Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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RAPPEL DES REGLES PREVUES PAR LE CODE DE L’EDUCATION EN CAS DE RESPONSABILITE D’UN MEMBRE DE L’ENSEIGNEMENT PUBLIC POUR HARCÈLEMENT, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace, Membre du CERDACC

Commentaire de Crim. 2 févr. 2022, n° 21-82.535

En ce mois de rentrée scolaire, il est pertinent de mettre l’accent sur un arrêt relatif à l’action éducative qui clarifie les retombées d’un harcèlement moral (que l’on qualifierait désormais de scolaire depuis la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022, JO, 3 mars) subi au sein d’une école maternelle.

Conformément à l’article L. 911-4 du Code de l’éducation, quand la responsabilité d’un membre de l’enseignement public est engagée à l’occasion d’un fait dommageable commis au détriment d’un élève, la responsabilité de l’État doit être substituée à celle dudit membre. Il ressort de l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation que la substitution de responsabilité pour faits dommageables visant des écoliers s’applique aussi aux agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles (ATSEM). La victime doit dès lors agir contre l’État, lequel a ensuite la possibilité de se retourner contre l’auteur des faits.

Mots-clés : Harcèlement moral dans une école maternelle – fait dommageable causé par un membre de l’enseignement public – ATSEM coupable d’infraction sur ses élèves – inclusion des ATSEM dans la catégorie de membres de l’enseignement public – responsabilité de l’État – action à intenter contre l’autorité académique compétente.

Pour se repérer

Mme W. Y. exerçait la fonction d’ATSEM dans l’école maternelle de sa commune et elle avait été accusée de harcèlement moral dans son établissement, le harcèlement étant aggravé du fait que les deux victimes de ses propos et comportements, mineurs scolarisés dans l’école où elle exerçait ses fonctions d’agent territorial spécialisé des écoles maternelles avaient moins de 15 ans. Sa responsabilité avait été retenue par le tribunal correctionnel (22 juin 2020), décision confirmée par la cour d’appel de Grenoble, chambre correctionnelle, les juges la condamnant le 1er avril 2021 à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis, à deux ans d’inéligibilité et à une interdiction professionnelle définitive. L’ayant déclarée coupable de harcèlement moral aggravé commis dans l’exercice de son activité d’agent public des écoles maternelles, les juges de la cour d’appel l’ont condamnée à payer des dommages-intérêts aux jeunes victimes et à leurs familles, considérant qu’elle avait effectivement commis une faute détachable de ses fonctions, si bien que sa responsabilité civile pouvait être reconnue en même temps que sa responsabilité pénale.

Estimant que les juges du fond n’avaient pas tenu compte de l’article L. 911-4 du Code de l’éducation, Mme W. Y. s’est pourvue en cassation, soutenant qu’une règle de compétence avait été méconnue ; règle d’ordre public qu’elle pouvait invoquer à tout moment de la procédure.

Pour aller à l’essentiel

Selon la Cour de cassation, un ATSEM est bien un membre de l’enseignement public dans la mesure où sa mission a une vocation éducative. En conséquence, sur le fondement de l’article L. 911-4 du Code de l’éducation, Mme W. Y. qui avait harcelé deux jeunes écoliers durant son temps de travail a été poursuivie à tort par leurs familles. Il aurait fallu qu’elles agissent contre l’État et non contre l’auteur des faits. Pour la chambre criminelle de la Cour de cassation, « l’action en responsabilité, exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droits, intentée contre l’État, ainsi responsable du dommage, est portée devant le tribunal de l’ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et est dirigée contre l’autorité académique compétente ». En effet, ce texte substitue la responsabilité de l’État à celle du membre de l’enseignement public, lequel ne peut pas être lui-même mis en cause devant les tribunaux par la victime ou ses représentants.

Dès lors les juges de la cour d’appel sont censurés par la Cour de cassation pour avoir méconnu le sens et la portée de ce texte (cassation sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, COJ, art. L. 411-3).

En cas de délit causé par un ATSEM, c’est la responsabilité de l’État qui doit être engagée car l’article L. 911-4 du Code de l’éducation institue une responsabilité générale de l’État toutes les fois où un écolier subit un dommage causé par un membre de l’enseignement public, cette catégorie englobant les ATSEM dont la mission est éducative. Dès lors, les parents des deux mineurs n’auraient pas dû intenter une action contre l’ATSEM quand bien même la prévenue avait eu une attitude fautive en harcelant moralement leurs jeunes enfants scolarisés dans l’école où elle exerçait. Conformément à l’alinéa 5 de l’article 911-4, « l’action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l’État, ainsi responsable du dommage, est portée devant le tribunal de l’ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et dirigée contre l’autorité académique compétente », la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 ayant remplacé la référence au représentant de l’État dans le département, à savoir le préfet par l’autorité académique compétente.

Pour aller plus loin

L’accent est mis dans cette affaire sur l’action éducative afin de mieux protéger les élèves.

Pour convenir que c’était l’État qui voyait sa responsabilité reconnue sur le fondement de l’article L. 911-4 du Code de l’éducation, lequel considère que la responsabilité des membres de l’enseignement public est engagée lorsqu’ils font subir des faits dommageables aux élèves de l’école dans laquelle ils travaillent, à partir du moment où dans cette affaire c’était un agent territorial qui était visé, il fallait que la Cour de cassation commence par préciser si ce texte pouvait s’appliquer aux ATSEM.

Pour les juges de la chambre criminelle de la Cour de cassation, les agents territoriaux qui travaillent dans des écoles maternelles sont bien à considérer comme membres de l’enseignement public. Les ATSEM appartiennent effectivement à la communauté éducative parce que les missions qu’ils ont à remplir sont effectivement à connotation éducative. Précisément, ils doivent accueillir les élèves, mettre en place des dispositifs d’assistance pédagogique et de surveillance et prendre soin des élèves lors des activités scolaires ou périscolaires. Les agents communaux qui travaillent dans les écoles sont donc bien à considérer comme des membres de l’enseignement public pendant le temps scolaire et périscolaire puisqu’ils appartiennent à la communauté éducative et qu’ils se voient confier une « mission d’accueil des élèves, d’assistance pédagogique et de surveillance ». À partir du moment où l’accent est mis sur la finalité éducative du travail des ATSEM, agents dépendants de la fonction publique territoriale, il est logique de considérer que leur mission relève bien de l’enseignement public, raison pour laquelle ils se voient conférer la qualité de membre de l’enseignement public.

En conséquence, conformément au dispositif prévu par l’article L. 911-4 du Code de l’éducation (modifié par la loi n° 2015-177 du 16 février 2015, loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans le domaine de la justice et des affaires intérieures ; JO, 17 févr.), les parents de deux élèves auraient dû agir contre l’État, ne pouvant pas obtenir réparation de la part d’un membre de l’enseignement public : « la responsabilité de l’État est substituée à celle desdits membres de l’enseignement qui ne peuvent jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants (…) L’action en responsabilité exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l’État, ainsi responsable du dommage, est portée devant le tribunal de l’ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et dirigée contre l’autorité académique compétente ».

Certes l’État a ensuite la possibilité de se retourner contre l’agent auteur du dommage causé par le harcèlement moral visé dans cette affaire (C. éducation, art. L. 911-4, al. 3). Il est en effet prévu que l’État peut exercer une action récursoire contre le membre de l’enseignement à l’origine du dommage subi par les écoliers.

Désormais dans des affaires similaires, on pourra faire état de harcèlement scolaire puisque la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire (JO du 3 mars) est entrée en vigueur. En effet, le harcèlement scolaire est devenu un délit pénal pour tenter d’éviter que les écoliers aient à subir ce genre d’atteintes. Ainsi, les faits de harcèlement moral commis à l’encontre d’un élève constituent un harcèlement scolaire. Il est essentiel que les enfants suivent une scolarité sans harcèlement scolaire (C. éducation, art. L. 511-3-1, issu de la loi n° 2019-791 du 26 juillet 2019 pour une école de la confiance, JO, 28 juill.), mais aussi que le temps passé dans des établissements scolaires ne leur fasse pas vivre des drames. Depuis cette réforme il est aussi prévu que tout le personnel doit recevoir une formation à la prévention des faits de harcèlement, qu’il s’agisse des enseignants mais aussi des animateurs sportifs ou culturels, des travailleurs sociaux et du personnel en contact avec les élèves, afin d’éviter que les personnes ayant en charge les écoliers n’aient un comportement contraire aux règles déontologiques quand les jeunes enfants se trouvent sous leur surveillance.

Il importe de bien lutter contre toutes les formes de harcèlement scolaire car cela nuit gravement aux actions éducatives et scolaires menées dans les écoles et dans les établissements accueillant des élèves. Il s’agit d’une violence qui peut être verbale, physique ou psychologique et il est important que les parents sachent qu’ils peuvent agir pour demander notamment des dommages et intérêts, toutefois encore faut-il qu’ils sachent précisément contre qui ils doivent intenter leur action judiciaire.