Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMMENT COMBINER CURATELLE ET INSANITE D’ESPRIT EN MATIERE DE PROTECTION DES PERSONNES VULNERABLES ? I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace HDR

Membre du CERDACC

 

Commentaire de Cass. 1re civ., 15 janvier 2020, n° 18-26.683

Une personne placée sous curatelle a modifié un contrat d’assurance souscrit avant sa mise sous protection. Comme l’exige la règlementation, elle est assistée de son curateur pour faire changer la clause bénéficiaire de son contrat mais, à la mort de son mari, sa veuve introduit une action en nullité pour insanité d’esprit. Dans cette espèce, il s’agissait de voir comment combiner deux formes de protection, à savoir une protection permanente avec la mise sous curatelle et une protection ponctuelle pouvant déboucher sur la remise en cause d’un acte passé sous l’empire d’un trouble mental.

Mots-clefs : placement sous curatelle – assistance du curateur – contrat d’assurance sur la vie – rédaction de deux avenants au contrat – modification de la clause bénéficiaire – absence de manquement du curateur à ses obligations – valeur de l’intervention du curateur – action en nullité pour insanité d’esprit – preuve du trouble mental – protection des personnes vulnérables – protection durable – protection ponctuelle.

Pour se repérer

Un époux souscrit un contrat d’assurance sur la vie le 12 février 2005 et le 17 juin 2010, il modifie une première fois la clause bénéficiaire. Très peu de temps plus tard, le 9 novembre 2010, il est placé sous curatelle simple en raison de l’altération de ses facultés personnelles. Son état empirant, le 8 janvier 2012, la curatelle simple se trouve changée en curatelle renforcée.

Dans le cadre de la curatelle et avec l’assistance de son curateur, il fait modifier une seconde fois son contrat d’assurance sur la vie le 15 septembre 2014. Alors qu’il a une épouse et quatre enfants, seules deux personnes sont désignées comme bénéficiaires. Après son décès survenu le 28 décembre 2014, sa veuve forme une action en nullité contre le premier avenant, nullité retenue par le tribunal pour insanité d’esprit. En cause d’appel, elle sollicite aussi l’annulation du second avenant souscrit alors que son mari était déjà placé sous curatelle.

La cour d’appel de Besançon rejette sa demande le 9 octobre 2018 car le défunt avait fait modifier la clause bénéficiaire de son contrat d’assurance en requérant l’assistance de son curateur, lequel avait daté et signé la demande du majeur protégé. Il n’avait manqué à aucune de ses obligations et les juges d’appel avaient dès lors considéré que le second avenant était valide.

L’épouse s’est pourvue en cassation en demandant la nullité de l’avenant, sur le fondement de l’insanité d’esprit du défunt, en raison de troubles mentaux de son époux lors de la modification du contrat d’assurance sur la vie.

Pour aller à l’essentiel

Pour la Cour de cassation, le fait que le curateur n’ait manqué à aucune de ses obligations en assistant le majeur protégé qui souhaitait faire un avenant à son contrat d’assurance sur la vie, tout en respectant les dispositions relatives à la régularité d’un acte passé lorsque la personne est sous curatelle renforcée, ne fait pas obstacle à une action en nullité pour insanité d’esprit sur le fondement de l’article 414-1 du Code civil.

Si, alors que le premier avenant souscrit avant la curatelle était annulé pour insanité d’esprit, les juges d’appel ont considéré que le second avenant ne devait pas l’être, quant à lui, « la clause bénéficiaire du contrat d’assurance-vie ayant été modifiée par l’intermédiaire du curateur, en adéquation avec la protection des intérêts du majeur protégé », la Cour de cassation adopte un autre point de vue eu égard au trouble mental subi par le majeur. Elle casse partiellement l’arrêt d’appel en invoquant les articles 414-1, 414-2, 3° et 466 du Code civil.

Pour elle, il importe peu que la régularité des actes accomplis par le majeur sous curatelle renforcée avec l’assistance de son curateur soit reconnue, à partir du moment où son insanité d’esprit est établie, ce qui conduit à l’annulation du second avenant, à la suite de celle du premier, déjà rédigé sous l’empire d’un trouble mental.

Pour aller plus loin

L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 15 janvier 2020 (n° 18-26.683) est intéressant en ce qu’il permet de rappeler que, certes, la curatelle n’est pas synonyme d’insanité d’esprit, mais que différents moyens de protéger les personnes vulnérables et leurs familles sont à combiner.

En effet, un majeur peut présenter une altération de ses facultés personnelles telle qu’il faille le placer sous curatelle renforcée et faire alors un acte sous l’emprise d’un trouble mental. S’il doit être assisté par son curateur pour les démarches qui ne visent pas des actes usuels – et, sur ce point, les règles applicables étaient parfaitement respectées (I)-, il convient aussi de s’assurer de l’intégrité du consentement d’une personne qui n’était pas saine d’esprit, si bien que l’intervention du curateur ne pouvait pas suffire à valider un acte passé sous trouble mental (II).

I – La valeur de l’accord donné par le curateur

Au moment de la souscription du second avenant au contrat d’assurance sur la vie, le contractant avait été placé sous curatelle, d’abord curatelle simple en 2010, puis sous curatelle renforcée en 2012.

Conformément aux textes applicables, il lui fallait l’accord de son curateur, ce dernier devant l’assister afin d’assurer la protection des personnes vulnérables (C. civ., art. 467).

Il ressort en effet de l’article L. 132-4-1, al. 1er du Code des assurances que, si un majeur peut tester librement, il doit obtenir l’assistance de son curateur afin de procéder à la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance sur la vie (absence d’efficacité d’une telle substitution opérée dans un testament, sans l’accord du curateur : Cass. 1re civ., 8 juin 2017, n° 15-12.544, D. 2017.1819, note N. Peterka ; RTD civ. 2017. 615, obs. J. Hauser ; Gaz. Pal. 2017. 3385, note A. Dupire ; JCP G. 2017.730, note D. Noguero).

En l’espèce, la demande du majeur protégé a bien été datée et signée par le curateur, lequel n’a manqué à aucune de ses obligations. Il lui revenait de s’assurer à la fois de la volonté de la personne placée sous curatelle et de l’adéquation de sa demande avec la protection de ses intérêts. En l’occurrence, il s’agissait d’organiser les suites de son décès en modifiant la clause bénéficiaire et en écartant certains de ses proches. Cette demande avait été clairement formulée par l’intéressé et son curateur, avec diligence, avait apposé sa signature à côté de celle du majeur placé sous sa protection.

Partant de ce constat, les juges de la cour d’appel avaient considéré que l’assistance requise avait été apportée, conformément à la loi, par le curateur lors de la rédaction du second avenant, ce qui suffisait selon eux à garantir la validité de cet acte.

C’est la raison pour laquelle, alors que le premier avenant avait été annulé au premier degré pour insanité d’esprit, seule protection possible dans la mesure où la personne n’était pas encore placée sous curatelle à ce moment-là, pour le second avenant, la nullité n’était pas retenue en appel en raison du respect des dispositions relatives à la régularité d’un avenant envisagé par une personne sous curatelle et dûment assistée par son curateur.

Cette analyse n’est pas suivie par la Cour de cassation qui considère que la diligence du curateur et l’absence de manquement à ses obligations ne font pas obstacle à une action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit du majeur.

II – L’insuffisance de l’accord donné par le curateur

En appel et en cassation, la veuve du souscripteur du contrat d’assurance sur la vie invoque l’état mental de son défunt époux au moment de faire sa demande d’avenant au contrat.

S’il est vrai que la curatelle n’est pas synonyme d’insanité d’esprit, il est possible que l’altération des facultés personnelles soit telle que la personne se trouve sous l’emprise d’un trouble mental.

Il ne suffit donc pas de relever qu’une personne est placée sous curatelle très peu de temps après avoir conclu un acte, fait un testament ou rédigé un avenant à un contrat.

Une personne peut en effet tester après avoir été placée sous curatelle conformément à l’article 470 du Code civil (Cass. 1re civ., 14 mars 2018, n° 17-15.406, JCP N 2018. 1223, note N. Peterka, Dr. famille, comm. 137, note I. Maria), mais encore faut-il qu’elle soit saine d’esprit au moment de faire sa libéralité (C. civ., art. 901).

Tout acte passé sous l’empire d’un trouble mental peut être annulé à partir du moment où la preuve peut en être rapportée (R. Mésa, Nullité des actes juridiques pour trouble mental, RLDC 2011/81, n° 4217).

Pour remettre en cause un acte passé, il ne suffit pas d’invoquer la mise sous protection juridique d’un majeur peu de temps après la passation d’un acte litigieux ou de se prévaloir d’un placement sous curatelle et tutelle, justifié par la production d’un certificat médical, mais il faut pouvoir établir l’insanité d’esprit.

En revanche, si tel est le cas et si le trouble mental est démontré, il n’est pas possible de se retrancher derrière l’intervention d’un curateur ayant dûment assisté le majeur protégé. Pour la Cour de cassation, le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait effectivement pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit.

Tel est précisément ce qui ressort de l’article 466 du Code civil invoqué au visa de l’arrêt du 15 janvier 2020 qui précise que les articles 464 et 465 du Code civil traitant de la régularité des actes conclus alors qu’une personne est placée sous un régime de protection, ne s’opposent pas à l’application des articles 414-1 et 414-2 du Code civil.

Quand bien même la demande de modification de la clause bénéficiaire du contrat par l’intermédiaire du curateur a été datée et signée par le curateur et le curatélaire, il faut s’assurer de la situation mentale de ce dernier.

En conséquence, dès lors que son insanité d’esprit est démontrée, les juges doivent annuler l’acte pour insanité d’esprit sur le fondement des articles 414-1 et 414-2 du Code civil. Pour rejeter la demande de la veuve, il ne suffit pas, de considérer que l’acte a été régulièrement accompli, dans le respect des règles relatives à la curatelle. Il faudra en conséquence que les juges de la cour d’appel de renvoi de Dijon analysent le dossier sous cet angle pour apprécier si le défunt présentait ou pas des troubles mentaux à ce moment-là, sachant que l’appréciation des juges du fond quant à l’existence d’un trouble mental est souveraine (Cass. 2e civ., 23 oct. 1985, Bull. civ. II, n° 158).

Toute la difficulté est d’établir que le trouble mental existe au moment précis où l’acte attaqué a été fait. Néanmoins, si l’état d’insanité d’esprit existait à la fois dans la période immédiatement antérieure à l’acte et dans la période qui lui a immédiatement suivi, les juges retiennent un renversement de la charge de la preuve. Partant, il revient alors au défendeur d’établir en pareil cas l’existence d’un intervalle de lucidité lors de la signature de l’acte, en l’occurrence de l’avenant au contrat d’assurance-vie, raisonnement suivi par les juges de longue date (CA Paris, 10 janv. 1969, D. 1969.331 ; pour la nullité d’un testament : Cass. 1re civ., 11 juin 1980, Bull. civ.  I., n° 184, D. 1981.IR 91, obs. D. Martin).

Par l’arrêt rendu le 15 janvier 2020, la Cour de cassation rappelle les différences entre les deux modes de protection, à savoir la protection permanente avec la mise sous curatelle ou tutelle et la perte de la capacité d’exercice et la protection ponctuelle avec l’annulation de l’acte pour insanité d’esprit qui empêche l’intéressé de consentir valablement au changement de bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie.

Elle avait déjà adopté ce raisonnement par le passé, considérant que l’autorisation donnée par le juge des tutelles de vendre la résidence d’un majeur protégé ne faisait pas obstacle à l’action en annulation pour insanité d’esprit de l’acte passé par ce dernier (Cass. 1re civ., 20 oct. 2010, n° 09-13.635, D. 2011. 50, note G. Raoul-Cormeil, D. 2011. 2501, obs. J.-J. Lemouland et D. Noguero ; Dr. famille 2010, comm. 191, obs. I. Maria ; RTD civ. 2011. 103, obs. J. Hauser).

Il importe en effet de pouvoir remettre en cause un acte pour insanité d’esprit en toute situation car, selon l’article 414-1 du Code civil, « pour faire un acte valable, il faut être sain d’esprit » (voir aussi C. civ., art. 1129 dans le droit des obligations), cette disposition n’ayant rien à voir avec la mise sous curatelle ou tutelle, car elle est voulue par le législateur comme indépendante des mesures de protection (intitulé de la section 1ère du chapitre 1er du dispositif visant les majeurs protégés par la loi).

La combinaison des règles spéciales aux majeurs protégés avec celles relatives à l’ensemble des contractants permet une parfaite protection des personnes vulnérables et il faut se féliciter de l’arrêt rendu en ce sens par la Cour de cassation.


Cass. 1re civ., 15 janvier 2020, n° 18-26.683

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles 414-1, 414-2, 3°, et 466 du code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué, que V… L… a souscrit un contrat d’assurance sur la vie le 12 février 2005 auprès de la société CNP assurances ; qu’il a signé un premier avenant modifiant la clause bénéficiaire le 17 juin 2010 ; que, par décision du 9 novembre 2010, il a été placé sous le régime de la curatelle simple, puis, par décision du 8 janvier 2012, sous le régime de la curatelle renforcée ; que, le 15 septembre 2014, il a, avec l’assistance de son curateur, signé un second avenant modificatif au contrat d’assurance sur la vie, désignant Mme W… et U… H… ; qu’à la suite de son décès, survenu le 28 décembre 2014, sa veuve, Mme O…, a agi en nullité pour insanité d’esprit du premier avenant ; que U… H… étant décédé en cours d’instance, son épouse et ses quatre enfants sont venus à ses droits ; que le tribunal a prononcé la nullité de l’avenant du 17 juin 2010 et déclaré valable celui du 15 septembre 2014 ; qu’en cause d’appel, Mme O… a sollicité l’annulation de ce second avenant ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que V… L… a demandé à modifier la clause bénéficiaire du contrat par l’intermédiaire de son curateur, cette demande étant datée et signée par ce dernier ; qu’il ajoute que, dans la mesure où il appartenait au curateur de s’assurer tant de la volonté de V… L… que de l’adéquation de sa demande avec la protection de ses intérêts et où il n’est justifié d’aucun manquement du curateur à ses obligations, il y a lieu de juger l’avenant valide ;
Qu’en statuant ainsi, alors que le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l’action en nullité pour insanité d’esprit, la cour d’appel, qui a statué par des motifs impropres à écarter l’existence du trouble mental de V… L… au moment de la conclusion du contrat d’assurance sur la vie litigieux, alléguée par Mme O…, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare l’avenant modificatif du 15 septembre 2014 valable comme désignant Mme W… et U… H… en qualité de seuls bénéficiaires du contrat Ascendo n° […] souscrit par V… L…, l’arrêt rendu le 9 octobre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Besançon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état dans lequel elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Dijon ;
Condamne M. et Mme W…, Mmes Y…, R… et J… H…, MM. A… et K… H… aux dépens ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à Mme O… la somme de 3 000 euros et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé (…)