Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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VERS UN ALLÈGEMENT DES RISQUES FAMILIAUX GRACE AU RENFORCEMENT DU BAR, I. Corpart

Isabelle Corpart,

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

Le bracelet anti-rapprochement (BAR) fait partie des moyens de lutte efficace contre les violences conjugales, raison pour laquelle vient d’être déposée la proposition de loi n° 940 visant à encourager le port du bracelet anti-rapprochement en cas d’aménagement de peine pour les récidivistes de violences conjugales, texte déposé le 28 septembre 2023 au Sénat par Jean-Michel Arnaud.

Mots-clés : violences conjugales – moyens de lutte – interdiction de l’auteur de se rapprocher de la victime – encouragement du port du bracelet anti-rapprochement – dispositif de surveillance électronique – repérage de l’auteur des violences conjugales – soutien accordé aux victimes – mise en place d’une zone de protection.

Les violences conjugales étant au cœur de nombreuses lois pour mieux protéger les victimes, le législateur a mis en place plusieurs moyens de lutte contre les violences dont le bracelet anti-rapprochement (BAR), afin d’éviter que l’auteur des violences fasse courir de nouveaux risques à son conjoint, concubin ou partenaire, même s’ils ne sont plus en couple, mais aussi aux autres membres de la famille car les enfants souffrent également des violences conjugales.

La pertinence du BAR est confirmée depuis que ce mode de protection des victimes a été mis en place (I), mais il faudrait que son port soit encouragé en cas d’aménagement de peine pour les récidivistes de violences conjugales, thème abordé dans la proposition de la loi du 28 septembre 2023 (II).

I – La diminution des risques encourus par les victimes de violences conjugales grâce au bracelet anti-rapprochement

Pour protéger les victimes, un dispositif de surveillance électronique en vue de géolocaliser l’auteur de graves violences conjugales et sa victime, personne protégée, a été mis en place grâce au bracelet anti-rapprochement. Cette mesure contraignante empêche l’agresseur, porteur du bracelet de tenter de se rapprocher à nouveau des membres de sa famille qu’il a violentés. Le juge peut effectivement délimiter un périmètre de protection, zone que l’agresseur n’a plus le droit de franchir, le bracelet permettant de déterminer la distance qui sépare auteur et victime. Le dispositif de la personne protégée est au centre de deux zones : la zone d’alerte (entre 1 et 10km) et la zone de pré-alerte (entre 2 et 20km). L’intérêt du BAR est que, si l’agresseur tente de revenir aux côtés de la victime, elle est prévenue et mise en sécurité, car les forces de sécurité interpellent l’auteur en lui demandant de quitter les lieux, puis préviennent le magistrat en charge du dossier s’il n’obtempère pas et continue de pénétrer dans la zone d’alerte ou ne répond pas à l’appel.

Depuis les changements opérés par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille (JO du 29 déc. ; art. 10 à 14 ; P. Bonfils, Le renforcement de la lutte contre les violences au sein de la famille : commentaire de la loi du 28 décembre 2019, Dr. fam. 1er mars 2020, p. 9 ; I. Corpart, Lutter contre les violences conjugales, encore et toujours, commentaire de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019, JAC n° 193, janvier 2020 ; C. Duparc, Contribution de la loi du 28 décembre 2019 à la lutte contre les violences au sein de la famille, JCP G 17 févr. 2020, p. 322), le BAR a été inscrit dans le droit français, alors que précédemment des tentatives d’expérimentation n’avaient pas abouti et que d’autres pistes avaient été suivies. En effet, la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 (JO du 10 juill. ; I. Corpart, Retour sur la protection des victimes de violences conjugales, commentaire de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010, JAC n° 107, octobre 2010) avait créé à titre expérimental une ébauche du dispositif anti-rapprochement, appelée dispositif électronique de protection anti-rapprochement (DEPAR), mais qui ne concernait que les auteurs de violences conjugales ayant fait l’objet d’une condamnation ; en outre, la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (JO du 5 août) avait déjà mis en place le téléphone en grave danger (TGD), téléphone toujours opérationnel qui permet à une personne victime de violences conjugales d’alerter les autorités publiques en cas de danger imminent.

Conformément à l’article 515-11-1 du Code civil, le juge aux affaires familiales a la possibilité de prononcer dans l’ordonnance de protection la mesure de port d’un bracelet anti-rapprochement, dispositif complémentaire du TGD sous trois conditions, à savoir le consentement des deux parties au port du BAR car elles sont, l’une et l’autre, géolocalisées, l’interdiction de contact et l’interdiction de se rapprocher à moins d’une certaine distance. L’ordonnance de protection prévoit effectivement une interdiction non seulement d’entrer en contact avec la victime, mais également de se rapprocher d’elle en-deçà d’une certaine distance. Dans ce contexte la protection de la victime est automatique puisque, contrairement au TGD, le BAR ne repose pas sur une intervention de la victime car l’auteur des violences peut ne pas encore avoir fait l’objet d’une condamnation. En effet, le bracelet anti-rapprochement vise à la fois les personnes condamnées pour des faits de violences et celles qui sont seulement mises en examen.

Le décret n° 2020-1161 du 23 septembre 2020 relatif à la mise en œuvre d’un dispositif électronique mobile anti-rapprochement a également précisé les modalités du BAR et les conditions dans lesquelles le juge aux affaires familiales peut ordonner le port d’un bracelet anti-rapprochement au titre de l’une des mesures choisies lors de l’ordonnance de protection. D’une part, l’agresseur peut être géolocalisé et d’autre part, il peut être contacté par le centre de surveillance. Depuis ce décret, « les personnes privées habilitées chargées du contrôle à distance du dispositif mobile anti-rapprochement sont placées sous la supervision d’un agent de l’administration pénitentiaire » (CPP, art. R. 61-52).

Lorsqu’une juridiction pénale est saisie sur la base d’infractions, le juge peut mettre ce dispositif en application avant même la condamnation de l’agresseur dans le cadre d’un contrôle judiciaire ou après une condamnation. Conformément à l’article 132-45-1 du Code pénal, pour que soit mis en place le port du BAR, il faut une infraction punie d’au moins 3 ans de prison, commise contre le conjoint, concubin ou partenaire ou l’ex-conjoint, concubin ou partenaire. En outre, la mise en place doit être accordée par la juridiction après la demande ou avec le seul consentement de la victime. Le condamné est avisé que la pose du bracelet ne peut être effectuée sans son consentement mais que le fait de la refuser constitue une violation des obligations qui lui incombent, ce qui peut donner lieu à la révocation de la mesure. Ce dispositif est homologué par le ministre de la Justice, cette mise en œuvre devant garantir le respect de la dignité (CP, art. 132-45-1),

En revanche dans les procédures civiles, l’auteur doit donner son consentement, du coup s’il refuse de porter ce bracelet, le juge aux affaires familiales doit en informer le parquet qui pourra éventuellement diligenter les enquêtes nécessaires afin que l’affaire soit jugée pénalement.

Depuis que le BAR fait partie des outils protecteurs des victimes (même si les faits commis sont antérieurs à l’entrée en vigueur du dispositif : Crim., avis, 22 sept. 2021, n° 21-96.001, note P. Bonfils, Bracelet anti-rapprochement – Conditions d’application du bracelet aux condamnés en exécution de peine, Dr. famille nov. 2021 ; comm. 165 ; note I. Corpart, Extension bienvenue du recours au bracelet anti-rapprochement, moyen de lutte précieux contre les violences conjugales, JAC n° 210, octobre 2021), qu’il s’agisse d’une procédure civile ou pénale relatives à des violences conjugales, le juge peut obliger l’auteur des violences à mettre ce BAR à sa cheville, tout en donnant à la victime un boîtier connecté qui permettra de géolocaliser l’agresseur et de mieux la protéger. En outre, il fixe la durée de cette mesure de port de BAR, dans la limite de six mois, mais il pourra prononcer un renouvellement de cette mesure. Ensuite le personnel de l’administration pénitentiaire convoque l’auteur des violences pour procéder à la pose de ce dispositif dans les conditions prévues par les dispositions des articles R. 631-1 et R. 631-3 du Code pénitentiaire. Dans ce contexte, le décret du 23 septembre 2020 a été complété par l’arrêté du 10 janvier 2023 portant habilitation des personnes auxquelles peuvent être confiées des prestations techniques concernant la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique fixe, du placement sous surveillance électronique mobile et du bracelet anti-rapprochement (JO, 14 janv. 2023). L’intérêt de cette géolocalisation tient au fait que non seulement la victime sait que le membre violent de sa famille tente de se rapprocher d’elle mais surtout que les forces de l’ordre sont alertées.

II – Le renforcement de l’utilisation du bracelet anti-rapprochement pour lutter contre les récidivistes de violences conjugales

La loi n° 2019-1480 du 29 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille a déjà fait avancer les choses car elle a permis au juge de prévenir la répétition des violences commises par le conjoint ou concubin, mais aussi l’ex conjoint ou l’ex-concubin en lui interdisant de se rapprocher de la victime grâce à la pose de cet outil. En outre, le décret n° 2021-1820 du 24 décembre 2021 relatif aux mesures de surveillance applicables lors de leur libération aux auteurs d’infractions commises au sein du couple (JO du 28 déc.) permet d’avertir la victime de la fin de détention de l’auteur de violences conjugales. En effet, en vertu de l’article 144-2 du Code de procédure pénale, toute décision ordonnant la mise en liberté d’une personne placée en détention provisoire peut prévoir qu’elle soit placée sous un contrôle judiciaire avec interdiction de rentrer en contact avec la partie civile dès lors que la mise en liberté est susceptible de faire courir un risque à la victime et, depuis ce décret, cette interdiction peut être renforcée par l’octroi d’un bracelet anti-rapprochement. Il faudrait donc dans ce contexte mieux soutenir la victime afin qu’elle ne soit pas confrontée à de nouveaux risques liés à des récidives de l’auteur.

Le législateur protège bien les victimes grâce aux dernières réformes, néanmoins il faudrait aller encore plus loin et privilégier le port du BAR lors de l’aménagement de peine pour les récidivistes, parce que cela permettrait de mieux contrôler les agissements de l’agresseur. En outre, il ressort de la question écrite n° 26556 du 3 février 2022 que le recours au dispositif du bracelet électronique anti-rapprochement est insuffisant. C’est dommage parce que ce dispositif réclamé depuis longtemps par des associations féministes avait été envisagé lors du Grenelle contre les violences conjugales de 2019. Dans sa réponse ministérielle (JO Sénat 28 avr. 2022, p. 2358), le garde des Sceaux, ministre de la Justice a rappelé que la lutte contre les violences conjugales « est l’une des priorités d’action du Gouvernement » ainsi les procureurs de la République ont été invités à recourir davantage aux ordonnances de protection, au téléphone grave danger et au bracelet électronique anti-rapprochement. Effectivement il relève que début 2022, 995 BAR ont été mis en place mais que 2566 TGD ont, quant à eux, été attribués.

Le texte n° 940 déposé au Sénat le 28 septembre 2023 tient compte de l’aide accordée aux familles grâce au BAR. Vu l’importance du nombre de victimes de violences conjugales, il convient de tout mettre en œuvre pour les protéger plus efficacement et prendre des mesures efficaces contre les auteurs de violences. Il est dangereux que ces derniers puissent se rapprocher encore de leur famille, de nombreuses récidives ayant été constatées au fil du temps. C’est précisément pour bien séparer auteur et victime que le BAR s’est révélé être un outil très efficace de lutte contre les violences conjugales, raison pour laquelle la proposition de loi entend encourager le juge à imposer le port du BAR face aux récidivistes.

Jean-Michel Arnaud, auteur de la proposition de loi a estimé que cet outil demeure sous-utilisé en France et qu’il faudrait que ce dispositif de lutte contre les violences conjugales soit mieux utilisé par les juridictions. Avec ce texte, il œuvre pour la promotion du BAR lors d’aménagement de peine pour les récidivistes. La proposition de loi vise à inciter le juge de l’application des peines à ordonner le port du bracelet anti-rapprochement lorsqu’il décide une mesure d’aménagement de peine. 

Elle envisage la réécriture de l’article 723-30 du Code de procédure pénale : « Sauf décision spécialement motivée du juge de l’application des peines, le condamné placé sous surveillance judiciaire est soumis à une interdiction de se rapprocher de la victime, contrôlée par un dispositif électronique mobile anti-rapprochement dans les conditions prévues à l’article 132-45-1 du code pénal, s’il a été condamné, en état de récidive légale, pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure est encourue. ». Ce texte s’applique aux personnes condamnées pour violences conjugales et placées sous surveillance judiciaire. Il est complété par un ajout dans l’article 731 du Code de procédure civile pour les personnes faisant l’objet d’une libération conditionnelle « Sauf décision spécialement motivée du juge de l’application des peines, la personne faisant l’objet d’une libération conditionnelle est soumise à une interdiction de se rapprocher de la victime, contrôlée par un dispositif électronique mobile anti-rapprochement dans les conditions prévues à l’article 132-45-1 du code pénal, si elle a été condamnée, en état de récidive légale, pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure est encourue. ».

Il serait vraiment dramatique que les membres de la famille soumis à des dangers et qui ont obtenu que l’auteur des violences conjugales soit sanctionné se retrouvent à proximité de cet agresseur et vivent de nouveaux drames. Pour l’heure, il est encore peu recouru au bracelet anti-rapprochement en France et la proposition de loi pourrait faire changer les choses et le généraliser comme c’est déjà le cas en Espagne.

Il faudrait aussi apporter des améliorations dans l’objectif que cet instrument ne soit pas exposé à des risques de dysfonctionnement, point abordé dans une réponse ministérielle (RM du 9 mai 2023 à la QE n° 6529, JO, 9 mai), le ministre de la Justice rappelant qu’« en cas d’éventuel dysfonctionnement du réseau, le service pénitentiaire d’insertion et de probation intervient d’emblée afin de résoudre les difficultés constatées et de sécuriser la personne protégée ». Cet outil doit aussi être mieux géré, le nombre d’acteurs mobilisés dans sa mise en œuvre et son suivi devant sans doute être augmenté. A ce titre, il ressort de la réponse ministérielle qu’« une nouvelle gamme de dispositifs de surveillance électronique sera déployée progressivement à partir du mois de juin 2023, visant à renforcer la qualité du matériel ».

Cette proposition de loi est bienvenue car le BAR permet de réduire le risque de renouvellement des violences conjugales. Il est essentiel de limiter davantage les risques de rencontre entre auteur et victime de violences et de noter que le BAR permet d’assurer en permanence le respect de l’interdiction de l’auteur de contacter la victime et de se rendre dans certains lieux déterminés.

À l’occasion des travaux législatifs, il faudrait toutefois insister aussi sur le fait que, lorsque la personne porteuse de ce bracelet ne s’assure pas du rechargement périodique du dispositif, afin de garantir son fonctionnement à tout moment, cela constitue une violation des obligations auxquelles elle est astreinte, ce qui peut donner lieu à la révocation de son contrôle judiciaire et à son placement en détention provisoire (CPP, art. R. 24-21, créé par le décret du 23 septembre 2020).