Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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RISQUES ENCOURUS PAR LES PROPRIÉTAIRES DE PISCINES, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences HDR, émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC

Commentaire de Cass. 2e civ., 9 mars 2023, n° 21-18.713

Mots-clés : noyade d’un enfant – piscine privée – responsabilité civile – absence de faute des propriétaires de la piscine – absence de défaut de surveillance – rejet de la demande d’indemnisation.

Un drame a été vécu par une famille dont le très jeune enfant a été découvert inanimé dans une piscine puis a perdu la vie quelques jours plus tard. Les proches du défunt ont tenté d’obtenir réparation du préjudice subi en raison de la perte d’un être cher, ceci en invoquant l’attitude fautive des propriétaires, liée à l’absence de sécurisation des lieux. Leur demande a été rejetée, la Cour de cassation mettant hors de cause les propriétaires de la piscine, jugés non fautifs dans cette affaire.

Pour se repérer

Un enfant de deux ans et demi s’était rendu avec de jeunes amis dans le jardin d’une propriété non entièrement clôturée. Les ayant quittés et ayant échappé à la surveillance de ses parents, il a pénétré dans une autre propriété située quelques maisons plus loin, dans laquelle était installée une piscine à l’arrière de la maison. Il a été retrouvé inanimé dans l’eau après une chute dans le bassin et malheureusement, placé en service de pédiatrie, il est décédé dix jours plus tard. Ses parents et ses frères et sœurs ont introduit une action en responsabilité civile en invoquant la faute des propriétaires de la piscine et leur préjudice lié au décès. Selon eux, les gardiens de la piscine ont mal assuré la surveillance des lieux et ont manqué de vigilance car elle n’était pas recouverte par une protection rigide mais par une simple bâche et parce que les lieux n’étaient pas clôturés, si bien que leur jeune fils avait pu pénétrer dans leur jardin. Estimant que ladite bâche n’offrait pas les garanties de sécurité nécessaires pour éviter des risques de noyade, d’autant que la piscine était installée sur une propriété non close, les membres de la famille souffrant de leur deuil ont déposé une plainte contre les propriétaires. Cependant, le tribunal correctionnel a relaxé les habitants du chef d’homicide involontaire. Il a toutefois déclaré recevable la constitution de partie civile de la famille. Néanmoins, les juges de la cour d’appel ont ensuite débouté les parents de leur demande d’indemnisation le 15 avril 2021 (CA Douai, 3e chambre, 15 avr. 2021, n° 19/06085), considérant que les propriétaires n’avaient pas commis de faute. Parents et enfants se sont alors pourvus en cassation parce que,  selon eux, les juges de la cour d’appel ont violé les articles 1382 et suivants du Code civil,  remplacés par les articles 1240 et suivants (ordonnance n° 2016-131 du 10 févr. 2016).

Pour aller à l’essentiel

Les propriétaires d’une piscine peuvent voir leur responsabilité civile engagée en cas de noyade, mais leur faute d’imprudence doit être établie. La faute évoquée dans ce dossier était liée au fait de ne pas avoir installé sur la piscine une bâche suffisamment rigide et de ne pas avoir exercé une surveillance constante, mais elle n’a pas été reconnue par les juges du fond et la Cour de cassation a confirmé leur décision. Pour les juges, il n’y a effectivement aucun lien de causalité entre la noyade d’un enfant non surveillé par ses parents et l’attitude des propriétaires d’une propriété privée dans laquelle un jeune enfant a pénétré sans autorisation et de manière isolée. En effet, l’enquête lancée par le procureur de la République a bien montré que les habitants faisaient le nécessaire pour sécuriser les lieux, mettant en place une bâche de sécurité rigide quand ils étaient absents de leur domicile. En revanche, pour pouvoir se baigner régulièrement, ils procédaient au nettoyage de leur piscine et y installaient une bâche non rigide, ne pouvant pas imaginer que quelqu’un allait rentrer chez eux sans leur autorisation. On ne peut donc pas leur reprocher la violation des normes de sécurité.

En conséquence, la demande d’indemnisation des requérants liée à la noyade d’un très jeune enfant dans une piscine a été rejetée, notamment parce qu’à cet âge, un enfant ne doit pas être laissé sans surveillance parentale et que les habitants ne pouvaient pas penser qu’un mineur viendrait se promener tout seul autour de leur piscine sans qu’ils soient prévenus. Puisque la responsabilité civile des propriétaires ne peut pas être engagée, ils sont mis hors de cause dans ce dossier, malgré le triste décès lié à une noyade survenue à leur domicile.

Pour aller plus loin

Être propriétaire d’une piscine privée, c’est certes risqué mais laisser son enfant de deux ans et demi en compagnie d’autres mineurs, dont l’aîné n’a que dix ans,  n’est pas du tout raisonnable. Permettre à un enfant d’accéder seul à un point d’eau entre en contradiction avec les missions parentales, même s’il est vrai que les mineurs sont naturellement attirés par l’eau, ce qui peut les conduire à tenter d’échapper à la vigilance des adultes.

Certes,  le fait que   l’enfant soit victime d’un tel drame et meure après être tombé dans une piscine est bien éprouvant, mais cela ne suffit pas à faire des reproches aux propriétaires d’une maison avec piscine. Une fois qu’elle est installée chez soi, on n’est pas obligé de la surveiller de manière constante. Il faut toutefois bien respecter les normes de sécurité imposées en la matière. Quand on est chez soi, on peut toutefois ne pas placer une bâche rigide en permanence. La bâche protectrice est à mettre quand on quitte les lieux. Surtout, les propriétaires ne pouvaient pas penser qu’un si jeune enfant pénétrerait chez eux sans être accompagné par ses parents.

Une piscine est avant tout un lieu de plaisir et de détente, néanmoins elle peut être le théâtre d’accidents graves, beaucoup de morts étant à déplorer dans les piscines, comme dans les lacs ou la mer. Pour tenter d’y remédier, le législateur a mis en place en 2003 un dispositif de sécurité afin que chacun protège bien son bassin (I). Des sanctions civiles et pénales sont encourues si la piscine n’est pas pourvue de l’équipement exigé et qu’un drame survient (II).

I – La sécurisation des piscines privées

La loi n° 2003-9 du 3 janvier 2003 relative à la sécurité des piscines (JO du 4 janvier) a créé le chapitre VIII du Code de la construction et de l’habitation dans le but de réduire le nombre de noyades ou d’accidents (loi complétée par le décret d’application n° 2003-1389 du 31 déc. 2003, JO 1er janvier 2004 : I. Corpart, Complément de sécurité pour les piscines, de la loi au décret, JAC n° 41, févr. 2004 ; décret amendé le 7 juin 2004 ; I. Corpart, Piscines privées : rectificatif prévu par le décret n° 2004-499 du 7 juin 2004, JAC n° 46, juill. 2004). Afin d’éviter la recrudescence du nombre de noyades, le législateur a effectivement mentionné dans l’article L. 128-1 du Code de la construction et de l’habitation, alors applicable à l’espèce, que « les piscines enterrées non closes privatives à usage individuel ou collectif doivent être pourvues d’un dispositif de sécurité normalisé visant à prévenir le risque de noyade » (réglementation critiquée par un auteur : J.-Ph. Feldmann, Une loi qui prend l’eau, D. 2005, p. 2329).

Désormais,  toutes les piscines privées existantes doivent être sécurisées, qu’elles soient à usage individuel ou collectif, y compris quand elles sont incluses dans une location saisonnière, quand leur bassin est enterré ou semi-enterré, mais non quand elles sont hors-sol, gonflables ou démontables (I. Corpart, Les normes de sécurité imposées aux propriétaires de piscines revues et corrigées, AJDI, 2004, p. 361 et La lente et laborieuse normalisation de la sécurité dans les piscines privatives, AJDI mars 2005, p. 199). En outre, pour les piscines publiques ou privées à usage collectif, une déclaration doit être faite à la mairie du lieu de leur implantation (CSP, art. L. 1332-1).

En vue de protéger le bassin et surtout d’éviter qu’il y ait des victimes de chutes accidentelles, les propriétaires doivent installer le dispositif de sécurité agréé car,  sinon, leurs sanctions peuvent être lourdes. Il faut mettre en place soit une alarme de sécurité, soit une barrière pour clôturer les lieux, soit une couverture sécurisante ou un abri de piscine, type véranda couvrant intégralement la piscine.

Certes ces mesures sont contraignantes mais cela peut sauver des vies. Ne pas équiper sa piscine d’un dispositif de sécurité homologué peut être lourd de conséquences.

II – Les sanctions encourues par les propriétaires de piscines privées

Si une personne se noie dans une piscine, tout propriétaire qui n’a pas respecté la loi sur la sécurité des piscines privées s’expose à une amende pouvant atteindre 45 000 euros et parfois à trois ans de prison pour homicide involontaire. Conformément à l’article 221-6 du Code pénal,  « le fait de causer par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45.000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75.000 euros d’amende ».

Dans cette affaire, la famille de la jeune victime avait porté plainte mais le tribunal correctionnel avait relaxé les propriétaires du chef d’homicide involontaire, toute la question étant de savoir si leur responsabilité civile pouvait être retenue. « On est effectivement responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde » (C. civ., art. 1242, al. 1er ).

La noyade du jeune enfant a ouvert un débat sur la question de l’insécurité liée à certaines piscines mal gérées par leurs propriétaires.

Se noyer dans une piscine est la première cause de mortalité des très jeunes enfants, notamment de ceux qui ne savent pas encore nager. De tels accidents sont malheureusement fréquents et il faut rappeler aux propriétaires qu’ils doivent rester vigilants et bien sécuriser leur piscine afin de prévenir les risques de noyade.

En revanche, lorsque les propriétaires justifient avoir installé un dispositif de sécurité en fournissant une attestation ou lorsqu’une enquête programmée par le procureur de la République comme dans cette affaire montre qu’ils ont fait le nécessaire, ils ne sont pas jugés responsables malgré le drame vécu par la noyade d’une personne, qu’elle ait décidé de nager ou ait chuté dans le bassin.

Effectivement, en l’espèce, la jeune victime a été repêchée inconsciente et elle a été maintenue dix jours en réanimation mais elle a alors perdu la vie. Néanmoins, les propriétaires n’ont pas été jugés responsables parce qu’on ne pouvait pas leur reprocher une absence de dispositif de sécurité.

Si la faute des habitants avait été reconnue, ils auraient pu de leur côté invoquer une faute de la victime car le mineur était entré chez eux sans les prévenir et sans avoir le droit de déambuler autour de leur piscine. La faute des propriétaires aurait pu également découler de leur obligation de surveiller les personnes durant leur baignade mais tel n’était pas le cas en l’espèce.

Aucune faute d’imprudence ayant été retenue contre eux, les juges de la Cour de cassation ont confirmé la décision des juges du fond de ne pas retenir leur responsabilité malgré la noyade. Si les parents du défunt estimaient que les habitants n’avaient pas respecté les consignes de sécurité contre le risque de noyade en installant sur leur piscine une simple bâche, les juges ont considéré qu’ils ne pouvaient pas imaginer qu’un enfant pénètrerait dans leur propriété privée sans y avoir été invité. Les intéressés ne sachant pas que l’enfant était rentré dans leur propriété, aucun lien de causalité ne peut être évoqué entre leur comportement et la noyade d’un mineur qui n’était pas surveillé par ses père et mère.

Les propriétaires avaient en effet fait installer une bâche de sécurité rigide qu’ils utilisaient quand ils quittaient leur domicile, mais ce n’était pas le cas lors de ce drame. Il ne leur est effectivement pas imposé d’exercer une surveillance constante de leur bassin ou de mettre en place cette bâche plus protectrice à tout moment, notamment quand ils veulent se baigner ou quand ils sont à l’intérieur de leur maison.

Vu le très jeune âge du défunt, sa famille ne pouvait pas non plus tenter d’obtenir une indemnisation pour le préjudice qu’il aurait subi dans l’attente de sa mort prochaine après cet accident. En effet, la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le patrimoine de la victime puisque seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance morale liée à la conscience de sa mort prochaine (Cass. 2e civ., 23 nov. 2017, n° 16-13.948, Responsabilité civile et assurance, n° 2, févr. 2018, comm. 32 par S. Hocquet-Berg).

Certes,  le risque de noyade des jeunes enfants est un sujet très grave, des accidents étant à déplorer régulièrement, y compris dans des piscines publiques installées dans des communes (M. Delamarre, La sécurité dans les piscines municipales : JCP A 2005, 1260) ou des hôtels, de même que dans la mer ou des fleuves, ces noyades accidentelles étant souvent suivies de décès. Néanmoins,  si les propriétaires de la piscine n’ont pas commis de faute , leur responsabilité ne peut pas être engagée. La prévention est certes le premier moyen de protection contre les noyades mais cela ne signifie pas qu’ils doivent rester constamment aux abords de leur bassin.