Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LE CRASH DE L’AIRBUS A 320 DE LA COMPAGNIE INDONESIA AIR ASIA : DEMANDES DE PROVISIONS DEVANT LES JURIDICTIONS FRANCAISES, M-F. Steinlé-Feuerbach

Marie-France Steinlé-Feuerbach
Professeur émérite en droit privé,
Directeur honoraire du CERDACC

 

Commentaire de Civ. 1re, 28 novembre 2018, n° 17-14. 356 A LIRE ICI 

Le 28 décembre 2014, un Airbus A320 transportant pour le compte de la compagnie aérienne Indonesia Air Asia s’abîmait dans la mer de Java avec à son bord 155 passagers et 7 membres d’équipage. Il n’y eu aucun survivant. La première Chambre civile de la Cour de cassation casse l’arrêt rendu le 10 janvier 2017 par la cour d’appel d’Angers en ce qu’il a dit que l’obligation des sociétés Airbus et Artus d’indemniser les proches des victimes est sérieusement contestable.

 

Mots clés : accident aérien ; constructeur ; produit défectueux ; transporteur aérien

Si l’arrêt rendu le 28 novembre 2018 par la première Chambre civile de la Cour de cassation retient surtout l’attention en raison de son interprétation de la responsabilité des producteurs (JCP E, 20 déc. 2018, 1656 ; D. 2018, p. 2360 ; A. Hacene, D. actu., 11 janv. 2019 ; M. Hervieu, D. étudiant, 14 janv. 2019), il fournit également l’occasion de quelques rappels sur les grands principes de l’indemnisation des victimes d’accidents aériens.

I. La responsabilité éventuelle du transporteur aérien

La responsabilité du transporteur, en l’espèce une compagnie étrangère, dont tous les passagers étaient des étrangers voyageant entre deux pays étrangers ne saurait être appréciée par des juridictions françaises – et n’est pas, avec raison, invoquée dans cet arrêt –. La possibilité d’engager cette responsabilité au regard du droit conventionnel applicable mérite cependant quelque attention.

Les régimes des deux principales Conventions relatives à la responsabilité du transport aérien international, celle de Varsovie du 12 octobre 1929 et celle de Montréal du 28 mai 1999, sont bien différents (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Les trajectoires de l’obligation de sécurité du transporteur aérien de personnes », Riseo 2010-2, www.riseo.cerdacc.uha.fr). La présomption de responsabilité posée par la Convention de Varsovie en cas de dommages corporels ne commande l’indemnisation que jusqu’au plafond de Varsovie (variable selon les dates de signature de protocoles additionnels). Au-delà de celui-ci, la responsabilité du transporteur n’est engagée que par la démonstration d’une faute dolosive. En ce qui concerne la Convention de Montréal, elle introduit un système à « double détente » reprenant le principe d’un seuil : une responsabilité de plein droit du transporteur jusqu’à 113 000 DTS, et présomption de responsabilité au-delà, le transporteur ne pouvant toutefois renverser cette présomption par la simple preuve de son absence de faute.

La Convention de Montréal, bien plus favorable que celle de Varsovie, ne s’applique qu’aux transports internationaux aériens réalisés entre des Etats l’ayant ratifié. Dès lors la Convention de Varsovie s’applique toujours aux transports effectués entre Etats non signataires de la Convention de Montréal mais également pour des vols effectués entre un pays signataire et un pays non signataire.

Lors de l’accident de l’Indonesia Air Asia du 28 décembre 2014, l’aéronef avait décollé de l’aéroport international de Surabaya sur l’île de Java en Indonésie et sa destination était l’aéroport de Singapour Changi. L’Indonésie et l’Etat de Singapour étant tous les deux signataires de la Convention de Montréal on pourrait penser que cette Convention profite aux proches des victimes, mais en vérifiant la date de signature sur le site de l’OACI il apparaît que la ratification de l’Indonésie ne date que du 19 mai 2017 (date postérieure à celle de l’accident ( https://en.wikipedia.org/wiki/Montreal_Convention). Rien d’étonnant donc à ce que soixante-sept proches de passagers victimes choisissent de rechercher la responsabilité du fabricant de l’aéronef et celle du fabricant du module électronique devant les juridictions françaises.

II. La responsabilité des fabricants

La société Airbus ainsi que la société Arthus, fabricant du module électronique RTLU (système de contrôle électronique de la gouverne de direction) équipant l’avion, ayant leurs sièges en France, la compétence des juridictions françaises, et plus particulièrement celle du juge des référés, ici celui du lieu du siège d’Arthus, est indiscutable. (M.-F. Steinlé-Feuerbach, « Crash du Rio-Paris : les compétences du juge des référés (TGI Toulouse – réf.- 12 juil. 2011) », JAC n° 117, oct. 2011). Il résultait du rapport d’enquête que « le module électronique « RTLU » présentait des fêlures sur les soudures à la surface des deux canaux et qu’il est établi que ce sont des dégradations qui ont pu générer des pertes de continuité électrique menant à la panne de cet élément (…) il est également acquis que le dysfonctionnement du module RTLU est le premier facteur dans le temps ayant pu contribuer à l’accident et que, lors du vol, ce même défaut a été signalé à quatre reprises à l’équipage. » Alors que l’équipage de l’Airbus avait réagi aux trois premiers signalements, il n’en a pas été de même au quatrième. Par ailleurs, le module aurait dû être remplacé, ce qui n’a pas été fait.

Les demandes de provisions sont fondées sur la responsabilité du fait des produits défectueux (art.1386-1 à 1386-14 C.C. devenus 1245 à 1245-13). Elles ont été écartées par la cour d’appel d’Angers aux motifs que des tiers avaient contribué à la réalisation du dommage et que les producteurs auraient ignoré l’absence de fiabilité du module. De manière plutôt lapidaire, la Cour de cassation réfute cette argumentation : « Qu’en statuant ainsi, par des motifs fondés sur le fait de tiers ayant concouru à la réalisation d’un dommage et sur le défaut de connaissance, par les producteurs de l’avion et du module litigieux, de l’absence de fiabilité de ce dernier, comme tels impropres à caractériser l’absence d’une obligation non sérieusement contestable à la charge de ces producteurs, alors qu’elle avait constaté un défaut du module, la cour d’appel a violé les textes susvisés. »

Ainsi la constatation du défaut du produit et de l’implication du produit dans le dommage serait suffisante pour engager la responsabilité du producteur.

Faut-il en conclure que la Cour de cassation a renoncé aux subtiles variations qu’elle avait introduites dans l’interprétation de l’article 1245-8 du Code civil ? Cela n’est pas certain, les débats sur l’implication, l’existence du défaut, la certitude du lien causal… ont trait principalement aux vaccins contre l’hépatite B (cf. JAC n° 171, nov. 2017 ; JAC n° 174, fév. 2018) pour lesquels causalité scientifique et causalité juridique ne s’accordent pas toujours. En matière de crash aérien, les enquêtes techniques réalisées permettent souvent de mettre en évidence les causes de l’accident. Pour ce qui est de la catastrophe aérienne de l’Air Asia, le rapport de la commission d’enquête de l’aviation civile indonésienne, rendu public le 1er décembre 2015, a mis en évidence cinq facteurs contributifs dont le défaut du module RTLU, il précise que la suppression de l’un des facteurs aurait évité le crash. Bien que les magistrats ne soient pas tenus par les conclusions des rapports d’enquête technique, il n’était guère possible de contester l’existence du défaut du module.

L’existence d’autres facteurs contributifs comme le défaut de maintenance de la compagnie Air Asia ne saurait exonérer les fabricants, il en est de même pour l’attitude de l’équipage, ceci conformément à l’article 1245-3 C.C. qui fixe limitativement les causes d’exonération du producteur.

La première Chambre civile de la Cour de cassation renvoie les parties devant la cour d’appel d’Angers autrement composée leur permettant d’espérer au moins l’octroi de provisions, l’évaluation des préjudices s’effectuant conformément au droit français.