Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LES VISAGES DE LA FAUTE D’IMPRUDENCE : DES CONTOURS A L’EXPRESSION (SUITE), M-F. Steinlé-Feuerbach

Colloque du 21 avril 2023

Chambre criminelle de la Cour de cassation, Institut de Criminologie de l’Université Paris-Panthéon-Assas (ICP)

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

Compte-rendu de l’après-midi (NDLR : L’auteur de ce compte-rendu y a ajouté des références ; la première partie est parue au JAC n°226 A LIRE ICI )

Après-midi : Quelques expressions de la faute d’imprudence

C’est aux illustrations concrètes de la faute d’imprudence qu’est consacré cet après-midi. Tous les domaines ne pouvant à l’évidence pas être explorés, les organisateurs ont fait le choix de privilégier trois d’entre eux : celui de la médecine, celui du travail puis de l’environnement. Ces trois thèmes, font l’objet, sous la présidence d’un universitaire, de véritables tables rondes réunissant chacune trois praticiens qui répondent l’un après l’autre aux questions qui leur sont posées avant que s’installe une discussion générale.

La faute d’imprudence en droit pénal médical

Edouard Verny, professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, Directeur-adjoint de l’ICP préside la table-ronde dont les participants sont Marie-Charlotte Dalle, Directrice des affaires juridiques et des droits des patients de l’AP-HP, Norbert Telmon, Professeur au CHU de Toulouse, expert-judiciaire et Président du CNU de médecine légale, et Sylvie Welsch, avocate au Barreau de Paris, cabinet UGGC Avocats.

La responsabilité pénale du médecin est récente. Dans la seconde partie du XXe siècle étaient citées la spécialité du médecin et celle de la collégialité avec une pluralité de décideurs. C’est surtout pour la responsabilité non intentionnelle qu’il y a eu des poursuites, l’impact de la loi du 10 juillet 2000 mérite d’être étudié. On constate qu’il existe peu de règles absolues :  l’application de l’imprudence aux médecins est singulière. Le caractère artificiel de la distinction entre doctrine et praticiens est démontré par les intervenants à cet atelier. Le président de la table ronde parcourt la jurisprudence avant d’estimer que la voie pénale n’est pas la voie de prédilection des victimes dans le domaine médical. C’est une matière peu appliquée mais durement ressentie par les prévenus. L’acte médical contient en lui-même un risque intrinsèque, les atteintes volontaires sont rares. La loi de 2000 impose de se positionner d’abord sur la causalité et il y a davantage de condamnations en tant qu’auteur direct car le caractère déterminant, à savoir le contact physique mais également des successions de fautes reliant directement le médecin au dommage. Edouard Verny donne pour exemple un arrêt du 10 février 2009 ayant trait au décès d’une patiente lors d’une intervention réalisée par un gynécologue assisté d’un interne, les deux sont poursuivis, le premier en tant qu’auteur direct, le second en tant qu’auteur indirect, mais bénéficient d’une relaxe, la cour d’appel estimant que le gynécologue, n’a pas commis de faute caractérisée, la Chambre criminelle casse l’arrêt d’appel car le gynécologue aurait dû contrôler l’interne (Crim. 10 fév. 2009, n° 08-80.679, AJ Pénal 2009 p. 224, note J.-R. Demarchi ; RSC 2009 p.371, obs. Y. Mayaud; Dr. pén. mai 2009, comm. M. Véron ; JCP 2009 II 10069, note F. Deprez : « Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si le prévenu, auquel il incombait de contrôler l’acte pratiqué par l’interne, n’avait pas commis une faute entretenant un lien direct de causalité avec la mort de la patiente, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision »).

La causalité indirecte concerne les chefs de service qui ont un rôle d’organisateur, il en a été ainsi pour le psychiatre qui a donné l’autorisation de sortie d’un malade dangereux, auteur indirect, il a été condamné pour faute caractérisée (Crim. 22 oct. 2019, n°18-84.001, L’Essentiel Droit de la famille et des personnes, déc. 2019, n°11, p. 6, obs. A. Cerf-Hollender) de même pour la mauvaise prise en charge d’un boxeur par un médecin du sport (Crim. 29 juin 2021, n° 19-84.011, Lexbase juill. 2021, obs. L. Bedja).

Comme le souligne le président de la table ronde, nous sommes ici dans un domaine d’incertitude scientifique car il y a toujours un risque, la perte de chance permet néanmoins d’indemniser la victime au civil malgré la relaxe au pénal, mais il faut établir la disparition d’une possibilité de guérison.

La difficulté au pénal réside dans l’absence de causalité certaine, et on peut constater des flottements dans la jurisprudence, alors qu’en 2003 et 2005 la Cour de cassation ne prenait en compte que la privation de toute chance de survie pour admettre la causalité (Crim. 1er avril 2003, Dr. pén. oct. 2003, p. 13, comm.110, obs. M. Véron :  le patient avait été privé de « toute chance de survie » ; Crim. 22 mars 2005, n° 04-84.459, Dr. pén. juill. 2005, p. 103, comm. 103, obs. M. Véron : pas de relation causale la patiente « ayant seulement été privée d’une chance de survie » – en revanche, Crim. 18 mai 2005, n° 04-83.347 : lien de causalité établi dès lors « qu’un traitement adéquat en unité de soins intensifs aurait pu donner quelques chances de survie à l’enfant », en 2012 elle acceptait une perte chance partielle (Crim. 23 oct. 2012, n° 11-85.360: les chances de survie du patient, s’il avait été transféré dans un centre spécialisé de brûlés auraient été statistiquement de 75 % et de 55 %, « les fautes commises ont contribué de façon certaine à créer la situation ayant permis la réalisation du dommage » et, en 2017, tout en admettant l’existence d’une perte de chance de survie, elle refusait la certitude du lien de causalité (Crim. 17 janv. 2017, n° 15-85.155, P. Mistretta, « Homicide et perte de chance de survie en matière médicale : le flou artistique de la Cour de cassation » :RSC 2017, p. 357).

Sur les fautes, la faute simple a été retenue pour maladresse, en chirurgie (mauvaise utilisation des forceps, allergie du patient, oubli de compresses…). Cependant, il n’y a pas toujours dans les décisions la distinction entre les diligences normales, la négligence, la maladresse, l’imprudence.

La faute est particulière en matière médicale car le prévenu exerce une profession à risques.

Médecin légiste, Norbert Telmon se place du côté de l’expertise, il faut déterminer les conséquences et la gravité de la faute. Il regrette un manquement de connaissances des perturbations anciennes ou plus récentes. Il y a bien évidemment les questions de l’imputabilité et de la perte de chances mais aussi l’élimination de la possibilité d’autres fautes, d’autres éléments. Il faut découper, et dans un langage clair, ce qui va permettre au juge d’apprécier la gravité de la faute et celle du dommage.

Du correctif au préventif, peut-on réfléchir sur les manquements ?

Marie-Charlotte Dalle estime qu’il faut accompagner une pratique qui consiste à suivre ce qui se passe après une mise en examen, le retour d’expérience est important. L’effraction médicale (selon le Dictionnaire médical de l’Académie de Médecine, 2023 : acte médical ou chirurgical impliquant une pénétration par les voies naturelles, par incision ou par ponction) n’est pas une infraction, des soins peuvent être consentis. Elle insiste sur l’utilité de la RMM (Revue de Mortalité et de Morbidité) qui n’est pas une revue au sens littéraire du terme mais l’analyse systémique des actes accomplis en interaction avec toute l’équipe médicale, elle permet de dépasser la réflexion que le droit pénal réserve à une ou deux personnes. Le but est de tracer des axes d’amélioration (Selon la Haute Autorité de Santé « Une RMM ne vise en aucune manière à préciser les responsabilités individuelles d’un événement particulier, mais à étudier le mode de survenue des EIAS – événements indésirables liés aux soins – et la manière de prévenir leur récidive. Son objectif est de tirer expérience de ce qui est survenu pour améliorer la sécurité des patients » : A LIRE ICI )

L’enquête pénale va culpabiliser mais pas forcément responsabiliser. L’intervenante est particulièrement préoccupée par la question de la transmission de cette RMM à la justice car la loyauté des professionnels ne fonctionne que s’il n’y a pas de sanctions pénales suite à cette analyse. Si des sanctions pénales peuvent en découler, on s’interdit de faire une RMM, dès lors, la transmission de la RMM à la justice la fragilise ce qui n’est pas dans l’intérêt des patients car la finalité de la méthode n’est pas de rechercher un coupable mais de corriger pour les futurs patients. La RMM ne doit pas être un facteur de pénalisation, il en va de la condition des patients et donc de chacun d’entre nous (un parallèle peut être établi avec les enquêtes du BEA en matière d’accident aérien, selon l’art. 24 du Règlement (UE) n°996/2010 du Parlement européen et du Conseil du 20 octobre 2010 sur les enquêtes et la prévention des accidents et des incidents d’aviation civile « le système de l’Aviation civile devrait également favoriser un environnement non répressif facilitant le signalement spontané des événements », cf. D. Soulez-Larivière, « Regard de l’avocat de la défense sur la judiciarisation des catastrophes » in « La judiciarisation des grandes catastrophes – Approche comparée du recours à la justice pour la gestion des grandes catastrophes (de types accidents aériens ou ferroviaires)» ss. la dir. de C. Lacroix, et M.-F. Steinlé-Feuerbach, Cahiers de la Justice, ENM-Dalloz, 2015/2, pp. 169à 174).

Le médecin légiste estime qu’il faudrait une autopsie, mais il y a aussi la RMM.

La faute mesurée aux données acquises de la science.

Pour Norbert Telmon les données acquises de la science sont une notion qui a l’air simple alors qu’en réalité ce n’est pas parce qu’une donnée est publiée que tout le monde en est informé dès le premier jour, ni que personne ne l’était avant. Il faut interpréter ces données par rapport au temps et se placer dans le contexte en tenant compte des moyens du praticien. Si aujourd’hui vous appelez pour signaler un malaise une urgence, on vous dit de prendre un taxi et d’aller aux urgences dans un hôpital, avant on disait d’appeler le SAMU.

La question de la personne morale.

Selon Marie-Charlotte Dalle, pour pouvoir poursuivre une personne morale, il faudrait se demander quelles sont les obligations de l’administration de l’hôpital et distinguer cela de l’expertise médicale. Il est surprenant de reprocher à l’administration de ne pas avoir tenu compte des résultats des examens médicaux d’un patient car elle n’est pas à son chevet. Il en est de même lorsqu’on lui reproche de ne pas avoir pris la bonne décision dans le cas des échanges entre les médecins, cela ne concerne pas l’employeur. On peut en revanche lui reprocher de ne pas avoir organisé un circuit plus adapté des analyses (pour un exemple de condamnation, V. Crim. 9 mars 2010, n° 09-80.543, D. 2010, p. 2135, note J.-Y. Maréchal ; RSC 2010, p. 617, obs. Y. Mayaud : l’absence d’un médecin sénior, en méconnaissance du règlement intérieur, a été considérée comme une « défaillance manifeste du service d’accueil des urgences »).

Pourquoi aller devant le juge pénal plutôt que devant le juge civil ou administratif ?

Sylvie Welsch répond qu’il y a pour cela deux raisons, la mauvaise communication sur le dommage survenu et la recherche de la vérité. Pour le sang contaminé et l’hormone de croissance, il y a un besoin sociétal que ces grandes affaires soient jugées. Il en de même du Médiator et de la Dépakine dont les procès sont en cours. Il s’agit là de dommages de masse médiatisés pour lesquels toutes les voies sont explorées. Ces affaires nécessitent plusieurs expertises dans des matières différentes ce qui explique la lenteur de la réponse judiciaire.

Jusqu’à quel point doit-on exiger du médecin de connaître les avancées internationales ? Peut-on demander la même chose à un généraliste qu’à un spécialiste ?

Aucun expert ne va demander la même connaissance aux généralistes qu’aux spécialistes, sauf à prendre en considération le fait qu’il aurait dû passer la main (Crim. 23 oct. 2012, préc. : « Constitue nécessairement une faute caractérisée le fait, pour un médecin, de prendre en charge, sauf circonstances exceptionnelles, une pathologie relevant d’une spécialité étrangèreà sa qualification dans un établissement ne disposant pas des équipements nécessaires ».

La faute d’imprudence en droit pénal du travail

C’est avec enthousiasme que Haritimi Matsopoulou, Professeure à l’Université Paris-Saclay, membre de l’ICP assure la présidence de cette table-ronde à laquelle participent Jérôme Cauët, Adjoint du Chef de bureau des relations et des conditions de travail en agriculture, ancien inspecteur du travail, Sophie Meynard, Substitute générale du Parquet de Paris, Bruno Quentin, avocat au barreau de Paris, cabinet Gide et Karine Tollemer, Directrice juridique Loxan, membre du Cercle Montesquieu.

Madame Matsopoulou affirme avec conviction que les accidents du travail constituent un véritable contentieux de masse. Les juridictions pénales sont très sévères à l’égard du chef d’entreprise qui doit respecter en permanence toute la réglementation. Un chef d’entreprise ne peut valablement ignorer les conséquences du non-respect, il y a présomption de la connaissance du risque.

Les entreprises sont-elles suffisamment sensibilisées au risque pénal ?

Bruno Quentin apporte une réponse positive à cette question, le risque pénal est bien connu des entreprises qui y sont de plus en plus sensibilisées. Sophie Meynard nuance le propos en précisant que chez les petites entreprises, il n’y a pas la même appréhension du risque que dans les grandes entreprises. S’agissant de ces dernières, on assiste à une dilution des responsabilités par la délégation de pouvoirs qui est parfois accordée à un haut niveau dans la hiérarchie. La magistrate attire également l’attention sur la sous-traitance, si le principe général de la protection du salarié est bien connu cela n’est pas toujours le cas lors des risques spéciaux à ce domaine. Il y a également la question des coûts, on dénombre par an 600 accidents du travail mortels, sans tenir compte des accidents de trajet.

Quel est le rôle de l’inspecteur du travail ?

Agent indépendant, l’inspecteur du travail a trois missions : contrôle, information et conciliation. Il peut se faire assister par un ingénieur prévention. Comme le précise Jérôme Cauët, l’inspecteur du travail ne fait pas partie de la chaîne de communication mise en place après un accident du travail. Sophie Meynard souligne la complexité de l’enquête pénale après un tel accident, il faut aller très vite, notamment pour les autopsies, il s’agit d’un véritable scénario pour feuilleton télévisé comme « Les experts ». Plusieurs problèmes peuvent surgir : les salariés en situation irrégulière, les consommateurs de cannabis… Il y a de multiples enquêtes et la magistrate insiste sur la différence entre l’enquête de flagrance et l’enquête judiciaire. L’information des familles est indépendante, elles n’ont pas accès au dossier car on n’est qu’au stade de l’instruction. Bruno Quentin constate l’existence d’un fossé entre l’enquête préliminaire et l’instruction, dans certaines affaires, il peut y avoir une vingtaine d’années de procédure sans aboutissement. La majorité des dossiers sont traités au niveau de l’enquête préliminaire et l’avocat regrette l’absence de contradictoire qui risque de déboucher sur un dossier tronqué. L’enquête préliminaire ne permet pas suffisamment l’établissement d’un arbre des causes.

Est-ce qu’on poursuit des personnes physiques ou la personne morale ?

Pour les petites entreprises où il y a un risque de dépôt de bilan il vaut mieux poursuivre le dirigeant.

Dernière question : la délégation de pouvoir

La responsabilité pénale du délégué se substitue à celle du chef d’entreprise à condition que la délégation réponde aux conditions de validité (Crim., 11 mars 1993, no 90-84.931, 91-80.958, 91-80598 et 92-80.773, D. 1994. 156, obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 1994, p. 101, obs. B. Bouloc ; Dr. pénal 1994, p. 39, obs. J.-H. Robert), il faut qu’elle soit écrite, précise et opérationnelle et il faut vérifier que le dirigeant n’est pas resté maître des choix en matière de sécurité.

La faute d’imprudence en droit pénal de l’environnement

Domaine au cœur des préoccupations de notre siècle, l’environnement ne pouvait être ignoré et c’est tout naturellement que les organisateurs du colloque ont confié à François-Guy Trébulle, Professeur à l’École de droit de la Sorbonne, la présidence de la table ronde qui réunit deux magistrats à la Cour de cassation, Jean-Louis Croizier, Avocat général, et Isabelle Goanvic, Conseillère, le Barreau de Paris étant représenté par Capucine Lanta de Bérard, du cabinet Soulez-Larivière.

François-Guy Trébulle rappelle les textes de protection de l’environnement et la Charte (F.-G. Trébulle, « La responsabilité environnementale, dix ans après l’entrée en vigueur de la Charte » :  AJDA 2015 p. 503) et il souligne qu’ils sont tendus vers la prévention et la prudence. La matière est irriguée de réglementation et on a pu parler d’un droit des ingénieurs. La Convention de Strasbourg de 1998 (Convention sur la protection de l’environnement par le droit pénal, Strasbourg, 4.XI.1998) n’est jamais entrée en vigueur mais elle a pu inspirer les textes postérieurs. En ce moment des réflexions sont menées au Conseil de l’Europe. C’est également l’œuvre de la CEDH avec l’arrêt Tatar c. Roumanie du 24 janvier 2009 (n° 67021/01, F.-G. Trébulle, « Droit de l’environnement mai 2008 – mai 2009 » : D. 2009, 2448) qui impose des obligations positives et la prise préventive des mesures suffisantes. La jurisprudence renvoie à la Directive du 18 novembre 2008 (n° 2008/98/CE du 19/11/08 relative aux déchets et abrogeant certaines directives). La proposition de Directive sur le droit pénal de l’environnement, qui avait été présentée par la Commission le 15 décembre 2021 envisage un durcissement des mesures pour lutter contre la criminalité environnementale, elle souligne que la dynamique préventive impose de sanctionner les négligences. Le droit pénal doit avoir un effet dissuasif. De l’Europe nous vient le message que l’imprudence doit être sanctionnée (le sujet de l’influence du droit de l’Union en la matière est particulièrement d’actualité, à paraître : J. Lagoutte, « L’influence (toute relative) du droit de l’Union européenne sur le droit pénal de l’environnement » in L’influence du droit de l’Union européenne sur le droit pénal spécial ss. la dir. de M. Bardet et T. Herran, IFJD). Pas loin d’ici, on parle de vigilance (au Sénat : Proposition de résolution tendant à faire de la responsabilité sociale et environnementale un atout pour les entreprises).

Le Professeur évoque la notion de diligence raisonnable et estime qu’il est nécessaire d’être dans une démarche préventive. Pour lui, l’imprudence environnementale est bien présente et il constate sa morbidité. L’imprudence environnementale est très connue à travers de multiples décisions, la seule constatation d’une violation en connaissance de cause établit la conscience du risque. François-Guy Trébulle donne pour exemple l’affaire de l’amiante (Crim., 14 avr. 2015, n° 14-85.333, n° 14-85.334, 14-85.335, JCP G 15 juin 2015, obs. H. Matsopoulou ; Gaz. Pal. 18-19 juill. 2014 n° 199 à 200, p. 19, note R. Mésa ; F.-G. Trébulle : « Expertise scientifique : Où l’on retrouve le dossier de la responsabilité liée à l’amiante » : Dr. envir. 2014, nº 219) et celle de l’Erika qui est pour lui un très grand arrêt de la prudence, ou plutôt de l’imprudence, Total se voyant reprocher sa témérité (Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938, F.-G. Trébulle, « Arrêt Erika : illustration de la responsabilité du fait de négligences » : Bull. Joly 2013, n°1 et « Quelle prise en compte pour le préjudice écologique après l’Erika ? » : Environnement mars 2013, p.19 ;J.-H. Robert, « L’épave de l’Erika est juridiquement stabilisée » : Revue des sociétés 2013, 110et « Le parquet de la Cour de cassation illustre avec honneur son indépendance » : Dr. pénal janv. 2013, comm. 10;  E. Desfougères, « Erika : la Cour de cassation refixe le bon cap vers l’indemnisation » : JAC n° 127, oct. 2012 et « Les multiples enseignements juridiques fondamentaux tirés des procès successifs de l’Erika » in Université et Prétoire Mélanges en l’honneur de Monsieur le Professeur Claude Lienhard, L’Harmattan, coll. Droit privé et sciences criminelles, 2020, pp. 317/334).

Isabelle Goanic revient sur l’arrêt Erika, le contrat mettait des obligations à la charge de Total (sur la notion de contrat d’affrètement au voyage V. P. Bonassies et Ch. Scalpel, Traité de Droit maritime Paris, LGDJ 2006 pp. 491 et ss.). Elle insiste sur la pénalisation de l’abstention, ainsi a été retenu le délit par abstention de réaliser les prescriptions d’un arrêté devant permettre la réalisation de travaux de remise en état (Crim. 18 oct. 2022, n° 21-86.965 : « ce délit peut être consommé par la simple abstention de satisfaire aux dites prescriptions », en l’espèce la société s’était « expressément engagée, pour les petits mammifères, à replanter des haies arborées, arbustives et buissonnantes et, pour les oiseaux, à créer un stock de nouveaux arbres favorables à un habitat d’accueil »). La Conseillère cite aussi l’article L. 216-6 du code de l’environnement en cas d’atteinte au système aquatique, ainsi que l’article L. 218-2 en cas de pollution de l’air avec la condamnation du capitaine d’un navire pour non-respect de la teneur en soufre (Crim. 6 déc. 2022, n° 21-85.948, Gaz. Pal. 14 fév. 2023, p. 44, note S. Detraz). La Chambre criminelle a condamné à plusieurs reprises des comportements d’abstention, par exemple en ne faisant pas vérifier la configuration d’une installation (pour une fuite de gaz : Crim. 18 nov. 2008, n° 08-81.361, RSC 2009. 94, obs. Y. Mayaud) ou en continuant l’exploitation d’une station d’épuration sans autorisation adéquate alors que l’épandage des boues était bien soumis à autorisation, (Crim. 25 oct. 2016, n° 15-86.353).

Jean-Louis Croizier considère que le droit pénal de l’environnement comprend de nombreuses infractions intentionnelles mais que l’importance sociétale est inversement proportionnelle à la part qui lui est consacrée dans le contentieux (1 à 1,5 %). Son intervention est un plaidoyer en faveur d’une meilleure pénalisation des atteintes involontaires à l’environnement car les fondements textuels de poursuites ne sont pas satisfaisants.

Pourquoi ne pas utiliser davantage la mise en danger ?

Il est difficile de mesurer la potentialité du dommage. L’article L. 173-3-1 du code de l’environnement punit normalement une infraction, mais en réalité ce n’est pas vraiment le cas, n’y sont mentionnées que des circonstances aggravantes (S. Bécue, « Les nouvelles infractions pénales de la loi « climat et résilience » : une caractérisation impossible ? » : Lexbase Public, Texte, sept. 2021). Par ailleurs, il y a trois limites à ce texte, une limitation à certaines infractions car il exclut les atteintes à l’air, au sol et au sous-sol (le texte ne vise que l’exposition à un risque immédiat d’atteinte grave et durable de « la faune, la flore ou la qualité de l’eau »), une limitation quant aux dommages car il exclut aussi les atteintes qui ne sont pas susceptibles de durer au-delà de sept ans, s’y ajoute la limite posée par les problèmes de preuve. Un groupe de travail auquel a appartenu Jean-Louis Croizier a demandé la création d’une infraction autonome pour sanctionner les actes de négligence grave exposant directement ou indirectement l’environnement (F. Molins et J.-B. Perrier, Le traitement pénal du contentieux de l’environnement : Rapport du groupe de travail relatif au droit pénal de l’environnement présidé par François Molins, Presses Universitaires d’Aix-Marseille). Mais il faut tenir compte du principe de légalité, ce qui oblige à mentionner l’article 121-3 du code pénal, le texte pourrait être ainsi rédigé : « expose, l’eau, les sols, la flore… au sens de l’article 121-3 du code pénal. » Cette nouvelle infraction pourrait servir de fondement aux poursuites dans les hypothèses où le préjudice est difficile à prouver comme dans les affaires Volkswagen ou Lubrizol.

Capucine Lanta de Bérard a participé également à ce groupe de travail, en ce qui concerne l’infraction de mise en danger, elle rappelle les arrêts Covid et la difficulté soulevée par l’exigence d’une obligation particulière de sécurité dans l’affaire Agnès Buzyn (Ass. Plén., 20 janvier 2023, n° 22-82.535,Y. Mayaud, « De la mise en examen à la mise en danger : la Cour de justice de la République entre ajustements et censure » : JCP G 27 fév. 2023 ; G. Chétard, « Covid-19 et risques causés à autrui : ministère particulier cherche obligation particulière de prudence ou de sécurité » : JAC n° 224, fév. 2023). Le droit de l’environnement est étroitement lié au droit des personnes, on trouve beaucoup d’infractions pour atteintes aux personnes en droit de l’environnement.

L’affaire Agnès Buzyn est également évoquée par Jean-Louis Croizier, selon lui il faut rapprocher la norme référence et la norme référée. En matière de droit de l’environnement les règles sont rares.

François-Guy Trébulle revient sur l’arrêt de la Chambre criminelle du 6 décembre 2022, le bateau était en contravention ici, mais en situation légale ailleurs, la Chambre criminelle rejette le pourvoi à l’encontre de l’arrêt d’appel car le capitaine garantit la sécurité (« Le capitaine, garant de la Sécurité du navire et de son équipage, de la protection de l’environnement et de la sûreté, est tenu personnellement, à ce titre, de connaître et faire respecter, sans pouvoir évoquer son ignorance de la loi, les règles relatives à la pollution par les rejets des navires, et doit s’assurer de la conformité du combustible utilisé à la législation applicable » (V. égal, Crim. 25 sept. 2012, n° 10-82.938 (Erika), D. 2012, p. 2711, note P. Delebecque et Crim. 24 sept. 2019, n° 18-85.846 (Thisseas), AJ pénal 2019. 606, obs. G. Poissonnier ; Dr. pénal 2020, comm. 240, note J.H. Robert), la méconnaissance de la norme est au service de la réparation.

Il ressort encore de cette table ronde que le référé-pénal environnemental est peu utilisé car il souffre de la concurrence avec d’autres référés (Crim. 28 janvier 2020, n° 19-80.091 : D. actu. 16 mars 2020, obs. A. Roques ; Lexbase Quotidien, fév. 2020, obs. J. Perot :  « l’article L. 216-13 du code de l’environnement ne subordonne pas à la caractérisation d’une faute de la personne concernée de nature à engager sa responsabilité pénale le prononcé par le juge des libertés et de la détention, lors d’une enquête pénale, de mesures conservatoires destinées à mettre un terme à une pollution ou à en limiter les effets dans un but de préservation de l’environnement et de sécurité sanitaire »).

Est encore évoquée la CJIP (convention judiciaire d’intérêt public, art. 41-1-3 CPP ouverte aux « personnes morales mises en cause pour un ou plusieurs délits prévus par le code de l’environnement ainsi que pour des infractions connexes »), laquelle, après des débuts difficiles, touche un certain nombre d’infractions diverses. Reste que la réparation du préjudice écologique est balbutiante et que les CJIP ne sont pas ouvertes aux atteintes à la personne.

« De l’imprudence et de la prudence », formule François-Guy Trébulle pour conclure cet échange fructueux entre spécialistes du droit de l’environnement en mettant en avant la règle de la durabilité d’où se décline tout un corpus de règles de mieux en mieux formalisées. Le Guide CDE 2018 promeut une diligence raisonnable.

Nous sommes, mon collègue le Professeur Claude Lienhard, Jo Laengy, rédacteur en chef historique, et moi-même, très sensibles et honorés de la référence au Journal des Accidents et des Catastrophes faite par le Professeur François-Guy Trébulle à l’occasion de cette table ronde, ce Journal aujourd’hui de référence (https://www.jac.cerdacc.uha.fr/), que nous venions de créer lui avait permis de prendre connaissance de la décision du tribunal correctionnel de Paris du 6 juillet 2000 rendue quelques jours avant la réforme  et concernant un crash aérien au Sénégal, le pilote ayant confondu l’allée d’un hôtel avec la piste d’atterrissage (C. Lienhard, « Crash du Cap Skirring : une décision à retenir » : JAC n° 7, oct. 2000 – la décision est archivée).

Conclusion

Le redoutable honneur de la conclusion revient à Jean-Christophe Saint-Pau pour qui la faute d’imprudence est à la fois plurielle et singulière. Les principes relatifs à la norme, à la culpabilité et à la causalité se jouent moderato, allegro et presto.

Le principe de nécessité posé par l’article 5 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qui crée une tension entre, d’une part une logique de protection des personnes et des biens ainsi que des valeurs sociales comme le devoir de prudence et, d’autre part, le principe de subsidiarité. On ne sanctionne pas tous les comportements mais on les sélectionne avec cette discussion quant à la maladresse. Le juge pourrait ne retenir que les fautes les plus graves mais l’écriture du texte ne le permet pas.

La légalité, là encore, introduit une tension entre deux logiques, la prévisibilité mais aussi la nécessité de punir, d’où une rédaction vague des infractions non-intentionnelle. D’un côté, l’appréciation de la faute renvoie un standard de comportement, elle doit donc se faire in abstracto, mais d’un autre côté, il faut depuis la loi de 96 apprécier in concreto le comportement du prévenu. La loi instaure aussi une technique d’incrimination par renvoi qui oblige le juge à définir a posteriori une norme de sécurité.

Et puis, l’égalité qui génère une tension entre les personnes physiques et les personnes morales. Personnes physiques et personnes morales sont-elles toujours dans une situation différente ? A-t-on pensé aux associations qui ne sont pas dans la même situation que les grandes entreprises ?

Pour les personnes physiques, l’objectif de la loi de 2000 était de favoriser les décideurs publics mais finalement la formule est plus générale.

Durant ce colloque, le Professeur Saint-Pau s’est rendu compte de la pluralité du droit pénal. La responsabilité pénale professionnelle est à cet égard particulièrement intéressante : les fautes attitrées, par délégation, sont souvent présumées et elles sont aussi souvent déontologiques. A côté, il y a une responsabilité du particulier où, là encore, il y a des inégalités, comme par exemple des circonstances aggravantes pour les accidents de chantier. Au-delà, il en est de même en cas d’ivresse au volant d’une voiture, au gouvernail d’un bateau ou aux commandes d’un avion.

Se pose aussi la question de l’imputabilité, la faute simple est matérielle, presque objective, alors qu’une telle faute était censée disparaître. Pourtant, du point de vue théorique, l’article 121-3 définit bien la faute de manière matérielle, pour exemple le délit de pollution par épandage de boue sans autorisation, la Cour de cassation déduit l’élément moral des faits matériels.

La loi du 10 juillet a mis fin à la dualité des fautes civile et pénale, jusque-là on n’avait jamais vu de décès avec une relaxe pour faute simple et une condamnation au civil.

S’agissant de la faute qualifiée, il y a une différence de nature entre la faute délibérée et la faute caractérisée. Pour la première, il y a la volonté de violer une règle de manière manifestement délibérée qu’importe la conscience du danger alors que pour la seconde, le texte précise qu’il y a une exposition à un risque grave que la personne poursuivie ne pouvait ignorer. Il s’en est suivit des discussions doctrinales et des arrêts d’interprétation divergente : faut-il établir la preuve de la connaissance ou bien cette dernière est-elle induite par la faute ou par la qualité de l’auteur ?

La causalité ou les causalités ? Pour l’intervenant il convient d’utiliser le pluriel car se posent deux questions, celle de la certitude et celle de l’amplitude.

L’affaire du crash du Rio-Paris démontre que la question de la certitude est complexe lorsque plusieurs éléments s’enchaînent. Faut-il prendre en considération tous les éléments ou bien sélectionner les antécédents ? La Chambre criminelle a une position nuancée, la faute simple peut n’être que contributive mais cette conception est corrigée car il y a parfois une contribution sélective de la causalité. Il y a aussi le cas particulier de l’omission qui est à part dans la chaîne causale. La causalité juridique peut être morale.

En ce qui concerne l’amplitude, il n’y a pas d’arrêt qui livre/tire de la formule un critère de distinction : la causalité adéquate est retenue dans certaines décisions comme celles qui optent pour le facteur déterminant alors que le critère de la proximité spatio-temporelle est appliqué dans d’autres. Entre ces deux théories, laquelle choisir ? Le risque de la première est de considérer que toute causalité déterminante est certaine et vice-versa, mais pour le magistrat la cause peut parfois être dépassée en tenant compte de la gravité de la faute.

Le texte est articulé autour de deux pôles : les particuliers et les professionnels. Selon Jean-Christophe Saint-Pau, il faut mieux définir la faute qualifiée et il souligne notamment le caractère supplétif de la faute caractérisée, il n’y a pas d’interdiction pour le juge d’aller d’abord vers la faute délibérée pour aller ensuite vers la faute caractérisée.

Après cette conclusion particulièrement brillante, la discussion se poursuit lors du cocktail clôturant agréablement ce colloque. Le Professeur Yves Mayaud dit l’heureuse surprise qui a été la sienne de découvrir à la lecture du programme que trois membres de sa « famille » y intervenaient. Comme il avait aussi été membre du jury de thèse et de celui du concours de l’agrégation de Jean-Christophe Saint-Pau, celui-ci souhaite agrandir à quatre le nombre de membres de cette famille étant intervenu au colloque en revendiquant la qualité de fils adoptif.