« COUSINS D’AMÉRIQUE » : LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS RÉPRESSIVES FRANÇAISES RÉAFFIRMÉE, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

Observations sous :

Cass. Crim., 6 avril 2023, n° 28-81.195

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Par son arrêt de rejet du 6 avril 2023, la chambre criminelle constitue l’épilogue de l’affaire dite des « Cousins d’Amérique », elle réaffirme la compétence des juridictions répressives françaises pour cet accident collectif survenu aux États-Unis et confirme les condamnations du gérant de la société organisatrice des séjours touristiques itinérants « conquête de l’Ouest Américain » pour adolescents.

Mots-clés : accident collectif ­– accident à l’étranger ­– compétence des juridictions répressives françaises – homicides et blessures involontaires – voyagiste – art.113-2 et 121-3 al. 4 CP – art. 2-15 CPP.

La société française « Cousins d’Amérique », devenue depuis « Cousins », organisatrice de séjours de vacances pour enfants, adolescents et jeunes adultes proposait une « Conquête de l’Ouest Américain » itinérante pour adolescents encadrée par trois animateurs. Au programme du voyage figurait notamment un transport par vans à travers les États-Unis. Le 22 août 2009, en Californie, un des trois vans conduit par une des animatrices du séjour, avec à bord six adolescents, quittait la route avant de faire des tonneaux sur le bas-côté. Outre le décès de deux adolescentes âgées respectivement de 16 et 17 ans, l’accident avait occasionné des blessures à quatre autres passagers ainsi qu’à la conductrice.

Dix ans après cet accident très médiatisé, le tribunal correctionnel de Nanterre (trib. corr. Nanterre, 28 août 2019, n° 021/2019 ; JAC n° 191, nov. 2019 :
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Au moment de l’accident, la conductrice se trouvait dans un état de fatigue extrême qui résultait notamment d’une mauvaise organisation de ce voyage dont le gérant, au moment des faits, de la société « Cousins d’Amérique », avait la charge. Celui-ci, en tant qu’auteur indirect, ainsi que la société dont il était le représentant, avaient été condamnés des chefs d’homicides et blessures involontaires. Les deux prévenus avaient été également condamnés pour pratiques commerciales trompeuses.

Le gérant et la société ont interjeté appel de cette décision, mais alors que le gérant demandait d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de prononcer sa relaxe, l’appel de la société était limité aux peines prononcées et à la décision de culpabilité du chef de pratiques commerciales trompeuses. Ils avaient tous deux, par voie de conclusions déposées in limine litis, demandé à la cour de prononcer la nullité de l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de se déclarer incompétente pour connaître des faits qui leur étaient reprochés.

Le 28 janvier 2022, la cour d’appel de Versailles (RG 19/03204), confirmant la compétence des juridictions françaises avaient approuvé la condamnation du gérant des chefs d’homicide et blessures involontaires, retenant comme les premiers juges l’existence d’une faute caractérisée en lien certain avec l’accident.

En ce qui concerne la condamnation pour pratiques commerciales trompeuses, la cour considère que la société COUSINS et son président, « ont choisi en toute conscience de mettre en avant auprès de la clientèle des allégations fausses afin de mettre les clients en totale confiance et les inciter à inscrire leurs enfants à l’un de leurs séjours. »

S’agissant des intérêts civils, on relève que, contrairement aux premiers juges, la cour de Versailles a reconnu la dimension collective de cet accident collectif lequel « ressort certes du nombre importants de victimes précédemment évoqués mais également de son retentissement médiatique au niveau national, de son retentissement institutionnel par le dépôt et la défense d’une proposition de loi visant à mieux encadrer les séjours d’adolescents, du sentiment manifeste pour chacune des victimes d’appartenir à un groupe ». Elle a par conséquent jugé recevable sur le fondement de l’article 2-15 du code de procédure pénale les actions de l’association « Les amis de Léa et Orane » crée par les parents des victimes père d’Orane ainsi que celle de la Fédération Nationale des Victimes d’Attentats et d’Accidents Collectifs (FENVAC) (Cf. JAC n° 191, préc.).

Un pourvoi en cassation a été formé par le gérant de la société contre l’arrêt de la cour de Versailles qui, pour homicides involontaires, contraventions de blessures involontaires, pratiques commerciales trompeuses, l’a condamné à un an d’emprisonnement avec sursis et 1 500 euros d’amende. Dans son arrêt du 4 avril 2023, la chambre criminelle (Gaz. Pal. 6 juin 2023, p. 30, obs. E. Joseph ; 5 sept. 2023, Chr. de jurisprudence de droit pénal, p. 39, obs. S. Détraz ; D. actu. 23 juin 2023, obs. C. Fauchon ; C. Lacroix, Les jolies colonies de vacances, D. actu. étudiants, à paraître) confirme la décision de la cour d’appel tant en ce qui concerne la compétence des juridictions françaises que les condamnations prononcées (nos observations sont limitées aux infractions involontaires).

Par son arrêt de rejet la chambre criminelle approuve pleinement les juges du fond en confirmant la localisation des fautes d’imprudence commises par le gérant (I) ainsi que la culpabilité de celui-ci (II).

I. La localisation des fautes d’imprudence

Aux termes du premier alinéa de l’article 113-2 du code pénal, que l’auteur du pourvoi ne manque pas d’invoquer, « La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. » En l’espèce, l’accident a eu lieu aux États-Unis et le gérant en déduit que les faits qui lui étaient reprochés s’étaient matérialisés et étaient localisés hors de France. Les victimes étant de nationalité française, les juridictions répressives auraient pu être compétentes sur le fondement de l’article 113-7 du code pénal si les conditions procédurales posées par l’article 113-8 avaient été remplies ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

Les faits constitutifs de l’infraction de pratiques commerciales trompeuses ont en revanche été commis en France mais le gérant conteste l’existence d’un lien d’indivisibilité entre les faits poursuivis qui aurait permis l’extension de la compétence française aux faits constitutifs des infractions d’homicide et blessures involontaires. Une telle extension avait déjà été retenue par la Cour de cassation pour l’élaboration en France de moyens frauduleux utilisés ensuite à l’étranger (Crim. 11 avr. 1988, n° 87-83.873 ; Crim. 15 janv. 1990, n°86-96.469), mais il ne s’agissait pas d’un lien d’indivisibilité avec des infractions d’atteintes à la personne humaine.

Cet argument ne pouvait pas prospérer, et la chambre criminelle n’y a pas répondu, dès lors que la cour de Versailles n’avait pas justifié sa compétence par une extension de sa compétence territoriale mais par la localisation de l’infraction en France. La cour de Versailles avait en effet fondé sa compétence sur le second alinéa de l’article 113-2 du code pénal qui dispose que « L’infraction est réputée commise sur le territoire de la République dès lors qu’un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». Il lui suffisait donc de situer sur le territoire français des manquements constitutifs de l’infraction en considérant que ceux-ci « faisant apparaître un défaut dans l’organisation du voyage, ces faits étant réputés commis au siège de la société SAS COUSINS situé à Bagneux sur le territoire de la République Française au sens de l’article 113-2 du code pénal. ».

La chambre criminelle, énumérant les différents manquements reprochés au prévenu, écarte le moyen de l’exception d’incompétence en constatant que « le prévenu a incontestablement commis une faute dans l’organisation du voyage, ces faits étant réputés commis au siège de la société, situé sur le territoire français. » La localisation de l’infraction en France par le biais d’une société est conforme à la jurisprudence traditionnelle développée en droit des affaires. Par cet arrêt la chambre criminelle favorise la localisation en France des poursuites pour infractions involontaires suite à un accident survenu à l’étranger dès lors que des faits fautifs en rapport causal avec l’accident peuvent être reprochés au dirigeant d’une société dont le siège est situé en France (E. Joseph, Gaz. Pal. préc.).

Par leur localisation les fautes d’imprudence commises par le dirigeant justifient la compétence des juridictions répressives françaises, restait cependant à caractériser l’infraction pour entrer en condamnation.

II. L’agrégation des fautes d’imprudence

La loi du 10 juillet 2000 a introduit au bénéfice des seules personnes physiques une distinction entre l’auteur direct de l’accident dont la faute simple d’imprudence peut entraîner la condamnation et l’auteur indirect contre lequel ne peut être retenue qu’une faute « qualifiée », laquelle peut être soit délibérée, soit caractérisée.

La définition de l’auteur indirect donnée par l’alinéa 4 de l’article 121-3 du code pénal place indiscutablement le gérant dans la catégorie des personnes « qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter ». Dès lors il s’agit pour le juge répressif de vérifier l’existence d’une faute qualifiée parmi l’éventail des manquements dans l’organisation du séjour des adolescents. La liste de ces manquements ressemble à un inventaire à la Prévert des négligences du prévenu à l’égard de ses obligations professionnelles. Ainsi, en ce qui concerne l’ensemble du séjour, les juges ont relevé l’absence de la mention des jours de repos dans les contrats d’engagement éducatif de deux animateurs du séjour, l’absence de fourniture à la directrice du séjour des moyens nécessaires pour qu’elle puisse rédiger et transmettre un projet pédagogique ainsi que la non-fourniture de téléphones professionnels, des moyens financiers et du matériel insuffisants. De plus, alors que la directrice avait démissionné et que des décisions étaient à prendre, le gérant était injoignable en raison de sa participation à un trek au Kenya. 

Dans cette longue liste d’omissions ne semble cependant pas figurer la violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement qui aurait permis au juge de retenir une faute délibérée. La condamnation a donc été prononcée pour une faute de moindre degré que la précédente, une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer. 

Prise isolément, chacune de ces fautes peut-elle être considérée comme « revêtue d’une certaine importance pour ce qu’elle représente de défaillance inadmissible » (Crim. 24 sept. 2013, n°12-87.059 ; C. Lacroix, « QPC AZF : la voie de la QPC se ferme », AJ pénal, nov. 2013, p.605) ? Cela n’est pas certain, en revanche il en est bien ainsi du cumul de ces fautes et c’est à juste titre que le tribunal correctionnel de Nanterre, approuvé par la cour d’appel de Versailles, avait énoncé qu’« il est constant que le faute caractérisée au sens de l’article 121-3 du code pénal peut être unique ou plurielle, et peut résulter d’une série de manquements agrégés entre eux qui forment une faute caractérisée ».

C’est en vain que le gérant avance que « cette faute caractérisée peut résulter d’une accumulation de négligences et imprudences mais à condition que chacune entretienne un lien de causalité certain avec le dommage », alors que « le cumul de fautes commises dans l’organisation du séjour s’analyse en une faute caractérisée imputable à M., en sa qualité d’organisateur de séjour pour enfants, en lien certain avec l’accident. »

C’est sans aucune chance de succès que l’auteur du pourvoi tente encore de soutenir que la cour d’appel n’avait pas constaté qu’il aurait eu connaissance du risque auquel il aurait exposé autrui, ou qu’il ne pouvait l’ignorer. Il est en effet de jurisprudence constante que les professionnels sont présumés connaître le risque.

La Cour de cassation en conclut qu’« En l’état de ces seules énonciations, desquelles il résulte que le prévenu a commis, au siège de la société situé en France, une faute caractérisée, exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer, la cour d’appel n’a méconnu aucun des textes visés au moyen. »

Cet arrêt de la chambre criminelle ne manquera pas d’intéresser tous les organisateurs de voyages à l’étranger. La conquête d’espaces nouveaux lointains ou proches ne s’improvise pas et être professionnel impose rigueur, loyauté commerciale, précaution et méthode. Le message est clair.

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