Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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SPORT ET ACCEPTATION DES RISQUES-RESPONSABILITÉ CIVILE : OÙ EN EST-ON ?, S. Moutou

Serge MOUTOU

Docteur en droit,

ATER FSESJ Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC (UR 3992)

Le risque est partout. Au travail, dans les transports, nos engagements, nos déceptions ; même dans nos rêves les plus ardents. Le sport n’est pas en reste. Il faut bien admettre que dans ce domaine, le risque est prépondérant, pour ne pas dire quasi permanent. Toute personne pratiquant un sport encourt inévitablement un risque. Il suffit, à titre d’exemple, de jeter un regard attentif sur la jurisprudence relative aux courses sportives, notamment la course de trot attelé, la course automobile ou encore celle motocycliste pour se rendre compte à quel point les collisions sont fréquentes (Cass. civ. 2ème, 10 avril 1991, n° 90-10.52, Bull. civ. ; CA Angers, Ch. A, civ., 17 janvier 2023, n° 19/00348 ; Cass. civ., 2ème, 19 janvier 1994, n°92-14 158, Inédit).

Mais qu’est-ce que le risque lui-même pour qu’il puisse susciter la réflexion dans le domaine du sport ? La réponse n’est pas simple. La notion de risque étant polysémique et ambiguë. Polysémique, la notion l’est en ce qu’il pourrait s’analyser sous divers angles (juridique, économique, financier, politique, social, environnemental ou comportemental). Ambiguë, la notion l’est en revanche eu égard à l’étymologie du terme même de risque (T. WIDEMANN, « Qu’est-ce que le risque », in Revue de tactique générale – Le risque -, mai 2021, p. 11). D’ailleurs, le Nouveau Petit Robert de la langue française illustre parfaitement l’ambiguïté caractérisant l’étymologie du concept de risque : « ancien italien, risco ; bas latin risicus ou riscus, p.-ê du latin resecare, ou du grec byzantin rhizikon hasard » (J. REY-DEBOVE et A. REY – sous la direction de -, Le Nouveau Petit Robert de la langue française, édition 2008, voir RISQUE, p. 2257).

Mais, si l’on s’en tient uniquement à l’approche juridique, il est possible de relever que le risque est d’abord et avant tout « un événement incertain, éventuellement dangereux et dommageable, […] associé à la responsabilité sans faute de la personne qui l’a créé ou ne l’a pas empêché de survenir » (D. ALLAND et S. RIALS – Sous la direction de –  Dictionnaire de la culture juridique, voir RISQUE, Lamy Puf 2003, p. 1372). Le risque est aussi « assimilé tantôt à la possibilité de survenance d’un dommage, tantôt à la réalisation d’un danger, tantôt à l’anormalité du dommage lui-même ou de sa cause » (D. ALLAND et S. RIALS – Sous la direction de –  Dictionnaire de la culture juridique, préc.). Cela étant précisé, que faut-il entendre alors par l’idée de risques acceptés en matière sportive ? Et dans cette perspective, quel en est l’état du droit aujourd’hui ? Répondre à une telle problématique suppose d’opérer un survol un tant soit peu succinct et ce, à travers une analyse systématique, des différentes évolutions de la question depuis ses sources jusqu’à nos jours.

Théorie de l’acceptation des risques et son fondement en matière sportive

Il est important de préciser d’emblée que le régime de responsabilité civile en matière sportive concerne aussi bien les sportifs que les organisateurs des manifestations sportives. Toutefois, notre analyse sera essentiellement concentrée sur la responsabilité des premiers, c’est-à-dire les sportifs entre eux, plutôt que sur les seconds.

Classiquement, et par principe, les articles 1382, 1383 et 1384, alinéa 1er, anciens, du Code civil (abrogés par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, à compter du 1er octobre 2016, actuellement articles 1240, 1241 et 1242), liés à la responsabilité civile délictuelle et quasi-délictuelle, avaient vocation à s’appliquer au domaine sportif dès lors qu’il était relevé un fait dommageable entre compétiteurs. En un mot, et au sens de ces articles, toute personne engage sa responsabilité dès lors qu’elle cause, par son fait personnel, par sa négligence ou par son imprudence, un dommage à autrui. Cette responsabilité étant également engagée dès lors que le dommage résulte du fait des personnes dont on doit répondre ou des choses que l’on a sous sa garde. Il appartenait ainsi à la victime de prouver simultanément la faute du sportif auteur de cet acte, le dommage subi et le lien de causalité entre la faute et le dommage afin que l’acte soit sanctionné.

Mais, dans la mesure où la pratique sportive commande généralement, de la part des sportifs, le dépassement de soi, une théorie dite d’« acception des risques » a été instaurée dans le domaine du sport. Il n’échappe en effet à personne que l’esprit de compétition pousse parfois les concurrents à commettre des fautes sur le terrain de jeu. Un joueur méconnaissant par exemple les règles du jeu est susceptible de causer un dommage à son adversaire. De même, des dommages matériels peuvent être occasionnés entre concurrents lors d’une épreuve sportive. L’absence de particularisme en matière de responsabilité civile des sportifs serait, sans nul doute, compromettant pour le bon déroulement des activités sportives. D’où la raison d’être de la théorie de l’acceptation des risques. De fait, et comme l’a expliqué finement Mme PETITPREZ, cette théorie « vise à alléger ou supprimer la responsabilité de l’auteur du dommage en partant de l’idée que celui qui accepte de participer à une activité à risques doit supporter les conséquences de la réalisation de ces risques » (E. PETITPREZ « Esport et acceptation des risques : nouveau ou statu quo ? », in Jurisport, n° 228, mars 2022, p. 42). Les risques ainsi acceptés ne sont autres que les risques normaux, c’est-à-dire ceux qui sont prévisibles, sinon inhérents à l’activité sportive. Sont ainsi exclus du champ d’application de la théorie de l’acceptation des risques, le risque de mort (Cass. civ. 2ème, 8 mars 1995, n°91-14.895) ou la faute volontaire (Cass. civ., 2ème, 23 septembre 2004, n° 03-11. 274). Le dommage invoqué devait également se produire au cours de l’activité sportive elle-même et non en dehors de celle-ci (Cass. civ., 2ème, 12 juin 1969, publié au bulletin).

Pourtant, dans la pratique, la théorie de l’acceptation des risques a révélé quelques signes de faiblesses. Ceux-ci ont été d’autant plus manifestes au fil du temps que la théorie de l’acceptation des risques est redevenue un sujet au centre de la réflexion.

Les défaillances de la conception classique

La théorie de l’acception des risques chèrement acquise en matière sportive a été l’objet de vives critiques. En effet, aux yeux de la doctrine et de la jurisprudence, cette théorie est apparue comme injustifiée, voire, excessive. A titre d’exemple, militant pour la nécessité de parvenir à un équilibre entre les intérêts d’une victime ayant accepté les risques du métier et la prise en compte, aux fins de sanctions, de l’attitude du sportif auteur de l’acte dommageable, certains auteurs ont souhaité que la notion d’acceptation des risques ait pour vocation, non pas de permettre le bannissement de toute responsabilité, mais plutôt de moduler de manière équitable les règles de responsabilité et d’indemnisation (J.-F. RIFFARD et J. THERON, « Rugby et responsabilité. Pour une ovalisation des principes de la responsabilité civile », in F. BUY – sous la direction de –, Droit et Rugby, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20 avril 2012, LGDJ, Lextenso éditions 2013, p. 45).

Une telle prise de position est compréhensible. En effet, il ne faut pas se méprendre, le dépassement de soi et la prise de risques dans certains sports dangereux (comme la boxe, le rallye, le ski extrême ou le cyclisme) peuvent être compromettants pour la santé des sportifs. Il va de soi que l’acceptation des risques ne peut pas toujours être un prétexte pour mettre à mal systématiquement la question de la responsabilité civile en matière sportive. De surcroit, il n’est pas exclu que des personnes puissent finalement se dissimuler derrière le pilier de l’acceptation des risques pour commettre finement certaines fautes que même les « radars » de l’arbitrage, aussi sophistiqués furent-ils, auraient du mal à repérer. En 2007, et abondant dans le sens de la nécessité de la mise en œuvre du droit de la responsabilité dans le cadre sportif, MM. ALBIGE, DARMAISIN, et SAUTEL ont d’ailleurs fort sagement suggéré qu’« au-delà du dopage, un ensemble de mesures doit dès lors s’imposer pour préserver cette santé, directement affectée par les impératifs de performance, de réussite et de dépassement de soi [de sorte que, selon ces auteurs,] le droit de la responsabilité garantit la protection des sportifs face aux excès susceptibles d’être rencontrés » (C. ALBIGE, S. DARMAISIN, O. SAUTEL, Responsabilité et sport , LexisNexis, Litec 2007, p. 7). Il n’est pas anodin que soit donc limitée l’étendue de la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive. D’ailleurs, la jurisprudence s’est, quant à elle, interrogée sur l’opportunité d’un recadrage à cet effet.

Du côté des magistrats, en effet, il a été noté avec le temps une certaine hésitation entre la préservation de la théorie de l’acceptation des risques dans le domaine du sport et sa négation. Schématiquement, l’acceptation des risques a été relativisée en cas de risque anormal ou déraisonnable (Cass. civ. 2ème, 8 mars 1995, n° 91-14 895) ; ou pour les activités n’entrant pas dans le cadre de la compétition ou encore dans le cadre d’une phase préparatoire à une compétition (Cass. civ. 2ème, 22 mars 1995, Bull civ II, n° 99 ; Cass. civ., 2ème, 28 mars 2002, Bull. civ. II, n° 67 ; Cass. civ., 2ème, 10 avril 1991, Bull. civ., n° 121).

Jusqu’en 2010, la jurisprudence a tenté ainsi de poser des restrictions dans le but de ne pas rendre systématique l’application de la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive. Toutefois, les efforts consentis à cet effet n’ont pas permis d’aboutir à une vision claire quant au champ d’application de ladite théorie. Ce n’est qu’à partir de novembre 2010 que les juges ont pu apporter une solution assez tranchée sur la question en abandonnant, en partie, la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive.

Abandon de la théorie de l’acceptation des risques

Par un arrêt du 4 novembre 2010, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a adopté une solution nouvelle en restreignant l’application de la théorie de l’acceptation des risques, notamment en matière de responsabilité du fait des choses au cours d’une activité sportive. Ce revirement jurisprudentiel était assez prévisible ainsi qu’on a pu le voir plus haut. Par cet arrêt, les juges du droit ont estimé que « la victime d’un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l’article 1384, alinéa 1er, ancien, du Code civil, à l’encontre du gardien de la chose, instrument du dommage ce, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques » (Cass. civ., 2ème, 4 novembre 2010, n° 09-65. 947). Il en résulte que tout sportif gardien d’une chose était susceptible d’engager sa responsabilité chaque fois que la chose dont il était le gardien causait un dommage à l’adversaire. L’exception à cette règle jurisprudentielle n’étant envisageable que dans la mesure où l’auteur de l’acte dommageable parvenait à prouver que le dommage est survenu par suite d’une cause étrangère.

Si le revirement jurisprudentiel de novembre 2010 a marqué les esprits, il n’a pas manqué de susciter la critique et surtout la colère des fédérations sportives, notamment celles ayant la gérance des sports à matériel (ex : sport automobile ou de motocyclisme, exposé à de nombreux dommages). Mais ce n’est pas tout. Le rétrécissement du champ d’application de la théorie des risques acceptés en matière sportive a aussi impacté les assureurs et une partie de la doctrine. Tandis que les premiers ont estimé que la solution heurtait de front la classique garantie liée à l’exercice de l’activité sportive en toute sérénité, la seconde a, quant à elle, émis des inquiétudes sur la légitimité de la spécificité sportive.

On a pu relever chez certains auteurs par exemple l’idée selon laquelle l’arrêt du 4 novembre 2010 allait très certainement effacer la théorie de l’acceptation des risques bâtie pourtant à partir du particularisme sportif (F. MARCHADIER « Acceptation des risques – L’inexorable déclin de la spécificité de la responsabilité sportive », in Jurisport, La Revue juridique et économique du sport, n° 106, février 2011, p. 34). Plus récemment, d’autres auteurs ont relevé à cet effet une « incompatibilité radicale entre l’application de l’article 1242, alinéa 1er, et l’exigence d’une faute qualifiée » (J. MOULY, Ch. DUDOGNON, « Sport – Activités sportives», Répertoire de droit civil, février 2021). Mais bien avant cela, d’autres auteurs encore ont prédit que cette différence de traitement entre victimes d’accident de sport serait notable, voire fâcheuse car, si un sportif victime du fait personnel d’un autre est contraint nécessairement d’apporter la preuve d’un risque imprévisible, déraisonnable ou qui n’est pas inhérent à l’activité sportive, il suffirait en revanche à celui qui est victime du fait d’une chose d’indiquer simplement que cette chose a été à l’origine du dommage subi pour que sa demande en réparation soit acceptée (Cf, Jurisport, note FL, « La Cour de cassation remet en cause la notion d’acceptation des risques », n° 105, Actualités, janvier 2011, p. 8). La critique a été d’autant plus vive que certains ont suggéré l’idée d’aller urgemment à la rescousse de l’exception sportive. (V. VIAL, « Il faut sauver la spécificité de la responsabilité civile dans le domaine du sport », Cah. dr. sport 2012, n° 29).

La solution de la Cour de cassation peut paraître en effet compromettante à bien des égards. Certes, elle remet en cause le régime de responsabilité civile jugé flexible dans le cadre sportif. Toutefois, il sied de prendre en compte l’impact que pourrait avoir ce revirement quant au montant des cotisations des assurances, en particulier dans le sport automobile. Le risque existe de voir en effet le montant de ces cotisations augmenter au gré des assureurs. Ceci, dans la mesure où l’étendue de la théorie de l’acceptation des risques dans le domaine du sport se retrouve ainsi rétrécie. De même, il est important de relever que la responsabilité civile exonératoire en matière sportive avait l’avantage d’exclure la faute simple dans le cadre de l’action en réparation des dommages. Or, par l’arrêt du 4 novembre 2010, la Cour de cassation apporte un changement à ce régime. Ce qui sous-entend que, dans le cadre de dommages résultant du fait d’une chose, un risque, même normal, prévisible et inhérent à l’activité physique et sportive entrainerait la responsabilité de plein droit sans que soit exigé la preuve d’une faute caractérisée ou intentionnelle. La spécificité caractérisant l’activité sportive ne peut-elle pas ainsi être exposée à la dégénérescence ?

La jurisprudence remettant en cause la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive a suscité la polémique de telle manière qu’un nouveau rebondissement a eu lieu à cet effet.

Conséquences de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010

La prise de conscience de la menace des spécificités sportives et le mécontentement des fédérations sportives ont conduit le législateur à poser les balises tendant à limiter les effets de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010. Concrètement, par une loi n° 2012-348 du 12 mars 2012, article 1, le législateur est intervenu au moyen d’une procédure accélérée afin d’inclure dans le Code du sport l’article 321-3-1. Aux termes de cet article : « les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant par le fait d’une chose qu’ils ont sous leur garde, au sens du premier alinéa de l’article 1384 du code civil, à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique ».

Le droit à la réparation est ainsi exclu au regard de cette législation particulière, notamment en cas de dommages matériels causés par une chose au sens de l’article 1384, ancien, du Code civil (nouvellement, l’article 1242 alinéa 1er). Seuls les dommages corporels ou immatériels pourront être invoqués si une chose gardée par un sportif est à l’origine du dommage d’un concurrent. Par ailleurs, afin de limiter la portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 4 novembre 2010, le législateur a posé par la même occasion certaines conditions. Au sens de l’article 321-3-1 du Code du sport, pour que la responsabilité liée à un dommage matériel causé par une chose sous la garde d’un sportif soit écartée, le dommage doit avoir été commis « à l’occasion de l’exercice d’une pratique sportive au cours d’une manifestation sportive ou d’un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique ».

Ainsi, la théorie de l’acceptation des risques dans le cadre du sport, alors en perte de vitesse, a été réconfortée par le législateur en mars 2012.

Une question vient immédiatement à l’esprit. Qu’en est-il exactement à l’heure actuelle ? En d’autres termes, qu’advient-il aujourd’hui lorsqu’un sportif subit un préjudice suite à un dommage causé par son adversaire ou par une chose que ce dernier a sous sa garde lors de la pratique sportive ? La théorie dite des risques acceptés ainsi bousculée par la jurisprudence au moyen de l’arrêt du 4 novembre 2010 et recadrée par le législateur par la loi du 12 mars 2012, a-t-elle évolué depuis lors ou au contraire conserve-t-elle encore ses lettres de noblesse ?

Etat du droit

Il faut dire que la situation demeure plus ou moins intacte, depuis l’intervention du législateur en mars 2012 jusqu’à ce jour. C’est-à-dire que, dans le cas de faits personnels des sportifs, les juges recourent à la théorie de l’acceptation de risques, sauf si la victime rapporte la preuve d’une faute ou d’une violation caractérisée des règles du jeu (Cass. civ. , 2ème, 29 août 2019, n° 18-19.700 ; CA Angers, Ch. A, civ., 17 janvier 2023, préc.). En revanche, lorsqu’un dommage survient suite à l’utilisation d’une chose dans la pratique de l’activité sportive, la jurisprudence distingue volontiers les dommages matériels des dommages corporels ou immatériels. De façon schématique, elle ne fait application de l’article 1242 alinéa 1er, nouveau, du Code civil liée à la responsabilité du fait des choses, qu’en cas de dommage corporel ou immatériel (Cass. 2ème civ., 21 mai 2015, n°14-14812). Ainsi, la théorie de l’acceptation des risques ne trouve à s’appliquer, et comme l’a voulu la loi de mars 2012, que pour les dommages matériels occasionnés par une chose. Il en découle qu’il n’y a pas de responsabilité quasi délictuelle en cas de dommage matériel causé par la chose sous la garde d’un autre participant.

A titre d’illustration, dans une affaire très récente liée à un accident lors d’une course automobile, la cour d’appel d’Angers a confirmé un jugement ayant débouté un concurrent de sa demande tendant à déclarer un autre concurrent responsable du dommage matériel allégué et de ses prétentions indemnitaires subséquentes. Les juges du fond ont considéré en effet que l’activité à laquelle les deux concurrents avaient pris part était soumise à l’article 321-3-1 du Code du sport, signifiant ainsi que toutes les conditions étaient bien remplies pour pouvoir exclure la responsabilité en fait de dommages matériels causés par la chose – en l’espèce, le véhicule – dont un des sportifs en était gardien (CA Angers, Ch. A, civ., 17 janvier 2023, préc.).

Est-ce à dire que la théorie de l’acceptation des risques trouve désormais son équilibre en matière sportive, de sorte à exclure l’idée d’une nouvelle évolution en la matière ? Rien n’est moins sûr. La législation actuelle à propos de la théorie de l’acceptation des risques fait encore preuve d’ambiguïté, notamment en ce qui est de son champ d’application. En parlant de la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 consacrant l’éviction de l’article 1384, ancien, du Code civil, MM. MOULY et DUDOGNON relèvent pour leur part que « le nouveau système gagne sans doute en équité, mais il perd en cohérence » (J. MOULY, Ch. DUDOGNON, « Sport – Activités sportives », Répertoire de droit civil, préc.). La remarque laisse sous-entendre incontestablement qu’il existe encore des insatisfactions sur la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive. Certes, l’intervention du législateur a permis de redéfinir le champ d’application de ladite théorie. Il n’en reste pas moins que la question de la légitimité de cette même théorie, du moins de son étendue, demeure encore au centre de la réflexion. Il n’est donc pas exclu un revirement jurisprudentiel ou même une nouvelle intervention du législateur à l’avenir.

De même, il n’est pas improbable que le juge, quoique réticent pour l’heure, puisse un jour ouvrir la question de la théorie de l’acceptation des risques à d’autres domaines comme, par exemple, celui de l’« esport ». Ce dernier, considéré comme une compétition de jeux vidéo entre humains, peine cependant à jouir du privilège résultant de la théorie de l’acceptation des risques. La raison ? : on ne lui reconnaitrait pas les caractéristiques d’un sport traditionnel (E. PETIPREZ « Esport et acceptation des risques : nouveau ou statu quo ? », in Jurisport, préc. pp. 41-45.). Mais dans la mesure où le sujet défraie de plus en plus la chronique, il n’est pas certain de voir le mystère demeurer entier indéfiniment. Si par impossible donc l’esport est reconnu un jour comme un sport à part entière, la question de l’acceptation des risques et de son champ d’application se posera de nouveau avec acuité devant le juge voire, face au législateur. Reste cependant à espérer que ce renouveau potentiel ne vienne pas mettre complètement un terme à la théorie de l’acceptation des risques en matière sportive. Car, il ne faut pas se méprendre, cette théorie est une véritable garantie pour la bonne marche de l’activité sportive et, par-delà tout, de l’économie de celle-ci.