Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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RENFORCEMENT DE LA SÉCURITÉ ROUTIÈRE, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences HDR émérite en droit privé de l’Université de Haute-Alsace,

Membre du CERDACC

(NDLR : L’auteur remercie Me Claude Lienhard, avocat de la Ligue contre les violences routières, pour les éléments qu’il lui a fait parvenir)

Être au volant de sa voiture ou être passager peut être source de risques, voire de décès. Pour tenter de mieux lutter contre les conduites dangereuses, la création d’un homicide routier vient d’être proposée (I). Dans le cadre du Comité interministériel pour la sécurité routière (CISR) qu’elle a présidé le 17 juillet 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé différentes mesures visant à assurer la sécurité en matière de transport routier. Par ailleurs le décret n° 2023-644 du 20 juillet 2023 vise la prévention des accidents causés par divers véhicules (II).

Mots-clés : Sécurité routière – véhicule terrestre à moteur – homicide involontaire – délit d’homicide routier – consommation excessive d’alcool – usage de produits stupéfiants – prévention des accidents routiers – soutien aux familles des victimes – lutte contre la mortalité sur les routes

I – Vers la création du délit d’homicide routier

Après l’hypermédiatisation de certains drames de la route mettant en cause des personnalités, qu’il s’agisse du décès du fils d’un cuisinier étoilé, des révélations récentes d’un animateur quant à la mort de son père renversé par un chauffard ou encore de l’affaire impliquant un humoriste bien connu, Elisabeth Borne a annoncé le 17 juillet 2023 la création d’un délit spécifique aux drames vécus sur les routes, à savoir le délit « d’homicide routier ». Il serait question d’homicide routier quand un conducteur aura causé un accident mortel en raison d’un trouble psychique temporaire dû à sa consommation d’alcools et de drogues, quand bien même il savait qu’il allait être au volant.

La première ministre de la République française renvoie à la proposition de loi n° 569 déposée par le groupe Liot en novembre 2022 et qui a déjà invoqué cette infraction d’« homicide routier ». Enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2022, elle vise « à prévenir et sanctionner la délinquance routière et à améliorer l’accompagnement des victimes de la route et de leurs familles ». Pour renforcer« la responsabilité pénale des délinquants routiers qui causent un homicide » elle avait effectivement proposé la création d’une infraction autonome à savoir l’homicide routier. Ce thème avait ensuite été repris dans la proposition de loi n° 94 « pour une meilleure prévention des violences routières » déposée au Sénat le 31 octobre 2022, envisageant d’interdire un aménagement de peine pendant au minimum six mois au profit de l’auteur d’un homicide routier condamné à de la prison ferme. Elles ont été complétées par une autre proposition de loi, enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale le 4 avril 2023, « créant l’homicide routier et renforçant les sanctions contre les violences routières », laquelle modifie le code pénal en y intégrant l’infraction d’homicide routier dans les articles 221-5-7 et 221-5-8.

Il ressort encore d’une proposition de loi plus récente que l’expression « homicide involontaire » n’est pas bien adaptée à tous les drames de la route. La proposition de loi n° 1375 créant l’homicide routier et renforçant les sanctions contre la violence routière, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 juin 2023 met ainsi l’accent sur un homicide lié au fait que le conducteur a volontairement consommé de l’alcool ou des drogues ayant entraîné un trouble psychique temporaire sous l’empire duquel il cause un accident ayant involontairement entraîné la mort d’autrui. Ce texte vise la création d’un régime durcissant les peines encourues par le conducteur circulant volontairement sous l’emprise de substances psychoactives, substances qui lui ont causé un trouble psychique ou neuropsychique temporaire et l’ont rendu auteur d’un accident automobile ayant entraîné la mort de la victime. Si la proposition de loi est retenue, elle prévoit de porter les peines encoures à un maximum de vingt ans de réclusion. Par ailleurs, elle durcit le quantum des peines encourues par les personnes qui sont au volant de leur véhicule alors qu’elles sont sous l’emprise de produits stupéfiants. À ce titre, elle porte la sanction de deux ans et 4 500 euros d’amende à trois ans et 15 000 euros d’amende et rallonge le délai d’interdiction de repasser le permis de conduire de trois à cinq ans, portant le retrait de points relatif à cette infraction à douze points. Par ailleurs, elle prévoit de mettre en place un nouveau permis, à savoir le « conducteur responsable » pour les conducteurs condamnés à une peine de prison pour avoir causé la mort d’un tiers.

Sensible aux plaintes des familles ayant perdu un de leurs proches à la suite d’un accident de la route, Elisabeth Borne a fait savoir le 18 juillet 2023 que les choses allaient changer et que cet homicide routier allait être intégré dans le chapitre relatif aux atteintes à la personne humaine dans le code pénal (chapitre 2 du titre 2). Toutefois, contrairement à ce qui est noté par les auteurs de ces propositions de loi, Elisabeth Borne envisage que seuls les accidents de la route commis sous l’emprise d’alcool ou de drogue soient qualifiés d’homicide routier. En conséquence, en cas d’accident mortel dû à un excès de vitesse, on continuera à parler d’homicide involontaire.

Actuellement, le droit pénal tient déjà compte des accidents mortels survenus sur les routes de France depuis que la loi n° 2003-495 du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière a modifié les articles 221-6-1, 222-19-1 et 222-20-1 du code pénal dans le but de mettre en place des sanctions rigoureuses. Le fait que le conducteur soit en état d’ivresse ou qu’il ait fait usage de stupéfiants fait partie des circonstances aggravantes. Lorsque des décès sont causés par ces conducteurs sous l’emprise d’alcool ou de drogue, le conducteur sera poursuivi pour homicide involontaire. Ce délit est punissable d’une peine de cinq ans de prison et de 75000 euros d’amende. En effet, conformément à l’article 221-6 du code pénal « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. En cas de violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende ».

De plus, la peine passe de cinq à sept ans de prison et de 75000 euros d’amende à 100 000 lorsque l’on relève que le conducteur était « sous l’empire d’un état alcoolique » ou avait fait « usage de substance ou plante classées comme stupéfiants », à savoir lorsque « 2° Le conducteur se trouvait en état d’ivresse manifeste ou était sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang ou dans l’air expiré égale ou supérieure aux taux fixés par les dispositions législatives ou réglementaires du code de la route, ou a refusé de se soumettre aux vérifications prévues par ce code et destinées à établir l’existence d’un état alcoolique » (C. pénal, art. 221-6-1). Bien qu’il s’agisse d’atteintes involontaires à la vie, il serait possible de parler « d’homicide routier » quand la mort est liée à un accident de la route, si la réforme est votée.

Suivre cette piste est purement symbolique car il n’est pas vraiment question de créer une nouvelle infraction mais simplement de donner un nom spécifique à ce délit, sans que les peines applicables soient modifiées.

Cette nouvelle appellation est loin de faire l’unanimité. Comme le rappelle Yves Mayaud, « Ce n’est pas la première fois que le droit pénal joue ainsi sur la différence entre « incrimination » et « qualification », l’incrimination servant d’outil technique à la répression, là où la qualification est davantage exploitée à des fins de présentation ». Il précise que décider de changer la dénomination de l’infraction est critiquable « Alors l’homicide risque de l’emporter sur sa nature routière, avec des assimilations faciles, mais regrettables, consistant à considérer comme un « assassin » l’auteur d’un accident mortel. Il est vrai que cette façon de voir les choses peut être compréhensible pour les familles des malheureuses victimes… » (Y. Mayaud, L’actualité au prisme du droit. Une nouvelle qualification pénale : l’homicide routier : Le club des juristes, 25 juillet 2023 https://blog.leclubdesjuristes.com/une-nouvelle-qualification-penale-lhomicide-routier/ ; dans le même sens, Julia Courvoisier, Homicide involontaire : les mots ne tuent pas ! : Actu Juridique, 20 juillet 2013 : https://www.actu-juridique.fr/penal/homicide-involontaire-les-mots-ne-tuent-pas/#:~:text=Parce que l’opinion ne,créer un « homicide routier ».)

Pour les aider les familles endeuillées par des drames survenus sur les routes de France, supprimer l’expression « homicide involontaire » pour la remplacer par « homicide routier » en tordant le droit pénal sous prétexte que ces accidents causent une souffrance pour les membres de la famille des victimes qui ont perdu la vie dans ce contexte, est-il vraiment pertinent ?

On pourrait espérer que mettre en place une telle réforme puisse éventuellement permettre de lutter contre la consommation d’alcool et de drogues au volant afin d’éviter que ces drames routiers ne plongent d’autres familles dans le malheur, si bien que les risques en la matière pourraient être allégés.

Notons que la création de cet homicide routier ne mettrait nullement fin à la dichotomie « homicides volontaires et involontaires » de l’article 121-3 du code pénal (E. Dreyer, Droit pénal spécial, Ellipse, 2016). Cette nouvelle dénomination, dont l’effet est purement cosmétique, laisse la porte ouverte à d’autres appellations au gré des faits divers médiatisés : homicides familiaux, infantiles, conjugaux, professionnels … (L. Saenko, Homicide routier : la fausse bonne idée : D. 2023, p. 1584).

Des textes réglementaires récents ont par ailleurs pour vocation à prévenir les accidents routiers.

II – Mise en place de mesures préventives pour éviter les accidents routiers

Il revient aux pouvoirs publics de prévenir ces accidents et d’inciter tous les conducteurs à être plus prudents car les accidents de la route créent de nombreux drames. Outre les réflexions sur les comportements intolérables de certains conducteurs, le décret n° 2023-644 du 20 juillet 2023 relatif à l’accès à certaines données des véhicules pour la prévention des accidents et l’amélioration de l’intervention en cas d’accident, la connaissance et la cartographie de l’infrastructure routière et de son équipement et la connaissance du trafic routier (JO du 21 juillet) a modifié le code des transports (art. D. 1514-1). Il précise les modalités d’application de plusieurs dispositions de l’ordonnance n° 2021-442 du 14 avril 2021 relative à l’accès aux données des véhicules (JO du 15 avril), ordonnance ayant introduit de nouveaux textes dans le code des transports.

Pour prévenir les accidents routiers et mieux soutenir les victimes, le décret explicite les données concernées, les modalités d’accès, de mise à jour et de conservation, ainsi que les modalités d’information de la personne concernée.

Par ailleurs, il vise les modalités d’évaluation de la conformité aux exigences, précisant la durée de conservation des données par le constructeur du véhicule ou par son mandataire.

Son objectif est d’aborder l’accès aux données des véhicules pour la prévention des accidents et l’amélioration de l’intervention en cas d’accident, la connaissance et la cartographie de l’infrastructure routière et de son équipement et la connaissance du trafic routier il précise les données concernées, les modalités d’accès, de mise à jour et de conservation et les modalités d’information de la personne concernée. Par ailleurs, s’agissant de l’accès aux données des véhicules pour la prévention des accidents et l’amélioration de l’intervention en cas d’accident, il précise également les modalités d’évaluation de la conformité aux exigences. Il rappelle en outre les évènements externes générateurs d’accidents : visibilité réduite pour cause de pluie, de neige, de brouillard ou de fumée ; route temporairement glissante ; présence d’un véhicule arrêté sur la voie ; circulation d’un véhicule de vitesse anormalement lente sur la voie ; obstacle sur la voie ; personne sur la voie ; conducteur en contresens ; température en tunnel. La mort au volant peut effectivement survenir pour de multiples raisons.

Pour bien améliorer les choses, il faudrait peut-être aussi durcir les sanctions encourues par les conduites dangereuses, car se contenter de changer le nom d’un délit n’est sans doute pas suffisant. À ce titre, lors du comité interministériel de la sécurité routière tenu ce 17 juillet, la Première ministre et les ministres de l’Intérieur et de la Justice ont annoncé différentes mesures, les plus emblématiques ayant trait à l’aggravation des sanctions encourues lors des drames survenus sur la route. Cela permettrait de renforcer encore davantage la lutte contre la mortalité sur les routes. Il est vrai que la circulation routière est une des principales causes d’insécurité.

Toujours en vue d’améliorer le dispositif de lutte contre l’insécurité routière, la circulaire relative à la politique pénale en matière routière du 20 juillet 2023 (CRIM2023-13/E1-20/07/2023, NOR : JUSD2320517C) a aussi mis en place diverses mesures de coordination entre l’ensemble des intervenants. Présentée par le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti, elle met l’accent sur la nécessité de mettre en place une réponse pénale cohérente, mais surtout proche de la date de commission des faits. Elle relève en outre que la politique pénale doit être articulée avec les mesures administratives prises par l’autorité préfectorale s’agissant de l’immobilisation des véhicules et de leur mise en fourrière et également de la suspension du permis de conduire. L’objectif principal est d’assurer une cohérence globale de la lutte contre les infractions routières, tout en traitant prioritairement les procédures d’accidents mortels ou corporels, qu’ils soient liés à une consommation d’alcool trop forte ou à l’usage de produits stupéfiants mais également à une vitesse exagérément élevée. Il faut réprimer tous les comportements routiers qui mettent gravement en danger les autres usagers et bien mettre en place la peine complémentaire de confiscation du véhicule de l’auteur des drames routiers.

Cette circulaire rejoint les propos d’Elisabeth Borne laquelle estime qu’il faut bien accompagner les proches de la personne décédée dans ce contexte.