Claude Lienhard,
Avocat spécialisé en droit du dommage corporel,
Professeur Émérite à l’Université Haute-Alsace,
Directeur honoraire du CERDACC
et
Catherine Szwarc,
Avocate spécialisée en droit du dommage corporel
I – Droit du dommage corporel :
1. Datajust : Le décret scélérat
Par un décret n° 220-356 du 27 mars 2020 portant création d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Datajust » (A LIRE ICI) , le Premier Ministre a habilité la Ministre de la Justice à mettre en œuvre pour une durée de deux ans un traitement automatisé de données à caractère personnel qui a clairement pour objectif d’élaborer un référentiel indicatif d’indemnisation des préjudices corporels.
Vivement mise en cause par les spécialistes de la réparation du dommage corporel œuvrant aux côtés des victimes, la Chancellerie s’est réfugiée dans ses explications derrière une maladresse en termes de timing de publication… Sans plus.
Comme le dénonce avec pertinence Benoît Guillon et Cécile Moulin c’est un grand pas vers la barémisation et un pas en arrière pour le handicap (A LIRE ICI) .
Datajust inquiète à juste titre .
Et personne n’est convaincu de l’erreur temporelle alléguée par la Garde des Sceaux.
Ce décret publié un dimanche en plein confinement apparaît comme une provocation.
Est-il besoin de rappeler que les avocats n’ont été associés à aucun moment à la réflexion comme le souligne Me Catherine Gazzeri, Ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Tours et membre du bureau du CNB.
La Confédération Générale des Avocats (CNA) a également vivement réagi rappelant que (A LIRE ICI) :
« L’objectif de ce texte est de poursuivre l’œuvre de déjudiciarisation au détriment de l’intérêt des victimes pour permettre aux Assureurs, via des algorithmes appropriés, de mettre en œuvre un barème d’indemnisation évitant ainsi le regard du juge.
Comme pour la politique de santé publique, il semble que seules des raisons budgétaires militent pour exclure des juridictions toute une matière juridique.
Cette déshumanisation est dangereuse, les victimes risquent de vivre, au-delà de leurs souffrances, les difficultés que nous connaissons lorsque l’individu disparait au profit des statistiques en les privant d’un procès et de l’assistance d’un avocat.
Enfin, la publication d’un tel décret totalement étranger à la période de confinement que nous vivons est inacceptable et révèle un cynisme que les avocats combattent depuis de nombreux mois.
La justice comme la santé ne peuvent être réglementées par le prisme de la rentabilité. La CNA demande l’abrogation pure et simple de ce décret. »
Les lendemains de confinement seront vraisemblablement propices à différentes offensives contre ce décret injustifiable dans la forme et dans le fond.
- Actu-Juridique Olivia Dufour « Qui a peur du décret « Datajust » ? »
2. Covid-19 et maladie professionnelle :
On ne dira jamais combien nous devons individuellement et collectivement à celles et ceux qui ont continué à travailler, à assurer notre quotidien au niveau des soins, des approvisionnements, de l’ordre public et du bon fonctionnement de ce qui est essentiel à chacun d’entre nous.
Beaucoup de ces professionnels ont été infectés par le coronavirus.
La question d’une loi « d’indemnisation » pour les victimes du professionnel du Covid est posée légitimement (A LIRE ICI) .
La loi sur les accidents du travail de 1898 est archaïque et ne répond pas en termes de facilité, de prise en charge et de proportionnalité probatoire à la situation.
Comme cela a été, à juste titre souligné, le Covid-19 est entrain « de produire un gigantesque accident du travail ».
C’est bien un système spécifique et exceptionnel qui doit répondre à des situations spécifiques et exceptionnelles qui n’avaient été anticipées par personne.
Tribune Jean-Paul Tessonnière et Sylvie Topaloff – Le Monde 01.04.2020
3. Chaise roulante révolutionnaire
Une entreprise suisse située à Sant’Antonio au Tessin vient de créer une chaise roulante dont la technologie de base est une combinaison d’informatique, d’électronique et de mécanisme du Segway.
La société Genny Factory a développé un produit qui se déplace intuitivement suivant les mouvements du corps grâce à une technologie d’auto-balancement fondée sur un réseau de senseurs sans bras et mains libres.
Andrée-Marie Dussault » Paolo Badano, révolutionnaire de la mobilité sur chaise roulante » Le temps 02.04.2020.
II – Droit des victimes :
1. Féminicide : faute lourde de l’État reconnue
Le tribunal judiciaire de Paris en date du 16 mars 2020 a condamné l’État pour « faute lourde » à verser 100 000 euros de dommages et intérêts à la famille d’une femme assassinée par son ex-compagnon contre lequel elle avait porté plainte.
A LIRE ICI Le Monde 20 avril 2020 Yann Bouchez
A LIRE AUSSI L’humanité 22 avril 2020 Eugénie Barbezat
La faute de l’État a été retenue car il y avait eu des violations répétées par l’ex-compagnon de son contrôle judiciaire.
La victime avait déposé plainte et main-courante. (
Malgré une mesure d’éloignement elle était toujours harcelée, suivie et subissait l’envoi de lettres, sms, mails et appels téléphoniques.
Le tribunal a également estimé que le contrôle judiciaire mis en place était inadapté à la dangerosité de l’auteur qui s’est pendu après l’assassinat.
2. Le rapport de la DIAV :
Le rapport d’activité de la Délégation Interministérielle à l’Aide aux Victimes pour la période 2018-2019 qui vient d’être publié est un document à la fois intéressant et utile (A LIRE ICI) .
Il permet de mesurer l’effectivité et la constance du droit des victimes.
L’action de la déléguée interministérielle Élisabeth PELSEZ est largement appréciée, soucieuse de cohérence et d’efficacité.
Dans son mot d’introduction Mme PELSEZ rappelle que la délégation interministérielle est convaincue que toute politique publique en matière d’aide aux victimes doit s’inscrire dans la durée et dans les territoires.
Le rapport retrace les avancées obtenues notamment dans trois domaines :
- l’action en faveur des victimes françaises à l’étranger,
- le maillage territorial et les outils favorisant une égalité de traitement entre toutes les victimes,
- l’œuvre de mémoire en faveur des victimes du terrorisme.
III – VICTIMOLOGIE :
1. Les avocats et le coronavirus :
La vie judiciaire a été comme toutes les activités essentielles du pays bouleversée par la crise sanitaire.
L’activité quotidienne est quasiment paralysée, par contre chaque fois que cela a été nécessaire les avocats ont été présents pour défendre l’État de droit.
Ainsi, après la promulgation de l’état d’urgence sanitaire, le Conseil d’État a été saisi de plusieurs recours en référé liberté concernant la fermeture des centres de rétention, les demandes de suspension de l’exécution de l’ordonnance du 25 mars 2020 et de la circulaire du 26 mars 2020, la libération des détenus et l’adaptation des règles sanitaires en prison, l’adaptation du fonctionnement des juridictions judiciaires et administratives ou encore la fourniture de masques et de gel aux avocats comme le rappelle avec pertinence Julien Mucchielli dans Dalloz Actualité du 17 mars 2020.
Pour ce qui est plus particulièrement de la fourniture des masques aux avocats, le Conseil d’État a rejeté le 20 avril 2020 un référé liberté qui avait pour objectif d’obtenir une injonction à l’administration de fournir des masques et du gel hydroalcoolique aux avocats pour qu’ils puissent assurer, en période d’épidémie, leur mission.
Au-delà du rejet dans sa motivation le Conseil d’État précise cependant que « tant que persiste cette situation de pénurie » l’État doit également « aider les avocats qui en leur qualité d’auxiliaire de justice concourent au service public de la justice à s’en procurer alors qu’ils n’en disposent pas eux-mêmes ; le cas échéant en facilitant l’accès des barreaux et des institutions représentatives de la profession au circuit d’approvisionnement » (A LIRE ICI).
Par un jugement du 22 avril 2020, le tribunal administratif de Nice, saisi par un référé liberté par l’Ordre des Avocats au Barreau de Nice, a enjoint au Ministre de la Justice dans un délai de 15 jours de faciliter l’accès de l’Ordre au circuit d’approvisionnement en masques et de lui communiquer les coordonnées exactes dudit circuit d’approvisionnement (A LIRE ICI).
Ce qui est vrai pendant la période de confinement devra l’être encore davantage dans la période de déconfinement lorsque l’institution judiciaire tentera de reprendre son activité normale en sachant que celle-ci devra nécessairement et pour longtemps être adaptée aux mesures de distanciation physique.
2. Les avis du Conseil scientifique COVID-19
L’avis n°6 du Conseil scientifique COVID19 du 20 avril 2020 intitulé « sortie progressive du confinement prérequis et mesures phares » (A LIRE ICI) ainsi que la note du Conseil scientifique COVID19 du 24 avril 2020 « Enfants, école et environnement familial dans le contexte de la crise COVID19 » (A LIRE ICI) méritent d’être largement connu des juristes.
Ces avis sont essentiels.
Ils viennent s’insérer dans un chainage de décisions politiques, administratives dont les enjeux juridiques sont essentiels. Toutes les décisions sont prises au regard d’éléments d’expertises scientifiques multiples, pluridisciplinaires, unanimes parfois et quelques fois aussi fortement controversés.
Par ailleurs, plus que jamais l’action politique se développe dans l’ombre portée de ce que certains ont déjà appelé « le grand procès post-virus ».
Nous aurons l’occasion de revenir sur cette judiciarisation de la crise sanitaire.
Plus tard le moment viendra !
Source :
Olivier Beaud « Si les gouvernants ont failli la solution de la plainte pénale n’est pas la bonne », Le Monde – Idées 21.04.2020
Marie-Amélie Lombard-Latune « Coronavirus : un déluge de procès menace les politiques », L’Opinion 10.04.2020
François Honnorat « Ne confondons pas responsabilités pénales et politiques », L’Opinion 10.04.2020
Nicolas Bastuk et Jérôme Cordelier « L’ombre du grand procès post-virus », Le Point 25.04.2020