Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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LA LOI (DE) BADINTER : RETOUR SUR L’AMELIORATION DE LA SITUATION DES VICTIMES D’ACCIDENTS DE LA CIRCULATION, J. Dugne

Juliette Dugne

Maître de conférences à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

« Aux grands Hommes, la Patrie reconnaissante ». Dans la mémoire collective, Robert Badinter incarne l’artisan de la lutte contre la peine capitale. Au prétoire il condamna son exécution ; à la tribune défendit son abolition (R. Badinter, L’Abolition, Le livre de poche, Fayard, 2000).

Pour les avocats « il est plus qu’un modèle, un mentor » ((P. Hoffman, V. Bousardo, « Hommage à Robert Badinter » (1928-2024), Gaz. Pal., février 2024, n°5). À l’issue du procès de Roger Botem et de l’affaire Patrick Henry, il portera l’étiquette de « défenseur des assassins ». Les grandes causes sont ainsi porteuses de tout autant d’épines que de roses…Dans ce sens et de son propre aveu « lutter contre la peine de mort c’est toujours défendre des criminels odieux » (R. Badinter, Les épines et les roses, Le livre de poche, Fayard, 2011, p. 107).

Il fut aussi du côté des parties civiles depuis son cabinet place de Paris puis, en tant que ministre à la place Vendôme. Au ministère de justice, il entreprit de nombreuses réformes dont deux majeures et de nature très différente :  d’une part, la suppression du délit d’homosexualité ; d’autre part, l’amélioration du sort des victimes d’accidents de la circulation (Pour une rétrospective complète, voir T. Clay, « Robert Badinter (1928-2024) », D. 2024, p. 314).

De cette manière, pour les étudiants découvrant le droit de la responsabilité civile au cours de leur deuxième année de droit, « Badinter » est assurément le nom associé à la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 « tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation ».

Une loi nécessaire.

Avant cette loi n’existait aucune disposition particulière dédiée à la réparation des dommages – nombreux – subis par les victimes d’accidents de la circulation. L’indemnisation trouvait son fondement dans le droit commun de la responsabilité civile et plus spécialement dans celle du fait des choses (S. Porchy-Simon, Droit des obligations, Dalloz, coll. HyperCours, 14e éd., p. 450, n°885). Dans le silence des textes, certaines voix en doctrine se sont élevées afin que soit reconnue une indemnisation facilitée des victimes d’accidents automobiles. La jurisprudence ajouta sa pierre à l’ouvrage.

Dans un arrêt rendu à l’été 1982, la Cour de cassation estima – contre toute attente – qu’en matière d’accidents de la circulation le comportement fautif de la victime ne pouvait emporter une diminution de son droit à indemnisation (Arrêt « Desmares », Civ. 2e, 21 juillet 1982, D. 1982. 449). La solution contrevenait au rôle traditionnellement dévolu à la faute de la victime laquelle peut traditionnellement conduire à l’exonération de l’auteur du dommage. Contraire aux principes du droit commun de la responsabilité, la jurisprudence appelait-elle ainsi le législateur à prendre la sienne en matière d’accidents de la circulation (V. J.-L. Aubert, « L’arrêt Desmares : « une provocation… à quelles réformes » ?, D. 1983. 1).

La provocation jurisprudentielle fut entendue et la loi votée par les deux assemblées en première lecture le 17 décembre 1984. Son promoteur d’écrire : « ce fut mon cadeau de Noël. L’année s’achevait ainsi sur une importante amélioration du sort de milliers de victimes » (R. Badinter, Les épines et les roses, op. cit, p. 200.)

Une loi protectrice.

La finalité de la loi Badinter est explicitée dans son intitulé même : améliorer la situation des victimes d’accidents de la circulation et accélérer les délais d’indemnisation.

Là encore la jurisprudence apporta son concours au moyen d’une interprétation favorable aux victimes. La loi de 1985, comme son application par les juges, est mue par cette volonté : moins celle de sanctionner l’auteur du dommage que celle d’indemniser la victime qui s’en prévaut. Deux conditions d’application du texte législatif permettent de s’en convaincre.

La première concerne la notion d’implication. Plus précisément, est responsable au sens de l’article 1er de la loi de 1985, le conducteur ou le gardien du véhicule terrestre à moteur « impliqué » dans l’accident en cause. Distincte de la notion de causalité juridique, celle d’implication est indifférente à la notion de faute. Le conducteur peut être non fautif mais son véhicule tout de même impliqué dès lors qu’il « est intervenu à quelque titre que ce soit, dans la survenance de l’accident » (Civ. 2e, 11 avril 1986, Gaz. Pal. 1986. 2. 610 ; JCP 1986. II. 20672, note J.-F. Barbiéri).

La seconde condition de ce régime spécial d’indemnisation intéresse les causes d’exonération du défendeur auteur du dommage. Aux termes de l’article 2 de la loi, ce dernier ne peut exciper de la force majeure ou du fait d’un tiers. Seule reste opposable la faute de la victime. Mais cette possibilité d’exonération demeure conditionnée à la qualité de la victime et à la nature de son dommage. L’article 3 instaure un régime résolument favorable aux victimes non conductrices et réputées vulnérables (âgées de moins de seize ans, de plus de soixante-dix ans ou titulaire d’un titre leur reconnaissant une incapacité d’au moins 80%). Dans cette hypothèse, celles-ci ne peuvent par principe voir l’indemnisation de leur préjudice corporel réduite sauf à avoir volontairement recherché le dommage subi. Aussi, à l’exception du suicide ou des mutilations volontaires, la victime non conductrice très jeune, très âgée ou atteinte d’un handicap verra par principe son droit à indemnisation toujours préservé.

Au rang des critiques adressées à la loi Badinter, on retiendra le sort bien moins favorable réservé à aux victimes conductrices au moment de l’accident. En vertu de l’article 4, « La faute commise par le conducteur du véhicule terrestre à moteur a pour effet de limiter ou d’exclure l’indemnisation des dommages qu’il a subis ». Le projet de réforme de la Chancellerie (avril 2016 et mars 2017) envisage cependant d’améliorer la situation des conducteurs ayant subi un dommage corporel.

Une loi dans le temps.

Cette éventuelle retouche témoigne que, dans leur ensemble, les projets de réforme (celui de la Chancellerie et du Sénat) entendent conserver la logique indemnitaire dont est empreinte la loi Badinter.

En outre, à la faveur de ces projets, les principes généraux de la loi « curieusement restés en dehors de la structure du Code civil » (R. Cabrillac, Droit des obligations, Dalloz, 15e éd., 2022, p. 278, n°284), devraient être incorporés au sein même du corpus civilis.

Enfin, la loi de 1985 aura, dans un avenir tout proche, de nombreux défis à relever parmi lesquels celui de composer avec l’apparition de nouveaux moyens de circulation tels que les voitures autonomes (L. Andreu, Des voitures autonomes, Une offre de loi, Dalloz, 2018).

La loi du 5 juillet 1985, à l’instar de son promoteur, ne risque pas de tomber dans l’oubli…

 « Dans les recueils de droit, elle est dénommée « loi Badinter ». Elle n’est pas parfaite, tant sans faut, mais, vingt-cinq après, je reçois encore des lettres de victimes me remerciant, et j’en ressens toujours la même fierté ».

(R. Badinter, Les épines et les roses, Le livre de poche, Fayard, 2011, p. 201)