Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LES MATINALES DE L’IRMA : LUBRIZOL, UN AN APRÈS, M. Baume

Marine Baume

Doctorante à l’Université de Haute-Alsace
Membre du CERDACC

 

L’Institut des Risques Majeurs (IRMa) de Grenoble a organisé deux conférences techniques dans le cadre du cycle « Enseignements de Lubrizol en matière de gestion des risques industriels ». Celles-ci ont réuni des professionnels du secteur industriel ainsi que des membres de la DREAL afin de présenter les pratiques locales de gestion des risques et les évolutions suite à l’incendie du 26 septembre 2019. Chacune de ces conférences fera l’objet d’un compte-rendu. Vous trouverez ici le premier, le second sera publié dans le numéro 203, au mois de janvier 2021.

La première matinale, organisée à Grenoble le 13 octobre, a rassemblé Messieurs Romain Campillo et Alexis Miller (DREAL Auvergne-Rhône-Alpes) et Pierre-Emmanuel Piarulli (Directeur UMICORE Specialty Powders France).

Après une courte introduction par Monsieur Vincent Boudière, (responsable de la mission risques à la métropole de Grenoble), Monsieur Gérard Perrotin (président de l’IRMa) a tenu à remercier l’ensemble des participants. Il a ensuite insisté sur le caractère essentiel du facteur humain dans la gestion des risques. L’Institut a d’ailleurs formulé 22 propositions pour mieux gérer la survenue d’un accident industriel dont quelques-unes, comme la formation des élus, ont été reprises dans le rapport de la Commission d’enquête sénatoriale. Enchaînant sur cet élément de la préparation, Madame Corinne Thievent (animatrice du S3PI) a rappelé les quatre axes sur lesquels la politique de prévention repose. Il s’agit de la réduction des risques à la source (notamment grâce aux études de danger), de l’organisation des secours (au travers des POI), de la maitrise de l’urbanisation (PPRT) et enfin l’information des populations. Madame Thievent a souligné l’importance de chacun de ces axes, si l’un est défaillant, la politique globale sera alors fragilisée. Cette remarque fut suivie d’un bref résumé du contexte industriel du département de l’Isère, qui compte 33 installations dites « Seveso seuil haut », soit un tiers des installations de ce type dans la région. Le sujet des risques technologiques est donc au cœur des attentes des isérois.

Le premier intervenant, Monsieur Romain Campillo, chef du service « Prévention des Risques Industriels, Climat, Air et Énergie » de la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes, a débuté sa présentation par une reconstitution rapide du déroulé de l’accident ayant touché l’installation Lubrizol. Pour Monsieur Campillo, il est utile de revenir sur le pas-à-pas afin d’obtenir un retour d’expérience intéressant. Grâce à une vue aérienne, il a été présenté un point de situation sur la zone accidentée, située dans une zone industrielle à 3 kilomètres de Rouen. Trois sites différents ont été impliqués. Le premier, le site Lubrizol, il est classé Seveso haut avec un PPRT approuvé en 2014. Monsieur Campillo attire l’attention de la salle sur le fait que c’est grâce à ce PPRT que deux cuves de GPL, situées à l’endroit où a eu lieu l’incendie, ont été déplacées. Le deuxième site est celui de Normandie Logistique qui est un site d’entreposage soumis à un régime déclaratif. Un troisième site, peu souvent cité, accueille une installation de traitement de déchets. C’est à 2h40 que l’incendie est détecté. Le signalement est le fait d’un employé du troisième site,  à ce moment-là les flammes font déjà plusieurs mètres de haut. A 2h52, les pompiers arrivent sur le site et déclenchent les premiers moyens manuels (rideau d’eau). A 3h, les contenants mobiles dans la zone ont fondu et ont répandu leur contenu sur le sol engendrant des nappes enflammées qui propagent l’incendie. Entre 3h20 et 4h, les pompiers et les employés déplacent les produits les plus dangereux hors de la zone à risque. La première information de l’accident est annoncée à la radio à 4h. A 4h15 les réserves d’eau du site arrivent à épuisement ce qui aura pour conséquence l’embrasement d’un autre bâtiment dans lequel des fûts vont exploser, projetant des fragments de toit à l’extérieur du site. La préfecture va publier un premier message à 4h50 sur les réseaux sociaux et dix minutes plus tard le PPI est déclenché. Entre 6h du matin et 7h45, l’activation du CASU ainsi que le déclenchement POLMAR seront ponctués d’annonces et de recommandations par le préfet avant le déclenchement des sirènes du site Lubrizol. Finalement, le feu sera circonscrit à 10h30 et une cellule de crise au CHU de Rouen est activée. Il faudra attendre 13h pour que le feu soit maitrisé. Cette description « minute par minute » a été complétée par un bilan photographique « avant/après » de l’incendie agrémenté de nombreux chiffres afin d’illustrer les moyens mis en œuvre. Ceux-ci ont été considérables selon Monsieur Campillo qui ne les a pas détaillés, mais a tenu à souligner les débits d’eau utilisés : 20000m3. Concernant le volet « gestion de l’alerte et communication », ce sont 237 sites d’enseignement qui ont été fermés pendant deux jours. Une enquête post-accident a également concerné les personnels de secours ainsi que la population de 216 communes. Monsieur Campillo rappelle que cet incendie n’a fait aucun mort ni blessé grave. Or ce n’est pas toujours le cas comme en témoignent certains évènements accidentels récents. Néanmoins les fumées ont incommodé de nombreuses personnes et ont donné lieu à 9 hospitalisations de courte durée. Il convient de souligner que le bilan humain n’est pas complet puisqu’il reste à mener une étude épidémiologique sur les habitants des communes survolées par le panache de fumées. C’est un bilan qui mettra plusieurs années à être établi. Sur le plan environnemental, la Darse a été polluée, en effet, s’est déversée une partie des eaux d’extinction qui a engendré une mortalité piscicole ainsi que le mazoutage de certains oiseaux. Il a fallu attendre 21 jours, malgré l’opération de pompage/dragage, pour revenir à un état écologique « bon ». Sinon, l’impact écologique a été jugé plutôt limité. Monsieur Campillo remarque que c’est la première fois que l’on déploie un protocole aussi large de prélèvements dans les matrices végétaux et sols.

Après avoir balayé le déroulé et le bilan de l’accident, Monsieur Campillo a souhaité revenir sur les problèmes qui ont été identifiés dans la gestion particulière de l’accident. En premier lieu, l’alerte incendie reposait sur des moyens humains. Aussi a-t-elle été donnée tardivement à un moment où vraisemblablement les flammes étaient déjà difficilement maîtrisables. Le deuxième lieu, l’incendie s’est propagé rapidement. Sous l’effet de la chaleur, les sacs en plastique ont fondu, les substances qu’ils contenaient se sont alors répandus sur le sol ce qui a favorisé la propagation de l’incendie. Ces produits auraient dû et auraient pu être récupérés dans des bassins de rétention, mais ceux-ci étaient insuffisants. Enfin, il faut noter les capacités limitées d’extinction des sites. Celles du premier site ont été épuisées au bout d’une heure trente. Le deuxième site en cause ne disposait pas de réserves d’eau et faute de présence humaine les moyens manuels n’ont pas pu être mis en œuvre.

Ces quelques éléments de retour ont pu être formalisés dans le cadre des nombreuses enquêtes diligentées à la suite de l’accident afin de répondre aux multiples interrogations. Pour Monsieur Campillo, il s’agissait d’une réaction aux demandes de transparence ainsi qu’au besoin de faire progresser les mesures de prévention des risques. Il convient de les classer en trois grandes parties : l’enquête administrative diligentée par la DREAL pour établir les causes de l’accident et les conditions de reprise de l’activité du site – de l’enquête sénatoriale pour adapter la politique de prévention des risques technologiques et la gestion de crise – l’enquête judiciaire, toujours en cours, qui vise à établir les responsabilités de l’accident.

C’est sur ces nombreuses enquêtes que s’appuie le plan d’actions gouvernemental qu’a par la suite présenté Monsieur Campillo. Ce plan a été dévoilé en deux temps : le 11 février par la ministre de la transition écologique et solidaire (Madame Borne) puis le 24 septembre, conjointement par le ministre de l’intérieur (Monsieur Darmanin) et la ministre de la transition écologique (Madame Pompili). Ce plan s’articule autour de cinq axes :

  • anticiper et faciliter la gestion de crise
  • renforcer la culture du risque et la transparence (suivi des contrôle sur le stockage des produits au sein des sites notamment)
  • renforcer les mesures de prévention (par une réglementation des ICPE renforcée)
  • renforcer le suivi des conséquences sanitaires et environnementales (prise en compte des effets à long terme des accidents)
  • renforcer les moyens de contrôle et d’enquête (renfort de l’inspection des installations classées).

Monsieur Campillo a ensuite précisé certaines mesures.

Pour l’information du public, un nouveau système d’alerte appelé « Cell Broadcast » a été choisi, il devrait être effectif d’ici 2022. Cette mesure est destinée à répondre aux critiques quant au déclenchement tardif de la sirène PPI. Ce nouveau dispositif présente de nombreux avantages. Pas besoin de connaître les numéros des destinataires puisque les messages sont envoyés à tous les appareils connectés, neufs ou anciens, et quels que soient les opérateurs, y compris pour les abonnés étrangers de passage dans une région. Ensuite, il a été mentionné l’intégration dans les plans ORSEC et les PPI des mesures immédiates à mettre en œuvre pour protéger les populations des conséquences sanitaires.

Une autre question a aussi été posée, celle de l’information et de la concertation autour des sites. Avec l’accident de Lubrizol, il y a eu une prise de conscience qu’un certain nombre de riverains semblait découvrir les risques liés aux sites industriels. Cette situation étonne selon Monsieur Campillo puisque les industriels et les pouvoirs publics passent beaucoup de temps dans des commissions de suivi de site, font des actions d’information qui manifestement ne touchent pas l’ensemble du public visé. Il a été annoncé la création d’un groupe de travail national pour réfléchir à la modernisation de ces outils et à leur amélioration.

Sur la partie réglementation ICPE, quelques points ont été mis en exergue par l’intervenant. Concernant les POI (plan d’opération interne), ceux-ci sont désormais obligatoires pour l’ensemble des SEVESO seuil bas et les exploitants doivent tester leur POI à une fréquence renforcée.

Ensuite, quant aux produits de décomposition émis en cas d’incendie, il est prévu que soit mentionné dans les études de danger (EDD) les types de produits de décomposition susceptibles d’être émis en cas d’incendie important. Le défaut de connaissance sur la composition des produits consumés lors de l’incendie et sur les éventuels effets cocktails avaient été soulignés par les sénateurs dans leur enquête.

Une nouveauté est à relever également concernant les prélèvements environnementaux. Il est désormais prévu que les POI anticipent des plans de prélèvements environnementaux à la fois sur les substances à rechercher mais aussi sur les moyens, matériels et humains, associés. Le but est de parvenir à réagir rapidement en cas de crise et de réaliser les premiers prélèvements durant la phase de l’accident. Est aussi inclus un volet de remise en état et de nettoyage de l’environnement après un accident majeur.

Monsieur Campillo a mentionné les grandes lignes des textes règlementaires relatifs au stockage des liquides inflammables et combustibles. Ils ont pour objectif d’éviter que les pompiers soient de nouveau gênés par une nappe enflammée telle que celle survenue à Lubrizol qui a favorisé la propagation de l’incendie. Pour y parvenir, les textes interdisent les récipients mobiles susceptibles de fondre pour les liquides les plus inflammables, renforcent les prescriptions en matière de distance d’éloignement des stockages (avec une logique de compartimentage) et les capacités des rétentions. Enfin, il a été mentionné le volet important et très technique du stockage des liquides inflammables et combustibles dans les entrepôts. Ici, l’objectif est de renforcer toutes les prescriptions de défense incendie. Pour cela, les plans de défense incendie sont désormais obligatoires et il est demandé aux exploitants d’effectuer une étude pour vérifier l’absence d’effet « domino ». Par ailleurs, une nouvelle disposition intéressante prévoit que les rapports effectués par l’assureur du site soient mis à la disposition de l’inspection des installations classées. Enfin, pour les entrepôts soumis à autorisation, ils devront respecter les mêmes règles que pour les sites SEVESO, c’est-à-dire qu’ils devront mentionner les produits de décomposition et les mesures environnementales prévues en cas d’un éventuel accident. La question de la connaissance de l’état des stocks ayant largement fait parler, Monsieur Campillo a souhaité faire un point spécifique sur les nouveautés règlementant ce point. Il sera demandé aux exploitants de tenir à jour, quotidiennement, leur état de stocks, à la fois par type de substances et par zone d’entreposage. Monsieur Campillo note qu’il ne s’agit pas d’une obligation anodine en pratique, cela demandera une organisation particulière, d’autant plus qu’une version synthétique devra être disponible pour la communiquer au public en cas d’accident.

Sur la question des contrôles, il est affiché la volonté de publier les suites des inspections conduites par la DREAL. Il est à souligner qu’en Auvergne-Rhône-Alpes, un certain nombre de rapports d’inspection sont déjà publiés. Il est donc prévu d’étendre cette pratique au niveau national. Une autre nouveauté réside dans la création d’un statut de surveillance renforcée. Il s’agira de demander aux exploitants les plus défavorablement connus de l’administration, un plan de mise en conformité qu’ils s’engageront à tenir. Cela sera suivi de points réguliers au niveau ministériel et qui pourront donner lieu à une communication de presse. Ces évolutions sont accompagnées d’une nouvelle instance, le bureau enquête-accidents. Il aura pour fonction d’investiguer les accidents majeurs (touchant les sites SEVESO seuil haut ou présentant un intérêt technique en termes de retour d’expérience). L’arrêté portant création du bureau a depuis été publié et détaille son organisation et sa composition.

Après cette présentation fournie, Monsieur Campillo a clos son intervention en évoquant deux grandes mesures annoncées au niveau national. Tout d’abord,  l’augmentation de 50% du nombre d’inspections entre 2019 et 2022, qui sera déclinée au niveau régional. Enfin, il y aura une grande action nationale d’inspection de l’ensemble des ICPE se trouvant à moins de 100 mètres d’un établissement SEVESO. Compte tenu du nombre de sites concernés, cette action s’étalera de 2020 à 2022. Le but étant d’éviter d’avoir des entrepôts à côté de sites SEVESO qui pourraient engendrer ou être victimes d’effet domino.

De nombreuses questions ont suivi l’intervention de Monsieur Campillo. Ainsi le président d’une association regroupant les unions de quartiers et les associations d’habitants de la métropole de Grenoble a fait part des inquiétudes des citoyens n’ayant pas de culture industrielle. Il a questionné les intervenants sur l’efficacité de la gestion de l’accident de Lubrizol, d’un point de vue de la rapidité d’action et de la prise en compte de la population de se trouvant à proximité. Concernant le délai d’intervention, le capitaine du SDIS 38 a précisé qu’il était délicat de juger étant donné que chaque intervention est différente. Monsieur Campillo s’est voulu rassurant en indiquant qu’il s’agissait de nettoyer les suies et que les écoles ont pu rouvrir parce qu’il n’y avait plus de risque pour la population. Ces inquiétudes ont été reprises par une autre habitante qui a interrogé la salle quant au manque d’information de la population lors de l’accident de Rouen et notamment en cas d’accident nocturne. De plus, la question du renforcement des contrôles est saluée mais des doutes sont émis quant à la mise en œuvre de ces visites compte tenu du nombre d’inspecteurs disponibles. Monsieur Campillo a répondu que le système d’alerte est plus intéressant car il permet de donner plus d’informations qu’une simple sirène. Madame Thievent a rebondi sur le manque d’information de la population en expliquant qu’il était très difficile de mener des campagnes d’envergure. Malgré de nombreux efforts déployés (multiplication des canaux d’information) les résultats constatés lors d’une enquête de perception étaient décevants. Monsieur Campillo a ensuite souhaité être transparent sur les effectifs de la DREAL dont les chiffres pour l’année 2021 ne sont pas connus. Il est annoncé au niveau national un renfort de 30 inspecteurs supplémentaires et quelques dizaines de plus en 2022, ce qui laisse présager une augmentation pour la région Auvergne-Rhône-Alpes. La parole a ensuite été donnée au public en visioconférence qui s’étonnait qu’il ait fallu attendre un accident pour que la question de l’état des stocks bénéficie d’une meilleure attention. Pour Monsieur Campillo, il est normal d’apprendre de chaque accident, il est toujours plus aisé d’analyser une situation une fois qu’elle a eu lieu et c’est ainsi que des pistes de progrès émergent. Face aux nombreuses réactions s’agissant des conditions de stockage des produits, Monsieur Campillo a admis qu’il faut renforcer les règles applicables au stockage. Une dernière remarque, issue cette fois-ci du SDIS 13, est venue clore les débats, elle concernait le coût des plans de prélèvements environnementaux. Monsieur Campillo a indiqué que ces plans seraient intégralement à la charge des exploitants.

Après cette présentation générale, Monsieur Alexis Miller, inspecteur de l’environnement, a exposé comment ce plan d’actions gouvernemental post-Lubrizol était mis en œuvre dans le département de l’Isère. Grâce à son rattachement au pôle « risques technologiques », Monsieur Miller a pu faire part de son expérience d’inspection des sites SEVESO seuil haut. A la suite de l’accident de Lubrizol, une instruction du ministère de la transition écologique et solidaire, a demandé de rappeler aux exploitants d’installations SEVESO leurs obligations. Il s’agissait notamment de celles concernant la conformité aux engagements pris dans les études de danger, de leur capacité opérationnelle de prévention, de protection et d’alerte, de la tenue à jour d’un inventaire des produits présents sur le site ainsi que de la capacité à gérer un accident en période de moindre activité. Toutes ces demandes ministérielles se sont traduites par un courrier du préfet de région adressé aux exploitants d’installations SEVESO. Ce fut l’occasion de constater que 100% des exploitants du département avaient rapidement apporté une réponse alors que le département compte de nombreux sites SEVESO. Monsieur Miller a poursuivi en s’intéressant au volet inspection et ses modifications après l’accident de Lubrizol. Dès octobre 2019, il y a eu une réorientation du programme d’inspections sur les thématiques citées dans le courrier préfectoral et celles-ci ont été prises en compte dans la programmation des inspections sur 2020. Sur les derniers mois de l’année 2019, une vingtaine d’inspections sur des sites SEVESO isérois ont ainsi permis de contrôler des points spécifiques. Par exemple, il a été abordé la vérification du caractère adapté des moyens de détection et d’alerte ou de la possibilité d’accès à l’inventaire des stocks hors heures ouvrées. Ce fut également l’occasion d’échanger avec les exploitants sur la réalisation d’exercices durant ces périodes particulières (nuit et week-end). Monsieur Miller note à ce propos qu’avant même l’accident de Lubrizol, une inspection inopinée avait permis de faire réaliser un exercice POI. En 2020, l’action sur les mêmes thématiques a été poursuivie, elle a été complétée par la mise en place d’une action prioritaire nationale « Lubrizol 2020 » qui se concentrait sur les capacités de rétention. Suite à ces inspections spécifiques depuis octobre 2019, un arrêté préfectoral complémentaire a été pris, afin de prévoir la tenue d’un inventaire des substances présentes sur site. Deux arrêtés préfectoraux de mise en demeure ont également été nécessaires concernant les moyens matériels et humains pour la gestion d’un incendie. Monsieur Miller a ensuite fait un bilan qualitatif des actions menées par l’inspection. Il en est ressorti une certaine hétérogénéité des constats selon les sites visités, tous présentaient des forces et des faiblesses mais sur différents points. Il a été néanmoins possible de mettre en lumière des lacunes principales comme la nécessité de mettre à jour le POI, un meilleur suivi des exercices POI ainsi que l’importance d’en réaliser en dehors des heures ouvrées. Il y a également eu besoin de rappels sur la mise en conformité des stockages avec les quantités autorisées sur site et sur l’amélioration des inventaires de produits stockés (fréquence, clarté, accessibilité à distance …). Grâce à ces observations, c’est un suivi rapproché de la mise à jour des POI qui a été mis en place et aujourd’hui tous les sites SEVESO seuil haut du département ont un POI datant de moins de trois ans. Cette sensibilisation des exploitants avait déjà été engagée avant l’accident de Lubrizol notamment par la publication des suites d’inspections et la constitution d’outils d’aide à la gestion de crise. Monsieur Miller a terminé son intervention en informant que les cadrages, quant aux établissements riverains de site SEVESO devant être inspectés, étaient en cours de finalisation.

En réaction, la salle a souligné l’utilisation de nombreux termes techniques et sigles dans l’ensemble des interventions et dans cette matière en général, et s’est demandée si cela ne constituait pas un obstacle à la culture du risque industriel attendue au sein de la population. Il est question ici de la relation de confiance recherchée par les exploitants envers les habitants qui peuvent parfois être perdus face à ces termes qualifiés « d’araméen ancien » par le président d’une association de riverains. Madame Thievent signale en retour qu’un glossaire existe sur le site internet « lesbonsreflexes.com » créé spécialement.

Après un temps d’échange entre les interlocuteurs sur cette question de la culture du risque en France, c’est la vision du côté des industriels qui a été présentée grâce à la prise de parole de Monsieur Pierre-Emmanuel Piarulli, directeur de l’usine Umicore Specialty Powders France. L’exploitant a débuté en détaillant quelques-unes des mesures déjà existantes avant l’accident de Lubrizol telle qu’une équipe POI présente en permanence, le site n’étant ainsi jamais laissé sans présence humaine. Des évolutions, suite au courrier préfectoral et à l’accident Lubrizol, ont été mises en place, notamment au sujet d’une communication efficace immédiatement ainsi que l’amélioration de la gestion de l’état des stocks (accès plus facilement hors site et sauvegarde hebdomadaire). La démarche de réduction du potentiel de danger fait partie de la politique d’Umicore depuis de nombreuses années. Monsieur Piarulli l’a illustrée par des exemples de réalisations et chantiers récents dans la maîtrise des risques industriels, voire dans leur suppression. La maîtrise concerne deux principaux risques : le HCL avec une redondance complète sur la protection physique en cas d’épandage et l’hydrogène avec la réalisation d’ouvertures en toiture au-dessus d’un four pour éviter toute accumulation. Pour la suppression du risque, il est fait mention du remplacement d’une chaudière vapeur par une chaudière électrique. Pour faire le lien avec l’accident de Lubrizol, la maîtrise du risque incendie, a été évoqué l’achat en cours des caméras thermiques pour identifier les points chauds en cas de départ de feu. Monsieur Piarulli rappelle à ce sujet que chaque année une grande partie du programme d’investissements poursuivi est affectée à la maîtrise du risque. Selon le directeur de l’usine, les investissements globaux pour l’environnement représenteraient environ 200 000 euros par an.

Cette matinale s’est achevée par de nombreux échanges entre le public et les intervenants confirmant la nécessité pour chaque partie prenante d’avoir des lieux spécifiques pour établir un dialogue. Les nombreux riverains présents démontrent l’intérêt du public pour une concertation avec les industriels et les pouvoirs publics ainsi que pour la maîtrise des risques industriels urbains. L’accident de Lubrizol a également eu pour conséquence de faire émerger de nouvelles attentes informationnelles au sein de la population urbaine vivant à côté de sites à risques. Cette prise de conscience s’accompagne d’inquiétudes grandissantes autour des évolutions règlementaires en la matière.