AGRICULTURE : ENTRE LE BESOIN D’UNE CONCORDE AGRICOLE ET L’ENVIE D’UN NOUVEAU CONTRAT SOCIAL, V. Erné-Heintz

Valentine Erné-Heintz

Professeure des universités en sciences économiques à l’Université de Haute-Alsace

Membre du CERDACC

Le lien qui lie l’homme à l’agriculture est charnel : qu’il passe par la nature ou par le foncier, l’agriculture est intimement liée à toute société humaine, à son développement. Ainsi, l’objectif de sa gouvernance réside, au fil des temps et de la rhétorique, dans une lutte contre les disettes voire les famines ou en faveur d’une souveraineté alimentaire au moyen de politiques diverses : les réformes et les réglementations n’ont de cesse d’influencer les pratiques au moyen de normes et d’interdictions, de sanctions et d’incitations (OCDE, 2023, Politiques agricoles : Suivi et évaluation). Cette stabilité structurelle dans sa vocation est aujourd’hui déconstruite au profit d’une nouvelle instabilité emplie d’incertitudes (réglementaires, économiques, climatiques). Mais le pire scénario est évitable (Catherine et Raphaël Larrère, 2000, Le pire n’est pas certain. Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Paris, Premier Parallèle).

De fait, les incertitudes induites par les changements de température sont fortes tant en termes de rythmes que de niveaux. Retrouver des pratiques (et des revenus) qui libèrent autant que des liens qui relient à la terre est un défi qui suppose des changements dans les modes de production et de consommation. Les connaissances zootechniques et agronomiques acquises doivent être questionnées car les conditions pédoclimatiques (de température, d’hygrométrie, …) deviennent variables et méconnues voire inconnues : un nouveau climat, ce sont de nouvelles variétés, des saisons décalées avec des cycles biologiques peu ou mal maîtrisés, une biodiversité fragilisée, des maladies inhabituelles … en somme, un nouveau système de production qui se doit de gérer autant les excès de CO2 dans l’atmosphère que les pénuries d’eau en temps de sécheresse. Autrement dit, il ne s’agit pas d’une simple crise environnementale mais d’une transformation profonde et irréversible avec, parfois, une critique radicale qui trouve, quelquefois, un écho dans des ONG (Peter Singer, 1995, Animal liberation, New-York, Random House ; Jared Diamond, 1987, The worst mistake in the history of the human race, Discover, May, 95-98 ; Eddy Fougier, 201-, « Animalistes, zadistes, néo-luddistes : nouvelles menaces pour la sécurité des entreprises en France », Sécurité et stratégie, 24(4), 32-34).

Vus sous l’angle de l’anthropocène, les défis agricoles sont alors immenses. En effet, réfléchir à la transition agricole – et de fait, aux meilleures pratiques agricoles – suppose de penser ensemble l’agriculture et la finitude des ressources naturelles dans leurs caractéristiques en tant que telles : l’usage des sols (avec, dans sa dynamique, la question de leur régénération via la mise en jachère par exemple) doit, concomitamment, prendre en compte les enjeux du zéro artificialisation nette (ZAN) avec la pénurie anticipée des terres arables disponibles … et des conflits d’usage qui en découleront. En somme, il s’agit aussi d’une question de foncier puisqu’une terre n’est pas « produite », même si sa qualité peut être altérée ou améliorée en fonction des pratiques et des usages (renaturation, ajout d’engrais, etc.).

Alors comment penser le modèle agricole à venir ? Qu’est-ce qu’un modèle soutenable ? Comment imaginer des dispositifs incitatifs et réglementaires qui protègent autant les cultures que l’environnement et la santé des consommateurs et des agriculteurs ?

De tout temps, les agriculteurs ont été les premières victimes du climat et les méthodes déployées au sortir de la seconde guerre mondiale ont eu pour objectif de construire des systèmes alimentaires moins soumis aux aléas climatiques et moins laborieux pour les producteurs. Ils les ont, cependant, enfermés dans des dynamiques de dépendances techniques et financières sans compter les effets délétères sur leur santé : les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, les surcroîts de cancers (+20% de myélomes et +50% de lymphomes) ont été documentés (étude Agrican qui suit, depuis près de vingt ans, la santé de 182.000 personnes affiliées à la Mutualité sociale agricole, https://www.agrican.fr/). D’ailleurs, plus de 1.200 dossiers ont été déposés depuis la création du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides, en 2020. Les activités les plus concernées sont la culture céréalière et de légumineuses, la polyculture-élevage et la viticulture. Pourtant, les politiques agricoles mises en place (Pisani, 1994) visaient autant à libérer les agriculteurs des corvées du binage, du désherbage en favorisant le labour et l’usage d’intrants qu’à sécuriser les besoins alimentaires en produisant en quantité suffisante pour une population urbaine en plus grand nombre et moins sujette au jardinage. La baisse du nombre d’agriculteurs (2% de la population) est concomitante à la place de l’alimentation dans le budget des ménages (les dépenses engagées ont été divisées par cinq depuis les années 50 du fait de la hausse des rendements agricoles et de la baisse du prix des produits). En réalité, au fur et à mesure que les gains de productivité augmentaient, la valeur sociale des produits agricoles s’amenuisait. Le drame de la modernisation agricole est d’avoir rendu disponible des produits agricoles toute l’année alors que l’activité agricole se caractérise par tout le contraire, à savoir l’imprévisibilité et l’incertitude face aux aléas climatiques et des prix avec, pour conséquence, une stigmatisation des agriculteurs et une désolidarisation avec la société civile. Le dénigrement actuel envers les agriculteurs est un fait mais aussi un malentendu profond qui touche les agriculteurs dans leur raison d’être et leurs valeurs (Valentine Erné-Heintz, 2024, « Entre tradition et modernité, une transition agricole porteuse d’héritages et d’expériences ou comment mettre en champs une créativité soucieuse de durabilité », L’interculturalité au service des transitions. Repenser la vie et l’éducation de l‘humain en Anthropocène, sous la direction de Chalmel L. et Herrmann-Israel A., éd. Peter Lang, pp. 40-48).

Les injonctions envers l’agriculture sont fortes : « une révolution doublement verte et une agriculture écologiquement intensive (Michel Griffon, 2011, Pour des agricultures écologiquement intensives, Paris, Ed. de l’Aube). Entre la mutation des pratiques agricoles pour nourrir la population et la nécessité de régénérer les sols, elle se voit attribuer un nouvel objectif, avoir une empreinte écologique positive. En cela, les stratégies d’agroforesterie ou/et de captation (stockage) de carbone (comme la couverture végétale ou l’abandon du labour) sont devenues les nouveaux outils d’incitation. L’agriculture est alors une agriculture de conservation, agroécologique, régénératrice, restauratrice, etc. Pourtant, au-delà de ces nouvelles appellations, il s’agit moins d’opposer les modèles (et donc les agriculteurs) que de construire une concorde agricole où chaque modèle pourrait trouver sa place, un modèle fondé sur la prophylaxie et qui respecte l’environnement tout en assurant une rémunération au producteur (selon l’INSEE, leurs revenus ont baissé de 40% en 30 ans et un agriculteur sur cinq vit sous le seuil de pauvreté). L’innovation se fait, en définitive, dans les champs car « seule une voie médiane peut apporter une solution à nos problèmes environnementaux, sanitaires et agricoles » (Marc-André Selosse, 2024, « On ne pourra sauver l’environnement sans les agriculteurs, et réciproquement », Le Monde, 1er février).

Dans ce contexte, comment interpréter l’annonce de l’autorisation du glyphosate pour dix années supplémentaires, d’une pause dans le Pacte vert Européen (Green Deal) et du plan EcoPhyto ? Cela signifie-t-il mettre à l’arrêt l’objectif de réduire de 50% l’usage des pesticides d’ici 2030 ? Comment mettre en cohérence ces récents discours avec les objectifs européens ?

Ces récentes déclarations font référence aux différents leviers politiques mis en place pour soutenir l’agriculture mais questionnent aussi sur le sens à donner à la transition agricole. Les questions liées à l’autorisation ou l’interdiction d’intrants sont fortement liées à la possibilité de déployer des pratiques alternatives. De ce fait, le cadre réglementaire général relatif aux pesticides (règlement CE n°1107/2009) devrait associer aux restrictions d’usage des solutions alternatives afin d’agir sur l’acceptabilité et l’appropriation de ces dernières. Interdire ne suscite pas l’adhésion. Si les politiques publiques, et spécifiquement la politique agricole commune, mettent en œuvre des instruments visant à améliorer l’efficacité des leviers réglementaires aussi divers que les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) du deuxième pilier, l’éco-conditionnalité depuis 2003 ou encore le verdissement dans la programmation 2014-2020. En l’espèce, les MAEC illustrent parfaitement cette démarche :  instruments à engagement volontaire, ces subventions sont versées aux agriculteurs qui s’engagent dans une démarche de réduction de l’usage de pesticides (au-delà de l’obligation réglementaire) avec parfois un changement global de l’exploitation. La faible participation au dispositif fragilise cependant les résultats et interroge sur la capacité à susciter l’adhésion à un dispositif (et donc son efficacité). Toutefois, cette évolution reconnaît le caractère multifonctionnel et les services écosystémiques de l’environnement (définis comme des aménités environnementales) rendus par l’agriculture. Les premiers résultats des fermes engagées dans les réseaux Dephy montrent que la réduction de 20% à 30% sont possibles sans baisse des revenus des agriculteurs (sauf pour les cultures à forte empreinte industrielle comme la pomme de terre ou la betterave sucrière).

Les récents travaux devraient cependant nous interpeler : ce dont les agriculteurs ont besoin est d’un horizon structurel stable avec une possibilité de s’écarter, en fonction des vicissitudes conjoncturelles (entre autres climatiques), de la norme. Ainsi, cet écart à la norme, ce droit à l’erreur via des retours d’expérience (sur le modèle des fermes-Dephy par exemple), se retrouve dans le principe du nudge, mécanisme qui donne une souplesse et une capacité d’adaptation aux agriculteurs (Chabé-Ferret S., Le Coent P., Reynaud A., Subervie J., Lepercq D., 2019, « Can we nudge farmers into saving water ? Evidence from a randomised experiment », European Review of Agricultural Economics, 46(3), pp.393-416 ; Kuhfuss L., Subervie J, 2016, « Do European agri-environment measures help reduce herbicide use ? Evidence from viticulture in France », Ecological Economics, 149, pp.202-211 ; Wallander S., Ferraro P., Higgins N., 2017, « Adressing participant inattention in federal programs : a field experiment with the conservation reserve program », American Journal of Agricultural Economics, 99(4), pp.914-931). C’est aussi une réappropriation des savoir-faire avec une réaffirmation du principe d’attrition (Valentine Erné-Heintz, 2023, « Une révolution silencieuse dans l’expertise ou comment des riverains investissent les zones d’ombre d’une évaluation classique du risque pour devenir acteur de santé environnementale : le triptyque du principe d’attrition », La société civile et la protection juridique de l’environnement et de la santé, dir. A. Dubuis et B. Lapérou-Schneider, éd. Mare § Martin, pp.185-200). Cette souplesse dans l’application des normes permet d’aborder l’agriculture dans une dimension plurielle où le besoin d’expérimentation est d’autant plus important que les échelles sont multiples et les enjeux complémentaires : recherche d’une santé environnementale avec une protection de la biodiversité et la réduction d’intrants, bien-être au travail, bien-être animal, gestion des risques naturels. Or, les agriculteurs sont souvent isolés dans leurs filières pour véritablement enclencher une dynamique territoriale d’apprentissage (via une communauté de pratiques et de nouvelles solidarités par exemples).

En somme, la transition signifie s’adapter, non pas tant pour lutter contre (le réchauffement climatique, par exemple), mais en ajustant les façons de faire : elle devient alors une opportunité pour expérimenter. De fait, la transition peut alors être perçue comme une opportunité pour devenir plus autonome et aller vers une agriculture « d’empowerment » ou « d’émancipation ». Cette autonomie est multiple : outre la quête de sens et de liens entre l’agriculture et l’alimentation, elle s’articule aussi autour d’une réduction à la dépendance aux produits phytosanitaires avec des activités complémentaires dans la ferme, en évitant la spécialisation et la monoculture au profit d’une agriculture multifonctionnelle. En définitive, la question qui se pose est de savoir si, en matière de transition, il est nécessaire d’avoir une approche analytique ou plutôt systémique : faut-il raisonner en termes de protection des cultures dans une logique de substitution et de contrôle ou privilégier une approche globale de l’exploitation via des processus de certification ou des mesures agroenvironnementales avec des cahiers des charges précis sur les engagements volontaires ?

Les débats autour des pesticides cristallisent la conception de la transition agricole et du « produire autrement ». Le choix de restreindre le nombre de substances admises sur le marché, avec parfois des incertitudes quant aux connaissances disponibles, se justifie au nom du principe de précaution et ce, pour protéger les cultures, le consommateur mais aussi l’agriculteur lui-même. A ce titre, les tribunaux n’hésitent pas à annuler certaines décisions des autorités sanitaires pour préserver l’environnement, la qualité des eaux ou la santé de riverains.

Certaines substances illustrent parfaitement ses difficultés à l’instar du thiaclopride, cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes utilisé dans les cultures de colza, maïs, betteraves et pommes de terre, interdit en Europe depuis 2020 mais … à ce jour autorisé dans les importations. Introduire une clause de sauvegarde et des règles de réciprocité qui interdiraient l’importation de produits agricoles contenant des substances interdites constituerait un signal fort en faveur de pratiques alternatives. Parfois, certaines substances sont plus controversées et aboutissent à des désaccords entre les Etats membres. Ainsi en est-il du glyphosate, principe actif d’herbicides qui, lors du second vote sur la proposition de la Commission européenne le 16 novembre 2023, a obtenu une nouvelle autorisation jusqu’en 2033 : dix-sept pays se sont prononcés en faveur d’une reconduction de l’herbicide, sept se sont abstenus (la France, l’Allemagne, la Belgique, la Bulgarie, l’Italie, Malte et les Pays-Bas), trois pays ont voté contre (l’Autriche, la Croatie et le Luxembourg). Utilisé autant en viticulture qu’en arboriculture ou en cultures céréalières, le glyphosate fut autorisé en France en 1974 et inscrit sur la liste des substances actives en 2002 par l’Union Européenne.

Le glyphosate suscite de nombreux débats depuis mars 2015, date à laquelle le CIRC, Centre International de Recherche sur le Cancer, l’a classé comme « probablement cancérogène pour les humains » (classement 2A du CIRC), avec notamment une association entre l’exposition au glyphosate et le développement de certains cancers (du poumon, lymphome non hodgkinien). Cette évaluation fut contredite en novembre 2015 par l’EFSA, l’autorité européenne de sécurité des aliments, évaluation sur laquelle se fonde la Commission européenne pour justifier ses décisions. L’ANSES, agence nationale d’évaluation du risque, avait été saisie en 2015 et a conclu à un niveau de preuve insuffisant qui ne permettait pas, au vu des critères du règlement CE n°1272/2008, de proposer un classement 1A ou 1B (cancérogène avéré ou présumé pour l’homme). Depuis 2015, les procédures de renouvellement sont sujettes à des désaccords entre les Etats membres, mais aussi, dans la société civile (une initiative citoyenne européenne visant son interdiction avait été présentée à la Commission européenne le 6 octobre 2017). La France a voté contre en 2017 et a proposé un plan d’action de sortie en 2018. Les conclusions de l’ECHA, l’agence européenne des produits chimiques, en 2017 puis à nouveau en 2022, renforce la controverse et les incompréhensions (https://www.generations-futures.fr/actualites/classification-echa-glyphosate/). Une étude de l’INSERM datant de 2021 conclut à « un lien plus fort que ce que l’on pensait jusqu’ici » (https://www.inserm.fr/expertise-collective/pesticides-et-sante-nouvelles-donnees-2021/). En 2023, l’EFSA réaffirme « ne pas avoir identifié de domaine de préoccupation critique » même si elle avoue l’existence de « questions non résolues », des « lacunes dans les données » et « un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations proposées » (https://www.efsa.europa.eu/en/topics/topic/glyphosate). La Commission européenne soulève d’ailleurs que « on ne peut s’attendre, à court terme, à obtenir suffisamment de nouvelles informations pour aboutir à un résultat différent » mais souligne le besoin de créer des zones tampons de cinq à dix mètres pour éviter les contaminations et la nécessité d’utiliser des équipements qui réduisent le risque de pulvérisation. Une application du principe de précaution aurait été plutôt en faveur d’une non-reconduction de l’autorisation. Pourtant, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) se veut très critique de ces différentes procédures d’évaluation puisque, dans un arrêt rendu en octobre 2019, elle stipule que « les procédures conduisant à l’autorisation d’un produit phytopharmaceutique doivent impérativement comprendre une appréciation non seulement des effets propres des substances actives contenues dans ce produit, mais aussi des effets cumulés de ces substances et de leurs effets cumulés avec d’autres composants dudit produit ». Elle vise ici explicitement le problème de l’effet-cocktail, des effets chroniques de certaines substances que les actuelles évaluations ne prennent pas suffisamment en compte.

Ces dissensions scientifiques sur son innocuité sanitaire ou environnementale portent essentiellement sur le niveau de preuve et à la qualité ou robustesse des études (Valentine Erné-Heintz et Denis Bard, 2016, « Un expert précautionneux », L’expert dans tous ses états, J.-P. Markus et K. Favro dir., Dalloz,coll. Thèmes et commentaires, pp.197-215 ; Valentine Erné-Heintz et Jean-Christophe Vergnaud, 2016, « Au sujet du besoin d’un niveau de preuve robuste pour évaluer le risque », Revue Vertigo, https://journals.openedition.org/vertigo/17828). Autrement dit, les différences d’interprétation s’expliquent tant par les incertitudes scientifiques (effets à long terme, toxicité chronique ou à faibles doses) que par la nature des arguments retenus : l’EFSA ne retient que les études qui évaluent le principe actif (et non les formulations associant le glyphosate à d’autres produits chimiques) alors que le CIRC évalue le niveau de preuve d’un danger lié à une exposition et non le risque pour une population exposée (du ressort des agences de sécurité sanitaire). Dans tous les cas, les autorisations sont délivrées pour une durée limitée afin de tenir compte de l’évolution des connaissances disponibles. Cette procédure d’évaluation des risques permet ainsi d’adapter au fur et à mesure la réglementation dans un objectif de santé publique. D’ailleurs, depuis l’entrée en vigueur de la loi Labbé, le 1er janvier 2019, les espaces publics sont interdits de tout traitement phytosanitaire (code rural, art. L. 253-7, II).

En définitive, ce que révèle cette petite histoire du glyphosate – désherbant le plus vendu au monde – est celle de la nécessité de disposer d’alternatives (Valentine Erné-Heintz, 2019, Promotion d’une agriculture soucieuse de santé environnementale. Nouveaux enjeux et innovations locales, Plan régional Santé Environnement, http://www.grand-est.prse.fr/promouvoir-une-production-agricole-soucieuse-de-a160.html).

Cette stratégie de nouvellement est-elle compatible avec une évolution vers une agriculture moins consommatrice d’intrants ? De quoi la transition agricole est-elle synonyme ? D’agrarisme ? De paysannerie ? D’agro-industrie ?

L’agriculteur est sociologiquement inclassable. Au cœur de représentations multiples et d’une diffraction de son image sociale, il est à la fois « une population totalement étrangère à la culture légitime et même, pour l’essentiel, à la culture moyenne » avec une « folklorisation, qui met la paysannerie au musée et qui convertit les derniers paysans en gardiens d’une nature transformée en paysage pour citadins » (Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin, 1976, « Anatomie du goût », Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 2-5, 2-81). En somme, pour réfléchir à la transition, il apparaît indispensable de penser l’agriculture en tant que système alimentaire plutôt qu’en simple système productif : concevoir une agriculture moins consommatrice d’intrants ne peut se faire sans évolution de la demande des consommateurs. Ce nouveau contrat social aspire à construire des modes de consommation et des pratiques agricoles compatibles. D’une part, il aurait vocation à reconnecter la production (l’agriculteur) à l’alimentation (le mangeur), à réduire la distance cognitive entre l’agriculture et le consommateur/riverain (méconnaissance de la saisonnalité, des contraintes climatiques, pertes des qualités gustatives), entre des habitudes de denrées agricoles prévisibles et consommables toute l’année avec les rythmes de l’agriculture (saisonnière, fragile, imprévisible). D’autre part, il permettrait de relever les trois défis liés au facteur capital (reprise de la ferme, installation, niveau d’endettement, charges liées aux investissements, etc.), au facteur travail (revenus et capacité d’autofinancement, enjeu démographique via la transmission et le bien-être au travail) et au facteur terre (fonctions environnementales et paysagères, gestion de l’espace rural, qualité du sol). Aujourd’hui, 100 000 fermes sont à reprendre d’ici 10 ans. Autant d’opportunités pour accélérer le chemin vers la transition ? Une part de plus en plus importante de nouveaux entrants, les « non issus du monde agricole » (NIMA) font le choix de s’installer. Mais l’arrivée de ces jeunes agriculteurs ne permet pas de compenser tous les départs. Le profil des NIMA qui s’installent hors du cadre familial transforme profondément la démographie agricole : plus âgés, ils ont souvent des fermes de petite taille, s’inscrivent dans des circuits courts avec de la vente directe et des opérations de transformation, souvent en agriculture biologique et dans des cycles de production courts (horticulture, maraîchage). Ils sont aussi plus souvent des femmes et ont un diplôme de l’enseignement supérieur. Ces arrivées soulèvent cependant plusieurs questions : quelle est la rentabilité de ces structures (soutenabilité économique et viabilité de l’exploitation) ? Leurs quêtes de sens et engagement politique et/ou écologique obéissent souvent à un souhait d’un « retour à la ferme » mais sont-elles compatibles avec les difficultés liées à l’accès au foncier ? Dans quelle mesure ces nouveaux entrants vont-ils se maintenir en agriculture dès lors que trajectoires d’exploitation et trajectoires individuelles professionnelles sont déconnectées ?

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