ensuite revendre en France le bien avec de la TVA puisque c’est le régime classique qui s’applique, une livraison de bien soumise à la TVA. Cet opérateur français va collecter une TVA qu’il ne va pas reverser à l’État. L’opérateur va réaliser cette opération plusieurs fois avant de disparaitre.
La société qui a réalisé l’acquisition litigieuse va exercer un droit à déduction sur un montant de TVA qui n’a pas été versé. C’est dans ce cadre qu’il existe un risque inhérent à la participation à un circuit frauduleux puisque cette société, qui n’est pas complice du montage, va supporter un risque fiscal.
En deuxième partie, la typologie des risques a été exposée. Il existe deux principaux risques pour la « société en bout de chaine ».
Tout d’abord la remise en cause du droit à déduction. Le droit à déduction offre aux assujettis la possibilité de déduire le montant de la TVA qu’ils supportent sur leurs achats. Ce mécanisme peut être remis en cause en matière de fraude Carrousel. En effet, l’article 272-3 du CGI prévoit que la TVA ne peut faire l’objet d’aucune déduction lorsqu’il est démontré que l’acquéreur savait ou ne pouvait ignorer que, par son acquisition, il participait à une fraude. La remise en cause du droit à déduction est limitée aux relations directes entre le taxi et le déducteur. Autrement dit si une société écran vient s’intercaler entre les deux sociétés, la remise en cause se fera obligatoirement chez la société écran et non chez le déducteur. La remise en cause de ce droit à déduction est une conséquence terrible pour la société parce que si elle ne peut pas déduire la TVA sur ses acquisitions, cela augmente le montant qu’elle va reverser à l’État. In fine, c’est cet opérateur qui va supporter le poids de l’impôt sur la transaction.
Le deuxième risque est lié à la solidarité en paiement. L’article 283-4 bis du CGI prévoit « qu’un opérateur qui avait connaissance ou qui ne pouvait ignorer qu’il participait à un circuit frauduleux est tenu solidairement au paiement de la taxe qui a été éludée ». Si la mise en place d’une vérification externe n’est pas une condition obligatoire pour engager cette solidarité, l’administration rencontre souvent des difficultés pour démontrer que le déducteur savait ou ne pouvait ignorer qu’il participait à un circuit frauduleux.
Pour finir, M. D. Falco a énuméré les conditions de mise en œuvre de ces deux procédures. L’administration fiscale doit démontrer l’existence de la fraude en amont, mais également la connaissance du montage par l’opérateur. Il a été précisé que ces éléments de preuve sont souvent difficiles à apporter.
L’instruction relative à cette disposition législative indique que les opérateurs doivent mettre en œuvre toute mesure raisonnable dans le cadre de l’exercice normal de leur activité pour s’assurer que les transactions avec l’opérateur ne sont pas impliquées dans un schéma frauduleux. Cette règle a fait l’objet de nombreuses critiques en raison de ce caractère subjectif. Elle fait peser sur les entreprises une obligation de vigilance se traduisant par la nécessité de documenter au maximum leur relation commerciale. Pour d’autres, elle implique quasiment une « enquête de moralité fiscale » avant que le contrat ne soit conclu avec le fournisseur. L’entreprise doit se préconstituer avant tout contrôle fiscal des preuves permettant de démontrer de bonne foi sa non-participation à la fraude Carrousel.
La doctrine administrative apporte des éléments permettant d’indiquer quel est le faisceau d’indices retenu pour faire cette démonstration. L’administration va analyser notamment les liens juridiques, économiques et personnels entre les opérateurs, l’adresse de domiciliation de l’acquéreur, l’absence de personnes et de moyen d’exploitation en adéquation avec le volume des transactions effectuées, la marge commerciale ou encore le montant des règlements des achats (réalité commerciale). Ce faisceau d’indices est variable et susceptible d’évoluer dans le temps et en fonction de la jurisprudence.
Il est évident que l’opérateur qui a participé à son insu à un circuit frauduleux ne pourra pas voir son droit à déduction remis en cause. À l’inverse, lorsqu’un opérateur ne prend pas toutes les diligences nécessaires, le risque fiscal reste important, même s’il n’a pas connaissance du montage frauduleux.
Le recours à un faisceau d’indices a toutefois un effet pervers puisque l’administration fait face à des fraudeurs qui utilisent la règlementation à leur profit pour démontrer en amont qu’ils ignoraient participer à la fraude et ainsi prouver leur bonne foi.
Pour conclure, avec ces dispositifs on assiste aujourd’hui à un déplacement du contrôle fiscal. Comme l’administration n’est pas en mesure de réduire sensiblement la fraude depuis des décennies, elle s’en remet pour beaucoup aux opérateurs eux-mêmes et leur fait supporter une obligation de vigilance et de contrôle et de ses propres fournisseurs pour détecter les fraudes (et ne pas y participer).
(Alexianne CRETIEN, M2 Droit de l’Entreprise, Université de Haute Alsace)
Le rescrit comme outil de gestion des risques fiscaux par Monsieur Emmanuel JOANNARD-LARDANT, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
En guise d’introduction le professeur M. E. Joannard-Lardant a défini le rescrit comme un outil permettant au contribuable de poser une question à l’Administration fiscale sur les modalités d’application des règles fiscales. Il s’agit d’un mécanisme gratuit qui va mener le fisc à prendre une position formelle (dans les trois mois suivant la question) quant au traitement fiscal d’une opération ou d’une situation. En cas de non-respect de ce délai, aucune sanction ne sera prise à l’encontre de l’administration. L’avantage de ce mécanisme est d’offrir une « garantie de sécurité juridique » au contribuable, car la position formelle prise par l’administration lui sera directement opposable dans le cadre d’un contrôle ultérieur en vertu des articles L 80 A et L 80 B du LPF.
Le Conseil d’État a eu l’occasion de souligner le lien qui existe entre la sécurité juridique et le rescrit, véritable rempart contre le risque fiscal, dans une décision du 8 mars 2013, Madame Monzani, n° 353782. Afin de corroborer l’efficacité de cet outil, l’intervenant précise qu’en 2017, plus de 17.927 rescrits ont été rendus par l’administration fiscale française.
Il est important d’ajouter que le rescrit semble également trouver sa place au sein du droit européen sous la forme d’un principe de confiance légitime. À ce titre, il a été évoqué l’arrêt de la CJCE du 14 septembre 2006, n° C-181/04 à C-183/04. Il s’agissait en l’espèce d’une société qui ne soumettait pas l’intégralité de ses opérations à la TVA. Afin d’être assurée de sa méthode, elle a posé la question à l’administration fiscale grecque qui a répondu que le traitement fiscal donné aux opérations par la société était juste. Cette procédure s’apparentait fortement à un rescrit. Ultérieurement, l’administration grecque a toutefois opéré un redressement à l’encontre de cette société, sur la question qui lui a justement été posée. La société évoqua le principe de confiance légitime qui est supposé lier le contribuable au fisc et affirme qu’elle avait demandé aux autorités fiscales grecques si l’application des règles était la bonne. La CJCE a suivi l’argumentation de la société et réaffirme l’importance de garantir une confiance légitime entre les autorités fiscales et les contribuables.
Il est toutefois impératif de préciser que le rescrit n’est pas opposable à l’Administration fiscale dans tous les cas. Premièrement, un rescrit n’est opposable à l’Administration que lorsque cette dernière a procédé à des rehaussements d’imposition. Le contribuable ne peut utiliser cet outil afin d’éviter toute imposition ou déclaration, seuls les impôts supplémentaires mis en recouvrement par l’administration peuvent se voir opposer un rescrit. Cela est clairement établi par les articles L 80 A et L 80 B du LPF et réaffirmé par le Conseil d’État dans une décision du 17 juin 2005, n° 258805, SA Marine Côte d’Argent.
Dans un second temps, lorsque l’administration fiscale délivre une « prise de position hésitante » elle ne lui sera pas opposable. D’ailleurs, la jurisprudence du Conseil d’État du 29 décembre 2004, n° 255831, affirme que la position des autorités fiscales doit être formelle pour être opposable.
Pour ailleurs, il arrive que l’opposabilité du rescrit heurte le droit européen de la concurrence. En effet, il peut être reproché aux États d’accorder aux grandes entreprises des avantages sélectifs (cf. TUE 24/09/2019 : Grand-duché de Luxembourg et Fiat Chrysler Finance Europe c/ Commission européenne, affaires T-755/15 et T-759/15).
En définitive, le rescrit est un outil formidable sous réserve des risques qui lui sont inhérents.
(Laure BRUZZESE, M2 Droit de l’Entreprise, Université de Haute Alsace)
La prise en compte du facteur risque en matière d’acte anormal de gestion par Madame Ariane PERIN-DUREAU, Professeur à l’Université de Strasbourg.
L’objectif de l’intervention consistait à déterminer si l’ensemble des charges engagées par le contribuable peut être admis en déduction compte tenu des risques pris par le contribuable dans la gestion de son entreprise.
Pour ce faire, la théorie du risque excessif est apparue en matière d’acte anormal de gestion. L’un des risques majeurs qui pèse sur le contribuable est un risque de rectification que peut prononcer l’administration à ce titre.
Le principe qui est exposé par le Conseil d’État est la libre gestion de l’entreprise. Le contribuable est soumis à l’impôt à raison du résultat effectivement réalisé et non sur le résultat optimal que les circonstances auraient pu lui permettre de réaliser. Ainsi, l’administration n’a pas à contester la gestion de l’entreprise : libre à lui de surpayer les salariés, de payer les matières premières à un prix plus élevé… L’ensemble des charges engagées pour la réalisation du résultat imposable est déductible. Ce principe a une exception puisque le principe de liberté de gestion ne vaut que dans la condition d’actes engagés dans l’intérêt de l’entreprise. L’intérêt de l’entreprise est défini de manière négative : un acte contraire à l’intérêt de l’entreprise est celui pris dans l’intérêt exclusif du tiers. La question qui se pose depuis plus de trente ans est celle d’un élargissement de la définition de l’acte anormal de gestion, à l’acte qui ferait courir un risque manifestement excessif à l’entreprise. Sur ce terrain, le Conseil d’État s’est montré hésitant, et cela s’est traduit par un mouvement de flux et de reflux de la théorie du risque manifestement excessif.
Sur le rejet du risque excessif comme critère autonome d’une gestion anormale.
À travers la théorie du risque manifestement excessif, l’administration a tenté́ d’émanciper l’acte anormal de gestion de l’acte étranger à l’intérêt de l’entreprise en considérant que lorsque l’entrepreneur fait courir un risque manifestement élevé à l’entreprise, l’acte ne rentre pas dans le cadre d’une gestion normale de l’entreprise. Par son arrêt Loiseau en date du 17 octobre 1990, une double condition a été retenue par le Conseil d’État pour qu’une gestion soit considérée comme étant normale : il faut que l’acte engagé soit conforme à l’intérêt de l’exploitation et qu’il soit engagé sans prise de risque manifestement excessif. La théorie de l’acte anormal de gestion repose sur une distinction entre la personne de l’exploitant et l’entreprise dotée d’une forme de réalité économique et fiscale. La théorie de l’acte anormal de gestion n’est pas une exception au principe de libre gestion de l’entreprise, mais le cadre dans lequel cette liberté doit s’exprimer. C’est la raison pour laquelle le contrôle du caractère normal de la gestion ne peut être qu’une police de l’objet de l’acte et non de l’excès. L’appréciation des risques relève de l’essence même de l’entreprise, le juge ne peut venir apprécier le caractère excessif des risques pris par l’exploitant sans s’immiscer dans la gestion de l’entreprise.
Sur le risque pris par l’entreprise : critère d’appréciation de la substance de l’intérêt de l’entreprise.
Le Conseil d’État est venu condamner fermement cette théorie par son arrêt Philippe rendu le 7 octobre 2000. Par cet arrêt, le Conseil d’État considère que le critère du risque excessif doit être appréhendé non pas comme un critère autonome d’appréciation de la gestion de l’entreprise, mais comme un élément d’appréciation de l’intérêt de l’entreprise. Le Conseil d’État est venu vérifier l’intérêt de l’entreprise au vu des risques pris par le contribuable. Dans un arrêt du 11 juin 2014, Société Fralsen Holding le Conseil d’État s’est référé au risque manifestement excessif. La théorie du risque excessif faisait son grand retour, ce qui a valu de nombreuses critiques. En effet, cela permet au juge de porter un regard sur la gestion de l’entreprise, car il doit déterminer les risques normaux que peut être amené́ à prendre l’entrepreneur, mais aussi vérifier rétrospectivement si les risques pris in concreto excèdent les risques normaux que l’exploitant peut prendre.
Sur l’exclusion de toute appréciation des risques pris par l’exploitant.
Le Conseil d’État dans son arrêt en date du 13 juillet 2016, Monte Paschi Banque réaffirme le principe de liberté de gestion et limite le périmètre de celle-ci par la notion d’intérêt de l’entreprise. Le Conseil d’État est venu condamner fermement la théorie du risque manifestement excessif sans aucun signe annonciateur.
Pour conclure, constitue un acte anormal de gestion l’acte qui poursuit la satisfaction de l’intérêt d’un tiers et non de l’entreprise. Ainsi, il est nécessaire que l’acte procure à l’entreprise une certaine contrepartie qui peut être seulement escomptée, l’acte peut être accompli dans l’intérêt partagé du tiers sans toutefois être exclusif.
(Morgane HOCHEDEZ et Louise MONNET, M2 Droit de l’Entreprise, Université de Haute Alsace)
Le critère du risque dans la remise en cause des montages fiscaux à la lumière des droits français et américains par Kévin JESTIN, Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
En guise de propos liminaire, il convenait de préciser que l’entrepreneur jouit d’une grande marge de manœuvre dans la mise en place des opérations qu’il juge bénéfiques à son activité. Il existe, en effet, un devoir de non-ingérence de la part de l’administration fiscale, consacré en France par le principe de « non-immixtion » et aux États-Unis par les règles du « business judgement ». Lors de cette intervention, il a été fait le choix de mettre en évidence les ressemblances et les dissemblances entre le droit français et le droit américain au regard de l’incidence du critère du risque dans la remise en cause des montages fiscaux.
Dans un premier temps, la remise en cause du montage fiscal par l’application d’un dispositif général anti-abus a été discutée.
En droit français, la théorie de l’abus de droit fiscal a fait l’objet de plusieurs évolutions, notamment au regard de son champ d’application. En effet, cette notion a fait l’objet d’une métamorphose progressive pour faire face aux différentes stratégies du contribuable. L’abus de droit fiscal est retranscrit, en droit français, au sein de l’article L 64 du Livre des procédures fiscales (LPF) qui constitue l’abus de droit « historique ». Il est également présent au sein de l’article 205 A du CGI, qui fait référence à l’abus de droit en matière d’impôt sur les sociétés. L’article L64 A du LPF, quant à lui, a consacré la théorie du « mini abus de droit ».
Avant d’aborder les « spécificités » du droit américain, il convient, de constater que « l’abus de droit historique » (art. L64 LPF) peut être mis en perspective avec la section 7 701 de l’Internal Revenue Code (IRC) américain qui a codifié la « doctrine de la substance économique ».
C’est à l’occasion de l’arrêt Gregory v. Helvering (1935) qu’est né le principe « substance over the form » selon lequel le juge dispose du pouvoir de restituer l’exacte qualification aux faits. Dans le sillage de cette jurisprudence, d’autres doctrines ont été créées par le juge, notamment celle de la « substance économique » qui présente des similitudes avec le droit français. En effet, on retrouve une dualité entre un critère subjectif (critère de « l’intention ») et objectif (appréciation de la « manière dont la situation a changé d’un point de vue économique »).
Dans un second temps, le recours au critère du risque par le juge lors de la remise en cause du montage fiscal par l’application d’un dispositif anti-abus de droit interne a été envisagé.
En droit français, la jurisprudence suggère que le critère du risque apparaît comme un élément parfois déterminant dans la qualification frauduleuse du montage (CE Bank of Scotland 2005). En 2010, le Conseil d’État a confirmé sa position à l’occasion d’une affaire (CE, 12 mars 2010, Charcuterie du pacifique) en énonçant qu’il s’agissait d’un instrument contribuant à révéler l’artificialité du montage.
Ce n’est qu’en 2015 que l’ambigüité de la référence au critère du risque transparaît lors d’un arrêt du Conseil d’État (Natixis). En effet, la Cour administrative d’appel avait accordé une place singulière au critère du risque. Cependant, la manière de penser le risque a été rejetée. Finalement, le CE considéra que le risque était seulement un élément factuel parmi d’autres qui permet d’éclairer l’absence de substance économique d’un montage.
À la lumière de ces jurisprudences, on pouvait donc s’interroger : ces références récurrentes au critère du risque incitent-elles à penser qu’il constitue un aspect sous-jacent aux critères objectif et subjectif de l’abus de droit ? En réalité, sans qu’il s’agisse d’un élément véritablement autonome, il apparait que cet aspect s’éclaire à la lumière de ces deux critères. Au regard du critère subjectif : si le contribuable s’est dérobé à tout risque, il est fort probable qu’il ait poursuivi un but (exclusivement) fiscal. À l’aune du critère objectif : ce sont les objectifs poursuivis par l’auteur de la norme qui doivent permettre d’apprécier la nature et le niveau de risque requis.
Aux États-Unis, certaines jurisprudences évoquent expressément le critère du risque (cf. arrêts Horn 1992 et ACM Partnership 1998). Cependant, dans certains cas la validation d’une opération s’est faite avec un niveau de « risque minimum », comme ce fut le cas dans un arrêt IES Industries (2001) ou les juges ont considéré que l’on ne pouvait reprocher au contribuable d’avoir, au préalable, minimisé le risque par rapport à l’investissement réalisé.
En conclusion, quelle importance accorder au critère du risque ? Cette référence est-elle réellement utile et pertinente ? Il apparait que le trait commun aux jurisprudences françaises et américaines réside dans la tendance à apprécier si le contribuable se trouve dans la situation d’un actionnaire qui supporte un risque inhérent à sa participation. Le « facteur risque » est susceptible d’exercer une influence sur la perception du montage, mais il s’agit d’un élément qui n’est pas toujours manié avec la même attention par le juge. En définitive, il s’agirait d’un « critère accessoire » qui peut, à la discrétion du juge, venir éclairer un des critères (objectifs ou subjectif) du dispositif anti-abus.
(Ivan DROBNIEWSKI et Ilyes BOUGUERN, M2 Droit de l’Entreprise, Université de Haute Alsace)