Isabelle Corpart,
Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace,
Membre du CERDACC
Commentaire de Cass. crim. QPC, 14 février 2023, n° 22-84.760
Les parents sont responsables du dommage causé par leur enfant mineur s’ils sont tous les deux titulaires de l’autorité parentale, la coparentalité étant maintenue s’ils se séparent. Toutefois, l’enfant ne cohabite plus alors quotidiennement avec le couple parental, ce qui a des répercussions. En effet la mise en œuvre de la responsabilité civile tient compte de la cohabitation, point critiqué par les parents d’un mineur auteur d’un incendie qui ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Ils aimeraient ouvrir une discussion sur le point de savoir si le fait de n’engager que la responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle du mineur a été fixée porte atteinte au droit de mener une vie familiale normale. En la matière, ils ont été suivis par les juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui ont transmis leur QPC au Conseil constitutionnel en mettant l’accent sur la nécessité de renforcer l’égalité entre parents. Néanmoins le Conseil constitutionnel vient de répondre que la disposition attaquée par la famille qui a bénéficié du soutien de la chambre criminelle de la Cour de cassation est bien conforme à la Constitution (Cons. Const., 21 avr. 2023, n° 2023-1045 QPC).
Mots-clefs : incendie provoqué par un mineur – responsabilité des parents du fait de leur enfant mineur – C. civ., art. 1242, al. 4 – séparation du couple – maintien de la coparentalité – responsabilité de plein droit du seul parent cohabitant avec l’enfant – discussion sur l’égalité parentale – droit de mener une vie familiale normale – responsabilité solidaire – QPC
Pour se repérer
Un enfant, auteur d’un incendie a été poursuivi en justice et, comme il est encore mineur et non émancipé, la responsabilité civile des parents du fait de leur enfant mineur est engagée sur le fondement de l’article 1242, alinéa 4 du Code civil issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (JO du 11 février), remplaçant l’ancien article 1384, alinéa 4 du Code civil. Pour ce faire, il est nécessaire que les deux membres du couple parental soient titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, ce qui est bien le cas si les doubles liens de filiation ont été établis et puisque, lorsque le couple se sépare, notamment divorce, la coparentalité est maintenue depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 (JO du 5 mars). Celle-ci mentionne effectivement dans l’article 373-2, alinéa 1er du Code civil que « la séparation des parents est sans incidence sur les règles de dévolution de l’exercice de l’autorité parentale ». Il se pourrait toutefois que le juge, en fonction de l’intérêt de l’enfant, confie l’autorité parentale à un seul des parents séparés (C. civ., art. 373-2-1) mais ce point n’a pas été évoqué dans cette affaire.
En revanche, pour que les père et mère soient solidairement responsables du dommage causé par leur enfant, l’article 1242, alinéa 4 du Code civil pose une autre condition, à savoir que l’enfant auteur du dommage, en l’occurrence d’un incendie, habite avec le couple parental. Il n’en va plus ainsi lorsqu’il est mis fin à la vie en couple, raison pour laquelle seul le parent auquel est confiée la résidence habituelle de l’enfant et qui vit avec lui est responsable civilement, même si l’autre parent s’est vu accorder un droit de visite et d’hébergement.
Pour faire avancer les choses, les parents ont fait le choix de déposer une QPC lors du pourvoi qu’ils ont formé contre l’arrêt rendu le 17 juin 2022 par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, chambre spéciale des mineurs : « les dispositions de l’article 1242, alinéa 4, du Code civil, telles qu’interprétées par la Cour de cassation comme attribuant la responsabilité de plein droit, en cas de divorce, au seul parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant a été fixée, quand bien même l’autre parent, bénéficiaire d’un droit de visite et d’hébergement, exercerait conjointement l’autorité parentale, portent-elles atteinte au droit de mener une vie familiale normale et à l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ainsi qu’au respect de la vie privée garanti à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et au principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 6 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, en ce qu’elles encouragent le parent non-cohabitant à se soustraire à son obligation de pourvoir au développement de l’enfant auteur du dommage et imputent au parent cohabitant une charge financière inéquitable ».
Pour aller à l’essentiel
La cohabitation parents/enfant fait partie des conditions à remplir pour que la responsabilité des parents d’un enfant mineur soit engagée quand ce dernier a causé un dommage. Par principe si le couple décide de rompre, l’enfant ne cohabite plus qu’avec son père ou sa mère (ou l’un de ses pères ou mères s’il s’agit d’un couple de même sexe). Il peut toutefois paraître inopportun qu’un parent titulaire de l’autorité parentale ne soit pas visé lorsque le couple s’est séparé ou a divorcé et que la résidence habituelle de l’enfant a été confiée à l’autre parent. Le 14 février 2023, la chambre criminelle de la Cour de cassation a décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 1242, alinéa 4 du Code civil. Cette QPC ouvre une discussion sur l’attribution de la responsabilité de plein droit, en cas de divorce, au seul parent chez lequel la résidence habituelle du mineur a été fixée, à l’exclusion de l’autre, lequel ne côtoie l’enfant que dans le cadre du droit de visite et d’hébergement.
Dans l’arrêt rendu le 14 février 2023, les juges ont pris la décision de transférer la QPC des parents au Conseil constitutionnel, estimant que la question présente un caractère sérieux : « en ce que les dispositions législatives contestées, qui ne confèrent pas la qualité de civilement responsable au parent chez lequel la résidence de l’enfant mineur n’a pas été fixée et font obstacle à sa condamnation solidaire avec l’autre parent par le juge pénal, alors que tous deux exercent conjointement l’autorité parentale, sont susceptibles de porter atteinte au principe d’égalité, en conférant à l’un d’eux un droit qui n’est pas assorti des mêmes devoirs ».
Ils ont en revanche jugé irrecevable une autre QPC déposée par une société impliquée dans ce dossier car cette société n’était ni appelante ni intimée devant la cour d’appel et n’a donc pas été partie à la décision contre laquelle a été ensuite formée un pourvoi. Ils ont également décidé de ne pas tenir compte d’une troisième QPC déposée par une autre société car elle portait sur les mêmes motifs que celle déjà retenue. En effet, conformément à l’article R. 49-33 du Code de procédure pénale, « La Cour de cassation n’est pas tenue de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont le Conseil constitutionnel est déjà saisi. En cas d’absence de transmission pour cette raison, elle diffère sa décision jusqu’à l’intervention de la décision du Conseil constitutionnel ».
La QPC déposée par le couple parental ayant, quant à elle, été jugée recevable et pertinente, cette affaire qui pourrait apporter des changements en la matière est dès lors à suivre.
Pour aller plus loin
Par principe, les parents ont la garde de leur enfant et si celui-ci cause des préjudices à autrui, ils sont civilement responsables. C’est toutefois différent si le couple parental ne vit plus sous un même toit. En l’état actuel du droit, la coparentalité est bien maintenue par principe lorsque les époux, les partenaires ou les concubins, parents d’un même enfant ou de plusieurs, se séparent (C. civ., art. 373-2, al. 1er). Toutefois en raison de la rupture du couple, le juge doit choisir quel parent se verra accorder la résidence habituelle de l’enfant, sauf si les parents se sont déjà mis d’accord. Le lien à faire entre le droit de l’autorité parentale et de la responsabilité (C. civ., art. 1242, al. 4) conduit en conséquence à ne pas retenir la responsabilité des deux parents titulaires de l’autorité parentale lorsque leur enfant a causé des dommages, en l’occurrence provoqués par l’incendie dont il est l’auteur, mais uniquement celle du parent qui élève l’enfant à son domicile.
Dans de nombreuses affaires, les juges ont mis en œuvre la responsabilité de plein droit d’un seul parent, à savoir celui qui s’est vu conférer la résidence habituelle du mineur au moment de la rupture du couple (et ce, depuis longtemps : Cass. 2e civ., 19 févr. 1997, n° 94-21.111, Bull. civ. II, n° 56 ; R.T.D. civ. 1997, p. 670, obs. P. Jourdain ; Gaz. Pal. 1997, 2, jur., p. 575, note F. Chabas ; D. 1997, p. 265, note P. Jourdain).
Le fait que l’enfant soit aux côtés de l’autre parent au moment du drame parce que ce dernier bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement n’y change rien (Cass. crim., 29 avr. 2014, n° 13-84.207, Bull. crim., n° 116, Procédures 2014, comm. 179, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; RJPF 2014-7•8/33, obs. S. Hocquet-Berg ; Gaz. Pal. 4-5 juin 2014, n° 155-156, p. 5, note P. Oudot ; LPA 1er nov. 2014, n° 120, p. 19, note K. Jakouloff ; Cass. crim. 2 déc. 2014, n° 13-85.727, Resp. civ. et assur. 2015, comm. 76, note H. Groutel ; Dr. Famille 2015, comm. 64, note S. Rouxel). Ce parent qui ne réside pas quotidiennement avec l’enfant pourrait toutefois voir lui aussi sa responsabilité engagée si sa faute personnelle est démontrée sur le fondement des articles 1240 ou 1241 du Code civil (ou art. 1382 avant la réforme de 2016 : Cass. crim., 6 nov. 2012, n° 11-86.857, Bull. crim., n° 241, AJ famille 2012, p. 613, note F. Chénedé ; Dr. Famille 2013, comm. 35, note S. Rouxel ; RJPF 2013-1/33, obs. S. Hocquet-Berg ; D. 2013, p. 124 note C. Roth ; RTD civ. 2013, p. 106, obs. J. Hauser ; JCP G 2013, p. 484, note C. Bloch).
On peut toutefois comprendre que cette manière d’aborder le jeu de la responsabilité parentale soit sujette à des interrogations, voire des critiques. En effet, écarter de la prise en compte du dommage causé par un mineur le parent qui ne cohabite plus avec lui, conduit à se demander s’il n’est pas porté atteinte en ce cas à l’égalité entre parents.
C’est le Conseil constitutionnel qui va devoir se prononcer sur la question en examinant les alinéas 10 et 11 du préambule de la Constitution de 1946 visant le droit de mener une vie familiale normale et mettant en place la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Comme c’est noté dans la QPC, il va également avoir besoin de vérifier si le fait de ne retenir que la responsabilité du parent auquel est confié l’enfant est bien conforme au respect de la vie privée mentionné dans l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et surtout au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article 6 de ce même texte. On peut effectivement relever que le parent non-cohabitant est écarté et n’a plus la charge du développement du jeune auteur du dommage et en outre, qu’il peut paraître inégalitaire que le parent s’étant vu confier l’enfant par le juge lors du divorce ait ensuite à supporter une charge financière inéquitable.
Comme la mise en œuvre de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil risque de porter atteinte au principe d’égalité des parents, l’un et l’autre titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, en ne leur reconnaissant pas les mêmes devoirs, alors qu’ils ont les mêmes droits, il est pertinent de renvoyer au Conseil constitutionnel cette QPC qui présente un caractère sérieux. Si le droit évolue, on pourrait mettre en place une responsabilité solidaire entre les deux parents, hormis dans les cas où l’un d’entre eux ne serait plus titulaire de l’autorité parentale depuis la séparation de leur couple car le juge a estimé que cela ne serait pas conforme à l’intérêt de l’enfant.
Il est vrai que la place accordée à la cohabitation n’est pas toujours reconnue de la même manière. Selon le cas, certains auteurs sont favorables à la responsabilité du parent chez lequel la résidence habituelle de l’enfant a été fixée ou, à l’inverse, à une responsabilité solidaire, tenant compte ou pas de la cohabitation (Y. Dagorne-Labbé, La condition de cohabitation du mineur est-elle compatible avec la responsabilité de plein droit de ses parents ?, comm. de Cass. 2e civ., 19 févr. 1997 ; A. Gouttenoire, La cohabitation juridique, condition de la mise en œuvre de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants, JCP G 2000. II. 10374 ; K. Jakouloff, La responsabilité des parents liée à la résidence habituelle de l’enfant, non à l’autorité parentale, note sous Cass. crim., 29 avr. 2014, LPA 1er nov. 2014, n° 120, p. 19 ; D. Mazeaud, La condition de cohabitation dans la responsabilité des parents : chronique d’un escamotage annoncé, D. 2000, p. 469 ; A. Ponseille, Le sort de la condition de cohabitation dans la responsabilité civile des père et mère du fait dommageable de leur enfant mineur, RTD civ. 2003, p. 645 ; M.-F. Steinlé-Feuerbach, Responsabilité des parents : le glas de la cohabitation, JCP G, 13 avril 2005, n° 15, p. 737).
Pour déterminer le ou les parents responsables du fait de leur enfant mineur, auteur d’un fait dommageable comme en l’espèce d’un incendie, il faut cumuler la notion d’autorité parentale avec celle de cohabitation.
Le parent qui n’est pas titulaire de l’autorité parentale en raison d’une décision du juge ne peut jamais voir sa responsabilité engagée, même si l’enfant réside avec lui, sauf s’il a commis lui-même une faute. En complément, le parent exerçant l’autorité parentale n’est pas non plus reconnu responsable à partir du moment où le couple s’est séparé et que la résidence habituelle a été fixée chez l’autre parent. Cependant, cela se complique si les parents ont cessé de vivre ensemble. Quand les parents ne sont séparés que de fait, ils demeurent l’un et l’autre responsables des agissements de leur enfant et c’est une responsabilité solidaire qui est retenue (I. Corpart, Séparation parentale et responsabilité des père et mère pour un dommage causé par un mineur, commentaire de CA Lyon 12 juin 2018 n° 17/06238, JAC n° 179, sept. 2018).
En fonction de la réponse du Conseil constitutionnel, le législateur fera peut-être évoluer les choses. Ce n’est sans doute pas l’intérêt de l’enfant qui doit être pris en compte, mais celui de la victime qui est d’avoir deux débiteurs de la dette de réparation, conséquence de la responsabilité solidaire. À partir du moment où la coparentalité est maintenue malgré la rupture du couple, le parent avec lequel l’enfant ne réside que ponctuellement dans le cadre de son droit d’hébergement se voit néanmoins reconnaître autant de droits que son ex-époux ou compagnon auquel a été accordée la résidence habituelle de l’enfant commun. Dès lors il est quelque peu dérangeant qu’avoir les mêmes droits n’entraîne pas les mêmes devoirs puisque le parent non-gardien ne sera pas responsable lors d’un dommage causé par le mineur. Le Conseil constitutionnel vient toutefois de se prononcer sur la question (Cons. Const. 21 avr. 2023, n° 2023-1045 QPC) et il n’a pas du tout suivi cette piste. Il estime au contraire que la différence de traitement entre le parent qui vit avec l’enfant et son ex-conjoint ou son ex-compagnon est « fondée sur une différence de situation » si bien qu’il n’y a pas à parler de « méconnaissance du principe d’égalité ». Retenir en conséquence la responsabilité du seul parent chez lequel le juge a fixé la résidence habituelle de l’enfant auteur du dommage n’entre pas en contradiction avec la Constitution.