Isabelle Corpart
Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC
Commentaire de CA Toulouse, 20 mai 2019, n° 16/02319
Drame familial : en avalant une petite saucisse apéritive, une enfant de deux ans a perdu la vie. La responsabilité du fabricant est recherchée pour défaut de sécurité du produit, le lien ayant été fait entre sa mort et l’ingestion de la mini-saucisse. En effet, aucun message de mise en garde ne figurait sur l’emballage, ni texte, ni pictogramme pour attirer l’attention des parents quant au risque d’étouffement des enfants en bas âge.
Mots-clefs : responsabilité civile – responsabilité du fait des produits défectueux – manquement à l’obligation d’information à la charge du fabricant – manquement à l’obligation de sécurité – absence de mise en garde – mise en cause du fabricant de saucisses – lien de causalité entre l’ingestion de l’aliment et la survenance de la mort – asphyxie – dangerosité du produit – risque d’inhalation et d’obstruction des voies aériennes supérieures – victimes par ricochet – préjudice d’affection – rappel des précautions à prendre.
Pour se repérer
Une fillette de vingt-six mois a ingéré une mini-saucisse lors d’une réunion festive avec ses parents chez des amis. Après réchauffage au micro-ondes, dans des conditions normales d’utilisation, un plat de « Mini Knacks » a été présenté à l’enfant qui en a avalé une sans la mâcher. Hermine s’est alors étouffée, cet aliment étant venu totalement obstruer les voies aériennes supérieures à la suite d’une fausse route alimentaire. Asphyxiée, elle a suffoqué, s’est étouffée et, malheureusement, a perdu la vie le 14 juillet 2008. L’emballage du produit ne contenait aucun message pour alerter les utilisateurs de ces risques d’obstruction et les parents de la défunte ont engagé une action contre le fabricant du produit défectueux. Ils ont fait assigner la Sas K. devant le tribunal de grande instance de Libourne en leur nom personnel et en celui de leurs trois enfants mineurs, Inès, Victor et Amicie, laquelle est née le 28 mai 2009 après le décès de sa sœur.
Les parents ont été déboutés en première instance, les juges du tribunal de grande instance de Libourne ayant considéré le 29 septembre 2011 que le lien de causalité entre l’ingestion du produit et le décès était établi, tout en relevant que « la démonstration n’était pas apportée que les mini-saucisses litigieuses présentaient un danger potentiel particulier justifiant un avertissement spécifique pour les très jeunes enfants ».
Pour eux, la responsabilité du fabricant ne pouvait pas dès lors être retenue.
Les parents ont interjeté appel devant la cour d’appel de Bordeaux qui a confirmé le jugement le 10 décembre 2014. Dans le dossier, il est en effet question de « bouchée de saucisse », ce qui laisse penser que la « Mini Knack » avait été coupée avant d’être avalée par Hermine.
En conséquence, il ne s’agissait plus de rechercher si le produit « offrait ou non la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre ».
Les parents s’étant pourvus en cassation, les juges du fond ont été censurés le 6 avril 2016 pour avoir dénaturé les éléments de fait. En effet, si la mère parlait bien de « bouchée de saucisse », ce n’était pas pour l’avoir découpée avant de la servir, mais pour avoir fait avaler par sa fille une très petite saucisse knack. Dans son attestation, elle disait précisément avoir piqué « une bouchée de saucisse sans la découper ».
Sur renvoi devant la cour d’appel de Toulouse, les parents demandent que soit infirmé le jugement de 2011 qui relève qu’ils ne rapportent pas la preuve de la dangerosité des « Mini Knacks » et que leur préjudice moral soit reconnu.
Ils souhaitent à ce titre obtenir une indemnisation de 35 000 euros pour les deux parents et de 17 000 euros pour les trois enfants, sur le fondement de l’article 1386-4 du Code civil (applicable lors des faits et devenu C. civ., art. 1245-3) issu de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits défectueux issue de la transposition de la directive CE 85-374 du 25 juillet 1985.
Pour aller à l’essentiel
Conformément à l’article 1386-4 devenu 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux quand il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et qui s’apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu ainsi que du moment de sa mise en circulation.
Il revient au demandeur de rapporter la preuve d’un dommage, de l’imputabilité du dommage à l’administration du produit, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage, y compris en recourant à des présomptions, à condition qu’elles soient effectivement graves, précises et concordantes.
La maîtresse de maison qui recevait la famille a pu fournir le ticket de caisse où il apparaissait qu’elle avait acheté, quelques jours avant le drame, des mini saucisses knacks micro-ondable, de la marque Leclerc Repère. Voulant faire dîner sa fille avant l’arrivée des autres convives, Eléonore d’A. lui a proposé les petites saucisses en forme de billes mais celle-ci en a avalé une de travers, l’a inhalée et a perdu connaissance.
Les pompiers appelés aussitôt ne sont pas parvenus à évacuer à temps le corps étranger des voies respiratoires et la fillette est décédée quelques heures plus tard, les médecins urgentistes n’étant pas parvenus à la réanimer.
Pour les juges, l’imputabilité de la mort de l’enfant à l’ingestion du produit doit être retenue. L’expert judiciaire a effectivement conclu qu’un enfant de moins de quatre ans pouvait, malheureusement, l’avaler sans la mâcher. Quant à lui, le médecin légiste a bien relevé qu’elle est morte, asphyxiée par la saucisse. Selon son rapport, l’enclavement de la saucisse au niveau des voies aériennes supérieures a entraîné une asphyxie mécanique qui provoqué une hypoxie (baisse de l’oxygène cérébral), accompagnée d’une hypercapnie (augmentation de gaz carbonique), le tout provoquant un œdème cérébral avec hypertension artérielle et veineuse et rupture des capillaires puis arrêt cardiaque.
Partant, les juges tirent de ces considérations de fait et considérations médico-légales, des présomptions graves précises et concordantes au sens de l’article 1353 du Code civil (devenu art. 1382) pour en déduire que la mort de la fillette est bien liée à l’ingestion de la « Mini Knack ».
Ils retiennent également la responsabilité du fabricant en raison du défaut du produit, rappelant qu’il peut d’abord être lié à « la conception ou à la fabrication du produit », qu’il s’agisse de la substance ou du conditionnement et « être à l’origine de dommages individuels ou sériels » ; enfin être aussi lié à une « information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par l’utilisateur du produit ».
S’agissant des petites saucisses, pour retenir leur caractère défectueux, ils relèvent que « de consistance rénitente et de forme arrondie de 2 centimètres de diamètre, la mini saucisse présente, après réchauffage au micro-ondes dans les conditions d’utilisation normale, une apparence plus boursoufflée et ramollie mais des mensurations sensiblement identiques ; elle peut être avalée en entier, sans la mâcher, ce qui crée un risque d’obstruction complète des voies aériennes supérieures ». En outre, ce produit était bien destiné aux enfants car on pouvait lire sur sa boîte « idéal pour l’apéritif, les plateaux télé ou en cœur de repas pour les enfants ».
Pour autant, aucune mise en garde ne figurait sur l’emballage, ni texte ni pictogramme qui aurait alerté les parents de jeunes consommateurs. Ce défaut d’information sur un danger potentiel particulier suffit à caractériser le défaut de sécurité du produit.
La responsabilité de la Sas K. étant engagée, il fallait indemniser la famille. Le préjudice moral lié à l’affection des parents et de la fratrie est bien en l’espèce personnel, direct et certain. Les sommes réclamées sont allouées car leur estimation a pris en considération la proximité des liens et les circonstances douloureuses du décès pour les deux parents et leurs deux aînés.
En revanche, la benjamine ne peut percevoir aucune indemnisation car elle n’était ni née ni même conçue lors du drame, si bien qu’il n’existe aucun lien de causalité entre le décès de sa sœur et le préjudice allégué.
Pour aller plus loin
Le décès d’un enfant est toujours un drame et c’est tellement injuste quand c’est dû à un accident causé par l’ingestion d’un aliment alors qu’aucune mise en garde n’avait alerté les parents pour qu’ils soient vigilants au moment de présenter une petite saucisse à leur chère fille.
On peut comprendre que les parents d’Hermine veuillent à tout prix voir reconnue la responsabilité du fabricant des « Mini Knacks », à savoir la Sas K.
Ils lui reprochent surtout de ne pas avoir tenu compte, en premier lieu, de l’avis du 3 juillet 1991 de la Commission de la sécurité des consommateurs, relatif au risque de suffocation des jeunes enfants présenté par les cacahuètes et autres graines comestibles. Pour ces produits, les experts recommandent en effet de prévoir, de manière visible et lisible, une mention (éventuellement accompagnée d’un dessin ou pictogramme) indiquant que ces produits ne sont pas destinés aux enfants de moins de quatre ans car on sait que ces derniers tentent de les avaler sans les mâcher. Il est demandé aussi qu’elle soit réalisée dans une taille et une couleur significatives pour attirer l’attention des adultes.
Il est également regretté, en second lieu, que l’avis du 12 mai 2005 de la commission, relatif cette fois aux risques de suffocation ou d’asphyxie par l’inhalation ou ingestion de petits objets par des enfants ne soit pas pris en compte alors qu’il visait spécialement les « petites saucisses apéritives ».
Cette absence d’avertissement spécifique au risque connu et grave de suffocation ou d’asphyxie lors de la déglutition de ce type d’aliment par de jeunes enfants est grave et cela fait preuve d’une certaine désinvolture et d’un manque de vigilance et de professionnalisme.
Combien faudra-t-il que d’enfants meurent (ou conservent de graves séquelles : Isabelle Corpart, Risques liés à l’ingurgitation de saucisses par une fillette, note sous CA Paris, 15 Mai 2018, n°16/11001, JAC n° 178, juin 2018) pour que toutes les précautions requises soient prises ?
Le fabricant doit redoubler de prudence et de vigilance pour éviter que les consommateurs de ses produits soient impliqués dans des drames tels que celui vécu par les parents de la jeune victime, suite à un accident lié à un étouffement dû à une saucisse. Il est purement inconcevable et totalement inadmissible qu’un décès soit dû à la consommation d’un produit alimentaire.
Il revient aux fabricants de sensibiliser les familles avec un étiquetage explicite qui attire réellement l’attention des clients.
Faudra-t-il aller jusqu’à interdire la vente de ces « Mini Knacks ». Il y a eu déjà tant de drames, trop de drames !
Certes le fabricant des mini-saucisses apéritives a bien engagé sa responsabilité du fait d’un produit défectueux car le produit étant destiné plus particulièrement aux enfants, il fallait une mise en garde adaptée et le préjudice d’affection est reconnu pour la plupart des membres de la famille (hormis pour la petite sœur née plus tard). Néanmoins la mort de la fillette aurait pu… aurait dû… être évitée si des précautions basiques avaient été prises ! Tout est ici une question d’emballage et non de qualité du produit.
Soyons vigilants pour que d’autres familles ne pleurent pas leurs enfants… pour une saucisse accidentelle !
* * *
CA Toulouse, 20 mai 2019, n° 16/02319
Exposé des faits et procédure
Le 14 juillet 2008 à Coutras (33) lors d’une soirée avec ses parents chez des amis, les époux S., la jeune Hermine D’A. de C., âgée de vingt-six mois, est décédée par asphyxie à la suite d’une fausse route alimentaire, qui serait due à l’ingestion d’une mini-saucisse apéritive entière fabriquée par la Sas K.
Aucun prélèvement ni aucune autopsie n’ont été pratiqués.
Par acte d’huissier du 15 janvier 2010 M. Martin D’A. de C. et Mme Eléonore P. du C. épouse D’A. de C., agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leurs trois enfants mineurs Inès née le 1er juin 2001, Victor né le 30 septembre 2003 et Amicie née le 28 mai 2009 ont fait assigner la Sas K. devant le tribunal de grande instance de Libourne en déclaration de responsabilité et réparation des préjudices subis sur le fondement de la Directive 2001/95/CE du 3 décembre 2001 relative à la sécurité générale des produits et des articles 1386-1 et suivants du code civil.
Par jugement du 29 septembre 2011 cette juridiction les a déboutés de leurs demandes aux motifs que si le lien de causalité entre l’ingestion de la mini saucisse et le décès était suffisamment établi par les témoignages attestant de l’achat de la boîte de mini saucisses ainsi que de la préparation de son contenu pour le repas des enfants et par les déclarations non contradictoires de la mère, les éléments médicaux versés aux débats démontraient que, du fait de sa taille, cet aliment ne pouvait pas avoir été ingéré sans avoir été préalablement coupé, mâché ou écrasé de sorte qu’aucun défaut intrinsèque n’était prouvé et qu’en outre, la démonstration n’était pas apportée que les mini-saucisses litigieuses présentaient un danger potentiel particulier justifiant un avertissement spécifique pour les très jeunes enfants.
Par déclaration du 19 décembre 2011 les époux D’A. de C., en leur double qualité, ont interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 22 septembre 2012 une mesure d’expertise a été prescrite sur la mini saucisse ‘Mini Knacks’ de la marque Repère produite par la Sas K., confiée au docteur G., qui a déposé son rapport le 11 mars 2013 duquel il ressort qu’un ‘enfant de moins de 4 ans peut avaler cet aliment sans le mâcher, fractionnée ou en entier, qui a pu obstruer totalement les voies aériennes supérieures à l’étage sus ou sous glottique, ce qui va déterminer une asphyxie mécanique provoquant une hypoxie accompagnée d’une hypercapnie, le tout provoquant un oedème cérébral puis un arrêt cardiaque’.
Par arrêt en date du 10 décembre 2014 la cour d’appel de Bordeaux a confirmé la décision entreprise, par substitution de motifs, ‘faute pour les consorts D’A. de C. d’apporter la preuve de l’implication certaine d’une mini saucisse entière dans la survenance du décès, le témoignage de la mère ne permettant pas de l’affirmer, de manière certaine, du fait de la formulation utilisée, les termes ‘bouchée de saucisse’ évoquant plus sûrement l’hypothèse que la mini saucisse avait été coupée avant d’être proposée à l’enfant, ce qui dispense de rechercher si ce produit, dont le packaging ne ciblait pas prioritairement les enfants, offrait ou non la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre et si elle présentait un danger particulier comparé à d’autres aliments mis sur le marché ne ciblant pas prioritairement les enfants’.
Par arrêt en date du 6 avril 2016 la Cour de cassation a cassé cet arrêt en toutes ses dispositions pour dénaturation des documents de la cause, clairs et précis, dès lors que ‘dans l’attestation en cause Mme D’A. de C. indiquait qu’elle avait accepté de servir à sa fille ces ‘bouchées de saucisse’ et qu’elle avait piqué ‘une bouchée de saucisse sans la découper’.
Elle a désigné la cour d’appel de Toulouse comme cour de renvoi.
Celle-ci a été saisie par déclaration des consorts D’A. de C. en date du 20 avril 2016.
Prétentions et moyens des parties
Les consorts D’A. de C. demandent dans leurs dernières conclusions du 23 janvier 2019, au visa des articles 1386-4 ancien du code civil et de l’avis de la Commission de la sécurité des consommateurs du 2 mai 2005, de
– infirmer le jugement en ce qu’il a jugé qu’ils ne rapportaient pas la preuve du caractère dangereux des ‘Mini Knacks’ fabriquées et vendues par la Sas K.
– dire que la Sas K. est responsable du décès d’Hermine D’A. de C., en application des dispositions de l’article 1386-2 du code civil
– condamner la Sas K. à verser en réparation de leur préjudice moral respectif les sommes de
* 35.000 € à M. Martin D’A. de C.
* 35.000 € à Mme Eléonore D’A. de C.
* 17.000 € à Inès D’A. de C.
* 17.000 € à Victor D’A. de C.
* 17.000 € à Amicie D’Avezac de C.
tous trois mineurs représentés par leurs parents, administrateurs légaux
– condamner la Sas K. à leur payer la somme de 5.000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens avec recouvrement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
A titre très infiniment subsidiaire,
– ordonner la comparution personnelle de M. et Mme Martin D’A. de C. et ordonner le sursis à statuer dans cette attente.
Ils font valoir qu’ils démontrent suffisamment l’imputabilité du décès de leur fille Hermine par asphyxie provoquée par l’ingestion d’une saucisse ‘Mini Knacks’ entière par la production de l’attestation de Mme S. accompagnée du ticket de caisse des courses effectuées par cette dernière au centre Leclerc de Coutras le 8 juillet 2008, de celle du témoin M. D., présent au moment de l’accident, de la lettre du 20 août 2008 de la Sas K. qui n’a initialement nullement contesté cette imputabilité, du procès-verbal de gendarmerie, ainsi que du compte rendu du SMUR sous la signature du docteur A. qui note que l’enfant ‘est décédée par asphyxie à la suite de l’inhalation d’une saucisse de cocktail’ et de la déclaration sur l’honneur de la mère qui mentionne ‘Je prends la fourchette et pique une bouchée de saucisse sans la découper, sans prendre de pâtes ; elle la voit toute suite et par gourmandise se jette dessus. Elle l’avale tout rond. Immédiatement je vois que l’aliment reste bloqué et l’empêche de respirer ».
Ils ajoutent que l’expert judiciaire G. a confirmé que l’enfant a pu avaler cette saucisse fractionnée ou en entier, sans l’avoir mâchée, et que celle-ci a pu obstruer totalement les voies aériennes supérieures à l’étage sus ou sous glottique et provoquer une asphyxie entraînant elle-même une hypoxie conduisant à un arrêt cardiaque.
Ils soulignent que depuis l’origine, Mme d’A. a toujours soutenu qu’Hermine avait avalé cette mini-saucisse « tout rond », en entier, sans l’avoir préalablement découpée, et sans avoir pris de pâtes avec, ce qui leur a fait comprendre son caractère éminemment dangereux pour tous les enfants en bas âge et a conduit le père à prendre contact, très rapidement, avec le Groupe Nestlé qui a immédiatement décidé de retirer de l’ensemble des rayons du monde entier ses « Knacki Bali » pour faire apposer sur l’emballage la mention « Ne pas donner ni laisser à la portée d’enfants de moins de 4 ans ; ils risqueraient d’avaler sans mâcher », avant de contacter la Sas K..
Ils affirment qu’il ne peut être aujourd’hui sérieusement contesté qu’Hermine est décédée parce qu’on lui a servi un aliment qui était particulièrement dangereux pour elle et sur l’emballage duquel aurait dû figurer une mise en garde contre ce danger, en l’espèce l’asphyxie.
Ils soutiennent que le caractère défectueux du produit au sens de l’article 1386-4 ancien du Code civil est tout aussi établi, étant rappelé qu’il doit s’apprécier uniquement au regard de la sécurité et peut exister en dehors de tout vice du produit.
Ils indiquent que le défaut du produit ne se résume pas à un simple défaut de conception ou de fabrication et peut résulter, en particulier, de sa présentation qui englobe les modalités d’emballage, les conditions d’utilisation et les contre-indications, signalées ou non dans les notices et sur l’emballage, de sorte que le défaut ou l’insuffisance d’information sur les risques contribue à caractériser le défaut de sécurité.
Ils prétendent que le caractère défectueux des « Mini Knacks » résulte de leur emballage qui par ses couleurs et ses mentions prenait pour cible les enfants, sans mettre en garde les parents sur le risque pour les enfants de moins de 4 ans d’avaler ces mini saucisses sans les avoir mâchées et donc de s’étouffer puisque sur les boîtes en rayon de l’époque il était écrit « idéal pour l’apéritif, les plateaux télé ou en coeur de repas pour les enfants », de sorte que le packaging a été étudié pour attirer les enfants et leurs parents, les teintes acidulées et vives étant particulièrement attractives et ludiques et utilisées pour les produits festifs destinés aux enfants.
Ils estiment que la Sas K. devait impérativement informer les consommateurs du risque que les « Mini Knacks » représente pour des enfants de moins de 4 ans et rappellent que le 2 mai 2005 la Commission de la sécurité des consommateurs a rendu un avis relatif aux risques de suffocation ou d’asphyxie par l’inhalation ou l’ingestion accidentelle de petits objets par des enfants, portant notamment sur ‘des corps végétaux tels que cacahuètes, pistaches, noix, noisettes, amandes ou d’autres produits tels que petites saucisses apéritives, petit saucisson’ par lequel elle renouvelait auprès des pouvoirs publics ses précédentes recommandations quant à l’information qui doit être délivrée au consommateur, rappelant que les produits alimentaires connus pour entraîner un risque de suffocation ne doivent pas être laissés à la portée des enfants.
Ils soulignent que depuis le décès, la Sas K. a fait apposer sur l’opercule la mention suivante : »ATTENTION : LES JEUNES ENFANTS RISQUENT D’AVALER SANS MÂCHER » et a parallèlement informé la Fédération Française des Industriels Charcutiers Traiteurs et Transformateurs de Viande qui a manifestement diffusé l’information auprès de ses adhérents et entrepris des études et réflexions communes puisque tous les fabricants de mini saucisses apéritives ont, par la suite, apporté une mention de mise en garde sur leur emballage destinée aux parents d’enfants en bas âge : »RECOMMANDATION : NE PAS DONNER NI LAISSER A LA PORTÉE DES ENFANTS DE MOINS DE 4 ANS : ILS RISQUERAIENT D’AVALER SANS MÂCHER » ; ils estiment que cette mention reste encore insuffisante pour assurer la sécurité du produit, car elle n’informe pas le consommateur sur ses effets indésirables à savoir le risque de suffocation et d’étouffement de l’enfant, mais vaut incontestablement reconnaissance de la dangerosité des « Mini Knacks » par la Sas K., aucun fabricant n’apportant de mise en garde sur ses produits si le danger visé n’est pas avéré.
Ils en concluent que ces éléments caractérisent la défectuosité des « Mini Knacks » au sens des dispositions de l’article 1386-4 ancien du Code Civil et constituent un défaut de sécurité du produit engageant la responsabilité de la Sas K. en lien direct et certain avec le décès d’Hermine d’A. de C..
Au sujet de l’indemnisation, ils font valoir que cette famille, unie et aimante, se trouve aujourd’hui définitivement amputée de l’un de ses membres, que les parents ont tous deux été suivis pendant plusieurs années par un psychiatre et par un psychologue afin de les aider à surmonter cette épreuve si inhumaine pour un père et une mère, que le jeune Victor, très longtemps perturbé et obsédé par la mort, est irrémédiablement marqué par la perte de sa petite soeur alors qu’il avait lui-même déjà 5 ans, que pour Inès, l’aînée désormais âgée de 17 ans, ce traumatisme l’a marquée à jamais et a mis un terme à l’insouciance et la légèreté de l’enfance qui auraient dû être les siennes ; ils ajoutent que s’ils ne sont pas recevables à solliciter l’indemnisation du préjudice moral d’Amécie qui a été conçue après le décès d’Hermine, il est indéniable que cette petite fille sera également marquée par la mort tragique de la soeur qu’elle n’aura jamais connue, contrairement au reste de sa famille qui lui en parle nécessairement et heureusement, que ce deuil sera une source de tristesse et de chagrin pour cette petite fille ; ils réclament également le remboursement des frais d’obsèques de leur enfant qu’ils ont été dans l’obligation, dans un premier temps, d’inhumer au cimetière de Bordeaux, avant de pouvoir la transférer dans le caveau familial a Angoumé, quelques mois plus tard soit la somme totale de 4.108,81 €.
La Sas K. demande dans ses conclusions du 14 janvier 2019, au visa des articles 1245-1 et suivants du code civil, L.411-1 et R.112-9 du code de la consommation et de l’article 202 du code de procédure civile, de :
– confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu’il a jugé que l’existence du lien de causalité entre le décès par l’étouffement d’Hermine D’A. de C. et l’absorption de la saucisse paraît suffisamment établi
– dire que les époux D’A. de C. ne rapportent pas la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le décès d’Hermine D’A. de C. et l’absorption d’une saucisse produite par elle
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté les époux D’A. de C. de l’ensemble de leurs demandes
– lui donner acte de ce qu’en raison du drame qui a frappé les époux D’A. de C. elle renonce, à ce stade de la procédure, à demander quelque remboursement que ce soit au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de ses dépens.
Elle fait valoir que la mise en cause de sa responsabilité sur le fondement de l’article 1245-8 du Code Civil exige d’établir l’existence d’un défaut du produit et d’un lien de causalité entre le défaut et le dommage allégué.
Elle affirme que la preuve n’est pas démontrée que l’obstruction des voies aériennes aurait eu pour cause une fausse route d’une petite saucisse non transformée produite par ses soins, les causes exactes de l’étouffement restant indéterminées en l’absence d’identification du corps étranger à son origine qui a entraîné le décès d’Hermine d’A. de C..
Elle indique que si le médecin légiste, qui a effectué un examen post mortem de l’enfant dans le véhicule du Samu, a conclu qu’elle ‘est décédée par asphyxie à la suite de l’inhalation d’une saucisse de cocktail’, il n’a procédé à aucune autopsie médico-légale, à aucun prélèvement ni examen approfondi qui, seuls, auraient permis d’établir avec certitude les causes de la mort de l’enfant, se contentant de rapporter ce qui lui a été déclaré, de sorte que l’implication dans ce décès d’une mini-saucisse, entière et non transformée, produite par ses soins n’est pas établie avec certitude.
Elle souligne que n’importe lequel des éléments du repas a pu être à l’origine de la fausse route (saucisse, morceau de saucisse, pâtes également servies au cours du repas selon attestation de Mme S.), que le témoignage de la mère est dépourvu de valeur probante, nul ne pouvant se constituer de preuve à soi même, tout comme l’attestation de M. D. qui ne respecte pas les dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, d’autant qu’il n’a pas personnellement assisté à la scène au moment précis de la fausse route.
Elle considère qu’il n’est pas médicalement démontré que le blocage des voies aériennes serait du à une mini-saucisse, dans l’ignorance de la nature, de la forme et de la présentation du corps étranger au moment où il a été introduit dans la cavité buccale, le certificat du médecin légiste mentionnant simplement ‘Cardiaque ACR sur corps étranger’ alors que si, chez l’adulte, le diamètre trachéal est en moyenne de 16 à 18 millimètres, il n’est que de 6 à 7 millimètres chez l’enfant de 1 à 4 ans et de 6 millimètres chez un enfant de sexe féminin suivant attestation du Dr P. du 24 avril 2010 ; elle en déduit que c’est l’administration du produit et non le produit en lui-même qui peut être mis en cause en cas d’accident, une mini-saucisse, dont le diamètre dépasse 2 centimètres, ne pouvant physiquement entrer et se bloquer dans la trachée telle quelle car, pour provoquer une obstruction laryngée complète, le corps étranger doit être de dimension proche de celle de l’endolarynx ou de la trachée, comme confirmé par le docteur M. ; elle ajoute que, d’après les témoignages produits, il n’aurait pu s’agir que d’un morceau de saucisse et qu’en toute hypothèse, il n’est pas établi que la mini-saucisse n’aurait pas été transformée par un mâchage, même partiel, par l’enfant avant la ‘fausse route’.
Elle estime que l’expert judiciaire ne fait état que de simples éventualités et dans des termes généraux sur des faits dont les circonstances exactes restent méconnues tout en rappelant que ‘tout objet de diamètre inférieur à l’entrée buccale est dangereux chez un enfant de cet âge’, ce qui induit que les mini saucisses n’étaient pas, par nature, d’une dangerosité particulière.
Elle ajoute que la preuve n’est pas davantage rapportée de la défectuosité des mini saucisses en cause, que le produit mis sur le marché en 2007 est conforme à la réglementation spécifique qui lui est applicable ayant pour objet la protection de la santé ou de la sécurité des consommateurs notamment au regard des obligations mises à sa charge par les articles L. 411-1 et suivants du code de la consommation(anciennement article L. 212-1), aucune norme n’imposant une forme ou une texture particulière.
Elle soutient que la forme et la consistance des mini-saucisses ne caractérisent pas un défaut intrinsèque et que l’absence de mention d’une mise en garde ne constitue pas un défaut de nature à engager la responsabilité civile du fabricant, le produit ne s’adressant pas aux enfants.
Elle fait valoir que les produits alimentaires de type snacking ne sont pas destinés aux jeunes enfants mais sont également proposés aux adultes, notamment les mini-saucisses qui sont, de longue date, associées au moment convivial de l’apéritif, qu’il relève en effet de toute évidence des prérogatives des parents de juger du type d’aliments pouvant être donné à leurs très jeunes enfants, et de la forme sous laquelle ils doivent être présentés (purée, morceaux…) et consommés, que de nombreux produits sont présentés sous des emballages acidulés afin de mettre en avant une ambiance festive, de décontraction et de détente.
Elle précise que si, postérieurement aux faits et après une concertation au stade des instances professionnelles, elle a décidé, à l’instar d’autres producteurs de produits similaires, d’apposer sur l’opercule du produit une mention indiquant : ‘Recommandation : ne pas donner, ni laisser à la portée des enfants de moins de 4 ans ; ils risqueraient d’avaler sans mâcher’ afin d’éveiller la vigilance de parents sur la nécessité d’accompagner le repas des enfants, et notamment en prédécoupant les mini saucisses avant de les donner à manger aux enfants en bas âge, il ne s’agit de sa part ou de l’ensemble de l’industrie du marché ni d’une reconnaissance de responsabilité ni d’une reconnaissance de dangerosité du produit.
Elle en déduit que les conditions d’une mise en jeu de sa responsabilité du fait de son produit ne sont pas réunies.
Motifs de la décision
La responsabilité de la Sas K. est recherchée sur le fondement de la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 relative à la responsabilité des produits défectueux issue de la transposition de la directive CE 85-374 du 25 juillet 1985 et codifiée aux articles 1386-1 et suivants devenus 1245 et suivants du code civil qui autorise la victime à agir contre le producteur chaque fois qu’un dommage qui résulte d’une atteinte à la personne a été causé par le défaut d’un produit, ce qui inclut les produits alimentaires.
Aux termes de l’article 1386-4 devenu 1245-3 du même code un produit est défectueux au sens de ce régime légal de responsabilité lorsqu’il n’offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre qui s’apprécie en tenant compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l’usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.
Sur la responsabilité de la Sas K.
La responsabilité du fait d’un produit suppose que soit rapportée la preuve d’un dommage, de l’imputabilité du dommage à l’administration du produit, du défaut du produit et du lien de causalité entre ce défaut et le dommage ; selon l’article 1386-9 devenu 1245-8 du code civil, cette preuve incombe au demandeur et peut être apportée par des présomptions pourvu qu’elles soient graves, précises et concordantes.
Sur la contribution du produit à la survenue du dommage
La participation du produit à la survenance du dommage est un préalable implicite, nécessaire à l’exclusion éventuelle d’autres causes possibles, pour la recherche de la défectuosité du produit et du rôle causal de cette défectuosité, sans pour autant que sa simple implication dans la réalisation du dommage suffise à établir son défaut au sens de l’article 1386-4 du code civil ni le lien de causalité entre ce défaut et le dommage.
L’ingestion par la jeune Hermine d’une saucisse ‘Mini Knacks’ produite par la Sas K. est avérée, comme en attestent suffisamment les différente pièces versés aux débats.
Mme S., organisatrice de la soirée, a certifié ‘avoir acheté le 8 juillet 2008 au centre Leclerc de Coutras le produit suivant : mini saucisses knacks micro ondable marque Leclerc Repère, avoir cuisiné ce produit le soir du 14 Juillet 2008 pour le dîner d’Hermine d’A. qui s’est étouffée en l’avalant » et a fourni le ticket de caisse correspondant.
- D., invité et parrain de l’enfant rapporte que ‘vers 18 h 30-19 h avant l’arrivée des autres convives pendant que les enfants et parents étaient au calme, Eléonore d’A. a décidé de faire dîner sa fille afin de la coucher. Le dîner proposé était composé de snacks, de saucisses en forme de billes. Avec Martin d’A. nous étions en train de prendre l’apéritif..un cri a retenti de la part d’Eléonore qui a appelé son mari ‘Martin, Martin, vite, Hermine s’étouffe’. Immédiatement Martin se précipite pour essayer de faire sortir l’aliment qui avait pris le mauvais chemin en tapant dans le dos de sa fille…’
Le procès-verbal de gendarmerie note que ‘vers 19h50, Mme d’A. donne à manger à sa fille Hermine D’A. âgée de 26 mois qui avale de travers et inhale une saucisse à cocktail ; dans un premier temps, les adultes présents tentent de lui faire expulser l’aliment, mais voyant qu’elle perd connaissance, ils la transportent immédiatement au centre de secours des pompiers qui ne parviennent pas à évacuer le corps étranger’.
Dans une déclaration sur l’honneur en date du 14 février 2011 la mère expose ‘Je prends la fourchette et pique une bouchée de saucisse sans la découper, sans prendre de pâtes ; elle la voit toute suite et par gourmandise se jette dessus. Elle l’avale tout rond. Immédiatement je vois que l’aliment reste bloqué et l’empêche de respirer ».
L’expert judiciaire qui a procédé à ses investigations à partir d’une boîte de ce même produit a confirmé ‘qu’un enfant de moins de 4 ans pouvait avaler cet aliment sans le mâcher pour des causes non exhaustives qui peuvent être multiples (difficulté à mâcher en raison de l’immaturité dentaire, le rire, la surprise, le manque d’attention, la position de la tête penchée en arrière…) ; l’enfant a pu avaler la saucisse, fractionnée ou en entier’.
Le décès de l’enfant est survenu quelques heures plus tard.
L’imputabilité de cette mort à l’ingestion du produit doit être retenue.
Toutes les personnes présentes à proximité d’Hermine au moment de l’accident, la mère ainsi que le père et M. D., relatent qu’elle s’est étouffée dès la première bouchée de saucisse et que toutes les tentatives immédiates des adultes dont la maîtresse de maison, secouriste, pour extraire l’aliment (manoeuvre d’Heimlich notamment) sont restées vaines, tout comme les tentatives des pompiers pour évacuer le corps étranger des voies respiratoires et pour réanimer l’enfant puis sa prise en charge par les médecins urgentistes.
Le compte rendu du SMUR note ‘ACR sur corps étranger’.
Le médecin légiste chargé de procéder à l’examen clinique post mortem complet conclut, sous la signature du docteur A., que ‘l’enfant Hermine d’A. est décédée par asphyxie à la suite de l’inhalation d’une saucisse de cocktail. Compte tenu des circonstances, des témoignages et de l’examen externe et après appel téléphonique à M. Le Procureur de la République, une autopsie n’est pas nécessaire’.
L’expert judiciaire, Mme G., indique que cette saucisse ‘a pu obstruer totalement les voies aériennes supérieures à l’étage sus ou sous glottique, la taille étant plus importante dans cette phase accidentelle que la consistance qui ne joue pas grand rôle. L’enclavement de la saucisse au niveau des voies aériennes supérieures va déterminer une asphyxie mécanique provoquant une hypoxie c’est-à-dire une baisse de l’oxygène cérébral, accompagnée d’une hypercapnie c’est-à-dire une augmentation de gaz carbonique, le tout provoquant un oedème cérébral avec hypertension artérielle et veineuse et rupture des capillaires puis arrêt cardiaque’.
Elle explique ‘ lorsqu’un corps étranger inhalé revêt des dimensions congruentes ou très légèrement supérieures à l’orifice des voies aériennes, il peut obstruer celles-ci dans un phénomène d’aspiration ; très rapidement l’organisme réagit par un oedème local qui aggrave et participe au blocage de l’objet’.
L’ensemble de ces considérations, de fait et médico-légales, constituent autant de présomptions graves précises et concordantes au sens de l’article 1353 devenu 1382 du code civil permettant de dire que le décès d’Hermine est lié à l’ingestion de cet aliment.
Sur le caractère défectueux du produit et le lien de causalité entre le défaut et le dommage
Le défaut peut être lié à la conception ou à la fabrication du produit notamment sa substance ou son conditionnement et être à l’origine de dommages individuels ou sériels ; il peut aussi être lié à une information insuffisante sur les conditions de son utilisation, ses indications ou les risques encourus par l’utilisateur du produit.
Le seul fait qu’un produit soit à l’origine d’un dommage ne permet pas, cependant, de présumer ou de caractériser l’existence d’un défaut ; de même, le fait que le produit ait été fabriqué dans le respect des règles de l’art ou des normes existantes ou ait reçu une autorisation administrative ne constitue pas, en vertu de l’article 1245-9 du code civil, un obstacle à la reconnaissance d’un défaut du produit.
Le caractère défectueux des mini Knacks est caractérisé.
De consistance rénitente et de forme arrondie de 2 centimètres de diamètre, la mini saucisse présente, après réchauffage au micro-ondes dans les conditions d’utilisation normale, une apparence plus boursoufflée et ramollie mais des mensurations sensiblement identiques ; elle peut être avalée en entier, sans la mâcher, ce qui crée un risque d’obstruction complète des voies aériennes supérieures, dans un phénomène d’aspiration provoquant une réaction de l’organisme par un oedème local qui aggrave et participe au blocage de l’objet, ainsi qu’analysé par l’expert judiciaire qui ajoute ‘ qu’on ne peut formellement exclure que la consistance molle de la saucisse permette une adhésion supplémentaire à la paroi et un enfoncement légèrement plus profond ; de la même façon le caractère légèrement gras de la saucisse peut jouer le rôle d’une lubrification favorisant un enfoncement plus profond’ même si ‘a contrario ce caractère lubrifié favorise l’expectoration lors de la manoeuvre de suppression d’Heimlich’.
Sans être, de par sa nature, spécifiquement consommé par les enfants, ce produit leur était expressément destiné puisqu’il était présenté sur sa boîte comme ‘idéal pour l’apéritif, les plateaux télé ou en coeur de repas pour les enfants’.
Dans un avis du 3 juillet 1991 relatif au risque de suffocation des jeunes enfants présenté par les cacahuètes et autres graines comestibles, la Commission de la sécurité des consommateurs avait souhaité renforcer l’information parentale en recommandant que ‘les emballages de graines préemballées telles que les cacahuètes, pistaches, noix de cajou, amandes, amandes fumées, noisettes, devraient porter de manière visible et lisible, dans les conditions normales d’utilisation une mention (éventuellement accompagnée d’un dessin ou pictogramme) réalisée dans une taille et une couleur ne manquant pas d’attirer l’attention en indiquant que ces produits ne sont pas destinés aux enfants de moins de quatre ans, qui tentent de les avaler sans les mâcher’.
Dans un second avis du 12 mai 2005 relatif aux risques de suffocation ou d’asphyxie par l’inhalation ou ingestion de petits objets par des enfants, la même commission avait renouvelé sa préconisation précédente en ce qui concerne ‘des corps végétaux tels que cacahuètes, pistaches, noix, noisettes, amandes ou autres produits tels que petites saucisses apéritives, petit saucisson à garder hors de portée des jeunes enfants..’.
Or, sur l’emballage des ‘mini Knacks’ ne figurait aucun message de mise en garde, ni âge conseillé de consommation, ni précaution de consommation, ni mention ou pictogramme attirant l’attention des consommateurs et notamment des parents sur le risque d’étouffement des jeunes enfants.
Cette absence d’avertissement spécifique au risque connu et grave de suffocation ou d’asphyxie lors de la déglutition de ce type d’aliment par de jeunes enfants doit être mise en parallèle avec la présentation de ce produit de charcuterie, ludique et attractive dans son mode de consommation sous forme de billes logées dans une boîte en carton semblable à un pot de glace et aux couleurs acidulées.
Ce défaut d’information sur un danger potentiel particulier suffit à caractériser le défaut de sécurité du produit.
L’asphyxie d’Hermine qui trouve sa cause dans l’ingestion d’un produit défectueux a, malgré le traitement d’extrême urgence prodigué, rapidement provoqué son décès.
Ainsi, la responsabilité de plein droit de la Sas K. envers les consorts D’A. de C. est engagée et cette société doit supporter la charge de l’intégralité des préjudices subis par ces victimes par ricochet du décès de leur fille ou soeur.
Sur l’indemnisation
En vertu de l’article 954 du code de procédure civile la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des conclusions.
Hermine D’A. de C., née le 4 mai 2006, était âgée de deux ans lors de son décès.
Le préjudice d’affection répare le dommage moral que subissent certains proches à la suite du décès de la victime directe, la seule preuve exigible étant celle d’un préjudice personnel, direct et certain.
Celui subi par chacun des père et mère doit être fixé à la somme de 35.000 € et celui subi par chacun de ses deux frère et soeur Inès alors âgée de 7 ans, Victor alors âgé de 4 ans à la somme de 17.000 € chacun, comme réclamé ; leur estimation exige, pour en assurer la réparation intégrale, de prendre en considération la proximité du lien de parenté et affectif mais aussi les circonstances du fait générateur à l’origine du décès et le très jeune âge de la victime qui ne sont pas sans retentissement sur le travail de deuil de l’entourage.
Aucun préjudice moral pour avoir été privée de la présence effective et affective d’une soeur ne peut être admis comme juridiquement indemnisable pour la jeune Amicie D’Avezac de C., dès lors qu’elle n’était ni née ni même conçue au moment du décès accidentel d’Hermine pour être venue au monde le 28 mai 2009, soit dix mois plus tard, et qu’il n’existe ainsi aucun lien de causalité entre ce décès et le préjudice allégué.
Les indemnités dues par la Sas K. portent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt en application de l’article 1153-1 devenu 1231-7 du code civil.
Sur les demandes annexes
La Sas K. qui succombe dans ses prétentions et qui est tenue à indemnisation supportera la charge des entiers dépens de première instance et d’appel d’appel et doit être déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
L’équité commande d’allouer aux époux D’A. de C. une indemnité globale de 5.000 € au titre des frais irrépétibles exposés devant le tribunal et la cour.
Par ces motifs
La Cour,
– Infirme le jugement.
Statuant à nouveau et y ajoutant,
– Dit que la Sas K. a engagé son entière responsabilité vis à vis d’Hermine D’A. au titre d’un produit défectueux.
– Dit que les ayant droit de cette victime ont droit à l’indemnisation intégrale de leurs dommages réparables.
– Condamne la Sas K. à payer les sommes de
* 35.000 € à M. Martin D’A. de C.
* 35.000 € à Mme Eléonore P. du C. épouse D’A. de C.
* 17.000 € à Inès D’A. de C. représentée par ses deux parents, M. et Mme D’A. de C., en leur qualité d’administrateurs légaux
* 17.000 € à Victor D’A. de C. représenté par ses deux parents, M. et Mme D’A. de C., en leur qualité d’administrateurs légaux
au titre de leur préjudice moral respectif avec intérêts au taux légal à compter du 20 mai 2019
– Déboute Amicie D’Avezac de C. représenté par ses deux parents, M. et Mme D’A. de C., en leur qualité d’administrateurs légaux de sa demande à ce même titre.
– Condamne la Sas K. à payer à M. et Mme D’A. de C. la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
– Déboute la Sas K. de sa demande au titre de ses propres frais irrépétibles exposés.
– Condamne la Sas K. aux entiers dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.