Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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COMPTE-RENDU DU SÉMINAIRE DE RECHERCHE « LA PRISE EN CHARGE DES DOMMAGES LIES A LA CRISE : REGARDS FRANCO-JAPONAIS », 1re PARTIE, K. VYSHKA, PROPOS INTRODUCTIFS J. KNETSCH

Jonas KNETSCH
Professeur à l’École de droit de la Sorbonne

Propos introductifs :

Les 30 juin et 1er juillet 2021 s’est déroulée la première session d’un séminaire de recherche consacré à « La prise en charge des dommages liés à la crise sanitaire : regards franco-japonais » et organisé par Jonas Knetsch, alors professeur à l’Université Jean-Monnet Saint-Étienne, et Olivier Gout, professeur à l’Université Jean-Moulin Lyon 3.

Financée et soutenue par le laboratoire CERCRID (UMR 5137) et l’Équipe Louis Josserand (EA 3707), cette rencontre a réuni une quinzaine d’universitaires français et japonais qui ont débattu des différentes questions de responsabilité (civile, administrative et constitutionnelle) autour de la crise sanitaire.

En attendant la publication des actes de ces journées d’études dans les Cahiers Louis Josserand, un compte rendu détaillé, préparé par Klea Vyshka, doctorante au CERCRID, permet de se rendre compte de la richesse des travaux.

La deuxième rencontre est prévue en novembre 2022 à Tokyo. Elle portera sur la réparation des dommages liés à la crise sanitaire.

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Klea VYSHKA

Doctorante à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne
Membre du CERCRID

Session 1 : Les responsabilités liées à la Covid-19

 – Première partie –

Les 30 juin et 1er juillet 2021 s’est déroulée à l’Université Jean Moulin (Lyon 3) la première partie d’un séminaire de recherche organisé à la suite d’une collaboration franco-japonaise entre deux équipes françaises, le CERCRID de l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, l’unité de recherche Louis Josserand de l’Université Jean Moulin et des équipes japonaises de la Graduate School of Law and Politics de l’Université de Tokyo. Les experts se sont réunis dans le but de proposer un état des lieux des différentes responsabilités envisageables dans le cadre de la crise sanitaire, avec un focus sur la prise en charge des dommages liés à la pandémie, dans une perspective de droit comparé.

Les propos introductifs des trois organisateurs, professeur Taro Nakahara de l’Université de Tokyo, professeur Olivier Gout de l’Université Lyon 3 et professeur Jonas Knetsch de l’Université de Saint Etienne ont souligné la particularité de ces temps instables depuis plus d’un an, ce qui permet aux chercheurs de croiser des réflexions sur des sujets nouveaux, inédits. D’ailleurs ce sont ces particularités aussi qui contraignent les équipes à se réunir en hybride, faisant face à des fuseaux horaires très divers.

La matinée s’est ensuite poursuivie avec la première grande thématique des responsabilités publiques, examinée sous l’angle de la responsabilité administrative et constitutionnelle.

Première journée

Thème 1 : Les responsabilités publiques

Responsabilité administrative

Monsieur Tomonari Tsuda, professeur adjoint à l’Université de Hokkaido, s’est focalisé sur la possibilité d’engager la responsabilité administrative pour les dommages causés par les mesures de lutte contre la pandémie. Il souligne d’abord qu’il est effectivement possible qu’une responsabilité pour ou sans faute des personnes publiques en droit japonais soit reconnue pour les dommages subis par les particuliers ou citoyens à la suite d’actions de l’administration ou du législateur, selon le cas en question. Durant la crise sanitaire au Japon, le débat s’était plutôt concentré sur la responsabilité administrative liée aux mesures restrictives pour certains établissements. A travers sa contribution, Monsieur Tsuda souhaite répondre à la question de savoir s’il serait possible d’engager la responsabilité administrative des personnes publiques, en tenant compte certaines spécificités des mesures restrictives appliquées au Japon. En effet, celles-ci, contrairement à l’exemple français, prennent la forme des « demandes d’abstention d’ouverture » ou « demande de réduction des heures d’ouverture », ce qui finalement n’oblige pas les destinataires de s’y conformer et n’entraine aucune sanction juridique.

Afin de répondre à cette question, Monsieur Tsuda commence par expliquer la nature juridique de la demande d’abstention comme particularité des mesures de lutte contre la Covid-19 en Japon : la dépendance au droit souple. Au Japon, ces demandes d’abstention se fondent essentiellement sur la « Loi sur les mesures spéciales pour la lutte contre les nouveaux types de grippe et certaines autres maladies infectieuses » (appelée également loi pandémique). La loi pandémique encadre la déclaration d’état d’urgence ainsi que la prise des mesures restrictives pas les gouverneurs des départements afin de prévenir la propagation de telles maladies. Il est important de mentionner ici que ces mesures ne sont pas des « ordres » qui impliquent des obligations légales, mais simplement des demandes, classées selon le Code de procédure administrative dans la catégorie des « directives administratives » (Gyosei Shido). La caractéristique phare serait donc leur nature non-obligatoire et une interdiction pour l’administration de désavantager le destinataire s’il décide de ne pas s’y conformer. Malgré ces caractéristiques, la majorité des établissements visés par un Gyosei Shido, se sont finalement conformés aux directives des pouvoirs publics. Afin de soutenir l’économie locale, le gouvernement japonais a également mis en œuvre diverses politiques d’indemnisation comme les subventions spéciales au maintien des entreprises en activité, l’adaptation de l’emploi et des aides au paiement des loyers, entres autres. Monsieur Tsuda révèle que malgré tout, un certain nombre de citoyens japonais considèrent ces indemnisations comme insuffisantes. Alors, si des recours aux tribunaux auront lieu, quelles seraient les décisions prises par ceux-ci ?

La loi « sur la responsabilité de l’État » de 1947 (Kokka-baisho-hō) permet aux intéressés de saisir le tribunal judiciaire s’ils considèrent que la demande d’abstention d’ouverture est illégale, et d’obtenir réparation du dommage (responsabilité pour faute fondée sur le Kokka-baisho-hō). De même, les intéressés peuvent saisir le tribunal en vertu de l’article 29 de la Constitution japonaise de 1946, dans les cas où ils estiment que ces demandes d’abstention étaient légales, mais que la compensation prévue par les autorités publiques n’était pas « juste » selon le texte de cet article (responsabilité sans faute en vertu de la Constitution).

En se concentrant d’abord sur la responsabilité pour faute, Monsieur Tsuda explique que pour engager la responsabilité de l’État au Japon, un critère essentiel à établir serait l’illégalité de la demande d’abstention. Néanmoins, étant donné que la base juridique de ces directives administratives est formulée de façon très abstraite et générale et que le gouverneur a une large marge de manœuvre dans la question, ce ne serait pas facile pour le tribunal de déterminer concrètement le contenu de ce devoir. La réflexion poursuivit avec la possibilité pour l’intéressé d’invoquer cependant l’illégalité de la demande d’abstention en s’appuyant sur une éventuelle violation du principe de proportionnalité : en effet certains établissements présentent un risque relativement faible de contribuer à la propagation du virus (exemple pris d’un musée vis-à-vis d’un karaoké, où la transmission par gouttelettes serait moins importante). Cependant, ici aussi le tribunal peut hésiter à établir l’illégalité, en raison que les données scientifiques liées à la transmission du virus n’étaient pas suffisamment nombreuses, qu’il n’y avait pas de prévisibilité notamment face aux multiples variants du virus ou qu’il s’agissait d’une mesure de précaution finalement acceptable.

Poursuivant sur la question de responsabilité sans faute, il y a lieu de rappeler que pour que la responsabilité administrative soit engagée sur la base de la Constitution japonaise, il est nécessaire que le préjudice relève d’un « sacrifice spécial » consenti dans l’intérêt général, qui excède les charges qui doivent normalement être supportées par l’intéressé. Cependant, pour que la Constitution soit applicable à notre situation, l’acte visé doit avoir un caractère obligatoire, ce qui n’est pas le cas pour les Gyosei Shido. Ensuite, il convient de déterminer s’il y a sacrifice spécial en la matière. Le fait que l’acte en question a un caractère assez général, est d’habitude considéré au Japon comme un facteur qui exclut l’existence d’un sacrifice spécial (comme dans le cas des dommages causés par des actes de guerre engagés par l’État), ce qui peut justifier l’hésitation du juge à reconnaitre l’existence d’un sacrifice spécial dans le cas des mesures restrictives contre la Covid-19.

Finalement, les intéressés seront effectivement en mesure d’essayer d’engager la responsabilité administrative à la suite des demandes d’abstention d’ouverture, mais ils devront néanmoins surmonter un nombre non-négligeable de difficultés. Ce combat sera particulièrement difficile, à moins qu’il s’agisse d’un cas exceptionnel où l’existence de l’illégalité ou du sacrifice spécial est incontestable.

La discussion s’est ensuite poursuivie avec l’intervention du professeur Hervé de Gaudemar de l’Université Jean Moulin Lyon 3 qui a souhaité éclairer l’audience sur des questions de la responsabilité de l’État lié à la crise sanitaire sous le prisme du droit français. La crise de la Covid-19 marque quelque peu le « règne de l’administration » qui a été omniprésente en France ou bien même écrasante selon certains auteurs. Cela étant dit, il serait impossible de qualifier d’arbitraire l’action administrative, puisqu’elle est restée derrière les lignes de l’état de droit, ce qui forme dans le régime administratif français le principe de légalité et responsabilité administrative. Le professeur de Gaudemar constate que pendant la crise, les limites de la légalité administrative ont rencontré un certain degré d’élasticité, au point même de parler d’une forme de « domestication » de la justice administrative.

L’assouplissement des conditions de la légalité pendant la crise ferait partie du régime administratif selon la théorie des circonstances exceptionnelles et c’est dans ce cadre que le Premier ministre français a déclaré le confinement généralisé de la population en mars 2020 (« vu les circonstances exceptionnelles découlant de l’épidémie […] vu l’urgence […] »). Ensuite, le professeur de Gaudemar a fait référence à l’adoption de la loi du 23 mars 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire. Introduite dans le code de la santé publique, cette loi constitue donc le socle des mesures prises par l’administration pour la situation sanitaire. Ce qui sera important pour l’intervenant afin de continuer ce débat, c’est de retenir qu’après un avis du Conseil d’Etat, ce régime instauré par la loi de l’état d’urgence sanitaire prévoit une exonération de responsabilité des professionnels en cas de dommages découlant des mesures administratives prises ainsi que la prise en charge des préjudices par l’Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux (ONIAM). Pour le professeur de Gaudemar, les préjudices subis par les victimes dans ce cadre sont donc susceptibles d’occasionner l’intervention d’un régime de responsabilité administrative sans faute, reposant sur le mécanisme de la solidarité nationale. L’intervenant remarque également que les précédentes crises sanitaires peuvent beaucoup nous apprendre dans la gestion de cette nouvelle crise de la Covid-19. Deux éléments peuvent être retenus sur ce prisme : la détermination d’une carence fautive et la mobilisation de la solidarité nationale.

Sur la carence fautive, il convient de mentionner que c’est le fondement de l’engagement de la responsabilité administrative dans ces situations de crise sanitaire. Quelle faute pourrait-on reprocher à la personne publique pour une crise qui apparemment est lié à la nature ? Comment définir cette faute ? C’est un débat qui se renouvelle en permanence, notamment dans des situations de crise. Dans ce cadre, le professeur de Gaudemar se pose la question de savoir comment apprécier les carences fautives. En matière sanitaire, la responsabilité pour carence fautive est une responsabilité pour faute simple : nous pourrons constater en s’appuyant sur des arrêts célèbres de la jurisprudence française comme celui du sang contaminé ou de l’Amiante, que la démarche du juge est très pragmatique. Cette démarche consiste à apprécier si, au regard des connaissances du danger, l’Etat a réagi comme il devrait le faire ou pas. Mais il y a aussi une appréciation délicate à faire sur le délai de cette réaction. A partir de quel délai, l’inaction de l’Etat devient une faute ? Prenant l’exemple de l’arrêt Mediator, où l’ANSM après avoir été informée des risques du médicament, le retire du marché uniquement 10 ans plus tard, et en le comparant avec l’enchainement important des arrêtées portant sur des mesures relatives à la lutte contre la Covid-19, arrêtées prises assez rapidement par le gouvernement et qui subissaient des évolutions importantes site à la propagation du virus, pour le professeur de Gaudemar il semble donc difficile d’identifier une carence fautive de l’Etat.

Sur le terrain de la solidarité nationale, il convient de rappeler que nous sommes devant un régime de responsabilité sans faute. En droit administratif il peut donc y avoir une responsabilité de l’Etat sans faute pour des actes administratifs individuels, mais aussi un engagement de la responsabilité de l’Etat sans faute du fait de la législation. Sur le premier point, en droit français, un acte administratif règlementaire donc légal, peut engager la responsabilité sans faute de la personne publique et ce sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques. En matière de police sanitaire en revanche, le principe qui règne est celui de la précaution et il y a une jurisprudence claire (arrêt Rigal) qui détermine que la protection de la santé publique exclut l’engagement de la responsabilité d’une puissance publique en absence de faute. Dans ce cadre, il semble improbable que la responsabilité sans faute soit engagée. En revanche, c’est le mécanisme de la solidarité nationale qui est prévu et qui est la base de la responsabilité de l’Etat.

Sur ce fondement les précédents sont parlants : les affaires du sang contaminé, du Mediator, de la vache folle… Pour répondre à des crises, l’Etat met en place des mécanismes d’indemnisation qui reposent sur la solidarité nationale et la crise de la Covid-19 ne fait pas exception.  L’ONIAM couvrira dès lors la responsabilité des professionnels de santé lorsqu’ils performent des actes médicaux, des prescriptions et des vaccinations liés à des mesures, à des recommandations de l’Etat pour lutter contre la Covid-19. Le professeur de Gaudemar inclut ici la vaccination, car même si celle-ci n’est pas (encore) obligatoire, elle est règlementée, encouragée, prévue, insérée dans le cadre des mesures qui sont liés à la crise donc elle est couverte par l’ONIAM au titre de l’article L-3131 du Code de la santé publique. Finalement l’Etat engagera sa responsabilité en cas d’accident médical lié à la vaccination.

Responsabilité constitutionnelle

La discussion de cette matinée se poursuit avec l’intervention du professeur David Mongoin de l’Université Jean Moulin Lyon 3, qui aborde la thématique sous l’angle de la responsabilité constitutionnelle. Selon le professeur Mongoin, le terme de responsabilité fait partie du fonds commun du droit, nous pourrons le retrouver en droit public, comme en droit privé et lorsqu’on traite la responsabilité en droit constitutionnel, les notions d’indemnisation ou de réparation ne sont pas très présentes (ou sinon la réparation est considérée comme « symbolique »). Avant de continuer avec son intervention, le professeur Mongoin rappelle à l’audience qu’en matière de responsabilité constitutionnelle il convient de distinguer, malgré la difficulté, la responsabilité politique et la responsabilité pénale. Il nous invite à écarter la responsabilité civile, en raison de la distorsion qu’il y a entre les fautes que les gouvernants peuvent commettre et le patrimoine privé dont on parle. Il faudrait également garder à l’esprit que la responsabilité publique en droit français s’est construite sur une conception objective : les titulaires de la fonction publique sont titulaires spécifiquement de compétences objectives, ce qui nous induirait à concevoir une responsabilité assez distincte.

Revenant sur la responsabilité pénale et politique, l’intervenant estime qu’il n’est pas absurde de considérer qu’un élément-clé de la responsabilité publique serait de rendre des comptes, directement ou indirectement devant le peuple, alors que la responsabilité juridique dans le cadre du droit français consiste plutôt à répondre de ses actes devant la justice. Ces deux types de responsabilité n’ont donc ni le même fondement, ni le même champ d’application. Sur le terrain du fondement, cela apparaît comme évident. En effet, alors que la responsabilité juridique est individuelle en vertu du principe d’autonomie de la volonté, la responsabilité politique est toujours collective, en vertu du principe de la solidarité gouvernementale qui régit les régimes démocratiques parlementaires comme la France.

Pour revenir à la question de la responsabilité constitutionnelle dans le cadre de la crise sanitaire, le professeur Mongoin se pose la question de savoir quels seraient les mécanismes de responsabilité qui relèvent du droit constitutionnel ? Dans ce cadre, cette responsabilité est considérée comme étant rattachée au droit administratif. En ce sens, on distingue la responsabilité pour faute de l’Etat de différente de celle des ministres ou gouvernants qui agissent en son nom, ainsi que la responsabilité du fait d’une loi qui serait déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel.

Mais comment engager cette responsabilité ? Le professeur Mongoin qualifie ce cas de très surprenant, car la demande de réparation ne sera possible que dans les limites qui seront fixées par le Conseil constitutionnel, qui finalement peut même écarter complètement le principe de responsabilité. Un élément important à prendre en compte serait le fait que le dommage doit trouver sa cause directe dans l’application de cette loi déclarée inconstitutionnelle. Finalement, il serait possible d’imaginer l’engagement de la responsabilité de l’Etat du fait des lois déclarées inconstitutionnelles et dans le cadre de la crise sanitaire il ne faut pas oublier qu’il y a un grand nombre de lois entrées en vigueur, notamment des lois relatives à l’urgence. Evidemment dans ce cas de figure et afin d’obtenir des dommages et réparation des préjudices, la difficulté pour les personnes concernées serait d’établir un lien direct entre le dommage subi et l’inconstitutionnalité de la loi.

La responsabilité administrative et constitutionnelle s’est inspirée du droit privé : le professeur Mongoin évoque ici des procédures prévues dans la Constitution, comme l’article 20 sur la responsabilité du gouvernement, l’article 50 sur l’obligation de démissionner pour le gouvernement et l’article 49 sur les mentions de censures de l’Assemblée Générale. Cependant, dans le cadre de la crise, aucune de ses procédures n’est mise en œuvre, alors même que les conditions étaient réunies. Cela alimente en plus le sentiment général que la responsabilité politique en France ne fonctionne pas.

Le professeur Mongoin fait ici un parallélisme assez parlant entre la responsabilité politique et les températures de l’air. La responsabilité politique fonctionnerait donc un peu comme les températures : il y a une responsabilité effective, réelle et ressentie. Dans le cadre de la crise sanitaire et après avoir distingué les deux versants de la responsabilité politique (un positif, donc rendre compte et un négatif, rendre des comptes), on s’aperçoit effectivement que la responsabilité politique a plus ou moins bien fonctionné. Le gouvernement a rendu compte de son action, que ce soit à travers des procédures classiques devant le Parlement, mais aussi devant les Français, ou que ce soit à travers des procédures particulières comme les commissions d’enquêtes qui ont mis en lumière des défaillances par exemple en matière d’approvisionnement de masques. Si cette responsabilité politique dans son versant positif ne semble pas être suffisante, ce serait à cause de la « déformation » de cette responsabilité qui n’est appréhendée qu’en son versant négatif. Cela expliquerait aussi une envie pénale qui suivrait et qui ferait le glissement progressif de la responsabilité politique vers celle pénale.

C’est aussi une raison pour laquelle l’individu requérant peut et veut rechercher la responsabilité pénale des ministres. La Constitution a mis en place sur ce point une juridiction particulière, la Cour de justice de la République qui est compétente pour juger les ministres pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, qui constituent des crimes ou délits au moment où ils sont commis. Le professeur Mongoin constate que pendant la crise sanitaire ce mécanisme a bien fonctionné : cette cour a reçu plusieurs plaintes déposées contre le gouvernement.

Mais ce glissement est-il finalement pertinent et judicieux ? Selon l’intervenant nous sommes confrontés à une impasse juridique car la responsabilité pénale reposerait sur la réunion des conditions difficiles à remplir. En plus, la composition et le fonctionnement de la Cour de justice de la République seraient problématiques : si les plaintes sont jugées recevables, la procédure dure habituellement des années. Des difficultés redoutables sur l’administration de la preuve sont aussi identifiées.

Pour conclure, de façon générale et paradoxale le professeur Mongoin estime qu’il y a actuellement une nouvelle action politique qui s’élabore dans les régimes démocratiques : plus il y a de responsables, moins il y a de responsabilités. C’est certes contre-intuitif, mais cela reste une action qui est problématique.

Thème 2 : La responsabilité civile

La responsabilité de l’employeur et des établissements d’accueil pour personnes âgées

L’intervention du professeur Ippei Ohsawa de l’Université de Senshu a orienté la discussion de l’après-midi sur des questions relatives à la responsabilité civile et plus précisément sur les fondements et les conditions de la responsabilité des entrepreneurs en cas de contamination à la Covid-19. Dans son intervention, le professeur Ohsawa a englobé les employeurs et les établissements d’accueil pour personnes âgées sous le terme d’« entrepreneurs » dans un objectif de simplification. Il est vrai que des foyers de contamination et de propagation du virus se développent quotidiennement dans les bureaux, les usines ou encore dans les établissements d’accueil pour les personnes âgées. Même si en droit japonais il n’y a encore eu aucun jugement des tribunaux concernant la responsabilité civile des entrepreneurs sur cette question précise, il est possible que celle-ci soit invoquée dans un futur proche.

Pour le professeur Ohsawa il est important de rappeler d’abord que lorsque le dommage lié à la contamination à la Covid-19 est causé à l’occasion du travail ou au sein d’un établissement, les deux régimes de responsabilité civile, contractuelle et extracontractuelle, peuvent s’appliquer. Il faudrait également souligner que le droit japonais adopte le principe de cumul des deux responsabilités et que la victime peut choisir le régime sur lequel elle fondera sa demande en réparation. En droit japonais, il est fréquent pour les victimes de choisir la responsabilité contractuelle dans ces situations et c’est pour cela que l’intervention s’est plutôt concentrée sur la responsabilité contractuelle. Une autre spécificité mérite d’être soulignée, à savoir la nature forfaitaire en droit japonais des prestations des accidents du travail, qui ne couvrent pas l’intégralité des préjudices subis par les victimes. Ainsi, en droit japonais la responsabilité civile viendra compléter les mesures qui sont à la disposition des employés pour obtenir réparation des préjudices.

Afin d’envisager l’application du droit japonais de la responsabilité contractuelle aux infections contractées pendant le travail ou lors d’un séjour en établissement, le professeur Ohsawa a traité successivement dans son intervention du manquement au contrat, du lien de causalité et de la réparation du préjudice. La victime peut donc d’abord invoquer le manquement à l’obligation de sécurité de l’entrepreneur et dans ce cadre, s’il y a insuffisance des mesures préventives, nous pourrions envisager qu’il y aurait manquement à l’obligation contractuelle de sécurité. Une limite importante au recours à l’obligation de sécurité serait cependant le fait que la jurisprudence la considère comme une obligation de moyens. Ainsi, si l’entrepreneur ne prend pas uniquement des mesures dites « matérielles » (installation des ventilateurs), mais incite ou oblige les employés à appliquer certains gestes (le port du masque obligatoire, manger en respectant la distance sociale, etc.), il pourra être exonéré de sa responsabilité contractuelle. En somme, tous les risques posés par la pandémie ne sont pas supportés par l’obligation de sécurité de l’entrepreneur. Selon la loi d’indemnisation des accidents de travail en droit japonais, lorsque l’infection d’un employé a été causée « sous le contrôle de son employeur », il est possible d’obtenir l’indemnisation via la règlementation des accidents du travail, même si l’employeur respecte son devoir de sécurité. Cependant, étant donné qu’à la base le risque d’infection dans le lieu de travail est partagé entre employé et employeur, et compte tenu par ailleurs de l’obligation pour l’employé de se rendre au lieu du travail (au Japon le télétravail n’est toujours pas très bien développé), le professeur Ohsawa s’interroge sur la perspective de qualifier l’obligation contractuelle de sécurité d’obligation de résultat.

Il reste néanmoins difficile de reconstituer ce que le professeur Ohsawa appelle l’itinéraire de la Covid-19, donc la chaine de contamination d’une infection à l’autre pour pouvoir identifier le lien de causalité. Alors que pour le personnel médical, l’infection dans le lieu du travail est présumée par la loi sur les conditions de travail, pour d’autres employés, il faudrait une évaluation « au cas par cas ». En ce qui concerne finalement la réparation des préjudices causés, il est intéressant de savoir que le Japon se considère comme une société de « partage de charge » ou autrement dit que le droit japonais est plus favorable à une exonération partielle du responsable en raison de certaines prédispositions de la victime (dans le cadre de la crise sanitaire, ce peut être par exemple des caractéristiques telles comme l’obésité, l’âge, le manquement aux gestes barrières, etc.). En effet, même si les textes n’admettent pas directement une exonération basée sur d’autres éléments que la faute de la victime, il est de jurisprudence constante au Japon qu’il est possible d’exonérer le responsable lorsqu’il y avait certaines prédispositions physiques ou mentales de la victime. Finalement, l’intervenant remarque que des nombreuses questions soulevées par la pandémie, même dans un contexte exceptionnel, ne sont pas pour autant nouvelles.

Après cet exposé du droit japonais, Madame Morane Keim-Bagot, professeure au Centre Innovation et Droit de l’Université de Bourgogne, s’est concentrée sur les questions de la responsabilité de l’employeur en droit français sous l’angle du droit de la sécurité sociale. Elle a rappelé que depuis le début de la crise sanitaire, les travailleurs ont été soumis à de nombreux risques, notamment des risques économiques, de désocialisation, d’hyperconnectivité et évidemment de contamination par le virus dans le milieu professionnel, ce qui a soulevé la question de la santé ay travail. En citant le professeur Ohsawa, la professeure Keim-Bagot concède qu’aussi en droit français, l’on reste sur des questionnements classiques, mais également sur des solutions classiques.

En droit français, la question de la responsabilité de l’employeur s’envisage donc classiquement sous deux angles, celui du droit du travail et celui du droit de la sécurité sociale et ce sont ces deux principaux angles qui vont structurer l’intervention de la professeure Keim-Bagot. Il faut rappeler ici rappeler que depuis l’introduction des risques professionnels en droit de la sécurité sociale, celui-ci va s’appliquer exclusivement dès lors qu’une atteinte physique ou psychique à la santé de l’employé s’est matérialisée. En revanche, les mécanismes du droit du travail seront applicables lorsque le travailleur a été exposé au risque, mais que ce risque ne s’est pas matérialisé. Seulement dans ce cas, l’employé pourrait mettre en œuvre des actions en se fondant sur la responsabilité contractuelle de l’employeur et plus précisément sur le manquement à l’obligation de sécurité. Mais finalement quel serait le dommage ou le préjudice réparable alors que le risque ne s’est pas matérialisé ? Cependant, au moment de l’intervention, aucune action n’avait été fondée sur ce manquement de l’obligation de sécurité dans le contexte de la crise sanitaire, et c’est pour cela que l’intervention sera plus focalisée sur les questions du droit de la sécurité sociale et la question de la prise en charge des dommages.

Après cette introduction, la professeure Keim-Bagot entre dans le vif du sujet en commençant par un exposé des mécanismes d’imputabilité et de responsabilité en droit de la sécurité sociale. Pour commencer, en droit français, le droit des risques professionnels pour les accidents du travail et les maladies professionnelles ne repose pas stricto sensu sur un mécanisme de responsabilité, mais sur un mécanisme d’imputabilité, système connu également sous le nom de « deal en béton », car bien qu’il repose sur une reconnaissance facilitée du régime de la réparation pour la victime, il est associé en contrepartie à une réparation seulement forfaitaire. La professeure Keim-Bagot note cependant que nous avons souvent tendance à nous arrêter à cette présentation sommaire, en omettant la deuxième concession imposée aux victimes en droit social, qui est l’immunité civile de l’employeur. Ainsi l’article L451-1 du Code de la sécurité sociale dispose que sous réserve de quelques exceptions, comme la faute intentionnelle de l’employeur, « aucune action en réparation des accidents et maladies mentionnés (risques professionnels) ne peut être exercée conformément au droit commun, par la victime ou ses ayants droit ». Il est ainsi évoqué que la qualification de risque professionnel enferme les travailleurs dans un système propre au droit de la sécurité sociale.

Pour la suite de la discussion, l’intervenante se concentre d’abord sur cette même qualification des risques professionnels, pour ensuite aborder la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Avant d’évoquer premier point, il convient de s’interroger sur l’intérêt d’une qualification spéciale pour l’accident de travail et la maladie professionnelle. Comme cela a été mentionné, il ne s’agit pas tout à fait d’une réparation, mais d’une prise en charge. Selon la professeure Keim-Bagot, les indemnités journalières sont certes plus élevées lorsque le travailleur est face à un risque professionnel, que face à une simple maladie, la réparation des séquelles de la Covid-19 reste forfaitaire et elle ne semble présenter pour les victimes que très peu d’avantages. Ainsi, seule la possibilité de demander la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur peut représenter un intérêt en termes d’indemnisation.

En France, le traitement juridique de la contamination par le virus pour les travailleurs touchés dans le milieu professionnel semble témoigner d’une tendance à ne pas appréhender ce risque de contamination comme risque professionnel. Le dispositif mis en place pour indemniser les séquelles des travailleurs contaminés ne se concentre que sur ceux dont la santé est le métier, en d’autres termes les soignants. L’intervenante a rappelé qu’en début de confinement le ministre de la Santé a déclaré que la Covid-19 serait automatiquement et systématiquement reconnu comme maladie professionnelle pour les soignants et qu’on trouverait donc une sorte d’automaticité dans la reconnaissance de la Covid-19 comme malade professionnelle sans démonstration de l’imputabilité au travail, et ce uniquement pour les soignants. On ne peut donc pas s’empêcher de constater un potentiel hiatus entre les soignants d’un côté et la masse hétérogène de travailleurs d’autre côté. Tout cela pour en finir finalement avec un décret de 14 septembre 2020 permettant cette reconnaissance, mais dans des conditions jugées extrêmement restrictives par l’intervenante. Toutefois, pour tout autre soignant qui présente les symptômes graves de la Covid-19, mais ne répond pas stricto sensu aux conditions prévues par le décret, il a été créé un comité régional ad hoc unique en France composé de médecins experts chargés de déterminer si la maladie présente un lien direct avec le travail habituel de la victime. Finalement, la professeure Keim-Bagot déplore que nous sommes ainsi très loin du caractère automatique de la reconnaissance.

L’attention doit également être portée sur la qualification de l’accident de travail. Est-ce que des maladies accidentelles telles que la Covid-19 devraient être prise en charge au titre de l’accident de travail ? Ceci peut être possible, mais la jurisprudence affirme que la lésion qui survient en dehors du temps de travail ne peut être réparé au titre de la législation des accidents du travail que si elle a sa cause dans un traumatisme survenu sur le lieu de travail, et une simple contagion ne peut être assimilé à un traumatisme. L’élément-clé serait dont la soudaineté de la lésion et concrètement cela signifierait que la victime démontre la preuve de la matérialité de l’accident, qui est soit un évènement brutal, traumatisme au lieu du travail, soit un déclenchement brutal de symptômes au travail, pour que l’accident du travail puisse être qualifié comme tel.

Pour en finir, la reconnaissance de risque professionnel conditionne aussi celle de la faute inexcusable d’employeur, comme la seule action directe qui existe entre salarié et un employeur en matière de maladie professionnelle. Cependant, la faute inexcusable n’ouvre pas droit à une réparation intégrale et peut se matérialiser quand l’employeur expose ses salariés à des risques et qu’il ne prend pas de mesures de protection. La condition sine qua non de la reconnaissance d’une telle faute est la reconnaissance du dommage ce qui est très marginal. La professeure Keim-Bagot constate finalement, du fait de l’exclusivité du système des risques professionnels, qu’il n’existe pas de mécanisme de responsabilité de l’employeur et la faute inexcusable ne permettra pas forcément de mettre en œuvre cette responsabilité.

Monsieur Nicolas Rias, maître de conférences à l’Université Jean Moulin Lyon 3, s’est concentré sur la responsabilité des établissements accueillant des personnes âgées. Ce type d’établissement est soumis au Code de l’action sociale et des familles et le cadre juridique qui s’applique à l’accueil de personnes âgées est, soit un contrat de séjour, soit un document individuel de prise en charge. Le contrat de séjour est normalement obligatoire lorsque le séjour est supérieur à 2 mois de façon continue ou discontinue. Entre la qualification comme contrat de séjour ou contrat de bail dans des situation d’accueil de personnes âgées par ces établissements, il ne faudra pas oublier que la Cour de cassation s’est exprimée en faveur de la qualification exclusive pour le contrat de séjour, puisqu’il n’existe pas d’obligation de sécurité en matière de bail.

De manière résiduelle, s’il n’y a pas de contrat de séjour, nous devons nous tourner vers le document individuel de prise en charge. Si la personne âgée signe ce document individuel, nous pouvons considérer qu’il y a une relation contractuelle entre elle et l’établissement d’accueil. Si pour une raison ou pour une autre, cette signature est refusée, le document de prise en charge sera considéré comme un acte juridique unilatéral créateur d’obligations selon l’article 1100 et suivants du Code civil. Monsieur Rias identifie deux grandes catégories de dommages pour lesquels la crise de la Covid-19 a été l’origine dans les établissements accueillant des personnes âgées : la contamination virale des résidents et l’atteinte aux droits fondamentaux des résidents.

Sur le terrain de la responsabilité consécutive à la contamination, la nature de cette responsabilité changera selon le cadre juridique : soit on sera face à un contrat de séjour, soit à un document individuel de prise en charge. Lorsqu’un contrat de séjour a été conclu, la responsabilité peut être contractuelle ou extracontractuelle selon qu’il existe ou non une obligation de sécurité dans le contrat. Les dispositions consacrées au contrat de séjour ne précisant pas si le contrat contient une obligation de sécurité, il est nécessaire de se tourner vers l’article L 311-3 du Code de l’action sociale et des familles qui énonce qui sont assurés à personne âgée dans le cadre de son séjour en établissement d’accueil : « le respect de sa dignité, de son intégrité, de sa vie privée, de son intimité, de sa sécurité (…) ». Sur le fondement de cette disposition, Monsieur Rias identifie une obligation de sécurité mise à la charge des établissements. Cette obligation serait-elle légale ou contractuelle ? Bien qu’à la lecture du texte mentionné, il serait intuitif de la qualifier d’obligation légale, la jurisprudence a décidé d’en faire une obligation contractuelle. Cela signifie qu’en cas de conclusion de contrat de séjour, l’action serait donc fondée sur la responsabilité contractuelle pour manquement à l’obligation de sécurité.

Cependant, lorsqu’aucun contrat de séjour n’a pas été conclu, il convient de se tourner vers le document individuel de prise en charge. Dans cette hypothèse, la nature de la responsabilité encourue ne semble pas différente lorsque la personne âgée a signé ce document. Il en est autrement lorsque la personne âgée ne signe pas le document individuel de prise en charge. Ce document est un acte unilatéral, un engagement et par conséquence, un acte créateur d’obligations pour celui qui le souscrit. Il devrait donc être possible d’appliquer les règles de la responsabilité contractuelle aux engagements unilatéraux.

Reste à savoir comment peut être mise en œuvre cette responsabilité contractuelle. Pour engager la responsabilité il faut notamment réunir quelques éléments qui sont le fait générateur, le dommage et le lien de causalité. Toujours dans le cadre de la crise sanitaire, la condition relative à l’existence d’un dommage ne soulève pas de problèmes particuliers, il suffira d’établir l’infection de la personne. La condition relative au lien de causalité ne pose pas non plus des problèmes particuliers par rapport à cette hypothèse de « droit commun ». Ce qui peut poser des questions cependant c’est l’identification du fait générateur (donc le manquement à l’obligation contractuelle). Est-ce que ce manquement s’analyse en la violation d’une obligation de résultat (l’établissement peut se voir engager sa responsabilité sans faute dans ce cas) ou une obligation de moyens (responsabilité pour faute) ?

Monsieur Rias constate dans ce contexte que les dispositions du Code de l’action sociale et des familles ne nous renseignent pas sur l’intensité de l’obligation contractuelle de sécurité. La qualification va donc dépendre de la part du créancier dans l’exécution de cette obligation et puisque dans le cadre de la contamination avec le virus cette obligation serait partagée (chacun veille au respect des gestes barrières), l’obligation mise à la charge des établissements serait plutôt de moyens. Dès lors, il conviendrait d’établir la faute de l’établissement. Pour les contaminations en début de crise sanitaire, cette faute sera sans doute plus difficile à établir, étant donné que l’on ne pourra pas reprocher à l’établissement de ne pas avoir suivi un protocole sanitaire qui à l’époque n’existait même pas. En revanche, lorsque la crise sanitaire était bien installée, le non-respect du protocole sanitaire et des règles spécifiques peut effectivement être constitutif d’un manquement contractuel.

La deuxième variété de dommages causés par la crise sanitaire dans les établissements accueillant des personnes âgées serait ensuite les dommages consécutifs à l’atteinte aux droits fondamentaux des résidents. L’approche employé par Monsieur Rias sur cette thématique reste la même, à savoir un premier questionnement autour de la nature de la responsabilité pour cette catégorie de dommages, ensuite la mise en œuvre de cette responsabilité.

En ce qui concerne la nature de la responsabilité, rien ou presque n’est dit sur la nature des obligations mise à la charge des établissements. Il convient ici de se référer encore une fois à l’article L. 311-3 du Code de l’action sociale et des familles qui énumère les droits fondamentaux qui doivent être respectées lors du séjour de la personne âgée au sein de l’établissement.  L’obligation de respecter les droits fondamentaux dans ce cadre serait-elle une obligation contractuelle ou légale ? Monsieur Rias rappelle qu’il faut se souvenir de l’article 6 du Code civil, qui précise que l’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. Faire du respect des droits fondamentaux des personnes âgées dans les établissements d’accueil une obligation contractuelle, ce serait alors permettre d’aménager ce respect des droits fondamentaux, ce qui irait à l’encontre de l’article 6 du Code civil. Finalement, toutes les circonstances laissent penser que la responsabilité encourue par l’établissement d’accueil dans ce cadre sera une responsabilité de nature extracontractuelle.

S’agissant de la mise en œuvre, les mêmes éléments que pour la responsabilité contractuelle doivent être réunis. Puisque le fait générateur reste l’élément qui pose le plus de questions, Monsieur Rias se concentre sur la question et identifie deux faits générateurs distincts. Tout d’abord, il conviendrait de prendre en considération le fait personnel de l’établissement, mais aussi le fait d’un préposé de l’établissement. Sur le premier point et sur l’identification donc de la faute de l’établissement, il ne faudra pas oublier que toute décision prise par l’établissement qui va entraver les droits fondamentaux des personnes âgées n’est pas fautive si l’atteinte portée se trouve justifiée par la crise. Le caractère proportionnel des décisions est donc crucial et le même constat de l’établissement de la faute selon la progression de la pandémie et les connaissances spécifique de chaque progression s’applique ici aussi. Sur la responsabilité du préposé de l’établissement, la faute commise ne serait donc pas celle de l’établissement mais celle de ses employés et c’est là une hypothèse fort probable car nul établissement n’est pas à l’abri des décisions inappropriées de ses salariés. Dans ce cas aussi, la responsabilité de l’établissement pourrait donc être engagée.

Pour conclure sur ce point, Monsieur Rias avoue que la crise sanitaire, compte tenu de ses nombreuses répercussions, a suscité de nouvelles interrogations en droit de la responsabilité civile. Les dommages subis par les personnes âgées séjournant au sein de ses établissements peuvent être aisément identifiés, mais leur prise en charge sur le fondement de la responsabilité civile reste difficile à obtenir. Comme l’intervention l’a suggéré, le débat essentiel se focalise donc sur la caractérisation de la faute devant la juridiction saisie.