Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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ASSEMBLEE GENERALE DE LA SFDAS, CONFERENCE DE BENJAMIN POTIER ET XAVIER DELPECH, M-F. Steinlé-Feuerbach

La loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne dans le domaine des transports et la réforme du régime de responsabilité du transporteur aérien interne

Compte-rendu par :

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

Membre de la SFDAS

C’est en présence d’un public nombreux et attentif que la Société Française de Droit Aérien et Spatial (https://sfdas.org/) a tenu son assemblée générale le 15 juin 2022 à Paris dans locaux du Cabinet DS Avocats. Après s’être réjouie de nouvelles adhésions, Madame Jennifer DEROIN annonce que, suite à un changement dans sa vie professionnelle, elle démissionne de la présidence de la SFDAS tout en conservant un grand intérêt pour la société. Dans l’attente de l’élection d’un nouveau Président, Xavier Delpech, Trésorier, assurera l’intérim.

La conférence qui s’est tenue après l’assemblée générale s’inscrit tout particulièrement dans l’actualité. Benjamin Potier, avocat au Cabinet DS Avocat, et Xavier Delpech, professeur associé à l’Université de Lyon 3 sont en effet intervenus sur « La loi n° 2021-1308 du 8 octobre 2021 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union Européenne dans le domaine des transports, de  l’environnement, de l’économie et des finances » (dite loi  DDADUE) » en s’intéressant notamment à la réforme du régime de responsabilité du transporteur aérien interne en cas de dommage corporel subi par un passager ainsi qu’à deux ordonnances prises sur habilitation de cette loi.

Comme le souligne Xavier Delpech, une activité foisonnante s’est emparée ces derniers mois de différents modes de transport dont le droit aérien et spatial. Outre la loi climat et résilience du 22 août 2021 (loi n° 2021-1104 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets) et la signature par la France des accords Artemis pour l’exploitation de l’espace le 7 juin 2022 – accords initiés par la NASA-, le droit aérien est particulièrement impacté par la loi DDADEU.  Cette loi, dont la finalité est de mettre en conformité notre droit  national avec les évolutions législatives récentes de l’Union européenne, si elle ne se limite pas au droit aérien, mérite que l’on s’y attarde car elle modifie le régime de responsabilité civile du transporteur aérien interne en l’alignant sur le droit international (X. Delpech, « Adaptation au droit de l’Union européenne  par la loi du 8 octobre 2021 : aspect de droit aérien , D. actu. 19 oct. 2021). Par ailleurs, cette loi habilite le gouvernement à prendre des ordonnances en matière de droit aérien.

L’apport le plus important de cette loi au droit aérien est incontestablement le changement du régime de la responsabilité des transporteurs aériens internes. Maître Benjamin Potier fait le point sur cette réforme qui modifie l’article L. 6421-4 du code des transports en insistant sur la rareté d’une réécriture d’un article de ce code (article instauré en 2010 à droit constant). La réforme porte à la fois sur le transport interne onéreux (alinéa 1) et sur le transport gratuit (alinéa 2).

S’agissant du premier alinéa concernant le transport onéreux, sa version antérieure, laquelle datait du 1er décembre 2010, disposait :

«  La responsabilité du transporteur aérien non soumis aux dispositions de l’article L. 6421-3 est régie par les stipulations de la convention de Varsovie du 12 octobre 1929, dans les conditions définies par les articles L. 6422-2 à L. 6422-5. Toutefois, la limite de la responsabilité du transporteur relative à chaque passager est fixée à 114 336 €. »

Selon la version en vigueur depuis le 10 octobre 2021 : « La responsabilité du transporteur aérien ne relevant pas de l’article L. 6421-3 est régie par la convention pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international signée à Montréal le 28 mai 1999, dans les conditions définies à la section 2 du chapitre II du présent titre. »

Alors que l’ancien régime de responsabilité du transport interne onéreux était celui de la convention de Varsovie, le nouveau régime est celui de la convention de Montréal.

Face à cette substitution législative de régime de responsabilité rédigée de manière quelque peu sibylline sous la forme d’un jeu de piste, le conférencier a, fort judicieusement, choisi de planter d’abord le décor afin de permettre à un auditoire, même averti, de mesurer l’impact de cette réforme dont il convient de souligner qu’elle intervient bien tardivement dix-sept ans après l’entrée en vigueur de la Convention de Montréal (N. Balat, « L’alignement du droit interne sur le droit international  de la responsabilité du transporteur aérien », D. 2021, p. 2186 ).

Maître Benjamin Potier rappelle les règles posées par le droit conventionnel international (convention de Varsovie signée le 12 octobre 1929 et entrée en vigueur en France le 13 février 1933 : présomption de responsabilité jusqu’au plafond, puis responsabilité pour faute prouvée au-delà ; convention de Montréal entrée en vigueur le 4 novembre 2003 :  responsabilité de plein droit jusqu’au seuil, présomption de responsabilité au-delà) applicables, sous conditions, au transport aérien interne français. La liste des pays signataires de la convention de Montréal est disponible sur le site Internet de la Direction générale de l’aviation civile https://www.icao.int/secretariat/legal/List of Parties/Mtl99_FR.pdf

Le conférencier précise que le code du transport ne concerne que l’aviation générale et non les  transporteurs ayant une licence communautaire au sens de l’article L. 6421-3, ces  derniers étant soumis au régime de Montréal. Ne sont donc soumis au code du transport que les vols de certains appareils comme les deltaplanes, parapentes, ULM… à condition que l’objet du déplacement soit effectivement un transport, ce qui exclut les formations/instructions, de même que le travail aérien comme les prises de vue ou encore les activités sportives comme le parachutisme qui continuent à être régies par notre droit commun de la responsabilité civile.

Avant la loi DDADEU, l’article L. 6421-4 prévoyait à la charge du transporteur interne dépourvu de licence d’exploitation communautaire l’application du régime de responsabilité instauré par la  convention de Varsovie avec une limite de 114 336 € en cas de transport rémunéré. Maintenant, un tel transporteur est soumis au régime de responsabilité instauré par la convention de Montréal, il s’agit d’une responsabilité automatique (art. 17-1 de  la convention de Montréal), sauf faute prouvée de la victime, lorsque les dommages sont inférieurs à 128 821 DTS (droits de tirage spéciaux).  Lorsque les dommages sont supérieurs à cette somme, le transporteur est présumé responsable mais a la possibilité, assez illusoire, de démontrer que le dommage est dû au fait d’un tiers totalement extérieur au transporteur.  Maître Potier ajoute que contrairement à une idée assez répandue la somme de 128 821 DTS n’est nullement un forfait mais un plafond, il appartient donc toujours au demandeur d’établir le montant des préjudices subis.

En ce qui concerne le transport gratuit, alors que l’alinéa 2 de l’article L. 6421-4 du code du transport prévoyait que la responsabilité du transporteur aérien effectuant un transport gratuit n’est engagée, dans la limite prévue par le premier alinéa (à savoir celle de 114 336 €), que s’il est établi que le dommage a pour cause une faute imputable au transporteur ou à ses préposés, désormais le nouveau régime est celui de la responsabilité pour faute avec une limite de 128 821 DTS mais avec la possibilité de dépasser ce montant si le dommage « provient d’une faute inexcusable du transporteur ou de ses préposés. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable

Le conférencier constate que, concrètement, ce qui ne change pas, c’est le principe de la responsabilité automatique en cas de transport onéreux ainsi que celui d’une limite de responsabilité pour le transport gratuit. En revanche, ce qui change, c’est l’absence de limite de responsabilité en cas de transport onéreux, avec une exonération possible seulement au-delà du seuil de 128 821 DTS ainsi que les montants dans l’hypothèse du transport gratuit.

Pour Benjamin Potier, cette réforme n’est pas à l’abri de critiques, à commencer par la méthodologie : la série des renvois relève du bricolage ! Ensuite, la réforme maintient la distinction avec les transporteurs titulaires d’une licence d’exploitation communautaire. Enfin, elle ne donne pas la définition du transport gratuit qui est pourtant une question fondamentale.

La réforme aura une conséquence de plus en termes de coût tant pour les transports rémunérés que pour les transports gratuits. Pour ces derniers, il serait envisageable que les passagers paient une participation qui pourrait aller jusqu’au coût du vol.

Après ces précisions bienvenues sur l’apport de la nouvelle rédaction de l’article L. 6421-4, Xavier Delpech reprend la parole pour dresser un panorama des autres conséquences de cette loi d’adaptation de notre code des transports aux règlements européens (X. Delpech, « Adaptation au droit de l’Union européenne  par la loi du 8 octobre 2021 : aspect de droit aérien , D. actu. 19 oct. 2021 ; « Deux nouvelles ordonnances en matière de droit aérien, D. actu., 15 juin 2022). Cette loi a habilité le gouvernement à prendre quatre ordonnances. Deux d’entre elles ont été prises le 30 mars 2022, l’ordonnance n° 2022-455 relative à la surveillance du marché et au contrôle des systèmes de drone et l’ordonnance n°2022-456 relative à la création d’un régime de déclaration dans le domaine de la sécurité aérienne, elle permet la délivrance d’une licence d’exploitation communautaire qui peut être obtenue par demande d’autorisation ou par déclaration.

Deux autres ordonnances ont été prises en date du 1er juin 2022. L’ordonnance n° 2022-830 introduit des procédures de contrôle d’alcoolémie et d’usage de stupéfiants visant le personnel de bord et édicte un arsenal de sanctions pénales applicables en cas de consommation d’alcool ou d’usage de stupéfiants. Il s’agit là d’une réaction au crash de l’Airbus A 320 de la compagnie Germanwings, qui s’était écrasé le 24 mars 2015 dans les Alpes-de-Haute-Provence et qui avait été provoqué par le suicide du copilote.

Enfin, l’ordonnance n° 2022-831 créé un régime de sanctions administratives et pénales permettant de réprimer le comportement des passagers aériens perturbateurs (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045848047). De tels incidents à bord sont de plus en plus fréquents (bagarres entre passagers, agressions du personnel de bord…) Xavier Delpech donne aussi pour exemple le refus du port du masque lorsque celui est obligatoire. L’ordonnance introduit de nouveaux articles au code du transport dont l’article L. 6421-5 aux termes duquel « Le passager empruntant un vol exploité en transport aérien public ne doit, par son comportement, pas compromettre ou risquer de compromettre la sécurité de l’aéronef ou celle de personnes ou de biens à bord. » Les articles L. 6421-6 et 6421-7 prévoient le signalement par les transporteurs de tels comportements à la DGAC ainsi qu’aux agents publics compétents. Un régime de sanctions administratives envers un passager perturbateur est créé par les nouveaux articles L. 6432-4 à L. 6432-13. L’ordonnance prévoit également une nouvelle sanction pour toute destruction, dégradation ou détérioration volontaires commise à bord d’un aéronef (art. L. 6433-3).

Le conférencier rappelle encore la création, par la loi du 8 octobre 2021, d’un délit d’intrusion sur les pistes (art. L.6372-11).

Toutes ces récentes modifications du droit aérien méritaient bien d’être discutées avec les deux intervenants autour de quelques boissons rafraichissantes.