Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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RESPONSABILITE MEDICALE POUR ECHEC D’UNE VASECTOMIE ET NAISSANCE D’UN ENFANT PORTEUR D’UN LOURD HANDICAP, I. Corpart

Isabelle Corpart
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
CERDACC

 Commentaire de CA Montpellier, 6 mars 2018, n° 15/07957

 

Un couple souhaitant bénéficier d’un moyen de contraception définitive après la naissance d’un enfant atteint d’un handicap congénital s’est tourné vers la technique de la vasectomie. Malgré cette stérilisation, ils ont un autre enfant, lui aussi porteur d’un mauvais gêne et ils réclament une indemnisation. Leur demande est accueillie pour défaut d’information sur les risques d’échec de la vasectomie engagée, les parents ayant alors cessé toute contraception mais l’indemnisation qui leur est offerte ne répond pas entièrement à leurs attentes.

Mots-clefs : Responsabilité médicale – vasectomie – défaut d’information quant au risque d’échec de la vasectomie – grossesse non désirée – naissance d’un enfant – perte d’une chance d’éviter la naissance d’un enfant atteint du syndrome d’Asperger – enfant handicapé – indemnisation.

Pour se repérer

Ayant déjà deux fils dont l’un est atteint d’un handicap congénital (amyotrophie spinale), M. et Mme G. ne veulent plus d’autre enfant et souhaitent obtenir une contraception définitive. Pour ce faire, ils ont pris rendez-vous chez le Docteur C., urologue à Montpellier, en vue d’une vasectomie. Lors de la consultation en février 2014, un document d’information leur a été remis et l’intervention a eu lieu le 11 mars 2014. Suivant le protocole prescrit, le mari a fait réaliser un spermogramme de contrôle au mois de mai, lequel établit une très faible présence de spermatozoïdes, si bien que le couple a mis fin aux moyens contraceptifs utilisés jusqu’à cette date. En septembre 2005, Mme G. a toutefois constaté être à nouveau enceinte et un examen pratiqué a confirmé l’échec de la vasectomie. Le couple n’a pas souhaité interrompre la grossesse, malheureusement leur fils Matisse a développé à  l’âge de 9 ans le syndrome d’Asperger.

Faisant valoir qu’ils n’avaient pas été correctement informés par l’urologue du risque d’échec de l’intervention, les époux ont saisi le juge des référés d’une demande d’expertise médicale, puis assigné le médecin et son assureur responsabilité civile (le GAN), afin de voir le médecin jugé responsable des conséquences de la non information sur le risque d’échec de la vasectomie, à savoir une grossesse non désirée avec la crainte d’avoir un enfant anormal, ainsi que le préjudice tant moral que matériel lié à la prise en charge du handicap dont est atteint leur fils.

Ils sont entendus partiellement par le tribunal de grande instance de Montpellier (6 octobre 2015), les juges retenant une faute à l’encontre du Docteur C., au visa de l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique : « le Docteur C. a commis une faute consistant en un défaut d’information sur les risques d’échec de l’intervention consistant à une vasectomie, pratiquée le 11 mars 2004 sur la personne de Francisco G. ». Il apparaît en effet que le document d’information remis au couple en février 2014 ne faisait pas état du risque d’échec de la vasectomie, risque rare mais non exceptionnel. Pour les juges, compte tenu de la volonté des époux de ne plus avoir d’enfant en raison du handicap de l’un de leurs enfants, le défaut d’information leur a fait perdre une chance d’éviter une nouvelle grossesse non désirée.

Il est toutefois reproché au tribunal de grande instance par les époux d’avoir refusé d’indemniser leur préjudice découlant des charges particulières générées par le handicap de leur enfant, alors qu’il est établi qu’ils ont consulté le médecin non pas seulement pour éviter une grossesse, mais bien pour éviter la naissance d’un enfant handicapé, raison pour laquelle ils interjettent appel concluant à une perte de chance totale d’avoir un enfant.

Pour aller à l’essentiel

Selon l’article L. 1111-2 du Code de la santé publique, toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé mais également sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui lui sont proposés. La preuve de la délivrance de l’information médicale préalable appartient au médecin or, aucune information sur les risques d’échec de la vasectomie n’a été donnée aux parents de Matisse, aussi les juges d’appel confirment-ils la décision rendue par les premiers juges du fond, l’information n’ayant pas été claire et adaptée.

Les parents sont indemnisés du chef de plusieurs préjudices liés à l’impréparation dans laquelle ils se sont retrouvés une fois la grossesse intervenue, au climat de suspicion perturbant le couple lorsque la grossesse a été découverte et à la crainte que l’enfant à naître soit atteint de la même maladie génétique que celle dont était atteint leur premier fils. Les juges retiennent également une perte de chance de refuser la vasectomie et donc d’éviter le dommage mais sans admettre une perte totale de chance en raison d’une absence de taux de réussite de 100 % d’une telle intervention et de l’état médical de l’épouse qui ne supportait plus la pilule et le stérilet. En conséquence, les juges limitent à 50 % le taux de perte de chance d’éviter la grossesse. Ils écartent enfin le recours à la perte de chance liée au handicap du jeune enfant, dans la mesure où ce dernier ne souffre pas de la même maladie que son frère aîné, atteint, quant à lui, de myopathie.

Pour aller plus loin

La vasectomie est une méthode de stérilisation masculine qui consiste à couper et à bloquer les canaux déférents qui transportent les spermatozoïdes à partir des testicules. Cette technique n’offre toutefois pas une stérilisation immédiate, tant que des spermatozoïdes sont encore présents dans le canal déférent et il est recommandé aux couples de continuer à utiliser un moyen de contraception jusqu’à ce qu’un spermogramme soit concluant, sachant que, parfois, les médecins notent un retour de la fertilité quand les bouts du canal sectionné se recollent spontanément.

Rien de tout cela n’avait été clairement expliqué à ce couple dont l’un des deux enfants était déjà gravement malade, raison pour laquelle ils avaient renoncé à tout projet parental. Le défaut d’information leur a fait perdre en l’espèce une chance d’éviter le dommage résultant du risque de transmission d’un gêne défectueux.

L’obligation d’information du patient par le médecin constitue un droit fondamental du patient et un devoir essentiel du médecin. C’est à ce dernier que revient d’apporter la preuve qu’il a correctement informé son patient des suites de l’intervention. En l’espèce, le couple n’a pas pu se préparer psychologiquement à la réalisation du risque, à savoir non d’avoir un nouvel enfant après la vasectomie, mais de voir se développer une maladie chez leur enfant, en l’occurrence le syndrome d’Asperger lors des neuf ans de leur petit garçon.

Les parents de ce jeune enfant peuvent se faire entendre et obtenir la réparation de la perte de chance d’éviter le dommage, démontrant que mieux informés ils n’auraient pas consenti à une telle intervention ou auraient pris d’autres dispositions.

Surtout, ils peuvent faire état d’un préjudice d’impréparation, n’ayant pas pu en raison des circonstances se préparer à l’éventualité d’une nouvelle grossesse et surtout de la naissance d’un nouvel enfant handicapé. En effet, pour la Cour de cassation, « indépendamment des cas dans lesquels le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte d’investigation, de traitement ou de prévention a fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué, le non-respect, par un professionnel de santé, de son devoir d’information cause à celui auquel l’information était due, lorsque ce risque se réalise, un préjudice résultant d’un défaut de préparation aux conséquences d’un tel risque, que le juge ne peut laisser sans réparation » (Cass. 1re civ., 23 janv. 2014, n° 12-22.123 ; V. déjà Cass. 1re civ., 12 juill. 2010, n° 11-17.510 ; adde sur le risque d’hémiplégie lié à la pratique d’une artériographie : Cass. 1re civ., 25 janv. 2017, n° 15-27.898). Le problème venait toutefois du fait, qu’en l’espèce, les deux enfants souffraient de handicaps totalement différents.

  1. Le défaut d’information du médecin.

Pour la Cour de cassation, le défaut d’information du médecin est considéré comme une faute autonome. Le simple fait que le médecin ait manqué à son obligation et n’ait pas correctement informé le patient des risques et suites de l’intervention cause un préjudice qui ouvre droit à réparation. En effet, « toute personne a le droit d’être informée, préalablement aux investigations, traitements ou actions de prévention proposés, des risques inhérents à ceux-ci » ; son consentement doit être recueilli par le praticien et le non-respect du devoir d’information qui en découle, cause à celui auquel l’information était légalement due, un préjudice que le juge ne peut pas laisser sans réparation (Cass. 1re civ., 3 juin 2010, n° 09-13.591).

Il ne s’agissait nullement en l’espèce d’une opération de confort mais le médecin savait que le couple réclamait une vasectomie pour éviter la conception d’un enfant atteint d’un handicap lourd.

Les époux relèvent également que s’ils avaient été informés des risques d’échec ils auraient renoncé à cette intervention.

Conformément aux éléments du dossier, le médecin n’ayant pas délivré au couple une information claire et adaptée au couple sur les éventuels risques d’échec de l’intervention, a bien commis une faute qui engage sa responsabilité.

  1. L’indemnisation des préjudices

Le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins est susceptible d’entraîner une perte de chance pour le patient d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué et des préjudices distincts, dont celui lié à l’impréparation.

Toute la question était de savoir quels chefs de préjudices devaient être indemnisés. Les juges du premier degré avaient retenu trois chefs en lien avec le défaut d’information : le préjudice consistant dans l’impréparation dans laquelle le couple s’était retrouvé une fois lors de la grossesse de l’épouse, le climat de suspicion perturbant le couple – incité à opter pour une interruption de grossesse – et la crainte que l’enfant à naître soit atteint de la même maladie génétique que celle dont souffrait déjà l’un de leurs fils. En revanche, il n’était fait nullement mention de la perte de chance d’éviter une nouvelle grossesse et la naissance d’un troisième enfant.

Les juges de la cour d’appel relèvent d’une part, qu’il est clair que les parents de Samuel né le 27 juillet 1990 et atteint de myopathie, ne voulaient plus avoir d’enfant, choisissant une solution irréversible avec la vasectomie et d’autre part que, pour éviter une grossesse, avant cette intervention, ils utilisaient des moyens contraceptifs.

Pour autant, il ne peut être retenu une perte totale de chance de refuser l’opération dans la mesure où l’expert judiciaire, rappelant qu’aucune autre intervention n’aurait eu un taux de réussite de 100 %, explique aussi que l’épouse ne supportait ni la pilule, ni le stérilet, si bien que le taux de perte de chance d’éviter la grossesse en refusant de pratiquer la vasectomie ne saurait dépasser 50 %. Partant, les juges fixent le poste de préjudice lié à la perte de chance d’éviter la grossesse à hauteur de la somme de 50 000 €, soit après application du taux de 50 %, ils offrent une indemnisation à hauteur de 25 000 €.

Surtout ils rejettent la demande d’une prise en charge de l’enfant handicapé mais souffrant d’une autre maladie que son frère : « l’utilisation de la théorie de la perte de chance ne peut permettre d’indemniser tous les préjudices survenus durant la vie de l’enfant et ainsi en l’espèce le syndrome d’Asperger apparu neuf ans après la naissance et sans aucun rapport avec la maladie génétique redoutée initialement affectant le premier enfant du couple ». Le fait que le jeune frère soit atteint du syndrome d’Asperger qui s’est révélé une dizaine d’années après la vasectomie ne peut effectivement pas être considéré comme étant un préjudice en lien direct et certain avec le défaut d’information.

* * *

 Cour d’appel, Montpellier, 1re chambre C, 6 Mars 2018 – n° 15/07957

 FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les époux G., parents de deux enfants dont un atteint d’un handicap congénital (amyotrophie spinale) ont souhaité bénéficier d’un moyen de contraception définitive.

Le couple a été orienté vers le Docteur C., urologue à Montpellier, en vue d’une vasectomie. Un document d’information leur a été remis au cours de la consultation du 17 février 2004.

La vasectomie a été pratiquée le 11 mars 2004 à la clinique du Millénaire.

Conformément aux préconisations du praticien, Monsieur G., dans les suites de cette intervention, a fait réaliser un spermogramme de contrôle le 19 mai 2004.

Les résultats de ce spermogramme ont établi la très faible présence de spermatozoïdes puisque mesurés à 160 000 spermatozoïdes par millilitre en outre sans vitalité, alors que la concentration spermatique est supérieure à 20 millions de spermatozoïdes par millilitre avant intervention.

Après consultation du gynécologue de l’épouse, le couple a cessé d’utiliser des moyens contraceptifs auxquels ils avaient eu recours jusqu’alors.

Cependant, en septembre 2005, Madame G. a constaté qu’elle était à nouveau enceinte.

Le couple a consulté alors le docteur C. et un second spermogramme a été réalisé le 20 septembre 2005 confirmant l’échec de la vasectomie, puisque mettant en évidence la présence de 22 millions de spermatozoïdes par millilitre, dont 40 % sont rapides après une heure et 30 % après 3 heures.

Il a donc été évoqué la possibilité d’une re-perméabilisation du canal spermatique.

Le couple décidant de ne pas interrompre la grossesse, l’enfant Matisse est né. Il développera par la suite, à l’âge de 9 ans, le syndrome d’Asperger.

Faisant valoir qu’ils n’avaient pas été correctement informés par le Docteur C. du risque d’échec de l’intervention, les époux G. ont saisi le juge des référés d’une demande d’expertise médicale et le Docteur B. a été désigné, lequel a déposé son rapport le 22 février 2009 après s’être adjoint un sapiteur urologue.

Par acte d’huissier du 13 décembre 2012, ils ont assigné le Docteur C. et son assureur responsabilité civile le GAN, afin de voir le médecin jugé responsable des conséquences de la non information sur le risque d’échec de la vasectomie, à savoir une

grossesse non désirée avec la crainte d’avoir un enfant anormal ainsi que le préjudice tant moral que matériel lié à la prise en charge du handicap dont est atteint leur fils.

Le dispositif du jugement rendu sur leur assignation par le tribunal de grande instance de Montpellier le 6 octobre 2015 énonce :

‘Dit que le Docteur C. a commis une faute consistant en un défaut d’information sur les risques d’échec de l’intervention consistant à une vasectomie, pratiquée le 11 mars 2004 sur la personne de Francisco G., en conséquence, rejette la demande d’expertise formulée par les époux G. relative à l’état de santé de leur fils Matisse, cet état étant sans lien de causalité avec la faute retenue, condamne le Docteur Jean-Paul C. et son assureur la société GAN ASSURANCES IARD à indemniser les époux G. de leur préjudice à hauteur d’un montant global de 25 000 €, déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, ordonne l’exécution provisoire du jugement à intervenir, déclare le présent jugement opposable à la RAM, condamne solidairement les défendeurs à payer aux demandeurs la somme de 1500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, condamne les défendeurs aux entiers dépens.

Au visa de l’article L. 1111’2 du code de la santé publique, le jugement retient à l’encontre du Docteur C. une faute consistant en un défaut d’information de son patient après avoir constaté que le document remis le 17 février 2004 ne faisait pas mention du risque d’échec de la vasectomie, dont le taux varie de 0,2 à 2 %, soit donc un risque rare mais non exceptionnel. Le premier juge écarte l’argument tiré du délai de carence de deux mois et de la réalisation du spermogramme, l’information due ne pouvant laisser place à des sous-entendus.

Il relève également que le couple cherchait manifestement une solution définitive, ne souhaitant plus avoir d’enfant et que c’est d’ailleurs pour cette raison et parce que les moyens de contraception féminins ne convenaient pas à l’épouse, que le gynécologue de cette dernière les avait orientés vers un urologue. Il note également que les époux G. se sont conformés aux préconisations en réalisant un spermogramme au mois de mai 2004 et le gynécologue leur a indiqué qu’à ce stade, les autres moyens de contraception pouvaient être arrêtés.

Le premier juge considère que, compte tenu de la volonté des époux G. de ne plus avoir d’enfant, en raison du handicap porté par leur premier-né, le défaut d’information leur a fait perdre une chance d’éviter une nouvelle grossesse non désirée.

S’agissant de l’indemnisation des préjudices, le premier jugement ne retient que celle liée à la perte de chance de n’avoir pu renoncer à l’intervention et éviter une grossesse dont précisément ils ne voulaient pas ainsi que l’indemnisation du préjudice distinct lié à leur impréparation au risque d’échec et à la crainte d’avoir un enfant atteint de la même maladie génétique que son frère.

En revanche, il considère que le fait que l’enfant Matisse soit atteint du syndrome d’Asperger qui s’est révélé environ 10 ans après l’intervention ou qu’il soit né prématurément, ne peut être considéré comme étant un préjudice en lien direct et certain avec le défaut d’information. Il rejette donc la demande d’expertise formulée aux fins d’évaluer l’importance du handicap de l’enfant et les charges particulières en découlant pour les parents.

Monsieur Francisco G. et Madame Immaculada G. épouse G. ont relevé appel du jugement par déclaration au greffe du 27 octobre 2015.

La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 3 janvier 2018.

L’affaire a été fixée pour les débats devant la cour d’appel de Montpellier à l’audience du 24 janvier 2018.

Les dernières écritures prises par les époux G. ont été déposées le 23 décembre 2015.

Les dernières écritures prises par le Docteur C. et le GAN ont été déposées le 22 février 2016.

L’organisme RAM assigné à personne habilitée, n’a pas constitué avocat.

Le dispositif des écritures des époux G. énonce :

‘Vu l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, vu les articles 16, 16’3, alinéa 2, et 1382 du code civil,

‘confirmer le jugement rendu en ce qu’il a dit que le Docteur C. a commis une faute consistant en un défaut d’information sur les risques d’échec de l’intervention consistant en une vasectomie,

‘y ajouter en disant que le Docteur C. a commis une faute dans la rédaction du document d’information en n’indiquant pas clairement l’attitude que devait adopter les consorts G. après l’intervention,

‘dire et juger que ces fautes sont en lien causal direct, certain et exclusif avec le préjudice des consorts G. qui consiste :

‘dans l’impréparation dans laquelle ils se sont retrouvés une fois la grossesse intervenue,

‘dans le climat de suspicion perturbant le couple lorsque la grossesse été découverte,

‘dans la crainte que l’enfant à naître soit atteint de la même maladie génétique que celle dont était atteint leur premier fils,

‘dans le fait d’être exposés à des charges particulières découlant du handicap de leur fils MATISSE,

‘confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a indemnisé les trois premiers chefs de préjudice par l’allocation d’une indemnité globale de 25 000 €,

‘condamner solidairement les intimés au paiement d’une somme provisionnelle de 100 000 € à valoir sur la réparation du quatrième chef de préjudice,

‘ordonner une expertise confiée à tel expert qu’il plaira à la cour de désigner en lui confiant la mission de :

‘convoquer les parties,

‘prendre connaissance du dossier médical de l’enfant Matisse,

‘décrire le handicap dont l’enfant Matisse est atteint,

‘décrire les charges particulières supportées par les requérants découlant du handicap de Matisse en détaillant et en chiffrant les aides techniques et humaines actuelles et futures,

‘donner tous éléments à la cour permettant d’apprécier les contraintes particulières supportées par les requérants du fait du handicap de leur fils et notamment s’ils sont dans l’obligation de réduire leur temps de travail.

‘Condamner les intimés au paiement d’une somme de 5000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Dans leurs écritures, auxquelles la cour invite les parties à se référer pour un exposé complet, les époux G. indiquent qu’il est acquis au débat que le Docteur C. a commis une faute dans l’exécution de son obligation d’informer son patient sur les risques d’échec de la vasectomie et sur les dispositions à prendre après l’opération.

Ils précisent que le document remis ne mentionne aucunement ce risque et limite les précautions postopératoires au respect d’une période de deux mois pendant laquelle le couple ne peut avoir que des rapports protégés et à l’issue de laquelle un spermogramme doit être réalisé.

Ils considèrent que cette information était insuffisante alors que l’opération envisagée n’était nullement une opération de confort mais avait pour origine la volonté d’éviter la conception d’un enfant atteint d’un handicap lourd.

Ils précisent qu’informé de l’éventualité d’un échec, Monsieur G. aurait renoncé à pratiquer cette opération et par ailleurs, mieux informé du taux d’échec possible, le couple n’aurait pas repris des rapports non protégés sans disposer d’un spermogramme révélant une « azoospermie totale », terme employé dans le document d’information mais non suffisamment clair pour eux, raison d’ailleurs pour laquelle le Docteur C. a déploré ne pas les avoir rencontrés lors des résultats de cet examen.

Ils reprochent au premier juge d’avoir refusé d’indemniser leur préjudice découlant des charges particulières générées par le handicap de leur enfant alors qu’il est établi qu’ils ont consulté le médecin non pas pour éviter une grossesse mais pour éviter la naissance d’un enfant handicapé. Ils estiment que le premier juge opère un raisonnement réducteur lorsqu’il cantonne le préjudice au simple temps de la grossesse alors que la faute initiale oblige à réparer toutes les conséquences ultérieures. Ils considèrent qu’il n’existe pas de rupture dans l’enchaînement causal entre le défaut d’information et le préjudice constitué par les charges particulières engendrées par le handicap de Matisse ayant contribué à interrompre cet enchaînement causal, dans la mesure où ils n’ont commis aucune faute notamment en choisissant de garder l’enfant.

Les appelants concluent à une perte de chance totale d’avoir un enfant.

Enfin, le préjudice lié à la prise en charge du handicap de Matisse ne peut être évalué selon eux qu’après expertise.

Le dispositif des écritures du docteur Jean-Paul G. et du GAN énonce :

‘Vu le Jugement du tribunal de grande instance de Montpellier du 6 octobre 2015.

‘Vu l’appel interjeté par les Consorts G..

‘Vu les pièces versées aux débats.

‘Au Principal :

‘Réformer le Jugement entrepris,

‘Dire et juger que le Docteur C. n’a pas commis de faute de nature à engager sa responsabilité justifiant le règlement d’une indemnisation et rejeter en conséquence l’ensemble des prétentions des Consorts G..

‘Condamner les Consorts G. au paiement de la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.

‘Les condamner aux entiers dépens de première instance et d’appel.

‘Subsidiairement :

‘Si le principe de la responsabilité du Docteur C. était retenu pour manquement fautif à l’obligation d’information sur les risques d’échec de la vasectomie en cause, dire et juger que le manquement retenu n’est à l’origine que d’une perte de chance de se soustraire au risque de grossesse qui s’est réalisé, qui ne pourrait excéder 20 %.

‘Tenant le taux de perte de chance retenu,

‘Dire et juger en conséquence satisfactoire une indemnité réparatrice de 1.000 €, au regard du seul préjudice d’impréparation.

‘Rejeter toutes demandes plus amples ou contraires comme infondées.

‘Très subsidiairement :

‘Rejetant l’appel des Consorts G. comme injuste et infondé,

‘Confirmer le jugement entrepris, en toutes ses dispositions.

‘Condamner les Consorts G. succombant dans leur appel au paiement de la somme de 2.500 € sur le fondement de l’article 700 du CPC.

‘Les condamner encore aux dépens relatifs à la procédure d’appel.

Dans leurs écritures, auxquelles la cour invite les parties à se référer pour un exposé complet, le docteur Jean-Paul G. et le GAN forment donc appel incident s’agissant du manquement au devoir d’information, faisant valoir notamment que si le document d’information qui a été remis le 17 février 2004 ne porte pas expressément la mention du taux d’échec des vasectomies, cette possibilité se déduit de la seule lecture du paragraphe 3 de ce document qui fait état de la nécessité de s’assurer à deux mois de l’intervention, par la réalisation d’un spermogramme, d’une azoospermie totale permettant la reprise des rapports sans contraception.

Ils soulignent ensuite que le couple n’a pas cru devoir reprendre contact avec l’urologue, s’étant entretenus seulement avec le gynécologue auxquels ils ont montré les résultats du spermogramme.

Ils se fondent ensuite sur les conclusions de l’expert judiciaire qui a fait appel à un sapiteur urologue, pour soutenir que le risque d’échec au cas d’espèce était extrêmement faible, consistant en une re-perméabilisation du canal qui ne survient que dans 0,6 % des cas.

Ils font ensuite valoir que même informé de ce risque extrêmement faible d’échec de la vasectomie, il est permis de penser que Monsieur G. aurait recouru à l’intervention et qu’ainsi les conséquences de cet échec aléatoire et imprévisible seraient survenues.

Si la cour devait retenir un défaut d’information, selon eux, seul pourrait être retenu un préjudice lié à une perte de chance de se soustraire au risque de grossesse qui ne pourrait excéder 20 % au regard du taux d’échec extrêmement faible qui ressort de l’analyse du rapport d’expertise.

Quant au préjudice, il ne peut consister selon eux qu’en la perte de chance de n’avoir pu éviter la grossesse. Le débat sur une éventuelle nouvelle pathologie déclarée ultérieurement par l’enfant est sans aucun rapport avec la pathologie génétique redoutée initialement qui n’est absolument pas survenue chez l’enfant Matisse. Les parents ont en outre choisi de garder l’enfant et le syndrome d’Asperger, découvert lorsqu’il était âgé de 9 ans, est sans rapport avec le défaut d’information. Venir rechercher la responsabilité du médecin du fait de la maladie de l’enfant revient à invoquer un préjudice lié à sa seule naissance, raisonnement qui se heurte aux dispositions de l’article L. 114’5 du code de l’action sociale et des familles selon lequel « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». Enfin, accepter la thèse défendue par les appelants, reviendrait selon les intimés, à rendre le médecin responsable de chacun des accidents, douleurs, maladies dont pourrait souffrir l’enfant sa vie durant.

MOTIFS

Sur le défaut d’information quant au risque d’échec de la vasectomie

Cette question est dans le débat en l’état de l’appel incident.

Aux termes de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique, toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus.

La preuve de la délivrance de cette information appartient au médecin.

L’expert judiciaire précise que le taux d’échec de la vasectomie varie entre 0,2 et 2 %, ce qui est selon lui rare mais pas exceptionnel.

Dès lors, ce risque devait faire l’objet d’une information au patient avant l’intervention chirurgicale.

Il n’est pas contesté que le document d’information remis le 17 février 2004 ne mentionne pas expressément ce risque.

Aux termes de celui-ci, le Docteur Jean-Paul C. a notamment expliqué au couple G. :

« la nécessité de contraception pendant les deux mois après la vasectomie et la pratique d’un spermogramme au terme de ces deux mois pour s’assurer d’une azoospermie totale permettant la reprise des rapports sans contraception ».

Pour les intimés, il faut comprendre que le spermogramme peut ne pas confirmer l’azoospermie totale, ce qui signifie que l’échec est possible et donc que les époux G. en ont bien été informés.

Or, le premier juge a très justement considéré que l’information délivrée par le Docteur C. devait être claire et ne pouvait laisser place à des sous-entendus, au regard en outre de l’histoire du couple qui cherchait une solution définitive pour ne plus avoir d’enfant.

En outre, la cour relève que la mention susvisée n’implique aucune notion de permanence de l’échec au-delà d’un délai de deux mois et après la réalisation du spermogramme.

Par ailleurs, le Docteur C. ne démontre pas qu’il a plus largement, lors de l’entretien de consultation, donné une information sur les risques d’échec de la vasectomie.

Enfin, il importe peu que le couple n’ait pas revu en consultation le Docteur C.. L’expert judiciaire indique en effet que le spermogramme du 19 mai 2004 montrait des spermatozoïdes non fonctionnels, ce qui signifiait qu’à ce moment-là, Monsieur G. était stérile. Ainsi conclut-il que le Docteur C. ait vu ou non cet examen ne change rien car devant de tels résultats, ses recommandations auraient été de toutes façons que Monsieur G. pouvait reprendre une vie sexuelle non protégée. L’intimé ne conteste d’ailleurs nullement ce point.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de considérer que le Docteur C. n’a pas délivré une information claire et adaptée et de confirmer le jugement de premier ressort en ce qu’il a retenu à son encontre une faute consistant en un défaut d’information sur les éventuels risques d’échec de la vasectomie envisagée.

Sur l’indemnisation des préjudices

Il convient de rappeler que le défaut d’information sur les risques inhérents à un acte individuel de prévention, de diagnostic ou de soins est susceptible d’entraîner une perte de chance pour le patient d’éviter le dommage résultant de la réalisation de l’un de ces risques, en refusant qu’il soit pratiqué et des préjudices distincts, dont celui lié à l’impréparation.

Les appelants font valoir que le premier juge n’a indemnisé que trois chefs de préjudices, à savoir le préjudice consistant dans l’impréparation dans laquelle ils se sont retrouvés une fois la grossesse intervenue ainsi que dans le climat de suspicion perturbant le couple lorsque la grossesse a été découverte ainsi que dans la crainte que l’enfant à naître soit atteint de la même maladie génétique que celle dont était atteint leur premier fils.

Comme les a justement qualifiés le tribunal, il s’agit de préjudices distincts en lien avec le défaut d’information.

Or, les appelants sont en droit en l’espèce de réclamer la réparation d’un quatrième chef de préjudice lié à la perte de chance d’éviter le risque d’une grossesse et par suite celui de la naissance d’un troisième enfant.

Il ne peut être ici reproché aux époux G. d’avoir fait le choix de garder l’enfant, étant rappelé que la victime n’est jamais tenue de limiter son préjudice dans l’intérêt du responsable.

Par ailleurs, l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles ne vise que les fautes commises pendant la grossesse et non les fautes ayant empêché les parents d’éviter la conception d’un enfant handicapé ou non.

Il convient de relever qu’en l’espèce, le défaut d’information sur le taux d’échec de l’opération évalué par l’expert judiciaire entre 0,2 et 2 %, ce qui n’est donc pas exceptionnel, a fait perdre au patient une chance de refuser la vasectomie et donc d’éviter le dommage.

Monsieur G. a déclaré à l’expert judiciaire, au cours certes seulement du second accedit et après plusieurs jours de réflexion, qu’il aurait refusé l’intervention.

Il est constant que le couple, parents d’un premier enfant Samuel né le 27 juillet 1990 et atteint de myopathie, ne voulait plus avoir d’enfant, choisissant la solution considérée comme irréversible de la vasectomie telle que qualifiée par le document d’information signé le 17 février 2004.

Il n’est pas non plus contestable qu’auparavant et depuis la naissance de leur second enfant Yann né le 29 décembre 1994, le couple avait su se prémunir contre le risque de grossesse, ce qui permet de penser, comme soutenu, qu’il aurait pu continuer à adopter la même prudence en l’absence d’opération.

Pour autant, il ne peut être retenu une perte totale de chance de refuser l’opération dans la mesure où l’expert judiciaire, qui précise au préalable qu’aucune autre intervention n’aurait eu un taux de réussite de 100 %, explique aussi que l’épouse ne supportait ni la pilule, ni le stérilet et que les choix offerts étaient de continuer à utiliser les condoms ad vitam aeternam ou de proposer à celle-ci une ligature des trompes.

Dès lors le taux de perte de chance d’éviter la grossesse en refusant de pratiquer la vasectomie ne saurait dépasser 50 %.

L’arrivée d’un troisième enfant a forcément en l’espèce généré des charges même indépendamment d’un handicap à la naissance et déséquilibré la structure familiale organisée depuis plusieurs années autour du premier enfant atteint de myopathie qui nécessitait une disponibilité particulière de la part des parents.

En revanche, l’utilisation de la théorie de la perte de chance ne peut permettre d’indemniser tous les préjudices survenus durant la vie de l’enfant et ainsi en l’espèce le syndrome d’Asperger apparu neuf ans après la naissance et sans aucun rapport avec la maladie génétique redoutée initialement affectant le premier enfant du couple. Il n’y a donc pas lieu d’ordonner l’expertise judiciaire sollicitée.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il convient de fixer le poste de préjudice lié à la perte de chance d’éviter la grossesse à hauteur de la somme de 50 000 €, soit après application du taux de 50 %, une indemnisation à hauteur de 25 000 €.

Sur les frais non remboursables et les dépens

Le jugement de première instance sera confirmé en ce qui concerne ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Les intimés qui succombent seront condamnés aux dépens de l’appel et à régler la somme de 1500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt réputé contradictoire et mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Montpellier en date du 6 octobre 2015 en toutes ses dispositions, sauf en celles relatives à l’indemnisation de la perte de chance,

Et statuant à nouveau de ce chef infirmé,

CONDAMNE solidairement Monsieur Jean-Paul C. et la société GAN ASSURANCES IARD à verser à Monsieur Francisco G. et Madame Immaculada G. la somme complémentaire de 25 000 €,

REJETTE le surplus des demandes,

CONDAMNE in solidum Monsieur Jean-Paul C. et la société GAN ASSURANCES IARD à payer à Monsieur Francisco G. et Madame Immaculada G. la somme de 1500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédurecivile,