Centre Européen de recherche sur le Risque, le Droit des Accidents Collectifs et des Catastrophes (UR n°3992)

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URGENCE DE RENFORCER LA LUTTE CONTRE L’AMIANTE DANS LES ÉCOLES, I. Corpart

Isabelle Corpart

Maître de conférences émérite en droit privé à l’Université de Haute-Alsace Membre du CERDACC

Mots-clés : Amiante –Etablissements scolaires – Mise en danger de la vie d’autrui – Risque – Santé publique – Vie scolaire

L’origine professionnelle des pathologies consécutives à l’exposition aux fibres d’amiante a été reconnue par la législation française de sécurité sociale dès 1945 (asbestose, mésothéliome, cancer broncho-pulmonaire). Dès lors, le 1er juillet 1997, l’État a interdit le recours à l’amiante lors de la création d’établissements, mais beaucoup d’écoles, collèges ou lycées avaient déjà été bâtis, si bien qu’ils sont susceptibles de contenir de l’amiante.

Il ressort de nombreuses études que des bâtiments anciens nuisent aux personnes qui les traversent, qui y vivent ou qui les occupent professionnellement mais aussi pendant un temps scolaire. Cette mise en danger de la vie d’autrui a été repérée depuis longtemps car cela a entraîné des accidents collectifs et des catastrophes (M.-F. Steinle-Feuerbach, Amiante et mise en danger de la vie d’autrui : l’immédiateté temporelle du risque, JAC n° 167, juin 2017). Elle est répréhensible car elle porte atteinte à la dignité (L. Bloch, Coup de tonnerre sur l’amiante, RCA, du 1er mars 2023, n° 3, p. 1) et elle peut conduire à des réparations grâce au droit de la responsabilité civile (A. Tardif, La potentialité de la responsabilité extracontractuelle en matière de réparation du préjudice d’anxiété des travailleurs de l’amiante, note sous Cass. soc., 8 février 2023, n° 20-23.312, JAC n° 229, septembre 2023 ; P.-G. Marly, Fait dommageable, préjudice d’anxiété et exposition à l’amiante, note sous Cass. civ. 2, 15 décembre 2022, n° 21-16.683 et n° 21-16-682, JCP E du 9 novembre 2023, n° 45, p. 42), raison pour laquelle des préventions liées à l’amiante ont dû être mises en place. En effet l’exposition aux poussières d’amiante a entraîné le développement d’un cancer (du larynx, de l’ovaire et de la plèvre), voire pour certains leur décès (F. Rousseau, Exposition aux poussières d’amiante et mise en danger d’autrui, JCP G, n° 22, p. 1037 ; G. Roujou de Boubée, Amiante et risques causés à autrui, Rev. dr. immobilier, 1er octobre 2017, n° 10, p. 479). Les victimes ont en outre souffert d’un lourd préjudice d’anxiété.

À propos des dangers liés à l’amiante, il a été question de salariés qui pendant leur temps de travail ont souffert car ils ont vu leur corps se dégrader. L’exposition à l’amiante les a effectivement mis en danger (C. Berlaud, L’exposition à l’amiante : mise en danger de la vie des travailleurs et du public, note sous Cass. ch. crim., 19 avril 2017, n° 16-80.695, Gaz. Pal. Du 2 mai 2017, n° 17, p. 41 ; L. Gamet, Amiante et mise en danger de la vie d’autrui, Revue Semaine sociale Lamy du 22 mai 2017, n° 1770, p. 6). Toutefois il doit aussi être question des mineurs (I. Corpart, Mineurs victimes de l’amiante, JAC n° 177, juin 2018) et précisément des écoliers, élèves, collégiens ou lycéens qui sont scolarisés dans un bâtiment qui n’a pas été suffisamment désamianté.

Or, dans un communiqué du 4 mars 2024, le syndicat SUD Éducation a dénoncé « l’absence d’une culture du risque amiante dans l’Éducation nationale ». En effet ses réflexions ont rappelé que l’exposition des personnes de tout âge aux poussières d’amiante les met en danger et le syndicat a montré qu’à ce jour il n’y pas assez de mesures de lutte efficaces contre l’amiante dans les bâtiments scolaires. Les auteurs de ce communiqué ont rappelé que les dangers de l’amiante ont été identifiés depuis de nombreuses années et que différentes mesures sont à prendre pour tenter de les éviter. Toutefois le nécessaire n’est souvent pas fait dans le cadre des écoles si bien qu’il existe des victimes (I). Il faudrait donc que de nouvelles mesures soient mises en place rapidement (II).

I – Les risques encourus par les écoliers et les professionnels du milieu scolaire

La présence des fibres d’amiante dans les bâtiments scolaires nuit à de nombreuses personnes en raison de la défaillance dans la protection des salariés et du public en milieu scolaire. En effet, toutes les personnes qui sont installées dans des établissements scolaires peuvent subir l’inhalation de fibres d’amiante, ce qui les met en danger, à la fois quand elles y travaillent ou quand elles viennent y suivre des cours, mais aussi quand elles passent du temps dans des dortoirs. Il a effectivement été relevé que de très jeunes enfants ont dû dormir sur des matelas placés sur des sols amiantés abîmés. En effet, quand les matériaux amiantés sont fractionnés, il existe un risque de libération de fibres dans l’air sous forme de poussières qui peuvent ainsi être inhalées en pleine classe. En outre, des enseignants en ont souffert quand ils ont percé un mur pour réaliser un affichage ou lors d’un accident dans la cour de récréation provoquant la chute de morceaux de plaques de fibrociment qu’ils ont dû ramasser à la main.

Le personnel de l’Éducation nationale et les élèves encourent malheureusement des risques de mutilation, d’infirmité permanente, voire de mort.

Ces dangers avaient déjà été relevés dans la question écrite n° 9195 du 20 juin 2023 visant l’urgence de la transparence sur l’amiante dans les écoles : « Laisser des centaines de milliers d’enfants exposés à l’amiante est criminel car il n’existe pas de seuil en dessous duquel respirer des fibres d’amiante n’est pas dangereux ». Il ressort de la réponse ministérielle (JOAN du 7 novembre 2023, p. 9946) que l’amiante est un « sujet majeur de santé publique et de santé au travail, qui concerne la sécurité des élèves, des enseignants et de toutes les personnes qui travaillent ou fréquentent les écoles et les établissements scolaires ».

Malheureusement, il ressort du texte de Sud éducation qu’une « enquête de l’agence Santé Publique France réalisée en 2019 indique qu’entre 20 et 60 personnes par an font reconnaître une maladie professionnelle de l’amiante dans l’Éducation nationale ».

II – La nécessité de la prise en compte de l’amiante dans les écoles

Des mesures de renforcement de la lutte contre l’amiante ont déjà été prises dans plusieurs domaines, notamment grâce à la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (S. Chamouard-El Bakkali, Renforcement des mesures de protection contre l’amiante, RLDC du 1er mars 2016, n° 135, p. 25). Mais il ne faut pas oublier que des écoles, des collèges ou des lycées ont été construits il y a longtemps, si bien qu’ils peuvent encore recéler de l’amiante.

Il faut assurément aider les jeunes gens car il est vrai que les maladies liées à l’amiante peuvent se déclarer plusieurs décennies après l’exposition. Les collectivités doivent donc s’occuper de la construction, des travaux et de l’entretien des bâtiments scolaires en traitant l’amiante dans les écoles. Le cas échéant, elles doivent établir une fiche récapitulative du dossier technique amiante (DTA). Lorsque l’amiante est repérée, il faudrait aussi pouvoir mettre rapidement à l’abri tous les élèves dans des locaux à l’écart des travaux et songer à aérer régulièrement les salles de classe.

S’il est vrai que les maires qui ont la charge des locaux scolaires sont jugés responsables, l’État devrait mettre rapidement en place des mesures de financement en lançant un plan de désamiantage à l’échelle nationale. En effet trop de petites communes n’ont pas les moyens financiers de lancer ces travaux de désamiantage, même lorsque la présence d’amiante a été repérée dans les écoles, de même que dans certains départements pour les collèges ou régions pour les lycées. Il importe donc que le personnel scolaire fasse le nécessaire pour détecter l’amiante dans ces établissements et transmette à l’État les problèmes rencontrés.

Il faudrait également que les chefs d’établissement réclament la remise du DTA afin d’informer le personnel et les usagers puis mettent en place des mesures de prévention. En effet, les matériaux amiantés ne sont plus dangereux une fois qu’ils sont recouverts de peinture, de vernis, d’enduit ou encapsulés. Il faudrait qu’après les travaux des mesures d’empoussièrement soient toujours réalisées afin que les locaux puissent retrouver leur usage et que les écoles fermées soient rouvertes. Hélas, beaucoup d’établissements scolaires n’ont pas de DTA ou constatent qu’il n’a pas été mis à jour ou qu’il est incomplet. Il existe effectivement des dysfonctionnements dans l’Éducation nationale en ce domaine si bien que l’amiante continue d’être un scandale sanitaire. Il serait pertinent que l’Éducation nationale mette en place une politique de suivi du risque amiante puisque, pour le moment, le bilan est lourd.

L’essentiel est de veiller à la santé, la sécurité et l’hygiène dans tous les établissements scolaires car la présence d’amiante est alarmante, raison pour laquelle le syndicat Sud éducation a lancé depuis l’automne 2023 une vaste campagne de lutte contre l’amiante dans les locaux de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur. Une enquête intitulée « Amiante : l’école malade » a aussi été diffusée sur France 5 le 4 mars 2024.

Pour Sud éducation il faut prévoir une mise à jour immédiate des dossiers techniques amiante et améliorer le suivi médical des élèves et du personnel. Pour qu’il n’y ait plus de danger, il serait pertinent que soit mis en place rapidement le plan national de désamiantage total des établissements scolaires. Il faut effectivement pouvoir repérer au plus vite l’amiante mais aussi mettre en place des travaux efficaces.