Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LE RISQUE DE VIOLENCES À L’ENCONTRE DES ÉLUS : L’EXEMPLE DU MAIRE DE SAINT-BRÉVIN-LES-PINS, V. Doebelin

Vincent DOEBELIN

Doctorant en droit public et chargé d’enseignement à l’Université de Haute-Alsace

Membre du Centre Européen de Recherche sur le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR3992)

Claude Lienhard faisait déjà part dans l’édito du 226e numéro du JAC de la violence que l’on retrouvait aujourd’hui un peu partout dans nos sociétés (C. Lienhard, « Édito : de la violence partout ! », JAC n° 226, 28 avril 2023). Il y a quelques années, nous faisions également part d’un phénomène de violence à l’encontre des sapeurs-pompiers et du personnel médical (V. Doebelin, « Attaques à l’encontre des sapeurs-pompiers : vers une nouvelle réponse des pouvoirs publics ? », JAC n° 172, 22 décembre 2017). L’actualité fait à nouveau résonner ce constat à travers la question des violences envers les élus locaux, notamment les maires, exposés quotidiennement aux courroux de leurs administrés. S’ils ont toujours été, selon la formule consacrée, « à portée d’engueulades », les maires semblent devoir faire face à un phénomène qui va crescendo. Récemment, l’incendie criminel de deux véhicules et d’une partie de la maison d’habitation du maire de Saint-Brévin-Les-Pins (Loire-Atlantique) a choqué de nombreux élus et citoyens au-delà de ce seul territoire (sur cette affaire : J. Chaillou, « Démission du maire de Saint-Brévin : où en est l’enquête sur l’incendie criminel qui l’a visé ? », Le Figaro, 17 mai 2023). La ville dirigée par ce dernier devait accueillir la construction d’un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile qui semble être « la cause » de ce déchainement de violences à l’encontre de l’édile et de sa famille. Le 9 mai dernier, le maire de Saint-Brévin, Yannick Morez, a présenté sa démission, médiatisant cet « appel à l’aide » qui reflète hélas le désarroi de nombreux élus locaux. Si l’émotion suscitée par ce drame a rapidement entrainé l’annonce de mesures concrètes par le gouvernement (I), les difficultés réelles à résoudre ce phénomène de violences font craindre une importante « crise de vocation » et d’engagement à la tête de nos communes dans les années à venir (II).

I) Des mesures annoncées par le gouvernement pour lutter contre des violences grandissantes envers les élus locaux.

L’observatoire de la démocratie de proximité, sous l’égide du CEVIPOF/SciencesPo, met en avant une hausse considérable des violences à l’encontre des élus locaux. Dans sa quatrième enquête, publiée en novembre 2022, si les incivilités et violences touchaient déjà 53% des maires en 2020, l’an dernier cette proportion serait montée à 63% (A LIRE ICI ). Les exemples sont nombreux (v. B. Floc’h, « Le nombre d’agressions d’élus marque une hausse », Le Monde, 15 mars 2023) et quotidiennement rapportés par les différents journaux locaux : des tags ont ainsi été relevés sur la tombe des beaux-parents du maire d’Étueffont, dans le Territoire de Belfort ; le maire de Colmen, petite commune de Moselle, a lui reçu des menaces de mort dans un courrier anonyme ; la maire de Vandelans, en Haute-Saône, ainsi que son adjoint ont été agressés par le locataire d’un logement communal et ont subi des injures homophobes. La liste qui ne peut être exhaustive n’en est pas moins révoltante ! Si les associations de maires peuvent désormais se constituer partie civile, en soutien aux élus qui subissent de telles violences (L. n° 2023-23 du 24 janvier 2023, visant à permettre aux assemblées d’élus et aux différentes associations d’élus de se constituer partie civile pour soutenir pleinement, au pénal, une personne investie d’un mandat électif public victime d’agression, JORF du 25 janvier 2023), le gouvernement a annoncé travailler encore à la mise en place de nouvelles mesures : la création de 3 000 référés dédiés dans les forces de l’ordre, ou encore l’aggravation des peines encourues en la matière… Au demeurant, personne ne semble cacher la difficulté bien réelle à endiguer ce phénomène, le président de la République appelant même à éviter la « décivilisation ».

II) Un phénomène de violences à l’encontre des élus locaux difficile à endiguer : le risque d’une crise de l’engagement.

Si l’engagement particulièrement chronophage que suscite un mandat d’élu local de même que la faible indemnisation dans les petites et moyennes communes font craindre déjà depuis longtemps le risque d’un désengagement certain (sur ce sujet, v. notamment : V. Doebelin, « Pour une réforme du régime indemnitaire des élus municipaux dans une démocratie en souffrance ? », JCP A 2020, 504), cette actualité peu réjouissante ne manque pas d’interpeller sur l’avenir des exécutifs et des assemblées délibérantes de nos communes. Si la première partie (2014-2017) du dernier mandat municipal avait déjà enregistré la démission de 1 319 maires, l’actuelle mandature compterait 1 605 fins de fonctions (P. Garcia, R. Gaspar, « Les démissions de maires en légère hausse », La Gazette des communes, 16 mai 2023). Si la hausse ne semble pas « spectaculaire » pour le moment, l’Association des maires de France (E. Galiero, « David Lisnard : « Les démissions d’élus locaux atteignent un niveau jamais vu » », Le Figaro, 2 avril 2023) et le ministère en charge des collectivités territoriales s’inquiètent donc légitimement d’une potentielle hausse des démissions et entendent déjà veiller à éviter toute crise de vocation et d’engagement pour le prochain scrutin municipal… et cela ne semble pas gagné d’avance au grand dam de notre démocratie représentative et de nos valeurs républicaines ! De son côté, la commission des lois du Sénat a récemment auditionné le maire de Saint-Brévin, dans le cadre d’un plus large travail d’une mission d’information sur l’avenir de la commune et du maire en France. En sortiront sans doute d’autres pistes de réflexion qu’il conviendra d’explorer pour améliorer et sécuriser les fonctions de maires !