Kamel Mustapha KADIRI
Doctorant à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC
Vendredi 10 mars 2023
2ème demi-journée : de la mondialisation à la globalisation
Sous la présidence du Professeur Jean-Luc ALBERT, (Université Aix-Marseille), qui rappelle que la globalisation est un processus complexe ayant des implications économiques, sociales, politiques et culturelles importantes. Bien qu’elle puisse offrir des opportunités de développement et de progrès, elle présente également des défis et des risques importants qui nécessitent une prise en compte dans les politiques publiques et les décisions des acteurs économiques et sociaux.
1-L’évolution de l’activité douanière dans le monde
Le Professeur ALBERT poursuit en soulignant que le droit douanier, en tant qu’instrument mondialisé, doit faire face à la défense d’intérêts divergents, mais la notion d’unification du droit implique une définition universelle du droit basée sur une source commune et une unification des valeurs de référence. Selon Jean Marc SAUVE, le droit global n’est pas un nouvel ordre normatif structuré ou hiérarchisé, mais plutôt une utilisation nouvelle du droit. Une citation belge compare l’administration générale à une cathédrale complexe mais belle, nécessitant la collaboration de tous pour construire la cathédrale douanière. De son côté, la Commission européenne souligne l’évolution des services des douanes qui ne se limitent plus à la perception de recettes, mais qui sont également responsables de la durabilité, de la sûreté et du respect des droits de l’homme lors des opérations douanières. Le droit douanier a connu une évolution importante depuis son origine, il était, initialement, destiné à protéger l’économie et à générer des recettes. Aujourd’hui, il est devenu un instrument stratégique pour défendre les intérêts économiques, le protectionnisme est de retour. Bien que le droit douanier constitue un socle juridique commun, il reste partiellement construit et inachevé. Les entreprises ont besoin de soutien et d’un partenariat dans le domaine du droit douanier pour faire face à ces enjeux.
Dans son article intitulé « la France prépare depuis 30 ans son suicide lent »[1], Christophe SAINT-ETIENNE met en exergue l’importance de la Douane en tant qu’instrument pour avertir le pouvoir politique des défis posés par les pays comme la Chine, les États-Unis et l’Inde ainsi que les nouvelles exigences en matière de sécurité, d’environnement et de protection des données. Il met en évidence le manque de mesures de coopération dans le code des Douanes de l’Union (CDU) malgré son existence et rappelle la nécessité de mettre en place une véritable stratégie douanière pour faire face à ces défis. La Douane a une identité et une histoire propres qui la distinguent des autres institutions.
Il a également mis en avant la nécessité de mettre en place une véritable stratégie douanière pour faire face à ces défis, en renforçant notamment la coopération au niveau européen. Cependant, il a identifié des points faibles tels que le manque d’information et la méconnaissance collective de cette administration, qui peuvent nuire à son efficience. Il a donc appelé à des mesures pour renforcer les Douanes française et européenne, en particulier en termes de moyens humains et matériels pour faire face aux nouveaux défis frontaliers. Il est également nécessaire que la politique mette en place une doctrine nouvelle pour la Douane destinée à consolider son assise et ses missions. Effectivement, depuis les années 50, l’UE a fait le choix de construire une union douanière pour favoriser un commerce international ouvert et libre. Cette compétence est la première compétence exclusive de l’UE, ce qui signifie que c’est l’UE qui a la responsabilité de définir et de mettre en œuvre la politique douanière de ses États membres. L’espace douanier européen est donc unifié, et il existe une organisation mondiale des douanes (OMD), qui siège à Bruxelles, pour assurer la coordination internationale en matière de Douane. Chaque État membre de l’UE dispose de son propre droit douanier national et de son propre système répressif, mais ceux-ci doivent respecter les normes et les règles fixées par l’UE en matière douanière.
La classification des marchandises (le classement tarifaire) est un enjeu important pour les Douanes et les entreprises concernées, car cela peut mener à des contentieux financièrement lourds. Les Douanes doivent ainsi travailler de manière coopérative au niveau international pour assurer la sécurité et la fluidité des flux de marchandises, tout en luttant contre les fraudes et les activités illégales. Des accords internationaux et des organisations comme l’OMD sont donc cruciaux pour la coordination des politiques douanières et l’harmonisation des réglementations douanières entre les différents pays. Cela permet notamment de mieux prévenir les nouvelles formes de contrebande et de contrefaçon, qui peuvent avoir des conséquences économiques et sociales importantes.
Le contrôle de l’origine des produits d’importation constitue un enjeu crucial pour la Douane, car cela permet de garantir la perception correcte des droits et taxes douanières selon les règles en vigueur. Pourtant, les cas de contournement de ces règles, tels que l’exemple de la viande de chameaux australienne ou de l’ail chinois requalifié en Angleterre, montrent que la vigilance et la coopération internationale renforcées sont indispensables pour lutter contre la fraude douanière. La complexification des contrôles douaniers avec la mise en place de nouveaux accords commerciaux peuvent rendre cette lutte encore plus difficile, mais il est important que les autorités douanières travaillent de manière étroite avec les entreprises et les administrations concernées pour prévenir et réprimer les fraudes douanières.
Les dettes douanières peuvent créer des anomalies dans les contrôles douaniers et des contentieux entre les États-membres de l’UE. Pour assurer une efficacité et une harmonisation des pratiques douanières, la coopération entre les administrations douanières est essentielle. De plus, les enjeux technologiques et numériques doivent être pris en compte pour développer des processus dématérialisés et faciliter les échanges commerciaux tout en garantissant un contrôle efficace des marchandises. La protection des données collectées doit être assurée conformément à la réglementation européenne sur la protection des données. La coopération internationale reste donc essentielle pour lutter contre les fraudes douanières, en particulier la contrebande et la contrefaçon.
La digitalisation est un enjeu majeur pour la Douane, car elle permet de simplifier et d’accélérer les procédures douanières grâce à la dématérialisation des documents et la mise en place de systèmes de guichet unique. Cependant, cela nécessite une coopération accrue entre les administrations douanières, notamment au niveau européen, pour assurer une harmonisation des procédures et des normes de sécurité des données. La protection des données recueillies est d’ailleurs un aspect crucial, notamment dans le cadre de la gestion des flux de marchandises et de personnes aux frontières, et il est important de mettre en place des normes et des protocoles de sécurité des données pour protéger les informations confidentielles et sensibles, tout en respectant la vie privée des personnes concernées.
L’orateur a souligné le fort esprit de corps et l’identité professionnelle unique des coutumes françaises, mais a aussi noté des faiblesses dues à un manque d’information et de connaissances collectives sur l’administration. Pour renforcer les services douaniers français et européen, des mesures politiques sont nécessaires, telles que la clarification d’une nouvelle doctrine douanière et l’augmentation du personnel et de l’équipement. Les réponses douanières devraient être renforcées par la coopération internationale, notamment en ce qui concerne le contrôle de l’origine des produits importés et la lutte contre la contrebande et la contrefaçon. Les défis technologiques et numériques sont également confrontés aux douanes, et il est nécessaire de compléter le développement de processus dématérialisés et la coopération entre les administrations douanières tout en protégeant les données collectées.
Le 13 février 2023, la Douane française a lancé son premier appel à projet de recherche pour mieux comprendre l’évolution du commerce international, des fraudes et des activités douanières. Cet appel a été diffusé sur tout le territoire national afin de recueillir des propositions émanant des laboratoires de recherche universitaire. Cette initiative montre la volonté de la Douane de s’adapter aux mutations du commerce international et de renforcer sa lutte contre la fraude douanière. En faisant appel à des laboratoires de recherche, la Douane pourra bénéficier de nouvelles analyses et expertises pour mieux comprendre les enjeux actuels et futurs de leur domaine d’activité. Cette collaboration entre le monde académique et celui de la pratique peut être bénéfique pour les deux parties. Il est important de noter que la sélection des propositions se fera dans le respect des règles de déontologie pour garantir la qualité et l’intégrité des recherches sélectionnées.
2-Bas du formulaire
Analyse des éléments internationaux dans la loi douanière chinoise
Mme.Shuchun WAN (Enseignante à l’École nationale des Douanes de Shanghaï), confirme que le droit douanier est stratégique dans l’encadrement des relations internationales et vise à faciliter les échanges économiques entre les différents pays en réglementant les importations et les exportations. Les droits de douane et les taxes liées à l’importation et à l’exportation de marchandises sont des éléments clés dans les négociations commerciales internationales. La situation du droit douanier en Chine a évolué depuis l’adoption de la loi douanière chinoise en 1987 qui a permis l’ouverture principalement aux importations de matières premières. En 2000, cette loi a été révisée pour s’aligner sur les systèmes douaniers avancés des pays développés après l’adhésion de la Chine à l’OMC. En 2003, des accords locaux ont été conclus pour renforcer davantage le système douanier chinois.
L’article 44 de la loi douanière chinoise évoque la propriété intellectuelle et est considéré comme une base juridique importante pour la Chine en tant que plus grand négociant mondial de marchandises. La Chine a également signé de nombreux accords internationaux pour promouvoir sa politique environnementale et ses efforts de développement durable, ayant même reçu des prix de l’ONU pour ses efforts en la matière. La mise en place d’un système juridique efficace est importante pour mettre en œuvre le concept global de sobriété nationale et de santé publique en Chine, en réponse aux changements environnementaux. Les nouvelles technologies font désormais l’objet d’un contrôle douanier pour le commerce international. En décembre 2022, les droits de douane devaient être réduits de 67%, ce qui aura un impact significatif sur le commerce international et les relations économiques entre les pays. L’intervention a ainsi illustré l’importance d’un système juridique efficace pour mettre en œuvre le concept global de sobriété nationale et de santé publique en Chine, ainsi que pour prévenir les risques environnementaux externes et répondre aux changements environnementaux nationaux. Enfin, se trouve mis en avant l’importance de la mise en place de législations claires et adaptées par les douanes pour consolider les systèmes douaniers et répondre aux changements environnementaux nationaux.
3- Une réflexion sur les rôles des agences dans la sécurité publique et l’application d’une politique commerciale au Canada
Maître Peter KIRBY (avocat au Canada)traite de la question de savoir si la sécurité publique et la politique commerciale devraient être gérées par la même agence, en prenant l’exemple de l’Agence Service Frontalier du Canada. Il explique que ces deux domaines sont distincts et nécessitent des compétences et des connaissances différentes, ce qui peut entraîner des conflits d’intérêts et des compromis en matière de sécurité. Il est donc important de considérer ces défis, avant de décider de fusionner ou de coordonner les rôles de sécurité publique et de politique commerciale. L’agence doit assurer une gestion efficace des flux de personnes et de biens à travers les frontières du Canada, tout en respectant les lois et les règlements applicables et en assurant la sécurité publique.
Il aborde la problématique de la coordination de la politique commerciale et de la sécurité publique, qui sont gérées par deux ministres différents. Il redoute que la concentration du ministre de la sécurité publique sur sa thématique entraîne des conflits d’intérêts avec la politique commerciale. Sa démonstration insiste sur la nécessité de coordonner efficacement les ministères pour garantir une approche équilibrée et cohérente de ces deux domaines. En outre, il met en avant la nécessité pour le ministre de la sécurité publique de comprendre l’impact de la politique commerciale dans ses décisions de gestion de l’Agence Service Frontalier du Canada. En somme, il insiste sur l’importance d’une coordination efficace pour assurer la sécurité et la prospérité du pays.
Sa présentation évoque le rôle de l’Agence Service Frontalier du Canada dans les vérifications des opérateurs pour assurer la conformité et la transparence dans le commerce intérieur et la sécurité publique. Elle montre les défis liés à la collecte et à la gestion des données personnelles dans le cadre de ces vérifications. Son exposé met en évidence la dualité de rôle de l’agence en tant que responsable de la sécurité publique et de la politique commerciale, ainsi que les conflits d’intérêts potentiels qui en découlent. Il explore la possibilité de séparer les deux domaines de responsabilité pour garantir une approche plus équilibrée et transparente de la gestion des frontières du Canada. Il n’oublie pas de rappeler l’importance de protéger la confidentialité et la protection des données des individus, tout en assurant la conformité et la sécurité publique.
Il traite de l’enquête menée par l’Agence des Services Frontaliers du Canada sur les pratiques de Dumping et d’indemnisation commerciale avec la complexité et le fardeau du processus d’enquête, en particulier en raison des incohérences dans l’application du code par l’Office. Il revient encore sur les répercussions de l’enquête pour le commerce international, car les lois canadiennes sur le Dumping et l’indemnisation peuvent être difficile sur le plan des procédures, des vérifications, de la documentation, et de la préparation, en particulier pour les petites entreprises disposant de ressources limitées. L’accent est mis sur la nécessité d’améliorer la coordination et la transparence entre les divers ministères et organismes participant à l’enquête afin d’assurer une application uniforme et équitable du code. Soulignant la nécessité d’améliorer la coordination et la transparence ainsi que les défis auxquels les entreprises sont confrontées pour se conformer à la loi.
Maître KIRBY prend l’exemple de l’extrusion d’aluminium pour montrer les implications de l’enquête sur les pratiques de Dumping et de compensation commerciale menée par le service douanier national du Canada. Il énonce que cela peut entraîner une explosion des lois anti-Dumping et de compensation, avec des exportateurs ignorants de l’existence de ces lois, et met en avant la façon dont les pays industrialisés peuvent utiliser ces lois pour réduire les importations en provenance des pays moins industrialisés Il y a nécessité de repenser le code anti-Dumping et de compensation pour garantir une application plus équitable et transparente, et de prendre en compte l’impact des accords de libre-échange sur le commerce international du Canada. Il mentionne que le Canada a signé 14 accords de libre-échange et en négocie actuellement 12 autres. Ses six principaux partenaires commerciaux représentent 90% de son commerce international, mais seulement quatre des accords de libre-échange du Canada incluent ces six partenaires commerciaux. Il faut également intégrer l’importance des accords de libre-échange pour le commerce international du Canada, bien que la Chine et le Royaume-Uni ne fassent pas partie de ces accords.
4-Douane et accord internationaux
M. Marcel SINKONDO (URCA) a présenté le rôle central des accords internationaux dans les activités de la Douane. Selon lui, la Douane est une organisation, un système d’action et une institution qui exerce de multiples fonctions et qui est régie par des règles et des conventions internationales. Il a souligné que la Douane est un acteur clé dans la mise en œuvre des traités internationaux et que la DGDDI est l’organisme compétent en France pour mettre en œuvre les accords internationaux. La DGDDI définit les compétences des agents des Douanes et fixe les règles relatives au contrôle des marchandises et des personnes traversant les frontières. En somme, il met en avant le rôle important de la Douane dans la mise en œuvre des accords internationaux et la responsabilité de la DGDDI en France pour organiser et réglementer le fonctionnement de l’administration douanière.
L’administration douanière détient le pouvoir réglementaire administratif, qui lui permet de créer des règles générales applicables à tous les usagers. La DGDDI exerce ce pouvoir en édictant des règlements et des instructions encadrant l’action des agents des Douanes. Bien que la DGDDI puisse avoir sa propre interprétation des règles et accords douaniers, elle doit toujours se conformer aux traités et accords internationaux ainsi qu’aux lois et réglementations nationales. La Cour de Justice de l’Union Européenne a souligné l’importance de l’interprétation des accords pour garantir la libre circulation des marchandises. Le Conseil d’État a abandonné sa théorie de l’acte clair et n’hésite plus à saisir la CJUE en cas de doutes sur l’interprétation des textes et traités internationaux.
La Douane a un rôle crucial dans la régulation économique et la protection des intérêts nationaux, notamment en situation de crise. Elle peut mettre en place des mesures spécifiques pour protéger les citoyens et les entreprises, comme des restrictions à l’importation et à l’exportation de certains produits, des contrôles renforcés aux frontières, ou encore des procédures d’urgence pour débloquer des marchandises bloquées. En tant qu’acteur clé dans le système international du commerce, la Douane est chargée de mettre en œuvre les accords internationaux régissant les échanges commerciaux entre les pays et contribue à la régulation de ces échanges en veillant à leur respect d’où l’importance de la transparence dans le fonctionnement de la Douane. Les règles officielles et informelles sont abordées, ainsi que l’importance de l’adaptabilité des acteurs de la Douane face aux situations imprévues. Les règles informelles peuvent influencer les relations de pouvoir entre les acteurs de la Douane et la collaboration avec d’autres administrations est bénéfique pour renforcer les capacités de la Douane. Les règles de transparence sont importantes pour limiter les comportements des acteurs, favoriser la confiance et prévenir les pratiques anti-concurrentielles.
La loi du 23 décembre 1983 vise à protéger les intérêts économiques de la France en cas de manquement d’un partenaire commercial à ses engagements, et prévoit que des mesures de rétorsion peuvent être prises en cas de violation de traités commerciaux. La transparence est également importante pour limiter les comportements frauduleux et abusifs en les rendant plus visibles et identifiables. Des obligations de publication imposées aux administrations et aux entreprises, permettent aux États tiers de mieux appréhender les règles en vigueur dans les différents pays.
Il insiste sur l’importance de respecter les principes de nécessité, proportionnalité et d’acceptabilité dans les engagements conventionnels pris par les partenaires commerciaux. Autrement dit, les mesures restrictives qui seraient prises doivent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, être proportionnées à l’objectif poursuivi et être compatibles avec les engagements internationaux pris par les États, notamment en matière de libre-échange. Le respect de ces principes est essentiel pour assurer la cohérence du système commercial international.
Il précise le rôle de la Douane dans la protection des frontières et la lutte contre les trafics illicites. Bien que la Douane ait une compétence large et variée, elle est encadrée par le principe de spécialité, qui lui impose de n’intervenir que dans les domaines qui relèvent de sa compétence. Les différences de législation et de pratiques douanières peuvent entraver la coopération entre les douanes de différents pays. Les accords multilatéraux, comme les conventions de l’OMD, jouent un rôle crucial en établissant des normes et des pratiques communes pour les Douanes de différents pays. Cependant, la mise en place d’une coopération efficace nécessite une confiance mutuelle et une coordination étroite entre les pays, ainsi qu’une prise en compte des différences culturelles et juridiques. La Douane doit également veiller à respecter les droits fondamentaux lors de l’exercice de ses compétences.
Le droit de contrôle des agents des Douanes, prévu par l’article 60 du code des Douanes, permet d’examiner les marchandises, véhicules ou personnes entrant ou sortant du territoire douanier. Ce droit est essentiel pour la protection des intérêts économiques et fiscaux de l’État, mais doit être exercé dans le respect des libertés et des droits fondamentaux, avec des procédures régulières et proportionnées.
5-L’action européenne et internationale de la Douane
M. Marc DAGORN, (chef de la Délégation aux Relations Internationales de la DGDDI) décrit le rôle des douanes françaises dans le contexte européen et international. Les points clés présentés comprennent : l’importance de la DGDDI dans la mise en œuvre des politiques douanières de l’UE, sa coopération avec d’autres administrations douanières au niveau international pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme et le trafic illicite, sa participation à l’établissement d’accords commerciaux avec d’autres pays ou régions, ses efforts pour moderniser ses méthodes de travail afin de mieux gérer la circulation des biens et des personnes, et son engagement envers l’innovation et le développement durable.
La Délégation aux Relations Internationales de la DGDDI est notamment en charge de la section UE, qui concerne les modalités de dédouanement et la gestion des données en conformité avec le droit européen. Depuis 2016, le code des Douanes de l’UE[2] est en vigueur, et il est actuellement en cours de refonte totale. La Douane française doit donc s’adapter aux évolutions du droit européen et travailler en étroite collaboration avec d’autres États membres de l’UE. L’enjeu important pour la DGDDI de moderniser les outils informatiques et d’harmoniser les processus entre les différents services de la Douane, dans le but d’améliorer l’efficacité des contrôles douaniers tout en réduisant les délais et les coûts pour les opérateurs économiques. La Commission Européenne envisage également d’abandonner les systèmes d’informations distincts pour chaque procédure douanière au profit d’un système d’information unique permettant d’accéder à l’ensemble des données collectées par les opérateurs économiques agréés. L’orateur évoque plusieurs éléments relatifs à la Douane européenne. Tout d’abord, une analyse de risque paneuropéenne serait créée pour renforcer la coordination et l’approche de la gestion des risques douaniers au niveau de l’UE. Ensuite, la Douane européenne aurait aussi la responsabilité de faire respecter les règles non douanières, telles que les réglementations sanitaires, environnementales et la lutte contre la déforestation. Pour ce faire, un outil commun de gouvernance serait envisagé. Une réflexion serait en cours pour créer un nouvel acteur douanier au niveau européen pour venir en appui aux Douanes nationales.
La coopération internationale est essentielle dans la lutte contre les trafics illicites de toutes sortes, y compris les stupéfiants. Les Douanes jouent un rôle clé dans cette lutte, et la coopération entre les douanes de différents pays est cruciale pour assurer l’efficacité des contrôles et pour démanteler les réseaux de trafic. Les échanges d’informations, la coordination des actions de contrôle, les formations communes et autres actions de coopération peuvent permettre d’identifier les flux de marchandises illicites, de déterminer les routes empruntées et d’interpeller les trafiquants. En outre, la coopération internationale entre douanes peut également contribuer à harmoniser les pratiques douanières entre les pays, à renforcer la confiance mutuelle et à améliorer les relations bilatérales et multilatérales.
6-La Douane face au défi du renseignement
M. Arnaud COUPRY (directeur du renseignement douanier de la DGDDI) présente le défi croissant de la Douane en matière de renseignement face à des acteurs toujours plus complexes et diversifiés. Pour détecter les risques, la Douane se repose sur la collecte et l’analyse de données, ainsi que sur des outils technologiques de pointe tels que l’analyse de données massives et l’intelligence artificielle. La DGDDI dispose d’un dispositif complet allant de l’analyse de risques à l’action opérationnelle, en passant par le partage de renseignements avec ses partenaires. La coopération avec les autres services de renseignement est essentielle pour lutter efficacement contre les trafics illicites et les menaces transnationales. Toutefois, la Douane doit respecter les règles strictes en matière de protection des données personnelles dans la collecte et l’utilisation de renseignements. Il a précisé que la Douane française doit s’adapter à un environnement en constante évolution pour faire face au retard en matière de renseignement dans la lutte contre la fraude et le terrorisme. Pour ce faire, la Douane a mis en place une stratégie de renseignement axée sur la collecte et l’analyse de données, ainsi que sur le partage d’informations avec ses partenaires nationaux et internationaux. La coopération avec les autres services de renseignement et les autorités judiciaires est essentielle pour la lutte contre la fraude et le terrorisme, et la Douane française doit se doter de nouveaux moyens techniques pour s’adapter aux défis actuels en matière de renseignement.
La Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED) est un service transverse de la Douane française qui vise à collecter, traiter et analyser des informations pour lutter contre la fraude et le financement du terrorisme. La DNRED s’appuie sur un réseau de partenaires nationaux et internationaux pour partager ces informations. Le renseignement est un outil essentiel pour protéger les personnes et les biens, définir les orientations de la politique publique et assurer la souveraineté de l’État. En France, la lutte contre la fraude et le terrorisme est une priorité pour la Douane, qui cherche à améliorer ses capacités de renseignement en utilisant des informations ouvertes et en renforçant la coopération entre les différents services de l’État. Le renseignement est un outil clé pour protéger les personnes et les biens, la politique publique et la souveraineté de l’État. En France, la lutte contre la fraude et le terrorisme est l’un des plus grands défis de la Douane. La DNRED est chargée de collecter et d’analyser des informations pour aider à lutter contre ces menaces. Le renseignement est un processus continu qui utilise principalement des informations accessibles au public et doit être partagé pour être efficace. Enfin, le renseignement est au profit d’une organisation, donc il est important de le partager et de l’utiliser pour informer les douaniers.
« Je sais que je sais, Je sais que je ne sais pas et je ne sais pas que je ne sais pas » exprime l’idée qu’il y a quatre niveaux de connaissance, dont l’importance est de prendre conscience de notre ignorance et de notre désir de continuer à apprendre. Les différents types de renseignement sont le renseignement immédiat, tactique, stratégique et de réaction, qui sont utilisés pour collecter, analyser et utiliser des informations dans le cadre d’opérations à court et long terme.
« Je ne sais pas que je sais » exprime le fait qu’on peut posséder des connaissances ou des compétences sans en avoir conscience. En France, le renseignement est divisé en deux catégories : le renseignement administratif encadré par le code de la Sécurité Intérieure et le renseignement judiciaire encadré par le code de procédure pénale. Dans la lutte contre la fraude et le terrorisme, les services de renseignement douaniers peuvent contribuer à la collecte d’informations pour le renseignement administratif tout en respectant les règles légales.
L’identification de l’adversaire en renseignement douanier implique de connaître les acteurs impliqués dans les activités frauduleuses ou illégales, ainsi que les marchandises concernées. Cela permet de prévoir les comportements et les stratégies des fraudeurs, mais aussi de mettre en place des actions préventives et répressives plus efficaces. L’identification des acteurs et des marchandises permet également d’anticiper les risques et de mettre en place des stratégies adaptées pour les contrer, tout en prenant en compte la dépendance de l’économie aux exportations.
Le but du renseignement est d’acquérir des connaissances pour être en mesure de prévoir les événements futurs et de prendre des mesures pour les influencer ou les éviter. Dans le contexte de la Douane, cela implique une analyse approfondie des informations disponibles pour anticiper les actions potentielles des adversaires ou des événements qui pourraient menacer la sécurité et la souveraineté du pays. Pour relever les défis de la lutte contre les organisations criminelles, la Douane doit s’assurer que ses capacités de renseignement sont opérationnelles, tactiques et stratégiques, en coordonnant et en collaborant étroitement entre les différents acteurs de la douane. Les informations et les données recueillies doivent être intégrées dans un système de renseignement efficace pour garantir une utilisation optimale des capacités de la Douane.
La Douane est confrontée à plusieurs défis pour mettre en place des opérations de renseignement efficaces. Ces défis incluent la lutte contre les organisations criminelles, la coordination et la collaboration entre les différents acteurs de la Douane, la gestion des ressources limitées, l’utilisation efficace des technologies de pointe et la capacité d’adaptation aux menaces toujours plus sophistiquées. Pour relever ces défis, il est essentiel que la Douane dispose de processus de collecte de données et de traitement de l’information efficaces, ainsi que d’agents formés et compétents en matière de renseignement.
7-Douane, protection de l’environnement et enjeux de Société
Selon M. Florian SIMONNEAU (chef du bureau Restriction et sécurisation des échanges de la DGDDI), il est clair que la Douane joue un rôle important dans la protection de l’environnement, en luttant contre le trafic de déchets et la contrefaçon de produits phytosanitaires, ainsi que dans la réglementation du commerce des espèces protégées et des produits chimiques dangereux. Il est crucial de saluer le rôle éducatif que la Douane peut jouer en sensibilisant les entreprises et les citoyens aux enjeux environnementaux et aux réglementations en vigueur. La Douane doit s’adapter à ces enjeux en développant des compétences spécifiques et en collaborant avec d’autres acteurs, tels que les autorités environnementales. L’utilisation d’outils technologiques tels que des scanners et des analyses chimiques est importante pour détecter les infractions environnementales. Enfin, il est intéressant de noter que le contexte général met en avant la dimension environnementale avec le Pacte Vert et la France Nation Verte, qui prévoient des actions pour réduire les émissions de CO2 et créer des emplois durables dans l’UE. Le Pacte Vert de l’UE et l’initiative France Nation Verte visent tous deux à promouvoir la transition écologique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, en développant les énergies renouvelables, en promouvant l’économie circulaire et en créant des emplois durables. Le Pacte Vert de l’UE est une stratégie pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, tandis que France Nation Verte est une initiative gouvernementale française visant à mobiliser l’ensemble des acteurs de la société pour œuvrer en faveur de la transition écologique.
La Douane doit trouver un équilibre entre la protection de l’environnement et la facilitation des échanges commerciaux. Pour cela, elle doit mettre en place des contrôles douaniers efficaces pour lutter contre les trafics de marchandises polluantes ou interdites, promouvoir les échanges commerciaux responsables et durables, sensibiliser les acteurs économiques aux enjeux environnementaux et vérifier la conformité des produits importés aux normes environnementales de l’UE. La Douane peut également contribuer à la collecte de données environnementales en surveillant les mouvements de marchandises à travers les frontières. Des exemples de réglementations concernant la Douane incluent le transfert frontalier des déchets et la lutte contre le trafic d’espèces protégées comme le pangolin.
Le rôle des Douanes ne cesse de se renforcer dans la réglementation du commerce international des déchets dangereux, des espèces animales et végétales menacées d’extinction, et l’application des normes en vigueur pour les marchandises importées, ainsi que les contrôles physiques et la délivrance de documents de contrôle pour les denrées alimentaires d’origine animale. M. SIMONNEAU cite, par exemple, la proposition de la Commission européenne pour instaurer un système de tarification du carbone pour les importations de certains produits dans l’UE, appelé le Mécanisme d’Ajustement Carbone à la Frontière (MACF), dans le but de limiter les risques de fuites de carbone et d’assurer la compétitivité des entreprises européennes. Le risque de fuite de carbone est le risque qu’une entreprise soumise à un système de tarification du carbone délocalise sa production vers un pays où il n’y a pas de tel système pour éviter les coûts associés à l’émission de carbone. Le MACF est une proposition de l’UE pour contrer ce risque de fuite de carbone en instaurant une taxation aux frontières de l’UE qui alignerait les coûts des produits importés sur ceux des produits de l’UE en termes d’émissions de carbone. Le MACF devrait être mis en place à partir de 2026.
Il mentionne encore deux mécanismes destinés à lutter contre la déforestation importée. Le premier est le mécanisme d’obligation de diligence raisonnée, qui impose aux importateurs de certains produits de s’assurer que leur chaîne d’approvisionnement ne contribue pas à la déforestation. Les opérateurs doivent mettre en place des procédures pour s’assurer que les produits importés ont été obtenus de manière durable et respectent les normes environnementales en vigueur. Une autorité compétente peut vérifier ces documents et prendre des mesures en cas de non-respect de ces normes. Le deuxième mécanisme est la proposition de loi sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui vise à empêcher l’importation de produits issus du travail forcé et de la traite des êtres humains. Les entreprises de plus de 5.000 salariés devront mettre en place un plan de vigilance pour prévenir et remédier aux atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement, sous peine de sanctions.
8-L’action judiciaire de la Douane dans la lutte contre la criminalité organisée
M. Christophe PERRUAUX, magistrat délégué auprès de la DGDDI, directeur du Service Enquête Judiciaire des Finances « SEJF ») salue l’importance de la Douane dans la lutte contre la criminalité organisée. La Douane dispose de prérogatives spécifiques pour prévenir, détecter et réprimer les infractions économiques et financières, notamment en luttant contre la contrebande, la fraude fiscale, le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les douaniers collaborent étroitement avec les services de police et de justice, partageant des informations sur les réseaux criminels transnationaux. Ils peuvent mener des enquêtes sur des trafics de drogue, d’armes, de contrefaçons, etc… Les douaniers sont, de plus, chargés de la saisie et de la confiscation des biens et avoirs criminels, et ils ont mis en place des outils informatiques de pointe pour faciliter leur action judiciaire. La Douane travaille en étroite collaboration avec les autorités judiciaires pour lutter efficacement contre la criminalité organisée et garantir la sécurité de l’État et de ses citoyens.
En effet, les organisations criminelles ont adopté des stratégies de plus en plus sophistiquées pour dissimuler leurs activités illégales et blanchir leurs profits. Elles ont d’ailleurs exploité les faiblesses des systèmes économiques et financiers pour infiltrer des entreprises et des secteurs économiques, tels que l’immobilier ou les marchés financiers. Par conséquent, les autorités compétentes, telles que la Douane, doivent constamment s’adapter et développer des outils et des méthodes pour détecter et contrer ces activités illégales. Cela nécessite une collaboration étroite entre les différentes autorités judiciaires et les services de police et de renseignement, ainsi qu’une capacité à s’adapter rapidement aux nouvelles formes de criminalité et aux nouvelles technologies utilisées par les organisations criminelles.
Conclusion
Au terme de ce colloque, nous retiendrons que la Douane fait face à de grands dilemmes et de ce fait elle s’engage dans une démarche proactive notamment dans la lutte contre les différentes formes de criminalité organisée. Les différentes contributions ont présenté les différentes missions et compétences de la Douane, ainsi que les outils mis à sa disposition pour lutter efficacement contre ces phénomènes. La Douane s’adapte constamment aux évolutions des organisations criminelles, qui utilisent de plus en plus des moyens sophistiqués pour contourner les réglementations en vigueur et s’enrichir illégalement. Les intervenants ont insisté sur l’importance de la coopération internationale entre les différentes administrations et pays pour une lutte plus efficace. En somme, la Douane reste, malgré les défis qui l’attendent, un acteur essentiel dans la protection de la société et de l’environnement. Elle assure une mission de contrôle des flux de marchandises et de personnes, avec pour objectif de protéger les citoyens et de préserver les intérêts économiques de l’Etat.
Les interventions sur les thématiques retenues à l’étude dans ce colloque seront publiées au courant de l’année 2023 par l’URCA.
[1] L’article en question s’intitule « La France prépare depuis trente ans son suicide lent » et a été publié par C. SAINT-ETIENNE dans « Le Figaro » du 10 septembre 2018. Dans cet article, l’économiste français exprime son point de vue sur la situation économique de la France et met en avant les défis auxquels le pays est confronté en termes de compétitivité, d’innovation et d’attractivité. Il évoque notamment le rôle de la Douane en tant que source d’information sur les défis économiques à venir, ainsi que les risques liés à la montée en puissance de la Chine, des États-Unis et de l’Inde.
[2] Règlement d’exécution (UE) nº 2015/2447 de la Commission du 24 novembre 2015 établissant les modalités d’application de certaines dispositions du règlement (UE) nº 952/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant le code des douanes de l’Union (JOUE (L) 29 décembre 2015).