Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

Non classé

CHRONIQUE DU DOMMAGE CORPOREL, C. Lienhard et C. Szwarc

CHRONIQUE DU DOMMAGE CORPOREL

 

Claude Lienhard
Avocat spécialisé en Droit du dommage corporel
Professeur émérite des Universités
Directeur honoraire du CERDACC
et
Catherine Szwarc
Avocate spécialisée en Droit du dommage corporel

 

I – Du côté des barèmes par analogie et pas par anecdote :

De manière générale la mise en place de barème doit être regardée avec beaucoup de méfiance.

La barémisation dans sa philosophie vise à brider le juge quelle que soit la matière concernée, ici les pensions alimentaires, là le dommage corporel, ailleurs le droit du travail.

Les nouveaux barèmes de dommages et intérêts instaurés en septembre 2017 par les ordonnances travail font l’objet aujourd’hui d’un vent de fronde des Conseils de Prud’hommes.

Ainsi les Conseils de Prud’hommes d’Angers (08.11.2018), de Troyes (13.12.2018), d’Amiens (19.12.2018), de Lyon (21.12.2018) ont tous rejeté le plafonnement des indemnités faisant preuve de résistance ou entrant en « rébellion » de façon argumentée et motivée.

Le syndicat des avocats de France a élaboré un argumentaire à disposition des salariés, des défenseurs syndicaux et des avocats contre le plafonnement prévu par le nouvel article L. 1235-3 du Code du Travail.

On rappellera que s’appuyant sur la charte sociale européenne, la Cour constitutionnelle en Italie a annulé le barème des Prud’hommes.

C’est peu dire que cette évolution doit être suivie avec attention.

(Rappel des sources : Humanité mardi 8 janv. 2019, « Les Prud’hommes entrent en rébellion » ; Aujourd’hui en France vendredi 11 jan. 2019, « Le plafonnement des indemnités prud’homales menacé ? » ; Les Echos 17 janv. 2019 « Barème d’indemnisation : le contre-exemple italien » ; Syndicat des avocats de France argumentaire 6 fév. 2018 A LIRE ICI)

II – Dépakine, Sanofi : le méprisant refus d’indemnisation des victimes :

Fuyant ses responsabilités, SANOFI a annoncé qu’il refusait de contribuer à l’indemnisation des victimes de son produit antiépileptique la DEPAKINE.

Dans un communiqué, le géant pharmaceutique français fait savoir « SANOFI ne peut donner suite aux premiers avis d’indemnisation envoyés par l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM) ».

SANOFI estime que ces avis font peser « principalement sur le laboratoire la charge de l’indemnisation, sans prendre en compte les preuves établissant que SANOFI a informé les autorités en toute transparence sur les risques de la DEPAKINE ».

On rappellera qu’en plus des demandes de l’ONIAM, SANOFI a dû faire face à plusieurs demandes d’indemnisation devant les juridictions civiles, initiées par les familles des victimes.

Le 20 novembre 2017 la Cour d’Appel d’Orléans a confirmé un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Tours condamnant SANOFI à indemniser la famille d’une jeune fille dont le handicap a été causé par la DEPAKINE.

Cette décision a fait l’objet d’un pourvoi en cassation.

La prise de position de SANOFI a suscité la colère des victimes ; Marine MARTIN, Présidente de l’APESAC, association des victimes de la DEPAKINE (www.apesac.org) a fait savoir que les victimes « ne baisseront pas les bras et ne lâcheront rien ».

Mme Agnès BUZYN, Ministre de la santé, a précisé que SANOFI devait participer au processus d’indemnisation.

(Sources Les Echos 17 janv. 2019  « DEPAKINE : SANOFI refuse de contribuer au fonds d’indemnisation »; Lutte ouvrière 23 janv. 2019  « DEPAKINE : l’arrogance de SANOFI » ; document joint : arrêt de la Cour d’Appel d’Orléans)

III – FGTI – Les nécessaires évolutions et remises en cause :

De plus en plus, le FGTI se trouve au cœur des démarches indemnitaires de victimes de tous ordres.

Le dispositif et les outils ont le mérite d’exister, en revanche ils doivent être constamment affinés et adaptés pour remplir l’objectif de la réparation intégrale qui ne doit à aucun moment être amoindri au motif de la solidarité.

C’est tout d’abord un amendement déposé dans le cadre de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice qui retiendra notre attention.

L’amendement n°804 du 11 janvier 2019 vise à préciser le champ d’application de l’article L. 126.1 du Code des assurances.

L’amendement permet de remédier à l’incertitude juridique actuelle et de garantir que les agents publics et militaires victimes d’infraction de droit commun ou de nature terroriste puissent bénéficier du même niveau d’indemnisation que les autres citoyens devant la CIVI.

L’amendement a été voté le 17 janvier 2019.

(Source : Le Monde avec AFP 18 janv. 2019)

Par ailleurs, c’est une décision de la CIVI du 13 février 2018 qui a provoqué l’émoi.

Les titres et légendages de la presse le démontrent.

« Violences conjugales : quand la victime est jugée responsable » (L’Express 04 janv. 2019)

« Une femme handicapée après des violences conjugales ne sera pas totalement indemnisée, Schiappa « choquée » » (JDD 3 janv. 2019).

« Pourquoi la femme défénestrée par son conjoint tétraplégique n’est qu’en partie indemnisée ? » (20 minutes 04 janv. 2019)

« Violences conjugales : victime et responsable ? » (Le Parisien 05 janv. 2019)

« Le Mans : une femme défénestrée par son compagnon jugée en partie responsable » (Le Figaro 04 janv. 2019)

« Aïda et l’éternelle faute des femmes » (V. Ballet – Libération 04 janvier 2019) (prénom d’emprunt)

De façon synthétique, une femme de 31 ans est devenue paraplégique après avoir été défénestrée par son compagnon.

La Cour d’Assises sur intérêts civils accorde une provision à la victime de 90 000 €.

La Commission d’Indemnisation des victimes accède à l’argumentation développée par le Fonds de Garantie à savoir que la femme, étant restée à son domicile avec son compagnon alors que les policiers lui avaient conseillé de ne pas y demeurer, a commis une faute.

Cette faute serait de nature à réduire le droit à indemnisation dès lors que la victime s’est exposée consciemment et délibérément à une situation à risque.

Un appel a été interjeté qui sera évoqué au mois de mai.

Il n’est pas anodin que l’éditorial de l’Argus de l’assurance (n° 7589 du 18 janvier 2019) soit titré « Torts partagés » et légendé en pleine page « Ce fait divers est abject et la décision du Fonds de Garantie peut paraître incompréhensible mais celle-ci est dictée par la loi. Décidément assureurs et Fonds de garantie même combat».

Ce qui est profondément surprenant est la position énoncée et rapportée par la presse du Parquet dans sa fonction civile dès lors que l’avocat général près la Cour d’Appel d’Angers invoquerait également la faute partagée de la victime dans ses observations (Le Figaro 04 janv. 2019).

Affaire à suivre donc.