Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LES VISAGES DE LA FAUTE D’IMPRUDENCE : DES CONTOURS A L’EXPRESSION, M-F. Steinlé-Feuerbach

Colloque du 21 avril 2023

Chambre criminelle de la Cour de cassation, Institut de Criminologie de l’Université Paris-Panthéon-Assas (ICP)

Compte-rendu de la matinée (NDLR : L’auteur de ce compte-rendu y a ajouté des références ; la suite est à paraître au JAC n°227)

Marie-France Steinlé-Feuerbach

Professeur émérite en Droit privé et Sciences criminelles à l’Université de Haute-Alsace

Directeur honoraire du CERDACC

La loi du 10 juillet 2000, tendant à préciser les délits non intentionnels, mérite que ses anniversaires soient fêtés dans des lieux prestigieux. C’est au Palais du Luxembourg, le 6 juin 2006, que furent soufflées les bougies de son cinquième anniversaire lors du colloque « Les délits non intentionnels – La loi Fauchon : 5 ans après » (Dr. pénal n° 4, avril 2006), puis celles du dixième avec un colloque coorganisé par le Sénat et la Cour de cassation, le 9 octobre 2010, plus particulièrement dédié à « La responsabilité pénale pour imprudence à l’épreuve des grandes catastrophes » (JAC n° 108, nov. 2010). Changement de lieu pour le vingtième anniversaire de cette loi dont les termes conservent une part de mystère qui mobilise la jurisprudence : c’est dans le magnifique décor de la Chambre criminelle qu’il est célébré de concert par celle-ci et l’ICP.

L’analyse des contours de la loi de 2000, suivie de celle de quelques-unes de ses expressions, mobilisent en cette journée qui lui est dédiée, à la fois universitaires brillants et praticiens particulièrement expérimentés.

Le colloque s’ouvre sous la double présentation de Nicolas Bonnat, Président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation et de Didier Rebut, Professeur à l’Université Paris-Panthéon-Assas, Directeur de l’ICP. Nicolas Bonnat souhaite la bienvenue à tous, universitaires, magistrats, avocats et étudiants et souligne l’enrichissement mutuel entre le monde universitaire et la Cour de cassation. Il annonce le déroulement de la journée : le matin sera consacré à une étude générale de la loi de 2000, l’après-midi à ses déclinaisons pratiques. Plusieurs notions sont à distinguer : mise en danger, gradation de la faute d’imprudence, violation délibérée d’une obligation particulière, faute caractérisée, personnes morales. Le Président de la Chambre criminelle souligne la diversité des concepts et celle des applications pratiques, il évoque les accidents aériens quelques jours après une décision importante (trib. corr. Paris, 17 avril 2023 – crash du Rio-Paris). La distinction entre les fautes civile et pénale est aussi au cœur des débats (art. 4-1 et 470-1 CPP). Le juge pénal est invité à apprécier la faute pénale mais également la faute civile même en cas de relaxe. Tous les pourvois relatifs à la faute non intentionnelle sont maintenant regroupés dans la troisième section qui comprend également les contentieux des accidents du travail.

Un colloque de plus sur la faute d’imprudence ? Selon Didier Rebut, cette faute ne cesse de s’enrichir, d’évoluer, son actualité est toujours renouvelée. Il souligne qu’il y a quelques jours les médias ont répercuté la solution du procès du Rio-Paris à travers les exigences de la faute d’imprudence, également à travers l’affaire de l’accident causé par un humoriste. Les définitions possibles avec des catégorisations supplémentaires ont été évoquées.

Matinée : Les contours de la faute d’imprudence

Les réflexions sur les contours de la faute d’imprudence débutent par une question posée à Audrey Darsonville, Professeure à l’Université Paris-Nanterre : Faut-il punir la faute d’imprudence ? – Approche criminologique et de politique criminelle.

Pour y répondre, après avoir exprimé son immense plaisir d’intervenir à côté du Professeur Yves Mayaud qui a été son directeur de thèse, Audrey Darsonville revient sur le jugement du Rio-Paris qui a surpris en ce qu’il a relevé des fautes sans retenir de culpabilités, ce qui a bouleversé les parties civiles. Faut-il repénaliser les fautes d’imprudence ? Le sénateur Pierre Fauchon soulignait dès 1996 les difficultés de la définition de la non intention et le code pénal ne dit pas autre chose en posant la faute pour principe dans le premier alinéa de l’article 121-3 (« Il n’y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre »). Le régime est différencié selon les différentes catégories de fautes. La réponse pénale a toujours existé en ce qui concerne la faute d’imprudence, le code pénal de 1791 marque une distinction entre l’homicide purement matériel fautif et celui qui relève de l’imprudence qui doit être sanctionnée. Les critères de la non intention étaient assez bien posés par le législateur mais la jurisprudence a bouleversé l’ordonnancement avec des conséquences sur les seuils de punissabilité. Le principe de l’identité des fautes a empêché les juges de relaxer pour qu’ils puissent prononcer des dommages-intérêts.

Aujourd’hui, la situation a encore évolué, mais cette faute reste sanctionnée. La pénalisation de l’imprudence a conduit à repenser la volonté non maîtrisée. Pour ce qui est de la rétribution (130-1 CP : « Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions : 1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ; 2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion), on va prendre en considération le mal inhérent à l’infraction mais cette fonction de rétribution de la réponse pénale est beaucoup plus difficile à mettre en application pour la faute d’imprudence. Le critère de la punissabilité, à savoir la gravité de la faute et du dommage, est remis en cause par la loi de 2000 avec la dépénalisation de certaines fautes et la pénalisation plus sévère d’autres. Certaines fautes, dès lors qu’elles sont indirectes, quittent le champ de la pénalisation avec la question de la faute civile qui a fait l’objet de l’arrêt récent de l’assemblée plénière (Ass. plén., 14 avril 2023, n° 22-81.097). Dès lors que la faute est éloignée et légère elle échappe à la pénalisation, à l’inverse, la pénalisation est renforcée pour la faute délibérée. En ce qui concerne la faute qualifiée, il est intéressant de souligner la prise en compte du risque par la loi, risque prévenu dans la faute délibérée (violation de façon manifestement délibérée d’« une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement ») et connu dans la faute caractérisée (« qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer »).

L’intégration du critère du risque n’est pas anodine, elle pose la limite à certains comportements, notamment pour des activités dangereuses.

Un colloque d’envergure sur la faute d’imprudence ne pouvait se concevoir sans la participation du professeur Yves Mayaud, auteur de l’ouvrage de référence en la matière (Y. Mayaud, Violences involontaires et responsabilité pénale, Dalloz Référence, 2003).

Il remercie le Professeur Rebut d’avoir invité deux de ses étudiantes (Audrey Darsonville, Les situations de dépendance entre les infractions : essai d’une théorie générale, thèse Paris 2, 2006 ; Marthe Bouchet, La validité substantielle de la norme pénale, thèse Paris 2, 2016), Didier Rebut étant lui-même membre de sa « grande famille » (L’omission en droit pénal : pour une théorie de l’équivalence entre l’action et l’inaction, thèse Lyon 3, 1993). Très heureux de cet entourage, Yves Mayaud s’adonne à une étude passionnée et passionnante sur la certitude et les variations de la causalité en explorant toutes les nuances de ces variations.

La causalité est le lien entre la faute et le dommage, elle réunit ces données en un tout indivisible. Les variations sont musicales.

D’abord la certitude de la causalité, exigence qui rend inutile toute question sur le degré de la faute en son absence. Ensuite, l’approche de la certitude par la faute : causalité partagée, puis causalité déficiente.

Causalité partagée :

La responsabilité du prévenu demeure entière même si elle partage la causalité avec d’autres. Seule une rupture de causalité peut entraîner une exclusion de la faute, que ce soit par l’exclusivité de la faute d’un tiers ou de la victime. Il y a aussi la causalité dédoublée : faute conjuguée, action partagée à une activité dangereuse même lorsqu’il n’a pas été possible de fixer la causalité sur un des participants ; à ce que l’individualisation ne permet pas, la conjugaison de la causalité apporte une solution.

Puis, la faute antérieure, un important correctif jurisprudentiel est intervenu dans le cas d’un trouble psychique lors de la commission du dommage – accident provoqué par une personne qui se sait sujette à des crises d’épilepsie, ou encore sous l’emprise de l’alcool ou de stupéfiants – l’accident sert alors de relais à une faute commise antérieurement, avec même, depuis une loi de 2003, dans le second cas, une aggravation de la répression. La faute intervient ici pour assoir la causalité.

Causalité déficiente :

Elle est substantielle lorsque le dommage n’existe pas car il manque le point d’attache. Il existe une jurisprudence abondante quant à l’homicide involontaire. Le délit est constitué par la mort effective avec la certitude causale, mais la défaillance du dommage détruit la causalité. C’est le cas de la perte de chance qui ne réduit que la durée de la vie, principalement dans le domaine médical, lorsqu’il n’y a pas une certitude de décès mais seulement une perte de chance, la causalité mortelle n’est alors pas engagée (Crim. 22 mars 2005, n°04-84.459).

La déficience causale peut être probatoire comme dans le cas du nuage de Tchernobyl. Il était impossible d’établir la moindre causalité entre le nuage et des pathologies survenues postérieurement. On rejoint là le crash du Rio-Paris, il ne faut pas s‘étonner que, faute de certitude de causalité entre les fautes et l’accident, il ne peut y avoir pénalisation.

La causalité peut être interférente lorsqu’elle est soumise à l’interférence d’une donnée qui fait douter de la causalité suite à un événement extérieur comme une pathologie antérieure. Les réponses sont très nuancées en jurisprudence, il n’y a pas de référence absolue. Pour le cas d’un accident de la circulation, un conducteur heurte un piéton sur un passage protégé, hospitalisé le blessé décède quelques jours plus tard suite à une infection nosocomiale, le conducteur avait a été reconnu responsable du décès mais la Chambre criminelle a censuré l’arrêt, les juges du fond n’ayant pas recherché si cette infection n’était pas le seul fait en relation de causalité avec le décès (Crim. 5 oct. 2004, n°03-86.16, Rev. sc. crim. 2005. 71, obs. Y. Mayaud). L’explication est la même en cas de pathologie antérieure.

            Pour ce qui est des variations de la causalité, la loi de 2000 est à l’origine d’une nouvelle partition fortement inspirée par la situation des élus. Pour la causalité indirecte, elle a introduit deux variations : répartition et différenciation.

La causalité est un facteur de différenciation pour la faute elle-même : en cas de causalité directe, toutes les fautes peuvent être sanctionnées, en revanche une modification substantielle intervient lorsque la causalité est indirecte, Yves Mayaud expose l’articulation du système qui conduit à une dépénalisation sensible en cas de causalité indirecte. Pour lui, le système est assez pertinent : lorsque la causalité est directe, la faute s’affiche de manière nette, mais elle est plus floue lorsqu’elle est indirecte, il faut alors être prudent pour s’engager dans la répression.

Différenciation encore entre personnes physiques et morales. Les travaux parlementaires ne sont pas très clairs, on a fait valoir qu’il y a des responsabilités structurelles. Selon la Cour de cassation, refusant la transmission d’une QPC, la différence de situation justifie la différence de traitement (Cf. dans l’affaire de l’explosion de l’usine AZF : Crim. 24 sept 2013, n°12-87.059, n° 12-87059, JCP G 2013, 2073, note S. Detraz ; R. Mésa, « La conformité de la définition d’une faute caractérisée aux principes de nécessité des peines et de clarté des textes pénaux : Gaz. Pal. 31 oct. 2013, p. 9).

La causalité directe est une note sensible de l’instrument d’une répression assurée alors que la causalité indirecte est une note plus clémente. Il en résulte une tentation de solliciter la causalité directe pour assurer la condamnation, ce que fait la Chambre criminelle de la Cour de cassation en utilisant le paramètre déterminant lorsqu’une situation d’incidence secondaire intervient. Pour exemple, le cas de l’automobiliste roulant de nuit à une vitesse excessive et qui, après avoir heurté un sanglier, effectue des lacets sur les deux voies de la circulation et finit par entrer en collision avec une voiture qui circule en sens inverse, tuant sa conductrice (Crim. 25 sept. 2001, n°01-80.100, Rev. sc. crim. 2002. 101, obs. Y. Mayaud). Quelle est la cause du décès ? L’excès de vitesse ou bien le sanglier ? On pourrait penser à la causalité indirecte mais le sanglier n’est pas un tiers. De même, a été déterminante la causalité dans le cas d’une patiente décédée d’une embolie après une intervention de chirurgie plastique, l’absence de concertation du chirurgien avec d’autres membres a été le paramètre déterminant de la causalité directe (Crim. 5 juin 2007, n°06-86.331, Rev. sc. crim. 2008. 78, obs. Y. Mayaud). L’orateur signale encore un arrêt ayant retenu une causalité directe entre le mauvais positionnement d’un patient et son décès deux plus tard. Yves Mayaud exprime sa stupéfaction : « Deux ans après les faits, là c’est extraordinaire !!! » (Crim. 23 oct. 2001, n° 01-81.227 : Rev. sc. crim. 2002. 102, obs. Mayaud, et 320, obs. Bouloc – « selon l’expertise médico-légale, le décès de la patiente est dû au grave processus de détresse neurologique observé immédiatement après l’intervention chirurgicale »).

Pour terminer son exposé, le Professeur Mayaud évoque un arrêt récent (Crim. 22 nov. 2022, n° 21-84.575) qui introduit la notion de « facteur déterminant » pour l’intervention du chef de garde d’un groupement de sapeurs-pompiers qui, lors d’une opération de reconnaissance sur un site Seveso 2 n’a pas attaché correctement le mousqueton d’une « comment dire ? pompière ? », laquelle s’est perdue dans la mousse après avoir été séparée du groupe de tête et n’est pas ressortie du local où son corps a été ultérieurement retrouvé inanimé, elle est décédée après son transfert à l’hôpital des suites d’un arrêt cardio-respiratoire. La Chambre criminelle a admis et repris les termes de « facteur déterminant ».

La brillante intervention du Professeur Yves Mayaud se conclut donc par un cliffhanger laissant augurer une suite du feuilleton jurisprudentiel :  cet arrêt entérine-t-il l’assimilation entre le paramètre et le facteur ? Est-ce un double ou bien autre chose ? Le 31 janvier 2023, la Chambre criminelle approuve la cour d’appel d’avoir retenu comme causalité indirecte, le facteur déclenchant (Crim. 21 janv. 2023, n°22-80.482) …

Le thème de la causalité relève d’une belle composition avec un jeu subtil d’harmonies.

Les degrés de la faute d’imprudence se devaient d’être déclinés, c’est chose faite grâce à l’intervention de Marthe Bouchet, Professeure à l’Université Sorbonne-Paris-Nord, membre associé de l’ICP. Elle observe qu’en droit du travail on distingue des degrés dans la faute, mais que ceux-ci sont moins clairement identifiés en cas d’infraction non intentionnelle. Le code pénal de 1810 recèle peu de fautes d’imprudence mais le 20ème siècle prend en considération la faute d’imprudence en raison des accidents du travail. L’arsenal législatif est peu étendu d’où la prise en compte de poussières de fautes. On constate également un nivellement de la faute en raison de l’identité des fautes civile et pénale. La réforme de 1992 (loi n°92-683 du 22 juillet 1992 portant réforme des dispositions générale du code pénal) introduit une hiérarchie mais c’est surtout la loi de 2000 qui affine les catégories de faute (art. 121-3 CP). L’intervenante s’interroge : pourquoi une architecture aussi compliquée ? Faut-il punir de la même manière l’automobiliste ébloui par le soleil et celui qui décide de griller un feu rouge ? Quelle est la nécessité de définir des fautes suffisamment graves alors qu’elles sont involontaires ? Il y a des marqueurs de la gradation mais il arrive que le juge pénal détourne cette gradation.

Les marqueurs extrinsèques de gravité sont la peine encourue et l’intensité du lien de causalité, seule la faute délibérée est punie plus sévèrement, le second marqueur étant celui de la causalité.

Les marqueurs intrinsèques de gravité sont la gradation en fonction de la matérialité et de l’exigence plus élevée en cas de faute caractérisée. La Chambre criminelle a défini la faute caractérisée, l’intervenante rappelle deux affaires, celle de l’instituteur reconnu coupable de la chute mortelle d’une élève laissée sans surveillance (Crim. 6 septembre 2005, n° 04-87.778 ; pour les premiers juges : trib. corr. Bobigny, 10 déc. 2003, M.-F. S.-F, « Chute mortelle d’une élève : l’instituteur condamné : JAC n° 41, fév. 2004 – l’accident s’est produit dans des circonstances particulières dues à la conjonction d’une petite fête de fin d’année et des préparatifs du départ en classe de neige, une petite fille s’était assise sur le bord d’une fenêtre du second étage que l’instituteur n’avait pas refermée alors qu’il en connaissait la dangerosité) et celle de la fête d’étudiants trop alcoolisée (Crim. 12 janv. 2010, n° 09-81.799, A. Darsonville, « Réalisation d’une faute caractérisée et connaissance du risque découlant de cette faute » : D. actu. 17 fév. 2010). Pour ce qui est de la faute délibérée, l’assemblée plénière a pris en considération, le 31 janvier dernier, l’immédiateté appréciable (Crim. 31 janvier 2023, n° 22-80.482 – suicide d’un salarié après une décision de réaffectation prise par l’employeur).

Le deuxième marqueur est celui de la connaissance du risque (Cf. Crim. 25 mars 2003, n° 02-84.377 – décès par électrocution d’un étudiant, salarié intérimaire, suite à l’utilisation d’un appareil dont les défectuosités étaient visibles même par une personne non avertie).

La faute délibérée, en haut de la hiérarchie, suppose un comportement volontaire sans pour autant vouloir le résultat, c’est l’expression de la part du vouloir dans l’imprudence comme dans l’affaire Palmade.

Reste encore à comprendre comment ces degrés sont utilisés en jurisprudence. Les juges ne respectent pas toujours la gradation des fautes. Pour illustrer que les degrés peuvent être dépassés pour entrer en voie de répression, Marthe Bouchet se réfère, elle aussi, à l’arrêt de la du 22 novembre 2022 selon lequel la cour d’appel « ne pouvait tout à la fois retenir la nécessité d’un accrochage conforme aux règles de sécurité pour affronter un environnement inconnu dans lequel les conditions précises de progression ne pouvaient être anticipées et exclure toute connaissance d’un danger d’une particulière gravité auquel la personne concernée allait être exposée ». C’est donc ici la faute caractérisée, et non la faute délibérée, qui a été retenue malgré le non-respect de règles de sécurité, l’intervenante précise que le juge trouve souvent le moyen de ne retenir que la faute caractérisée, surtout pour les élus. Il peut aussi rabaisser la gravité d’un degré en passant de la faute délibérée à la faute caractérisée en l’absence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité (Crim. 8 fév. 2022, n° 21-83.708, D. 2022 p.736, obs. N. Catelan ; C. Lacroix, « Homicide involontaire : la faute délibérée tombe à l’eau, la faute caractérisée reste sur le bateau » : D.  actu. étudiant 14 mars 2022 ; J.-C. Saint-Pau, « La faute caractérisée de l’auteur indirect d’un homicide involontaire : une faute supplétive et subjective » : JCP G 18 avril 2022, act. 485, p. 780).

Les degrés ignorés pour finir, le juge ne retient que la faute simple sans aller plus avant, car l’auteur étant direct, il n’est pas nécessaire de rechercher une faute caractérisée (Crim. 16 sept. 2008, n° 08-80.204).

En conclusion, le professeur Bouchet considère que les degrés de la faute d’imprudence sont suffisamment souples pour que les juges puissent en jouer.

Après l’approche doctrinale, il revient à Benjamin Joly, Conseiller référendaire à la Cour de cassation d’apporter l’éclairage du magistrat pour passer Des notions à l’appréciation : l’office de la Chambre criminelle en matière de faute d’imprudence. Le Conseiller précise que son propos a trait à l’imprudence au sens large, à l’exclusion de la notion de mise en danger, avec la mise en exergue de la difficulté des magistrats car la loi ne définit la faute que par les valeurs sociales alors qu’elle contient six notions-clé dont l’abord est difficile. L’office de la Cour consiste en une subtile architecture de différents codes, son apport normatif permet d’assurer une indispensable fluidité.

Pour la vérification des critères légaux, Benjamin Joly égrène les termes de l’article 121-3 dont la définition demande à être précisée :

« manifestement délibérée » : en 2013, la Chambre criminelle a estimé que la loi est rédigée de manière suffisamment claire (Crim. 24 sept. 2013, préc.) ;

« violation d’une obligation particulière » : exigée pour certaines fautes d’imprudence, il s’agit d’un élément constitutif de l’infraction pour les atteintes à la vie, à l’exception des ITT inférieures à trois mois, elle est également dans certains cas un élément aggravant (homicide routier, propriétaire de chien). C’est un critère légal qui peut être autant un élément constitutif qu’un cas d’aggravation.

Certaines infractions renvoient de manière indirecte à l’article 121-3, et c’est globalement le cas dans le code du travail, mais dans certains cas, il n’y pas de renvoi comme par exemple pour des infractions au code de l’environnement où il y a parfois un parfum d’atteinte involontaire, avec ou sans renvoi implicite.

Il existe des difficultés persistantes pour les juges du fond :

         L’identification du lien de causalité : il doit être certain et la Chambre criminelle exerce son contrôle avec une éventuelle cassation, avec renvoi ou non.

Le maniement de l’article 121-3 : la faute sera plus facilement qualifiée de « directe » dans certains cas, comme lorsque le prévenu avait la garde d’un chien (Crim. 21 janv. 2014, n° 13-80.267) ou si, en tant que médecin il avait un contact direct avec le patient (cf. Crim. 5 avr. 2005, n° 04-85.503, Dr. pénal 2005. 103 (2e espèce), obs. M. Véron) mais ce n’est pas toujours le cas, ainsi dans l’affaire du sapeur-pompier (Crim. 22 nov. 2022, préc.) – nous notons que cet arrêt est amplement cité – il y a bien eu un contact physique mais c’est la causalité indirecte qui a été retenue. Selon le Conseiller référendaire, il est probable que la Chambre criminelle n’entre pas dans la question de la causalité adéquate.

L’existence ou non d’une infraction non-intentionnelle, avec la multiplicité et l’évolution des textes : le droit européen pose des difficultés pour savoir si un texte impose ou non une « obligation particulière » (Crim. 8 sept. 2020 n° 18-82.150 et 19-82.761, M.-F. S.-F., « La chambre criminelle et les accidents aériens : JAC n° 200, oct. 2020 – documents internes à l’entreprise adaptés de règlements CE). Il faut que les textes soient particulièrement précis ce qui dépend de leurs destinataires. Il faut, de plus, s’intéresser à lettre du texte et à sa perception ainsi qu’il en a été pour l’obligation particulière de sécurité dans l’actualité la plus récente sur la mise en danger (Ass. plén., 20 janv. 2023, n° 22-82.535, Y. Mayaud, « De la mise en examen à la mise en danger : la Cour de justice de la République entre ajustement et censure » : JCP G 2023, p. 459 ; G. Chetard, « Covid-19 et risques causés à autrui : ministère particulier cherche obligation particulière de prudence ou de sécurité » : JAC n° 224, fév. 2023). Benjamin Joly constate une tendance à faire relever une atteinte à cette obligation, de manière alternative, de la faute caractérisée ou de la faute délibérée, surtout en matière contractuelle (Crim. 21 janv. 2022, n° 21-82.598). Le contrôle effectué par la Chambre criminelle comporte également un apport normatif, la théorisation de la doctrine est importante mais ce sont des situations particulières qui sont soumises aux juges.

Il en a été ainsi de la notion de « diligence normale », après la loi du 16 mai 1996 il y eu dix-huit arrêts avec une grille d’analyse. L’approche tient compte de la nature des missions ou des fonctions, des compétences ainsi que du pouvoir et des moyens de l’auteur de ces actes, il en résulte une approche fonctionnelle de la situation, c’est une décision situationnelle.

S’agissant de la faute qualifiée, la distinction entre les deux fautes oblige à interpréter la notion de « volonté manifestement délibérée », faut-il un signalement préalable ? Un ensemble de négligences suffit-il ? Pour exemple, en matière d’accident du travail, le cas d’un ouvrier blessé après avoir chuté d’un escabeau et être entré en contact avec un produit chimique à haute température alors que la non-conformité de l’escabeau avait été signalée (Crim. 6 mai 2014, n° 12-82.677 : JCP S 2014, p. 1380, comm. F. Duquesne), cas qui attire aussi l’attention sur l’emploi trop fréquent de salariés intérimaires. Parfois, l’employeur dit haut et fort qu’il ne respectera pas l’obligation de sécurité. La faute délibérée ne se limite pas à l’exposition à un risque exceptionnel, c’est une faute des milieux dangereux, celui du travail avec les machines-outils. Il y a aussi la conscience du risque exigée pour la faute caractérisée, le prévenu a pu lui-même constater le risque (Crim. 23 nov. 2004, n° 04-80.830).

Il reste qu’une part essentielle du maniement des notions relève de l’appréciation souveraine des juges du fond, ce qui est indispensable en raison de l’appréciation in concreto. La Chambre criminelle ne contrôle que la motivation qui part des constations des juges du fond – et à titre d’illustration l’arrêt du sapeur-pompier est cité pour la quatrième fois lors de cette matinée ! – ou du défaut de recherche des éléments de qualification. La cohérence et la présence du raisonnement sont vérifiées.

Le dernier point abordé est celui de la fongibilité des qualifications pour passer d’une faute qualifiée à l’autre, cette fongibilité se faisant uniquement dans le respect du contradictoire.

Le constat du Conseiller référendaire à la Cour de cassation est celui d’un hiatus entre l’exceptionnelle complexité des notions et leur interprétation sociale et quantitative, surtout en matière routière.

A suivre…