Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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CHRONIQUE DU DOMMAGE CORPOREL, DU DROIT DES VICTIMES ET VICTIMOLOGIE, C. Lienhard et C. Szwarc

Claude Lienhard

Avocat spécialisé en droit du dommage corporel,

Professeur émérite à l’Université Haute-Alsace,

Directeur honoraire du CERDACC

et

Catherine Szwarc

Avocate spécialisée en droit du dommage corporel

I – Droit du dommage corporel

  1. L’approche narrative

Le récit est essentiel à la compréhension des parcours et des diagnostics, ce qui est vrai dans d’autres domaines l’est aussi pour l’identification des dommages et des préjudices. Le récit vaut preuve judiciaire, il convient de le rappeler.

Désormais, la médecine narrative se développe en France, tout comme l’écriture de vie à l’approche de la mort ou pour des personnes  confrontées à la maladie.

Ces démarches sont pleines d’enseignements pour la pratique du dommage corporel.

2. Indemnisation de la perte d’un parent et préjudice économique

Un arrêt important de la Cour de cassation du 19 janvier 2023 (A LIRE ICI) , déjà largement commenté,vient conjuguer droit de la famille et droit du dommage corporel concernant l’indemnisation de la perte d’un parent débiteur d’une contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant

« Le préjudice économique d’un enfant résultant du décès d’un de ses parents doit être évalué sans tenir compte ni de la séparation ou du divorce de ces derniers, ces circonstances étant sans incidence sur leur obligation de contribuer à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, ni du lieu de résidence de celui-ci. Il en résulte qu’en cas de décès du parent chez lequel vivait l’enfant, le préjudice économique subi par ce dernier doit être évalué en prenant en considération, comme élément de référence, les revenus annuels de ses parents avant le décès, en tenant compte, en premier lieu, de la part d’autoconsommation de chacun d’eux et des charges fixes qu’ils supportaient dans leur foyer respectif, et, en second lieu, de la part de revenu du parent survivant pouvant être consacrée à l’enfant »

3. Ceinture anti-chute

La précaution et la prévention sont aussi du domaine du dommage corporel.

4. Aide humaine et hospitalisation

Très pertinente mise au point.

La Cour de cassation met le curseur au bon endroit par un arrêt du 8 février 2023 (A LIRE ICI ).

Le titre punchy du commentaire d’Anne Guégan nous convient parfaitement : « Game over pour l’idée que le besoin d’aide humaine est hors sujet en cas d’hospitalisation de la victime ».

« Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Mme [S] fait grief à l’arrêt de limiter l’indemnisation allouée au titre de l’assistance par une tierce personne temporaire, alors « que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne ; qu’en conséquence ce poste de préjudice ne saurait être par principe exclu pendant les périodes d’hospitalisation, puisque les besoins de la vie quotidienne ne cessent pas pendant cette période ; qu’en retenant pourtant, pour débouter Mme [S] de ses demandes d’indemnisation au titre de l’assistance par tierce personne temporaire pendant les périodes d’hospitalisation, que « l’hospitalisation tend en soi à suspendre les contraintes de la vie quotidienne du patient et à lui garantir un niveau élevé de sécurité : la rétribution supplémentaire d’une tierce personne pendant la période de déficit fonctionnel temporaire total est donc sans objet », la cour d’appel a violé l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime. »

Réponse de la Cour

Vu l’article L. 1142-1, II, du code de la santé publique et le principe d’une réparation intégrale sans perte ni profit pour la victime :

5. Il résulte de ce texte et de ce principe que le poste de préjudice lié à l’assistance par une tierce personne ne se limite pas aux seuls besoins vitaux de la victime, mais indemnise sa perte d’autonomie la mettant dans l’obligation de recourir à un tiers pour l’assister dans l’ensemble des actes de la vie quotidienne.

6. Pour limiter l’indemnisation allouée au titre de l’assistance temporaire par une tierce personne, l’arrêt retient qu’elle n’est pas due pendant les périodes où Mme [S] a été hospitalisée dès lors que l’hospitalisation tend à suspendre les contraintes de la vie quotidienne et garantit au patient un niveau élevé de sécurité, et en déduit que la rétribution supplémentaire d’une tierce personne pendant la période de déficit fonctionnel temporaire total est sans objet.

7. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui a écarté par principe toute indemnisation de l’assistance par une tierce personne pendant les périodes d’hospitalisation de Mme [S], a violé l’article et le principe susvisés. »

II – Droit des victimes

1. Le Conseil de l’Europe et le handicap

Dans une décision rendue publique le 17 avril 2023 (A LIRE ICI), le Comité européen des droits sociaux du Conseil de l’Europe (CEDS) conclut à une violation par la France de la Charte sociale européenne en raison du manquement des autorités à adopter des mesures efficaces dans un délai raisonnable en ce qui concerne l’accès aux services d’aide sociale et aux aides financières, l’accessibilité des bâtiments, des installations et des transports publics, et à développer et adopter une politique coordonnée pour l’intégration sociale et la participation à la vie de la communauté des personnes handicapées (article 15§3).

Le Comité conclut également à une violation de la Charte en raison de l’absence de mesures efficaces pour remédier aux problèmes liés à l’inclusion des enfants et adolescents handicapés dans les écoles ordinaires (article 15§1) et à l’accès des personnes handicapées aux services de santé (article 11§1).

Un utile rappel à l’ordre ! (A LIRE ICI )

2. L’homicide routier

La proposition de loi créant l’homicide routier et renforçant les sanctions contre les violences routières est désormais déposée (A LIRE ICI). Elle vient en exacte résonance avec la réalité des violences routières impliquant des conducteurs ayant consommé alcool et drogues et en excès de vitesse.

Clairement ayant été confronté à des exemples précis et fort d’une longue pratique de procédures dans le cadre de l’homicide et des blessures involontaires, nous soutenons cette démarche qui mérite à l’évidence, au-delà d’un débat de société, un débat parlementaire.

Une proposition initiée par le député d’Antibes Eric Pauget à lire et la position de la ligue contre la violence routière à connaitre (A LIRE ICI ).

3. Une interview à lire, François Molins : un vrai souci des victimes et de vérité

C’est un grand magistrat qui va prendre une retraite certainement active.
De sa longue interview à Libération qui fera date, on retiendra notamment le souci de bientraitance des victimes.

4. Amiante, pas de procès pénal

La nouvelle citation est rejetée par le Tribunal judiciaire de Paris : un combat juste mais sans fin.

5. Féminicide

Un rapport parlementaire avec de multiples proposition concrètes à suivre, comme les initiatives de réforme visant à créer une juridiction spécialisée (A LIRE ICI).

On constate, comme avec l’homicide routier, un souhait et une orientation vers une spécialisation des juridictions et des outils judiciaires et juridiques ad hoc.

6. Action civile et JIVAT

Un arrêt du 29 mars 2023 vient brider la marge d’appréciation de la Cour d’assises spéciale en matière de terrorisme au profit du JIVAT ( A LIRE ICI ).

Crim., 29 mars 2023, n° 22-84.267, (B), FRH..

6. Le moyen critique l’arrêt civil attaqué en ce qu’il a déclaré recevables les constitutions de partie civile de l'[1] et de la [2], a déclaré fondées en leur principe lesdites constitutions de partie civile, et a renvoyé l’examen des demandes indemnitaires présentées par l'[1] et de la [2] contre lui devant la juridiction civile compétente par application de l’article L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire, à savoir la juridiction spécialisée pour l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme (JIVAT) du tribunal judiciaire de Paris, alors : « 1°/ que l’action civile portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme tendant à la réparation du dommage causé par cette infraction ne peut être exercée que devant une juridiction civile, séparément de l’action publique ; qu’en déclarant recevable et fondée en son principe la constitution de partie civile de l’association française des victimes de terrorisme contre

M. [T], qui tendait à la réparation du dommage causé par une infraction constituant un acte de terrorisme, la cour d’assises a méconnu les articles L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire et 706-16-1 du code de procédure pénale ;

2°/ que l’action civile portant sur une infraction qui constitue un acte de terrorisme tendant à la réparation du dommage causé par cette infraction ne peut être exercée que devant une juridiction civile, séparément de l’action publique ; qu’en déclarant recevable et fondée en son principe la constitution de partie civile de la [2] contre M. [T], qui tendait à la réparation du dommage causé par une infraction constituant un acte de terrorisme, la cour d’assises a méconnu les articles L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire et 706-16-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 706-16-1 du code de procédure pénale :

7. Selon cet article, lorsqu’elle est exercée devant les juridictions répressives, l’action civile portant sur une infraction qui constitue un acte terroriste ne peut avoir pour objet que de mettre en mouvement ou de soutenir l’action publique, sans pouvoir tendre à la réparation du dommage causé par l’infraction.

8. L’action civile ne peut être exercée que devant la juridiction civile, séparément de l’action publique, l’article 5 du code de procédure pénale n’étant pas applicable.

9. Si elle est saisie d’une demande d’indemnisation, la juridiction répressive doit renvoyer l’affaire, par une décision non susceptible de recours, devant la juridiction civile compétente en application de l’article L. 217-6 du code de l’organisation judiciaire, lequel donne compétence exclusive au tribunal judiciaire de Paris pour connaître des demandes indemnitaires, après saisine du [3].

10. L’arrêt civil attaqué, après avoir déclaré recevables les constitutions de partie civile de l'[1] et de la [2], les a jugées fondées en leur principe.

11. En se déterminant ainsi, la cour d’assises spécialement composée, à laquelle il appartenait seulement, au constat que des demandes de réparation étaient présentées par les parties civiles, de les déclarer recevables et de renvoyer l’affaire devant le tribunal judiciaire de Paris, compétent en application de l’article précité du code de l’organisation judiciaire, a méconnu le texte susvisé.

12. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Pour celles et ceux qui voudraient en savoir davantage sur la partie civile dans les procès de terrorisme : voir notre article dans les cahiers de la justice (A LIRE ICI ) .

III- Victimologie

1. Crash du Rio-Paris

Finalement un appel du Parquet général avec la relaxe générale.

A suivre.

2. Rue Tivoli

Les drames méritent d’être suivis dans la durée, la presse quotidienne régionale étant une source précieuse d’information au long cours.

3. Mort au travail

La mort au travail est un fait social trop souvent passé sous silence.

4. « Lost luggage »

Une très belle série flamande sur la réparation et la résilience après les attentats de Bruxelles de 2016.