Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ASSURANCE DE RESPONSABILITE CIVILE : LA CLAUSE, TOUTE LA CLAUSE, RIEN QUE LA CLAUSE ! M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

Observations sous :

Civ. 2e, 21 septembre 2023, n° 21-19.776

et

Civ. 2e, 21 septembre 2023, n° 21-16.796

Par deux arrêts rendus le même jour, la deuxième Chambre civile rappelle l’importance de la rédaction des clauses des contrats d’assurance tant pour les clauses d’exclusion de garantie que pour celles relatives à la durée de la garantie. 

Mots-clés : assurance ­de responsabilité civile – clauses d’exclusion de garantie – clauses de réclamation – art. L. 113-1 et L. 124-5 C. assur.

La précision de la rédaction des clauses d’exclusion des contrats d’assurance a largement alimenté le contentieux de l’indemnisation des pertes d’exploitation des entreprises en raison du Covid 19 (A. Pimbert, « Assurance de pertes d’exploitation et Covid 19 : la Cour de cassation valide la clause d’exclusion du contrat AXA » : JCP G 2023, p. 256 ; D. Krajeski « Assurance et perte d’exploitation, la clause d’exclusion est toujours valable ! » : RCA sept. 2023 comm. 233). Ce principe général s’applique bien évidemment en assurance de responsabilité civile et la deuxième chambre civile de la Cour de cassation vient d’en connaître dans une affaire relative à l’indemnisation du préjudice d’anxiété de salariés exposés à l’amiante (Civ. 2e, 21 sept. 2023, n° 21-19.776 ; Actu-juridique 25 sept. 2023, obs. C. Berlaud ; D. actu. 6 oct. 2023, obs. E. Petitprez) (I). Spécifique en revanche à l’assurance de responsabilité civile, les clauses relatives à la durée de la garantie ont fait leur réapparition dans un autre arrêt du même jour (Civ. 2e, 21 sept. 2023, n° 21-16.796 ; D. actu. 13 oct. 2023, obs. S. Porcher) (II).

I. La clause d’exclusion de garantie bien rédigée

L’article L. 113-1 du code des assurances dispose que « Les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ». La validité des clauses d’exclusion est à l’origine d’une abondante jurisprudence dont il résulte qu’au-delà de sa rédaction en caractères très apparents, elle doit avoir un caractère formel et limité. La clause doit être clairement exprimée, il faut qu’il n’y ait aucun doute sur la volonté des parties de restreindre le champ d’application de la garantie. Ainsi, n’est pas conforme à l’article L 113-1 du code des assurances l’exclusion qui se réfère à des critères imprécis et à des hypothèses non limitativement énumérées (Civ. 1ère civ., 29 oct. 1984 ; RGAT 1985, p. 233, note G. Viney) ou encore qui conduit à vider la garantie d’une partie significative de sa substance. La Cour de cassation a fermement énoncé que « Au sens de l’article L. 113-1 C. assur., une clause d’exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée dès lors qu’elle doit être interprétée » (Civ. 1ère, 22 mai 2002, n° 99-10.849 ; B. Beignier, « Fin de l’interprétation des clauses d’exclusion de garantie dans un contrat d’assurance : revirement de jurisprudence » : D. 2001, p. 2778).

Voici donc une nouvelle affaire concernant la validité de la clause d’exclusion dans le contexte particulier d’un litige relatif à la garantie du préjudice d’anxiété subi par des salariés exposés à l’amiante dans un établissement ouvrant droit au versement de l’ACAATA (B. Géniaut, L’anxiété des travailleurs de l’amiante, questions autour de la reconnaissance d’un préjudice, in Risques, accidents et catastrophes, Liber amicorum, En l’honneur de Madame le professeur Marie-France Steinlé-Feuerbach, H. Arbousset, C. Lacroix et B. Steinmetz, L’Harmattan, 2015 ; A. Tardif, « La réparation du préjudice d’anxiété des travailleurs de l’amiante devant le Conseil d’Etat : vers un dialogue des juges ? » : JCP E 2022, n°24, comm. 1220).

En l’espèce, l50 anciens salariés de la société de construction navale ACH, avaient engagé plusieurs procédures afin d’être indemnisé du préjudice spécifique d’angoisse subi en raison de leur exposition à l’amiante ou à des matériaux contenant de l’amiante. Plusieurs arrêts avaient condamné la société à verser une indemnité en réparation de ce préjudice. La société ACH a assigné ses assureurs successifs, à savoir les sociétés Helvetia, Allianz, Covea Risks (société spécialisée dans les risques professionnels faisant partie du groupe MMA) en garantie des condamnations financières, à hauteur de 2115 794, 45 euros, prononcées à son encontre. Les sociétés MMA dont le contrat a pris effet le 3 mars 2008. MMA avait pris la précaution d’inclure dans leurs contrats une clause excluant la garantie « les dommages corporels, matériels et immatériels (consécutifs ou non), causés par l’amiante et ses dérivés ».

La cour d’appel de Rennes dans un arrêt du 20 mai 2021, avait estimé cette clause non valable au motif que sa seule lecture ne permettait pas de connaître avec certitude son étendue et, notamment, si elle visait seulement les maladies causées par l’amiante. Elle avait considéré que cette clause devait être interprétée et qu’elle obligeait MMA à expliquer le lien de causalité qui relie le préjudice spécifique d’anxiété des anciens salariés à l’amiante.

MMA a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour de Rennes et les sociétés MMA ayant renoncé à leur action contre Helvetia, la deuxième chambre civile règle ici le litige opposant l’assuré et son assureur Allianz aux sociétés MMA. C’est pour elle l’occasion de réaffirmer les principes posés par l’article L.113-1 du code des assurances ainsi que la jurisprudence en la matière et c’est donc, sans aucune surprise qu’elle énonce : « En statuant ainsi, alors que la clause, qui excluait de la garantie, de façon claire et précise, tous les dommages corporels causés par l’amiante, ne requérait pas interprétation, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Au surplus, la cour de Rennes ayant affirmé que la clause MMA ne visait que les dommages directement liés à l’amiante et non le préjudice spécifique d’anxiété pour lesquels l’amiante n’est qu’indirectement à l’origine, la Cour de cassation considère que la cour d’appel a dénaturé les termes clairs et précis de la clause. Le droit des assurances ignore en effet la spécificité du régime du préjudice d’anxiété que lui réserve le droit civil (D. étudiants, 23 oct. 2023).

Cet arrêt démontre, une fois de plus, l’importance de la rédaction claire et précise des clauses d’exclusion et il est permis d’être surpris par la position de la cour d’appel de Rennes. Celle-ci a-t-elle voulu « forcer » l’assureur à fournir sa garantie en raison du préjudice spécifique à l’exposition à l’amiante (E. Petitprez, « La clause d’exclusion de garantie confrontée au préjudice spécifique d’anxiété » : D. actu. 6 oct. 2023) ?

Si la Cour de cassation valide la clause bien rédigée, elle sanctionne en revanche celle qui ne l’est pas.

II. La clause de durée de la garantie mal rédigée

La durée dans le temps de la garantie de responsabilité civile est une question qui oppose la logique assurantielle et la logique juridique. Le problème est celui de la détermination de la date du sinistre, événement qui conditionne l’intervention de l’assureur, date qui doit se situer dans une période couverte par le contrat. Alors que les assureurs, soucieux de limiter la garantie considèrent que le sinistre est constitué par la réclamation de la victime, en droit c’est la date du fait dommageable qui doit être prise en compte (Civ. 1ère, 16 juill. 1970 : D. 1970, 670 : « Le sinistre lui-même est réalisé dès que le fait dommageable s’est produit, il suffit donc qu’il soit antérieur à l’expiration du contrat pour que l’assureur soit tenu à garantie même si la réclamation est postérieure »). Or, de nombreuses années peuvent s’écouler entre la survenance du fait dommageable, l’apparition du dommage et finalement la réclamation de la victime ce qui signifie que l’assureur peut être tenu à garantie alors que le contrat est résilié depuis longtemps.

Afin d’imposer leur propre critère les assureurs ont introduit dans les contrats des clauses dites de réclamation de la victime dite clause « claims made » subordonnant leur garantie à la réclamation de la victime pendant la période de garantie du contrat (Y. Lambert-Faivre, « La durée de la garantie dans les assurances de responsabilité, fondement et portée des clauses réclamation de la victime » : D. 1992, chr., 14 ; G. Viney, « La clause dite de réclamation de la victime en assurance de responsabilité » : JCP 1994, I, 3378 ; M-F. Steinlé-Feuerbach, « Les assureurs face à l’aggravation de la charge de la RC produits livrés » : LPA 3 mars 1995, 4).

La Cour de cassation a fait preuve d’une hostilité croissante envers les clauses de réclamation et dans sept arrêts rendus le 19 décembre 1990 la première chambre civile avait martelé que : « Le versement de primes pour la période qui se situe entre la prise d’effet du contrat et son expiration a pour contrepartie nécessaire la garantie des dommages qui trouvent leur origine dans un fait qui s’est produit pendant cette période ; la stipulation de la police, selon laquelle le dommage n’est garanti que si la réclamation de la victime, en tout état de cause nécessaire à la mise en œuvre de l’assurance de responsabilité, a été formulée au cours de la période de validité du contrat, aboutit à priver l’assuré du bénéfice de l’assurance en raison d’un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite, comme dépourvu de cause, au profit du seul assureur, qui aurait alors perçu les primes sans contrepartie ». En conséquence, « cette stipulation doit être réputée non écrite » (JCP 1991, II, 21656, note J. Bigot ; H. Groutel, « L’extermination des clauses limitatives dans le temps de la garantie des assurances de responsabilité civile » : RCA 1991, chr., n° 4).

Jusqu’en décembre 2000 cette jurisprudence ne s’appliquait pas lorsque les textes instaurant une obligation de garantie d’assurance prévoyaient des dispositions relatives à la durée de la garantie ; la Cour de cassation faisait alors application des clauses qui figuraient dans les contrats type d’assurance obligatoire (agents immobiliers, agence de voyage, syndics de copropriété, CTS). C’est le Conseil d’État qui, le 29 décembre 2000, dans l’arrêt « Beule » a considéré la clause type comme illégale, un arrêté ne pouvant rendre cette clause licite (C. Delpoux, « Durée de la garantie dans les assurances de responsabilité réglementée : un nouveau cas d’insécurité juridique » : RGDA 2001, 33). En conséquence, les pouvoirs publics ont procédé à la suppression des clauses limitant la garantie dans le temps de certaines assurances obligatoires.

À la suite du retrait concerté des assureurs du marché de la responsabilité médicale, le législateur a remis en cause la jurisprudence prohibant les clauses de réclamation en introduisant par la loi About du 30 décembre 2002 relative à la RC médicale un mécanisme mixte assorti d’une garantie subséquente (I. Monin-Lafin, « La loi About contre les juges » : La Tribune de l’assurance, n° 65, fév. 2003, p. 27). Forts de cette avancée, les assureurs ont poussé leur avantage et obtenu le soutien du Sénat (G. Barbier, « Les nouvelles dispositions légales encadrant l’application dans le temps des garanties d’assurance de responsabilité » :  JCP 2 juill. 2003, Actu. 1237) pour la généralisation de validation de la clause de réclamation, ce qui a été chose faite par la loi n° 2003-706 de sécurité financière du 1er août 2003.

Créé par cette loi, l’article L 124-5 du code des assurances dispose dans son premier alinéa que pour les contrats RC de risques professionnels « La garantie est, selon le choix des parties, déclenchée soit par le fait dommageable, soit par la réclamation. » S’agissant des risques professionnels, et uniquement de ceux-ci, les assureurs ont donc obtenu d’avoir le choix entre le déclenchement de leur garantie par le fait dommageable ou la réclamation, la deuxième solution leur permettant de définir le sinistre uniquement par la réclamation à l’exclusion de tout autre élément constitutif leur étant bien plus favorable puisqu’elle réduit la durée de leur garantie.

Le premier alinéa de l’article L. 124-5 issu de la loi de 2003 a donc marqué un net recul de la durée de la garantie dans le temps de la RC professionnelle qui a réjoui les assureurs mais s’est heurté à une certaine résistance de la Cour de cassation qui a veillé à la non-rétroactivité de l’avantage accordé aux assureurs par le législateur (Civ. 2ème, 25 juin 2009, n° 08-14.060 ; Civ. 2ème, 15 sept. 2011, n° 10-20970 : RGDA 2012, p. 120).

Dans son arrêt du 21 septembre 2023 (n° 21-16.796), c’est sur la rédaction ambigüe de la clause dans le contrat que joue la deuxième chambre civile pour obliger l’assureur à accorder sa garantie. Les 26 et 27 janvier 2012, une viticultrice avait confié à une société Y, assurée auprès de Groupama, l’embouteillage de sa récolte. Cette société a transféré son activité à la société AEM laquelle a résilié le contrat RC avec Groupama pour s’assurer, à partir du 1er décembre 2012, auprès de le société Allianz. Le 31 janvier 2013 la viticultrice informe la société Y de l’existence de défauts du vin résultant de l’embouteillage et assigne à la fois les sociétés Y, AEM et Groupama aux fins d’indemnisation.

La garantie de Groupama dépendait de la rédaction de la clause de garantie dans le temps. Si la clause était rédigée en « fait dommageable » la garantie était due puisque ce fait avait eu lieu pendant la période de validité du contrat, mais elle n’était pas due en cas de rédaction en clause « de réclamation » car cette réclamation avait bien eu lieu après la résolution de son contrat.

Dans les conditions générales du contrat d’assurance il était stipulé que « cette garantie s’applique aux réclamations formulées entre les dates de prise d’effet et de cessation des effets du présent contrat dans la mesure où elles se rattachent à des faits dommageables survenus pendant la même période ». Contestant devoir sa garantie, Groupama obtient gain de cause devant la cour d’appel de Bordeaux qui interprète cette clause comme étant de réclamation. Ce n’est pas l’opinion de la Cour de cassation qui estime au contraire la clause comme rattachant la garantie aux faits dommageables survenus pendant la période de durée du contrat. Il est évident que Groupama n’aurait pas dû mentionner les faits dommageables dans cette clause dont l’objectif était très vraisemblablement de ne rattacher le sinistre qu’à la réclamation, cette erreur de libellé a profité à l’assuré.

Cet arrêt, qui se situe dans le droit fil de la jurisprudence de la Cour de cassation hostile aux clauses « claims made », doit servir de leçon aux rédacteurs des contrats d’assurance.